Validation de la version française d’un outil de dépistage des violences conjugales faites aux femmes, le WAST (Woman Abuse Screening Tool)

// Validation of the French Woman Abuse Screening Tool (WAST) to routinely identify intimate partner violence

Candy Guiguet-Auclair1, Baptiste Boyer2, Keltoume Djabour3, Mehdi Ninert3, Estelle Verneret-Bord3, Françoise Vendittelli1, Anne Debost-Legrand1,4 (alegrand@chu-clermontferrand.fr)
1 Université Clermont Auvergne, CHU Clermont-Ferrand, CNRS, Sigma Clermont, Institut Pascal, Clermont-Ferrand
2 CHU Clermont-Ferrand, Service de médecine légale, Clermont-Ferrand
3 Union régionale des Centres d’information sur les droits des femmes et des familles, Clermont-Ferrand
4 Réseau de santé périnatale en région Auvergne, Clermont-Ferrand
Soumis le 26.06.2020 // Date of submission: 06.26.2020
Mots-clés : Dépistage | Violence conjugale | Questionnaire WAST | Pratique courante
Keywords: Screening | Intimate partner violence | WAST | Current practice

Résumé

Introduction –

Les professionnels de santé sous-estiment la prévalence des violences conjugales et peu d’entre eux déclarent effectuer un dépistage et une prise en charge efficace des victimes. Par ailleurs, ils ne disposent pas d’outil simple et validé en français. Notre objectif était ainsi de valider la version française du questionnaire Woman Abuse Screening Tool (WAST).

Matériels et méthodes –

Une étude cas-témoins a été réalisée dans le Service de médecine légale du Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand et dans deux Centres d’information sur les droits des femmes et des familles. Les femmes victimes et non-victimes ont complété le questionnaire WAST et un questionnaire sur leur niveau d’aise pour remplir ce dernier au cours de l’étude et lors d’une consultation hypothétique avec leur médecin traitant. Une analyse des propriétés psychométriques et des performances diagnostiques du WAST a été effectuée.

Résultats –

L’acceptabilité du WAST a été très bonne avec un taux de réponse supérieur à 95%. Les performances diagnostiques pour une valeur seuil de 5 étaient excellentes : l’aire sous la courbe ROC était de 0,99, la sensibilité de 97,7% et la spécificité de 97,1%. Les niveaux d’aise étaient significativement plus faibles chez les victimes que chez les non-victimes. Les deux groupes étaient plus à l’aise pour compléter le WAST au cours d’une étude que lors d’une consultation.

Discussion –

L’outil de dépistage WAST en version française est valide et bien accepté pour identifier les violences conjugales en pratique courante. Il peut aider les professionnels de santé à repérer de manière précoce les femmes subissant des violences et ainsi optimiser leur prise en charge.

Abstract

Introduction –

Health care professionals strongly underestimate prevalence of intimate partner violence (IPV) and few of them think that they screen and refer victims appropriately for assistance. In addition, they did not have a simple and validated tool in French. Our aim was to cross-culturally adapt a French version of the Woman Abuse Screening Tool (WAST).

Methods –

A multicenter case-control study was performed in the forensic medicine unit of the University Hospital of Clermont-Ferrand and in two centres of the Women’s Rights Association in France. Abused and non-abused women self-completed the WAST and a questionnaire assessing their level of comfort in responding to the WAST during the study, and during a hypothetical consultation with a physician in primary care. We analyzed the psychometric properties and screening performance of the WAST.

Results –

Respondent acceptability was very good, with response rates exceeding 95%. Its screening performance with a cut-off score of 5 was excellent: area under the ROC curve was 0.99, sensitivity 97.7% and specificity 97.1%. The levels of comfort were significantly lower among abused compared with non-abused women. Both groups of women were more comfortable answering the WAST during the study than in a hypothetical consultation.

Discussion –

The French version of the WAST was found to be a well-accepted and valid screening tool for routinely use in IPV. It may help health care professionals to early detect women experiencing abuse and to refer them more quickly to specific assistance.

Introduction

La prévalence des violences conjugales au cours de la vie d’une femme a été estimée à 30% dans le monde et 26% en France 1. En moyenne, au cours d’une année en France, 225 000 femmes âgées de plus de 18 ans sont victimes de violence physique et/ou sexuelle perpétrée par leur conjoint ou ex-conjoint. En 2018, 121 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, soit 1 femme tous les 3 jours 2. Les conséquences des violences conjugales sur l’état de santé des femmes sont graves et multiples avec notamment la survenue de pathologies psychiatriques et une altération de la qualité de vie. Ces violences peuvent également altérer l’état de santé des nouveau-nés et des jeunes enfants lorsque les violences se produisent au cours de la grossesse ou en post-partum immédiat 3.

Des recommandations internationales et nationales ont été élaborées pour que le dépistage des victimes de violence conjugale soit effectué afin de leur proposer une orientation précoce pour une prise en charge optimale 4,5,6. Ce dépistage repose en particulier sur les professionnels de santé qui sont souvent le premier recours des victimes. Cependant, plusieurs études réalisées au Royaume-Uni, au Canada ou aux États-Unis ont montré que ce dépistage était insuffisant quel que soit le lieu de l’enquête (centre hospitalier public ou privé, centre communautaire, cabinet libéral), la profession (médecin, profession paramédicale, travailleur social) ou la spécialité (médecin généraliste, psychiatre, gynécologue-obstétricien, urgentiste) 7,8, et particulièrement faible en cas de consultation en libéral 9. Les freins au dépistage tiennent plutôt aux professionnels de santé souvent réticents à effectuer celui-ci. Ils expriment un manque d’expérience et l’absence de formation spécifique 10,11. Ils ont parfois des méconnaissances et des a priori sur les situations de violence. La prévalence des violences conjugales est très largement sousestimée et peu de professionnels de santé pensent effectuer un dépistage et une orientation appropriés de ces victimes de violences 7,12. Les études ont aussi mis en évidence que ces professionnels manquaient d’outils et de procédures de référence leur permettant une prise en charge efficace de la victime 8.

En France, un Grenelle contre les violences conjugales s’est tenu en 2019. Les travaux de ce Grenelle ont mis en évidence la nécessité de mieux repérer les victimes afin de les orienter vers une prise en charge adaptée à leurs besoins 13. Des recommandations ont ainsi été émises par la Haute Autorité de santé à destination des professionnels de santé au moyen de fiches réflexes 6. De même, des outils de formation sur les violences faites aux femmes s’adressant à l’ensemble des professionnels ont été conçus par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), en collaboration avec des équipes pluridisciplinaires d’experts et de professionnels. Néanmoins, aucun outil valide de dépistage des violences conjugales pouvant être utilisé en pratique courante, notamment en libéral, n’est actuellement disponible en français.

Un tel questionnaire de dépistage doit posséder de bonnes propriétés psychométriques, être facile et rapide d’emploi, être court, tout en explorant l’ensemble des types de violence. Parmi les outils existants 5, le questionnaire Woman Abuse Screening Tool (WAST), questionnaire canadien en anglais, possède ces différentes propriétés. Il a été développé à destination des médecins généralistes dans le but d’être pratique, accessible et acceptable par les femmes 14. Afin de tester son acceptabilité et son utilité, 20 médecins généralistes canadiens ont été recrutés et ont administré le questionnaire à leurs patientes. Ces médecins exerçaient, dans des proportions équivalentes, en ville ou à la campagne, et ne possédaient pas de formation particulière sur les violences conjugales. Plus de 90% des femmes ont rapporté être à l’aise pour remplir le questionnaire ou lorsque les questions étaient posées par leur médecin traitant 14. Les médecins généralistes eux-mêmes ont déclaré être à l’aise en faisant remplir le WAST à leurs patientes et ont perçu cet outil comme très utile dans le dépistage des violences conjugales 14. Il a déjà été utilisé dans plusieurs études internationales (États-Unis, Canada, Asie) afin d’identifier la prévalence de violences conjugales parmi les femmes consultant en médecine générale, services d’urgences, de chirurgie, avec une sensibilité et une spécificité de plus de 90% 5,15.

L’objectif principal de notre étude était d’effectuer une adaptation transculturelle et de valider une version française du WAST en évaluant ses propriétés psychométriques. L’objectif secondaire était d’étudier le niveau d’aise des femmes lorsqu’elles remplissaient le questionnaire au cours de cette étude et si le questionnaire avait été rempli au cours d’une consultation avec leur médecin traitant.

Matériels et méthodes

Population d’étude

Deux groupes de femmes ont été recrutés :

Les femmes repérées par un professionnel comme étant victimes de violence conjugale ont été recrutées au sein de services experts dans leur prise en charge : Service de médecine légale du CHU de Clermont-Ferrand et Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) du Puy-de-Dôme et de l’Allier.

Les femmes non victimes de violence conjugale ont été recrutées parmi l’entourage des investigateurs et leurs contacts professionnels, ainsi que parmi les étudiants des instituts de formation paramédicale et en Master d’éducation et santé publique de Clermont-Ferrand.

Dans les deux groupes, les femmes devaient être âgées de 18 ans au moins, comprendre, parler et lire le français et être en couple avec le même partenaire depuis au moins 12 mois.

Un avis éthique consultatif favorable a été obtenu le 26 février 2016 (Comité d’éthique des centres d’investigation clinique de l’inter-régions Rhône-Alpes-Auvergne, Grenoble, IRB 5921). Le recrutement a été effectué du 1er juillet 2016 au 30 avril 2019.

Données recueillies

Un auto-questionnaire anonyme a été proposé aux deux groupes de femmes de l’étude. Il était rempli de manière individuelle par toutes les femmes volontaires au cours d’une consultation ou suite à une séance d’information sur l’étude dans les centres de recrutement.

Le questionnaire incluait :

le WAST composé de huit questions fermées, les deux premières portant sur les relations au sein du couple de manière générale, les six suivantes sur les violences physiques, psychologiques et sexuelles. Les modalités de réponses sont cotées sur une échelle de Likert en trois points, de 0 à 2. Le score total du WAST est obtenu en additionnant les scores des items et varie de 0 à 16 ;

un questionnaire permettant d’évaluer le niveau d’aise lorsque les femmes répondaient à chaque question du WAST au cours de l’étude ou si elles avaient dû y répondre au cours d’une consultation hypothétique avec leur médecin traitant. Les modalités de réponses sont cotées sur une échelle de Likert en cinq points, de 1 (pas du tout à l’aise) à 5 (totalement à l’aise) ;

Des données sociodémographiques sur les femmes et leur conjoint.

Traduction et adaptation transculturelle du WAST

Une version française du WAST (figure) a été obtenue en respectant les recommandations d’un processus d’adaptation transculturelle 16. Puis une étude de faisabilité a été réalisée afin de tester la compréhension et l’acceptabilité du questionnaire auprès de 20 femmes (11 victimes de violence conjugale et 9 non-victimes).

Figure : Version française du WAST, questionnaire de dépistage des violences conjugales
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Analyses statistiques

L’ensemble des analyses a été réalisé avec le logiciel SAS (SAS® v9.4, SAS Institute). Le risque de première espèce α a été fixé à 5%.

Les caractéristiques sociodémographiques des victimes et des non-victimes ont été décrites et comparées par des tests du Chi2 ou tests exacts de Fisher pour les variables catégorielles, et par des tests non paramétriques de Mann-Whitney pour les variables continues.

Les propriétés psychométriques suivantes ont été évaluées :

L’acceptabilité du WAST : taux de réponse obtenu pour le WAST total et chaque item ;

La distribution des scores du WAST : les réponses de chaque item ont été comparées entre les victimes et les non-victimes par des tests du Chi2 ou tests exacts de Fisher. Un effet plancher/plafond a été recherché pour chaque item. Un effet était considéré comme présent si plus de 15% des femmes obtenaient le score le plus faible ou le plus élevé. Les scores totaux du WAST ont été comparés entre les deux groupes par des tests non paramétriques de Mann-Whitney ;

La cohérence interne du WAST : le coefficient α de Cronbach a été calculé. Les corrélations item-total corrigées ont été évaluées. Des coefficients de corrélation supérieurs à 0,40 indiquent une bonne cohérence interne ;

Les performances diagnostiques : une courbe ROC (receiver operating characteristic ou courbe sensibilité/spécificité) a été estimée afin de rechercher la valeur seuil optimale du score total du WAST, permettant de discriminer au mieux les femmes victimes de violence des non-victimes, et d’obtenir la meilleure sensibilité, spécificité, valeur prédictive positive et négative.

Les niveaux d’aise ont été comparés entre les groupes par des tests de Mann-Whitney.

Dans les analyses par tests du Chi2 ou tests exacts de Fisher, la statistique V de Cramer a été utilisée comme indice de taille d’effet (effect size). La statistique d de Cohen a été utilisée dans les analyses par tests de Mann-Whitney. Une association a été considérée comme faible pour V<0,30 ou d<0,50, modérée pour 0,30≤V<0,50 ou 0,50≤d<0,80 et importante pour V≥0,50 ou d≥0,80.

Résultats

Au cours de l’étude, 361 femmes ont participé, 181 victimes et 180 non-victimes. Les femmes victimes ont été recrutées pour 39,8% dans le Service de médecine légale du CHU de Clermont-Ferrand et pour 60,2% au sein des CIDFF. Le tableau 1 présente les caractéristiques des victimes et non-victimes. Il existait une différence significative entre les groupes pour l’ensemble des variables, sauf pour leur âge et celui de leur conjoint. Les femmes victimes étaient plus souvent séparées ou divorcées et la durée de la relation avec leur conjoint était plus courte que celle des non-victimes. Elles vivaient plus souvent seules, étaient plus fréquemment d’origine étrangère et avaient plus souvent des enfants. Parmi elles, 31,4% étaient « parent isolé » contre 4,1% des femmes non victimes.

Tableau 1 : Caractéristiques des femmes victimes et non victimes de violence conjugale incluses
dans la validation française du WAST
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Le pourcentage de réponses complètes à l’ensemble du questionnaire WAST était de 97,5% (97,8% pour les femmes victimes et 97,2% pour les non-victimes). Pour chaque item, les pourcentages de réponse variaient entre 97,8% et 99,4% pour les femmes victimes et entre 98,9 et 100% pour les non-victimes. Aucun effet plafond n’a été retrouvé. En revanche, un effet plancher pour le score total était présent chez les femmes non-victimes (61,7% avaient un score de 0). Le tableau 2 présente la distribution de chaque item du WAST et du score total. Pour chaque item, une différence significative a été retrouvée entre les deux groupes. Plus de 90% des femmes non-victimes ont déclaré n’avoir jamais subi de violences physiques, psychologiques ou sexuelles, contre respectivement 12,4%, 5,6% et 70,2% des femmes victimes. Le score moyen total du WAST était significativement plus élevé dans le groupe des victimes.

Tableau 2 : Distribution des réponses aux items du WAST et du score total
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Le tableau 3 présente la distribution des réponses au WAST en fonction du mode de recrutement chez les victimes de violence conjugale. Seule la distribution de l’item 2 est statistiquement différente entre les victimes recrutées dans les CIDFF et en médecine légale.

Tableau 3 : Distribution des réponses aux items du WAST et du score total selon le mode de recrutement des femmes victimes de violence conjugale
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La version française du WAST avait une bonne cohérence interne avec un coefficient α de Cronbach de 0,95. Les corrélations items-total corrigées variaient de 0,50 à 0,88 et étaient toutes significatives.

Une excellente discrimination entre les femmes victimes et non victimes a été montrée en utilisant le score total du WAST. L’aire sous la courbe ROC était de 0,99. Une valeur seuil de 5 a permis d’obtenir une sensibilité de 97,7%, une spécificité de 97,1%, une valeur prédictive positive de 97,2% et une valeur prédictive négative de 97,7%.

Le tableau 4 présente les cotations des femmes sur leur niveau d’aise en remplissant le WAST selon deux situations, contexte de l’étude ou consultation hypothétique avec leur médecin traitant. Le niveau d’aise était globalement plus faible pour les femmes victimes par rapport aux non-victimes. Les deux groupes avaient des scores de niveau d’aise plus élevés dans le cadre du remplissage au cours de l’étude que lors d’une consultation.

Tableau 4 : Niveau d’aise des femmes pour compléter le questionnaire WAST au cours de l’étude ou au cours
d’une consultation hypothétique avec un professionnel de santé (de 1 – Pas du tout à l’aise à 5 – Très à l’aise)
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Discussion

L’adaptation transculturelle du WAST a montré une bonne validité et une excellente capacité de discrimination entre les femmes victimes de violence conjugale et non victimes.

L’acceptabilité du questionnaire a été très bonne avec plus de 95% de réponse dans les deux groupes pour chaque item. Ce taux d’acceptabilité élevé confirme que les femmes plébiscitent des approches garantissant la confidentialité et l’intimité tel que remplir un questionnaire seule et en privé 17. Une valeur seuil du score total du WAST à 5 apparaît comme discriminante. Cela signifie qu’un score supérieur ou égal à 5 identifie une femme comme victime potentielle de violence conjugale. Pour cette valeur seuil, la sensibilité et la spécificité sont supérieures à 95%. Pour une prévalence des violences conjugales estimée en France à 26% en population générale, les valeurs prédictives positives et négatives sont à près de 90%. Les études antérieures utilisant le WAST avec une valeur seuil de 4 ont rapporté une sensibilité comprise entre 41,9 et 87% et une spécificité comprise entre 89 et 96,8% 14,15,18.

Dans notre étude, la proportion de mères célibataires chez les femmes victimes est plus importante que celle retrouvée en population générale (31,4% versus 13,1%), avec une plus grande précarité sociale du fait d’un taux de chômage élevé (31,1% versus 7,8%). Le niveau d’études est semblable à celui des femmes en population française dans cette classe d’âge. Les données dans la littérature sont contradictoires concernant l’association entre le statut socioéconomique et les violences conjugales 1,14,19. Le mode de recrutement des femmes victimes dans notre étude peut expliquer ces différences, deux-tiers de ces femmes ayant été incluses dans les CIDFF dont la principale mission est l’accès aux droits ainsi qu’à l’emploi et à la formation professionnelle. En revanche, les réponses au WAST ne sont pas influencées par le mode de recrutement.

Les femmes victimes semblent moins à l’aise pour remplir le questionnaire WAST que les non-victimes. Pour les femmes victimes, la crainte des représailles de la part du conjoint violent peut expliquer les difficultés à révéler les violences 3. Pour les femmes non-victimes, il peut leur être plus facile de compléter ce questionnaire car elles ne sont pas exposées à cette situation de violence et n’ont pas d’appréhension quant à leur sécurité. Le niveau de malaise des femmes victimes était plus élevé en cas de consultation avec un professionnel de santé, ce qui a déjà été rapporté dans la littérature 14,20,21. Ceci montre les difficultés des professionnels à effectuer le dépistage des violences conjugales, en particulier en milieu libéral. Un climat de confiance et de respect doit être instauré par les professionnels de santé afin d’aborder ce sujet, car ils apparaissent souvent comme le premier recours pour ces femmes 22,23,24. La formation des professionnels, avec l’utilisation d’outils de dépistage valides et simples, semble être un levier permettant la prise en charge des victimes 23. De plus, il a été rapporté des difficultés organisationnelles au sein des structures de soins ne permettant pas un accueil des victimes garantissant la confidentialité et une mise en sécurité immédiate 25. Une volonté institutionnelle avec des protocoles et des locaux adaptés pourrait permettre une amélioration du dépistage, et ce d’autant plus qu’il a déjà été démontré que le dépistage des violences conjugales par le biais de questionnaires n’engendrait pas de vécu traumatisant pour les patientes qui les complètent 26.

Notre étude présente plusieurs limites. Nous n’avons pas pu estimer le taux de participation des femmes à cette étude ni comparer les répondantes aux non-répondantes. Nous n’avons pas étudié le niveau d’aise des professionnels pour utiliser le WAST en pratique courante. Les performances diagnostiques du WAST ont été calculées sur un échantillon sélectionné afin d’éviter une contamination et ont pu être surestimées par rapport à une évaluation en population générale. De plus, parmi les femmes non victimes, le recrutement a été effectué parmi les personnes proches des investigateurs : un biais de déclaration peut exister, les proches voulant donner la bonne réponse ou ne révélant pas la survenue de violences conjugales. Cependant la proportion de personnes proches dans ce groupe était relativement faible, la grande majorité ayant été recrutée parmi les étudiants.

Le dépistage des femmes victimes de violence n’est qu’une première étape et ne peut être efficace que s’il est accompagné de mesures d’aide (ou de soutien) adaptées aux femmes victimes de violence 4,11. L’évaluation des connaissances et des capacités de prise en charge des victimes par les professionnels de santé doit être effectuée pour permettre la mise en place de formations adaptées. Celles-ci doivent se faire avec deux objectifs. Le premier est de s’approprier des outils de dépistage tels que le WAST afin d’identifier les victimes le plus précocement possible. Le second est de maitriser les procédures de référence d’orientation de ces femmes en fonction de leur situation vers des structures appropriées, ceci afin de les soustraire à la violence ou de diminuer les actes violents et d’améliorer, ainsi, leur qualité de vie 11,13.

Conclusion

Le questionnaire WAST en français est un outil valide et rapide d’utilisation à destination de tous les professionnels de santé. Il permet d’identifier facilement les femmes susceptibles d’être victimes de violence conjugale. Son utilisation en pratique courante doit permettre un dépistage précoce et une mise en place d’un parcours de soins spécifique afin d’optimiser la prise en charge des femmes victimes de violence conjugale. Il doit être intégré de manière systématique dans l’interrogatoire, notamment dans les services susceptibles d’accueillir des victimes telles que les urgences ou les services de chirurgie ou au cours de consultations dédiées telles que l’entretien prénatal précoce.

Remerciements

Nous remercions le Service de médecine légale et les CIDFF d’avoir participé à l’étude.
Cette étude a été financée par le Conseil régional d’Auvergne.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Guiguet-Auclair C, Boyer B, Djabour K, Ninert M, Verneret-Bord E, Vendittelli F, et al. Validation de la version française d’un outil de dépistage des violences conjugales faites aux femmes, le WAST (Woman Abuse Screening Tool). Bull Epidémiol Hebd. 2021;(2):32-40. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/2/2021_2_2.html