Part des syndromes du canal carpien attribuable à l’activité professionnelle parmi les professions et secteurs d’activité à risque, dans deux départements français

// Attributable risk of carpal tunnel syndromes to the employment among high-risk occupations and industry sectors in two french departments

Émilie Chazelle1 (emilie.chazelle@santepubliquefrance.fr), Natacha Fouquet2, Yves Roquelaure3
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Santé publique France, Univ. Angers, Angers
3 Univ. Angers, CHU Angers, Univ. Rennes, Inserm, EHESP, Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset) – UMR_S 1085, Angers
Soumis le 31.12.2020 // Date of submission: 12.31.2020
Mots-clés : Syndrome du canal carpien | Risque attribuable | Trouble musculo-squelettique | Profession | Secteur d’activité
Keywords: Carpal tunnel syndrome | Attributable risk | Musculoskeletal disorder | Occupation | Industry sector

Résumé

Introduction –

En France, le taux de sous-déclaration du syndrome du canal carpien (SCC), deuxième pathologie reconnue en maladie professionnelle, a été estimé en 2015 à 43%. L’objectif était de déterminer les fractions de risque de SCC attribuables chez les exposés (FRAE) à l’activité professionnelle, au sein des professions et secteurs d’activité à risque.

Matériel et méthodes –

Les données des patients opérés d’un SCC issues de deux études menées dans le Maine-et-Loire (2002-2003) et dans les Bouches-du-Rhône (2008-2009) ont été colligées pour le calcul des FRAE aux professions ou secteurs d’activité (emploi au moment de l’intervention) chez les patients y étant exposés. Le calcul était basé sur la détermination du risque relatif de la profession ou du secteur ajusté sur l’âge, selon la méthode de Mantel-Haenszel.

Résultats –

Chez les ouvriers et les ouvrières, les trois quarts des cas de SCC seraient attribuables à l’excès de risque associé à l’exercice de la profession. Les secteurs d’activité avec les FRAE de SCC les plus élevées étaient le secteur de l’industrie du cuir et de la chaussure chez les hommes (FRAE=93%) et le secteur de l’industrie automobile chez les femmes (FRAE=89%). Pour les professions précises, il s’agissait des couvreurs qualifiés chez les hommes (FRAE=97%) et des ouvrières du maraîchage et de l’horticulture chez les femmes (FRAE=94%). Au sein d’un même secteur d’activité, certaines professions avaient des fractions de risque attribuables au travail plus élevées que d’autres, y compris dans des secteurs ne présentant pas globalement d’excès de risque de SCC.

Discussion –

Le calcul des FRAE aux différents secteurs d’activité et/ou professions de SCC permet, lorsque ce calcul est possible, d’identifier des emplois à risque et contribue ainsi au ciblage de ces emplois pour les actions de prévention en milieu professionnel, en complément des statistiques de maladies professionnelles.

Abstract

Background –

Under-reporting rate of carpal tunnel syndrome (CTS), the second most frequent occupational disease, was assessed in 2015 in France at 43%. Thus, the aim was to estimate the attributable risks (AR) of CTS to employment among high-risk occupations and industry sectors.

Methods –

Data of CTS post-operative patients from two studies in Maine-et-Loire (2002-2003) and Bouches-du-Rhône (2008-2009) were pooled for the calculation of the ARs to occupations and industry sectors (employment at surgery time) among patients exposed to these employments. The calculation was based on the relative risk of the occupation or industry sector adjusted for age, according to the Mantel-Haenszel method.

Results –

Three-quarters of cases among the male and female manual workers might be attributable to the excess risk related to this type of occupation. Industry sectors with the highest ARs were the manufacture of footwear and leather for men (AR=93%) and the manufacture of motor vehicles, trailers and semi-trailers for women (AR=89%). Specific occupations with the highest ARs were skilled roofers for men (AR=97%) and garden and horticultural labourers for women (AR=94%). Within an industry sector (industry sectors without an excess risk of CTS included), specific occupations had higher ARs to work than others.

Discussion –

The determination of the ARs of CTS among cases exposed to different industry sectors and, or, occupations, where possible, enable to target high-risk jobs for prevention intervention at the workplace in addition to occupational diseases statistics.

Introduction

Les troubles musculo-squelettiques (TMS) recouvrent un large ensemble d’affections de l’appareil locomoteur pouvant être provoquées ou aggravées par l’activité professionnelle. En 2019, les TMS des membres et du dos représentaient 88% des maladies professionnelles (MP) reconnues par le régime général de l’Assurance maladie 1.

Parmi ces TMS, le syndrome du canal carpien (SCC), résulte de la compression du nerf médian lors de son passage sous le ligament annulaire antérieur du carpe, à la base de la main. Il se manifeste par des douleurs, des troubles de la sensibilité (paresthésies, anesthésie, engourdissement) et de la motricité (faiblesse, maladresse, raideur) des trois premiers doigts et de la moitié radiale du quatrième doigt. Sa survenue peut être favorisée par des facteurs personnels (âge, sexe féminin), médicaux ou hormonaux et par des activités professionnelles ou extra-professionnelles (gestes répétitifs, utilisation d’outils vibrants, exercice manuel de pleine force…) 2,3.

Chez les salariés, la prévalence du SCC a été estimée par une étude en Pays de la Loire à 3,8% chez les femmes et à 2,3% chez les hommes 4. Les interventions pour cette pathologie ont concerné environ 83 000 personnes âgées de 20 à 64 ans en France métropolitaine en 2014 5. Le SCC est la 2e pathologie reconnue en MP par le régime général de la Sécurité sociale. Cependant, sa sous-déclaration a été estimée en 2015 à 43% (elle oscillait entre 55 et 60% entre 2009 et 2013) 6,7. La fréquence importante de la pathologie et ses conséquences sur le parcours professionnel en font un défi pour la prévention. En effet, les SCC reconnus en MP ont engendré à eux seuls presque 1,8 millions de journées d’arrêt de travail en France en 2017 et, selon les études 8,9, les durées médianes d’arrêt de travail post-intervention chirurgicale allaient de 30 à 60 jours. Afin d’être efficaces, les interventions de prévention des TMS en milieu professionnel doivent être adaptées au type d’activité pratiquée 10 et à la situation de travail (notamment l’organisation du travail dans l’entreprise et le contexte psychosocial) 11. Les opérateurs de prévention des professions et secteurs d’activité présentant un excès de risque important de SCC doivent logiquement intégrer la problématique TMS dans leurs priorités d’action.

Par ailleurs, il a été décrit que les taux de reconnaissance des dossiers de déclaration en MP, accident du travail ou de trajet étaient variables d’une zone géographique à une autre 12, et notamment d’un Comité régional de reconnaissance en maladie professionnelle (CRRMP) à un autre (pour les demandes de reconnaissance ne répondant pas aux critères des tableaux de MP) 13,14. On observe ainsi un besoin d’uniformisation des décisions rendues à situations professionnelles identiques. Dans cette optique, disposer de la fraction des cas de SCC attribuables à l’activité professionnelle au sein de chaque profession et/ou secteur à risque serait utile pour aider les CRRMP dans leur prise de décision.

Ainsi, à partir des données disponibles en France sur l’emploi d’un certain nombre de patients souffrant d’un SCC diagnostiqué (à savoir les cas chirurgicaux de deux départements français), l’objectif de cette étude était de déterminer les fractions de risque de SCC attribuables à l’activité professionnelle au sein des professions et/ou secteurs à risque.

Matériel et méthodes

Population

Le calcul des fractions de risque attribuables à l’activité professionnelle a reposé sur les données de deux études comparables menées dans le Maine-et‑Loire et les Bouches-du-Rhône.

L’étude réalisée dans le Maine-et-Loire 15, de façon rétrospective, en 2004, a porté sur les patients âgés de 20 à 59 ans, ayant été opérés d’un SCC en 2002 et 2003. Les patients ont été identifiés à partir des données du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) des deux principaux centres chirurgicaux de la main du département, structures privées effectuant près de 70% des interventions chirurgicales de SCC. Un auto-questionnaire adressé par voie postale a permis de recueillir l’historique professionnel ainsi que les antécédents médicaux et chirurgicaux des patients. Le taux de réponse était de 64%, mais le statut vis-à-vis de l’emploi (en emploi ou non) était connu pour 91% des patients, via un recueil par les centres chirurgicaux.

L’étude des Bouches-du-Rhône 16 a été réalisée en 2008-2009, sur une période de 12 mois. Les patients, âgés de 20 à 64 ans, consultant dans trois structures chirurgicales (deux privées et une publique) pour un SCC, ont été inclus de façon prospective par les chirurgiens orthopédistes. Un auto-questionnaire leur a été remis par l’équipe paramédicale, recueillant les mêmes informations médicales et professionnelles. Les cas de 20 à 64 ans opérés par ces trois structures chirurgicales représentaient 60% de l’ensemble des cas opérés par 37 centres chirurgicaux dans le département. Le taux de réponse était de 87%.

Les données des patients des deux études, âgés de 20 à 59 ans et dont le statut vis-à-vis de l’emploi au moment de l’intervention était connu, ont été colligées pour le calcul des fractions de risque attribuables afin d’augmenter la puissance statistique, de pouvoir ainsi les fournir pour l’emploi (croisement du secteur d’activité et de la profession) et le secteur d’activité précis, et afin d’étendre la généralisation des résultats en couvrant deux départements aux profils économiques et sociaux différents. Ont été exclus : les patients atteints de polyneuropathie (d’origine alcoolique, diabétique, etc.), les patients dialysés rénaux et ceux opérés d’une récidive de syndrome du canal carpien. Au final, les données de 2 234 patients (1 371 de l’étude du Maine-et-Loire et 863 de l’étude des Bouches-du-Rhône) ont été analysées.

L’emploi au moment de l’intervention a été défini selon deux dimensions :

la profession, selon la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) de 2003 17 ;

le secteur d’activité, selon la nomenclature d’activités française (NAF) de 2003 18.

Les professions étant codées selon la PCS de 1994 dans l’étude menée en Maine-et-Loire, il a été nécessaire de les transcoder dans la version de 2003. Lorsque les informations n’étaient pas suffisantes pour sélectionner un code particulier, certains codes ont été regroupés afin de mener des analyses conjointes aux deux départements.

Analyses

La fraction de risque attribuable chez les exposés (FRAE) représente la proportion des cas chirurgicaux de SCC que l’on peut attribuer au fait d’exercer une certaine activité professionnelle, parmi les cas qui surviennent dans cette activité professionnelle. La FRAE ne dépend que de la valeur du risque relatif de SCC associé à cette activité professionnelle.

La fraction de risque attribuable à la profession/secteur/emploi chez les exposés (FRAE) 19 a été calculée comme suit :

où RRa est le risque relatif ajusté sur l’âge.

Une fourchette d’incertitude (IF) sur la fraction a été calculée en utilisant les bornes inférieures et supérieures de l’intervalle de confiance à 95% (IC95%) du RRa.

La population de référence utilisée pour le calcul des taux d’incidence était issue du recensement de la population française de 2006.

Le risque relatif ajusté sur l’âge et son intervalle de confiance ont été calculés selon la méthode de Mantel-Haenszel. Les FRAE à l’activité professionnelle n’ont été calculées qu’en cas de risque relatif ajusté sur l’âge significativement supérieur à un, d’un nombre de cas chirurgicaux de SCC supérieur à cinq (pour le respect du secret statistique) et d’une prévalence d’exposition dans la population générale supérieure à 5/100 000 (valeur empirique au-dessus de laquelle la précision de l’estimation du risque relatif était suffisante).

Les FRAE à l’activité professionnelle ont été calculées pour chaque profession (jusqu’au niveau à quatre digits, le plus précis, de la nomenclature) et pour chaque secteur d’activité (jusqu’au niveau à deux digits de la nomenclature) à risque mais également pour chaque emploi (combinaison profession-secteur aux niveaux à deux digits) à risque. Avec cette approche, exercer une activité professionnelle est assimilé à une exposition à un facteur de risque du SCC, avec une hypothèse causale en cas de relation statistique significative mise en évidence. La profession, le secteur d’activité ou l’emploi sont utilisés comme proxys – c’est‑à-dire comme des variables de substitution – des expositions professionnelles à risque (biomécaniques, organisationnelles ou psychosociales) non mesurées qui y sont liées.

En cas de risque relatif significativement inférieur à un, il ne pouvait y avoir de calcul de FRAE, car cette fraction ne peut être négative, mais cela signifiait que le groupe de travailleurs étudié avait un niveau de risque moyen inférieur à celui de la population générale.

Toutes les analyses ont été réalisées séparément chez les hommes et les femmes, à l’aide du logiciel SAS® 9.4.

Résultats

Ont été inclus dans l’étude 1 647 femmes et 587 hommes de 20 à 59 ans ayant subi une intervention chirurgicale pour un SCC et résidant dans le Maine-et-Loire ou dans les Bouches-du-Rhône. La majorité des hommes (88%) et des femmes (77%) occupaient un emploi au moment de l’intervention.

Parts de SCC attribuables à l’activité professionnelle et aux grandes professions et catégories sociales

Dans la population en emploi âgée de 20 à 59 ans, 51% [36-62] des cas opérés d’un SCC chez les hommes et 45% [39-51] des cas chez les femmes seraient attribuables au fait d’exercer une activité professionnelle au moment de l’intervention. Si l’on s’intéresse aux grandes professions et catégories sociales, 73% des cas survenus chez les ouvriers [68-77] et les ouvrières [70-76] seraient attribuables à l’excès de risque associé à l’exercice de cette profession. Chez les femmes uniquement, parmi les agricultrices exploitantes, il s’agit de 53% [31-68] des cas, tandis que parmi les employées, il s’agit de 34% [27-40] des cas. Les professions de cadres et professions intellectuelles supérieures et les professions intermédiaires avaient un risque significativement diminué de SCC pour les deux sexes.

Parts de SCC attribuables à l’activité professionnelle dans les différents grands secteurs d’activité (tableau 1)

Chez les hommes, la grande majorité (93% [88-96]) des cas survenus chez des travailleurs du secteur de l’industrie du cuir et de la chaussure seraient attribuables à l’excès de risque présenté par les hommes travaillant dans ce secteur. La FRAE était supérieure à 65% (environ les deux tiers des cas ou plus) également pour le secteur du travail des métaux. À l’inverse, les hommes travaillant dans le secteur d’activité des services fournis principalement aux entreprises (regroupant des services d’appui tels que des services juridiques, publicitaires, etc. et des services opérationnels tels que les activités liées à la sécurité ou au nettoyage, et autres) présentaient en moyenne un risque de SCC inférieur à celui de la population générale des hommes du même âge (RRa=0,4 [0,2-0,6]).

Chez les femmes, 89% [76-95] des cas survenus chez des travailleuses du secteur de l’industrie automobile seraient attribuables à l’excès de risque présenté par les femmes travaillant dans ce secteur. La FRAE était supérieure à 65% également pour les secteurs de l’industrie du cuir et de la chaussure, de la fabrication d’équipements de radio, télévision et communication, de la fabrication de meubles et industries diverses, de l’agriculture, de l’industrie de l’habillement et des fourrures et des « activités des ménages en tant qu’employeur de personnel domestique ». À l’inverse, les femmes travaillant dans les secteurs du commerce de gros et des intermédiaires de commerce, ainsi que dans l’éducation, présentaient en moyenne un risque plus faible de SCC que les femmes de la population générale du même âge. Cependant, dans le secteur de l’éducation, 83% des cas survenant chez les personnels des services directs aux particuliers (par exemple, les employés de l’hôtellerie, les assistantes maternelles…) seraient attribuables à l’excès de risque présenté par les femmes exerçant ce type de profession dans ce secteur de l’éducation.

Tableau 1 : Fraction de risque de SCC attribuable au secteur d’activité parmi les cas travaillant dans un secteur d’activité donné au moment de l’intervention chirurgicale (niveau à 2 digits de la NAF 2003)
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En effet, pour chaque secteur d’activité présenté ici, certains emplois (combinaisons secteur-profession) avaient des fractions de cas attribuables particulièrement élevées (tableau 2). Chez les hommes de ces secteurs, cela concernait notamment les ouvriers qualifiés et non qualifiés de type industriel, et les ouvriers qualifiés de type artisanal. Chez les femmes, cela concernait particulièrement les ouvrières non qualifiées de type industriel et les personnels des services directs aux particuliers. Parmi les secteurs ne présentant pas d’excès de risque globalement, les professionnels de certains emplois présentaient un excès de risque de souffrir d’un SCC, donc des fractions élevées de cas attribuables à l’emploi. On peut citer notamment les ouvriers qualifiés de type artisanal du secteur de l’administration.

Tableau 2 : Fraction de risque de SCC attribuable à l’emploi parmi les cas travaillant dans un emploi donné au moment de l’intervention chirurgicale (croisement PCS*NAF aux niveaux à 2 digits des PCS et NAF 2003)
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Parts de SCC attribuables à l’activité professionnelle dans les différentes professions (PCS détaillée à quatre digits) (tableau 3)

Chez les hommes, presque toutes les professions pour lesquelles il a été possible de calculer un excès de risque et la FRAE à un niveau plus détaillé de la nomenclature étaient des professions d’ouvrier, les fractions étant particulièrement élevées (≥90%) chez les couvreurs qualifiés, les ouvriers de production non qualifiés du textile et de la confection, de la tannerie-mégisserie et du travail du cuir, les bouchers, les ouvriers de production non qualifiés de la transformation des viandes, les chaudronniers-tôliers industriels, les opérateurs qualifiés du travail en forge, les conducteurs qualifiés d’équipement de formage, les traceurs qualifiés, et les ouvriers de l’élevage.

Chez les femmes, les professions pour lesquelles il a été possible de calculer un excès de risque et la FRAE sont mieux réparties entre les professions dites intermédiaires, d’employées et d’ouvrières. Ces professions d’employées recouvrent également des fonctions à haute exigence physique comme celle d’aide à domicile, d’agent de service hospitalier, d’aide médico-psychologique, d’aide de cuisine, de coiffeuse, de caissière... La fraction était supérieure ou égale à 90% pour cinq professions d’ouvrières : les ouvrières agricoles du maraîchage ou de l’horticulture et de la viticulture ou de l’arboriculture fruitière, les ouvrières de production non qualifiées de la transformation des viandes, les ouvrières non qualifiées de l’électricité et de l’électronique, ainsi que les ouvrières de production non qualifiées du textile et de la confection, de la tannerie-mégisserie et du travail du cuir.

Tableau 3 : Fraction de risque de SCC attribuable à la profession parmi les cas exerçant une profession donnée
au moment de l’intervention chirurgicale (niveau à 4 digits de la PCS 2003)
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Discussion

Dans les deux départements étudiés, le Maine-et-Loire et les Bouches-du-Rhône, 51% des cas de SCC chez les hommes en emploi et 45% des cas de SCC chez les femmes en emploi ont été considérés comme attribuables au fait d’être en activité professionnelle. Chez les ouvriers et les ouvrières, ce sont les trois quarts des cas qui seraient attribuables à l’excès de risque associé à la catégorie socioprofessionnelle d’ouvrier. Lorsque l’on s’intéressait aux deux secteurs d’activité avec les fractions de SCC attribuables les plus élevées, les secteurs de l’industrie du cuir et de la chaussure chez les femmes et les hommes, de l’industrie automobile chez les femmes, et du travail des métaux chez les hommes arrivaient en tête. Les professions précises avec les FRAE les plus élevées, étaient celles des couvreurs qualifiés chez les hommes (97%) et celles des ouvrières du maraîchage ou de l’horticulture chez les femmes (94%). Deux professions avaient une FRAE supérieure à 90% à la fois chez les hommes et chez les femmes : la profession des ouvriers de production non qualifiés de la transformation des viandes, recouvrant notamment les ouvriers d’abattoir, et celle des ouvriers de production non qualifiés du textile et de la confection, de la tannerie-mégisserie et du travail du cuir. Certaines professions exercées au sein d’un secteur d’activité avaient des fractions de risque attribuables au travail plus élevées que d’autres professions exercées dans le même secteur, y compris dans des secteurs d’activité ne présentant pas globalement d’excès de risque de SCC.

Limites

Le calcul des FRAE aux professions, secteurs d’activités ou emplois suppose un lien de causalité entre le fait d’exercer une profession, dans un secteur d’activité ou un emploi, et le fait de développer un SCC. Il s’agit d’une hypothèse forte et pouvant être soumise à des facteurs de confusion non pris en compte, tels que les comorbidités (surpoids ou obésité, diabète…) favorisant la survenue du SCC 20,21 et pouvant être plus fréquentes dans les professions et catégories sociales les moins favorisées.

La profession, le secteur d’activité ou l’emploi sont utilisés comme proxys d’expositions professionnelles qui ne sont pas mesurées directement, ce qui est à l’origine d’une approximation de l’intensité du lien entre ces facteurs sous-jacents et la pathologie.

Ces deux études ne couvraient pas l’ensemble des interventions de SCC de chacun des deux départements concernés. Les taux d’incidence utilisés pour le calcul des risques relatifs sont donc sous-estimés, cependant l’impact sur ces derniers, s’il n’est pas à exclure, semble limité car supposé peu différent d’une profession à une autre ou d’un secteur d’activité à un autre. En effet, le champ couvert par les structures chirurgicales des deux études (70% des interventions de SCC dans le Maine-et-Loire et plus de 60% des interventions de SCC dans les Bouches-du‑Rhône) est important et il a été fait le choix dans les Bouches-du-Rhône d’inclure à la fois des structures publiques et privées.

Les estimations de fractions attribuables à la profession et au secteur d’activité présentées ici ont été calculées à partir des données de deux études réalisées avec un intervalle de cinq années. Ces estimations mériteront d’être répétées sur des données plus homogènes et plus récentes, codées selon la nomenclature NAF actuelle.

Les informations concernant la profession et le secteur d’activité étaient déclaratives et reposaient sur la participation volontaire des patients. Ceci pourrait entraîner un biais de réponse, les différentes catégories professionnelles n’ayant pas la même probabilité de participer à l’étude. Cependant, la correction d’un tel biais de participation aurait tendance à renforcer les constats réalisés, notamment concernant les fractions de cas attribuables à la profession, élevées chez les ouvriers, puisque ceux-ci sont moins susceptibles de répondre à une étude sur la santé 22.

Forces

Ces résultats complètent ceux publiés pour les deux études séparément 15,16, en ayant l’avantage de fournir des FRAE calculées sur de larges effectifs permettant de couvrir un plus grand nombre de secteurs d’activité et de professions, voire de combinaisons de secteurs et professions. Cette analyse repose ainsi sur des données de deux départements économiquement et socialement différents (fractions des établissements dans l’agriculture de 2,2% dans les Bouches-du-Rhône et 7,9% dans le Maine-et‑Loire, et dans le commerce, les transports et services divers de 69,8% et de 59,2% respectivement ; revenu médian par unité de consommation de 21 360 euros et de 21 110 euros respectivement ; taux de pauvreté de 18,7% et 11,4% respectivement ; taux de chômage des 15-64 ans de 14,9% et 12,4% respectivement, etc.) 23,24 pour une plus grande généralisation possible des résultats. En effet, ces deux études analysées de façon indépendante à l’origine avaient montré des FRAE à la profession d’ouvrier d’environ 60% dans les deux départements (52,5% seulement chez les hommes des Bouches-du-Rhône), mais les secteurs d’activité avec les FRAE les plus élevées, codés selon deux versions et à un niveau d’agrégation différent de la NAF, n’étaient pas comparables.

Enfin, un intérêt majeur de cette étude est de porter sur la population générale et non uniquement sur les salariés ou le régime général comme le permettraient d’autres sources de données (indemnisations AT/MP, maladies à caractère professionnel…).

Interprétation

Globalement, la fraction de cas attribuables à l’activité professionnelle chez les hommes était plus élevée que chez les femmes, ce qui peut notamment s’expliquer par le rôle important joué par les facteurs hormonaux (grossesse et ménopause) dans la survenue du SCC chez ces dernières 20. Des estimations de fractions de SCC attribuables aux différentes professions avaient été réalisées antérieurement au Québec 25 et avaient retrouvé une FRAE, chez les ouvriers, très proche de celle estimée dans cette étude (76% versus 73%). En revanche la FRAE chez les ouvrières était plus faible (55%), contrairement à cette étude où elle était égale à celle des ouvriers. Nous avons pu constater qu’un sur-risque ou un sous-risque de SCC dans un secteur d’activité, en comparaison à la population générale, ne signifiait pas que toutes les professions exercées dans ce secteur avaient le même niveau de risque. Parallèlement, le niveau de risque au sein d’une même profession pouvait parfois varier fortement d’un secteur d’activité à un autre, comme cela était observé chez les femmes employées civiles et agents de service de la fonction publique entre le secteur de l’administration publique et le secteur des postes et télécommunications. Il apparaît donc important de pouvoir disposer de fractions de risque attribuables à l’emploi, c’est-à-dire à la combinaison secteur et profession. L’utilisation de la FRAE au secteur d’activité, ou à la profession précise, ou à l’emploi sera à privilégier selon les acteurs de prévention en jeu (organisme de prévention d’une branche professionnelle, Carsat, service de santé au travail inter-entreprises ou autonome, etc.). Il faut être vigilant cependant dans l’interprétation de ces fractions de risque attribuables aux secteurs d’activités, professions ou emplois : celles-ci sont calculées en cas de risque relatif significativement supérieur à 1, d’un nombre de cas dans les deux départements au moins égal à 6, et d’une fréquence d’exposition au secteur, profession ou emploi dans la population supérieure à 5/100 000. L’absence de disponibilité de la fraction de cas attribuable à une profession ou à un secteur ne signifie donc pas nécessairement que celle-ci est nulle. Cela peut s’expliquer non seulement par l’absence de différence significative de risque avec la population générale, mais aussi par la taille trop petite d’une profession ou d’un secteur d’activité, donc par un nombre trop faible de cas en son sein pour obtenir une puissance statistique suffisante pour calculer, avec précision, un risque relatif significativement augmenté ou diminué ou pour permettre le respect du secret statistique. On ne peut donc conclure à l’absence de cas attribuables au travail pour les secteurs, professions et emplois non présentés ici. En revanche, une diffusion ciblée des résultats auprès des secteurs d’activités ou branches professionnelles présentant une FRAE élevée et auprès des organismes y intervenant en prévention, inciterait à leur engagement dans des actions de prévention du SCC et des TMS du membre supérieur plus largement, le SCC en étant un traceur épidémiologique. Il serait intéressant également de disposer des indices de fréquence du SCC selon les secteurs d’activités dans les statistiques de MP de l’Assurance maladie Risques professionnels afin de compléter le ciblage des secteurs d’activité à risque.

Le calcul des parts ou fractions de risque de SCC attribuables aux différents secteurs d’activité ou professions parmi les sujets exposés permet, lorsqu’il est possible, de mettre en évidence des situations et populations à cibler prioritairement pour les actions de prévention en milieu professionnel. Les FRAE de SCC peuvent également apporter des arguments sur la fréquence des liens entre les cas et une activité professionnelle pour le processus de reconnaissance en maladie professionnelle par la voie des Comités régionaux de reconnaissance en maladie professionnelle (CRRMP), lorsque l’ensemble des critères du tableau 57 C (pour le régime général) n’est pas rempli. Ces indicateurs pourraient, par exemple, être annexés au guide d’aide à la décision des CRRMP.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Chazelle E, Fouquet N, Roquelaure Y. Part des syndromes du canal carpien attribuable à l’activité professionnelle parmi les professions et secteurs d’activité à risque dans deux départements français. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(11):186-95. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/11/2021_11_1.html