Covid-19 dans la population vulnérable des quartiers
Saint-Jacques et Haut-Vernet de Perpignan : de la détection des premiers cas jusqu’au suivi de la progression de l’épidémie, une surveillance réalisée grâce aux données locales

// COVID-19 in the vulnerable population of the Saint-Jacques and Haut-Vernet districts of Perpignan (France): Health surveillance carried out using local data

Leslie Simac1 (leslie.simac@santepubliquefrance.fr), Martine Ledrans², Olivier Catelinois1, Cécile Durand1, Anne Guinard1, Patrick Josa3, Corinne Cayre3, Sylvain Pavageau3,4, François Carbonnel3,4,5, Donatien Diulius6, Damien Mouly1
1 Santé publique France – Occitanie, Montpellier et Toulouse
2 Santé publique France, Saint-Maurice
3 Centres Covid soins premiers, Perpignan
4 Faculté de médecine de Montpellier-Nîmes, département de médecine générale, Université de Montpellier
5 Maison de santé pluriprofessionnelle universitaire Avicenne, Cabestany
6 Agence régionale de santé – Occitanie, délégation départementale des Pyrénées-Orientales, Perpignan
Soumis le 27.10.2020 // Date of submission: 10.27.2020
Mots-clés : SARS-CoV-2 | Covid-19 | Pandémie | Médecine ambulatoire | Centres de consultations dédiés | Population vulnérable
Keywords: SARS-CoV-2 | COVID-19 | Pandemic | General practitioners | Centers dedicated to COVID-19 | Vulnerable population

Résumé

Une augmentation brutale du nombre de cas et de décès avec un diagnostic de Covid-19 a été observée à Perpignan dès le 13 mars 2020. Cette augmentation concernait plus particulièrement la population des quartiers Saint-Jacques et Haut-Vernet, dont une majeure partie appartient à la communauté gitane. Le signal a entraîné la mise en place d’une surveillance spécifique autour de ce foyer épidémique, en s’appuyant principalement sur les données des centres dédiés Covid. Les indicateurs suivis ont mis en évidence une croissance rapide du nombre de cas les deux dernières semaines de mars pour ensuite décroître jusqu’à la fin du confinement (début mai). La circulation du virus avait été plus importante dans les deux quartiers ciblés à Perpignan, où plus de 2% de la population a rapporté des signes cliniques compatibles avec une infection au Covid-19 lors de leur consultation. Ainsi, du 24 février au 10 mai 2020, l’incidence relative des consultations pour suspicion de Covid-19 à Saint-Jacques et dans le Haut-Vernet était trois fois plus importante que dans le reste de la ville de Perpignan, y traduisant un important fardeau sanitaire. Ces résultats de surveillance appellent à des études complémentaires pour mieux quantifier l’impact sanitaire de ce type d’épisode et identifier les déterminants sur lesquels il serait possible d’agir pour limiter la circulation du virus dans ces communautés.

Abstract

A sudden increase in the number of cases and deaths with a diagnosis of COVID-19 was observed in Perpignan strating on 13 March 2020. This increase particularly concerned the population of the Saint-Jacques and Haut-Vernet districts, which mainly belongs to the gypsy community. The signal encouraged the implementation of a specific surveillance of this this epidemic, relying mainly on data from dedicated COVID centers. The indicators monitored have shown a rapid growth in the number of cases in the last two weeks of March and then decline until the end of containment (early May). The circulation of the virus had been greater in the two targeted districts in Perpignan, where more than 2% of the population reported clinical symptoms compatible with a COVID-19 infection during their consultation. From 24 February to 10 May 2020, the relative incidence of consultations for suspected COVID-19 in Saint-Jacques and Haut-Vernet districts were three times higher than in the rest of the city of Perpignan, reflecting a significant burden disease. These surveillance results call for additional studies to better quantify the health impact of this type of event and identify the key factors on which it would be possible to act to limit the circulation of the virus in these communities.

Introduction

Jusqu’au 13 mars 2020, 8 cas de Covid-19 étaient recensés dans les Pyrénées-Orientales, département considéré alors comme un territoire où la circulation du virus était faible. À partir de cette date, une augmentation du nombre de cas et de décès liés au Covid-19 a été observée, les cas se concentrant dans la ville de Perpignan (125 000 habitants), notamment dans deux quartiers, Saint-Jacques et Haut-Vernet, où vivent environ 7 000 à 10 000 personnes dont une majeure partie appartenant à la communauté gitane. Ces quartiers figurent parmi les quartiers prioritaires de la politique de la ville de Perpignan 1. Ils présentent un fort taux de pauvreté et de mortalité prématurée (notamment liée à la consommation d’alcool), ainsi qu’un important pourcentage de personnes diabétiques 1. La majorité des habitants de ces quartiers sont sans diplôme ou avec un diplôme inférieur au bac (7 à 8 personnes sur 10), près de la moitié sont bénéficiaires de la CMUc (« Complémentaire santé solidaire » depuis le 1er novembre 2019) et plus de la moitié vivent en dessous du seuil de pauvreté. Au regard de ces indicateurs, la population y est considérée comme précaire et vulnérable, avec potentiellement des facteurs de risque de contracter le Covid-19 et de faire des formes graves plus prévalents qu’en population générale. Par ailleurs, les conditions de vie dans ces quartiers (promiscuité, logements précaires pour une partie des quartiers) associées à un faible niveau de littératie de la population rendent les mesures de prévention visant à limiter la circulation virale plus difficiles à mettre en œuvre 2,3,4. Au 20 mars 2020, 47 cas confirmés, 15 hospitalisations en réanimation et 5 décès étaient recensés.

Dès le 16 mars, une cellule sanitaire organisée en Préfecture des Pyrénées-Orientales (1) a proposé la mise en place d’une filière de soins spécifique pour les patients atteints ou suspects de Covid-19. Cette action s’est matérialisée par l’ouverture d’une plateforme téléphonique de régulation médicale dédiée aux patients, d’un centre Covid ouvert en centre-ville de Perpignan, et par la mise en place d’un comité de pilotage, ce dernier organisant les soins primaires et le lien entre le premier et second recours pour gérer les patients ou personnes suspects de Covid-19 à Perpignan. Dès le 24 mars, deux centres dédiés supplémentaires ont été ouverts dans les quartiers de Saint-Jacques et du Haut-Vernet afin d’y assurer la prise en charge des cas suspects de Covid-19. En effet, dans ces quartiers, la démographie médicale est faible et ces centres ont évité l’afflux de personnes ou une tension sur le système de soins hospitaliers. La mise en place de centres au sein même des quartiers avait également pour objectif de limiter les déplacements des personnes malades entre quartiers et la propagation géographique de l’épidémie. Les médecins effecteurs étaient chargés d’évaluer les patients à leur arrivée : symptômes, facteurs de risque d’aggravation, orientation des patients (isolement à domicile avec réévaluation par une infirmière, hospitalisation décidée en lien avec le Samu ou le Service des maladies infectieuses et tropicales – Smit –). Ces centres étaient équipés d’un logiciel métier développé par l’Observatoire régional des urgences (ORU) Occitanie qui permettait de collecter des données et d’aider à la prise en charge des patients. Dans ce contexte, la cellule régionale Occitanie a mené une surveillance spécifique à l’échelle locale sur la ville de Perpignan et le département des Pyrénées-Orientales à partir des données collectées au niveau des centres Covid et des autres sources utilisées par Santé publique France depuis le début de la surveillance du Covid-19 5.

L’objectif de cette surveillance était (i) de suivre l’évolution de la circulation du SARS-CoV-2 à Perpignan et plus spécifiquement dans ces quartiers lors de la première vague de l’épidémie et (ii) de décrire les caractéristiques épidémiologiques de ce foyer épidémique. Cet article présente un bilan de cette surveillance.

Matériel et méthodes

La période d’étude s’étend du 24 février 2020 (le premier cas ayant été signalé en Occitanie le 27 février) au 10 mai 2020 (fin du confinement).

Deux sources de données ont été retenues pour cette analyse : (i) les données des centres Covid et (ii) les données du système de surveillance des services de réanimation sentinelle de la région dont le CH de Perpignan faisait partie 5,6. L’exploitation des autres sources de données mobilisées à cette période par Santé publique France dans la surveillance du Covid-19 (SOS Médecins, Oscour®, Sivic-Système d’information pour le suivi des victimes) ne sont pas détaillées dans cet article. En effet, elles ne permettaient pas la localisation des patients à une échelle plus fine que le département ou la commune, alors que le suivi concernait plus particulièrement les résidents de certains quartiers de Perpignan.

Pour accéder à la base de données des centres Covid, la cellule régionale Occitanie de Santé publique France s’est associée au GRADeS (Grou-pement d’appui au développement de la e-sante) Occitanie. Cette base, constituée à partir d’un outil préexistant de l’ORU Occitanie, déployé pour récolter les données des centres dédiés Covid, contenait une ligne pour chaque consultation avec les adresses des patients ainsi que des détails sur leurs symptômes et comorbidités (figure 1). Le GRADeS transmettait deux fois par semaine à la cellule régionale de Santé publique France un fichier crypté et doté d’un mot de passe contenant les données de tous les centres dédiés des Pyrénées-Orientales depuis le début de leurs enregistrements. Afin de respecter l’anonymat des patients, les noms et prénoms des consultants n’ont pas été transmis, un identifiant ayant été attribué à chaque consultation. Les adresses des consultants étaient transcodées en Iris dès réception du fichier pour les personnes résidant à Perpignan et effacées pour les autres personnes, dont seuls les noms des communes et codes postaux ont été conservés. La base de données fournie n’étant pas standardisée (plusieurs variables sont en texte libre), un travail de nettoyage a dû être réalisé avant chaque intégration de nouvelles données : homogénéisation des noms de communes et codes postaux correspondants, correction des dates de consultation et de début des signes, suppression des âges aberrants (>120 ans). Une variable « état », saisie par les médecins des centres dédiés, disposait de trois valeurs différentes de classements des consultants : « non suspect », « suspect » ou « suivi ». Cependant, les symptômes ne sont pas systématiquement renseignés ou ne concordent pas avec cette variable. Un algorithme a donc été construit afin d’inclure ou non dans l’analyse les consultations de personnes avec des symptômes évocateurs d’une infection à SARS-CoV-2 répondant à la définition de cas du réseau Sentinelles (figure 2). Conformément aux dispositions de la loi Informatique et Libertés, chaque patient a été informé de l’utilisation des données recueillies dans le cadre de la consultation dans un centre Covid et de son droit d’accès aux informations qui le concernent par l’intermédiaire d’un texte affiché sur les lieux de consultations.

Figure 1 : Copie d’écran du logiciel (plateforme ORU – GRADeS Occitanie) utilisé au niveau des centres Covid-19 (données factices sur la figure)
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Figure 2 : Algorithme de sélection des consultants, selon leur « état » dans la base de données
(variable à trois modalités) et selon les symptômes renseignés, en s’appuyant sur la définition de cas
du réseau Sentinelles*
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Plusieurs zones ont été considérées pour l’analyse des données des centres Covid :

le département des Pyrénées-Orientales ;

la commune de Perpignan ;

la zone d’intérêt, constituée des quartiers Saint-Jacques (Iris Saint-Jacques) et Haut Vernet (Iris Haut Vernet 1, 2, 3, 4, et 5) ;

Perpignan, hors zone d’intérêt.

Une analyse descriptive a été réalisée et l’incidence des cas suspects ayant consulté dans les centres dédiés, selon leur zone de résidence, a été calculée en rapportant le nombre de consultations d’habitants d’une zone au nombre total des habitants de cette même zone. Les données de population Insee de 2016 ont été utilisées.

Les données des services de réanimation étaient transmises à la cellule régionale de Santé publique France au fur et à mesure des admissions, au travers d’une fiche de recueil standard. Cette fiche contenait des informations sur le patient (âge, sexe, département de domicile, facteurs de risque de forme sévère), ainsi que celles concernant sa prise en charge (dates de début des signes, d’hospitalisation et d’admission en réanimation), sur la virologie (type de prélèvements, résultats), ainsi que des éléments sur la gravité et l’évolution de l’état du patient. Ces fiches ne permettaient pas de localiser les cas à un niveau infra-départemental. Toutefois, les réanimateurs rapportaient au moment de l’alerte que de nombreux cas provenaient des quartiers de la zone d’intérêt. Ces données ont été utilisées à des fins descriptives des cas graves dans cette zone, sans pouvoir identifier les résidents des quartiers concernés.

Résultats

Sur la période du 24 février au 10 mai 2020, 3 675 consultations dans les centres dédiés Covid des Pyrénées-Orientales ont été identifiées, dont 2 852 (77,6%) ont été codées comme correspondant à des cas suspects de Covid-19 suivant l’algorithme utilisé. Parmi elles, 1 094 (38,4%) concernaient des personnes résidant à Perpignan et, parmi celles-ci, 303 (27,7%) résidaient dans la zone d’intérêt (quartiers Saint-Jacques et Haut-Vernet). Un seul code postal/commune n’était pas exploitable.

Plusieurs champs étant en texte libre et sans obligation de remplissage, les pourcentages de manquants étaient très variables. Le sexe et l’âge étaient bien renseignés et exploitables (1 valeur sexe était indéterminée et 3 valeurs d’âge aberrantes). Pour les symptômes de fièvre, toux, gêne respiratoire, douleur thoracique et myalgies/courbatures, le pourcentage de données manquantes était faible, de 0,7 à 4,4% (de 0,3 à 6,3% pour les données de la zone d’intérêt). Pour les troubles digestifs comme pour anosmie/agueusie, le pourcentage de données manquantes était plus important, respectivement de 17 et 22%.

Les comorbidités ont été peu complétées : 87,4 à 99,6% des données étaient manquantes selon la catégorie considérée, sans différence selon la zone de résidence utilisée. Les variables d’orientation du patient (non suivi, confinement à domicile, hospitalisation) étaient trop insuffisamment renseignées pour être exploitées.

Si l’on considère l’évolution du nombre hebdomadaire de cas cliniques vus en consultation dans les centres dédiés Covid des Pyrénées-Orientales, le nombre de cas résidant dans le département progressait nettement au cours de la première quinzaine du mois de mars 2020 pour atteindre un pic en semaine 13, et décroître par la suite jusqu’à moins de 100 consultations hebdomadaires début mai. Le nombre de cas résidant à Perpignan et ceux résidant dans la zone d’intérêt suivaient une dynamique similaire.

L’incidence calculée était très supérieure dans la zone d’intérêt dans les semaines 12 à 14, soit du 16 mars au 5 avril 2020, par rapport aux trois autres zones utilisées (figure 3). À partir de la semaine 18 (27 avril au 3 mai), les incidences calculées pour les quatre zones sont comparables. Sur l’ensemble de la période, l’incidence relative calculée était de 2 205 consultations pour 100 000 habitants pour les quartiers Saint-Jacques et Haut-Vernet, soit trois fois plus élevée que pour Perpignan hors zone d’intérêt (898 consultations pour 100 000 habitants et 732 pour la commune de Perpignan dans sa globalité).

Figure 3 : Incidence hebdomadaire de cas cliniques de Covid-19 vus en consultation dans les centres dédiés Covid des Pyrénées-Orientales selon leur zone de résidence, entre le 24 février et le 10 mai 2020
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Le sex-ratio (H/F) différait légèrement selon la zone géographique considérée : environ 0,59 pour les Pyrénées-Orientales hors Perpignan, 0,65 pour Perpignan hors zone d’étude et celui de la zone d’intérêt était de 0,71.

La répartition par âge de la population de la zone d’intérêt diffère légèrement de la population perpignanaise (tableau 1) : les enfants de moins de 15 ans représentent une part plus importante de la population dans la zone d’intérêt comparée à Perpignan. Inversement, la part de personnes âgées de 75 ans et plus y est un peu plus faible qu’à Perpignan dans son ensemble.

Tableau 1 : Incidence des cas de Covid-19 selon leur zone de résidence par classe d’âge, entre le 24 février et le 10 mai 2020, et comparaison des incidences entre la zone d’intérêt (ZI) et hors zone d’intérêt (HZI)
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Parmi les cas suspects, plus de 80% d’entre eux étaient âgés de 15 à 74 ans, quelle que soit la zone géographique considérée. Les cas perpignanais de moins de 15 ans représentaient environ 7% des cas suspects en centres dédiés à Perpignan et un peu plus de 10% des cas de la zone d’intérêt. Même si la population des 75 ans et plus était moindre dans la zone d’intérêt, ils ont très peu consulté en centres dédiés (n=4). Excepté dans cette tranche d’âge particulière, le ratio d’incidence entre la zone d’intérêt et le reste de la ville était légèrement plus élevé que le ratio moyen (3,0).

Parmi les symptômes recensés, la toux semblait plus souvent rapportée chez les consultants de la zone d’intérêt, contrairement aux autres symptômes (tableau 2). Près d’un quart des cas suspects de la zone d’intérêt présentait des troubles digestifs, alors que ceux-ci étaient rapportés dans environ 40% des cas suspects de Perpignan et plus largement des Pyrénées-Orientales. Dans la zone d’intérêt, 21% des cas ont présenté une anosmie et/ou agueusie, proportion qui était plus faible pour le reste des cas de Perpignan ou ceux du département.

Tableau 2 : Effectifs et pourcentages des symptômes et comorbidités rapportés lors de la consultation en centres dédiés Covid selon la zone de résidence des consultants, du 24 février au 10 mai 2020
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Même si les comorbidités respiratoires étaient le plus souvent citées parmi les consultations en centres dédiés Covid, la faible complétude des variables correspondant aux comorbidités rend leur interprétation difficile.

Le CH de Perpignan faisait remonter sur cette période 67 fiches de cas graves admis en réanimation. Comme seul le département de résidence était disponible, la provenance exacte des patients n’était pas connue.

L’analyse des informations concernant les 67 cas admis dans le service de réanimation du CH de Perpignan révèle un âge moyen de 60,2 ans (contre 63,8 ans pour les autres services de réanimation en Occitanie). Ces données ont permis aussi de montrer que la prévalence des facteurs de risque diffère entre les cas graves admis au CH de Perpignan et ceux de la région Occitanie, avec respectivement 86% des cas présentant au moins un facteur de risque, contre 75% dans les autres services de réanimation d’Occitanie. Le nombre moyen de facteurs de risques différait aussi, avec respectivement de 2,3 versus 1,9 facteurs de risque pour ces cas graves. Ceux qui étaient plus prévalents chez les cas du CH de Perpignan que chez les cas des autres services de réanimation d’Occitanie sont : l’obésité (IMC>40), présente respectivement chez 21% et 8% des cas ; le diabète, présent à 42% vs 27% ; une pathologie cardiaque, présente à 30% vs 22% et l’hypertension artérielle, présente à 55% vs 33%.

Discussion

La situation sanitaire de Perpignan a justifié la mise en place réactive d’une filière dédiée à la prise en charge locale des suspicions de cas de Covid-19 pour pallier la faible démographie médicale des quartiers Saint-Jacques et Haut-Vernet, afin de prendre en charge les cas suspects de Covid-19 issus de ces deux quartiers, d’éviter un engorgement des services hospitaliers et de restreindre la diffusion géographique de l’épidémie en limitant le déplacement des personnes malades. Cette filière a également permis le suivi de la dynamique, de l’ampleur et de la sévérité de cet événement. En quelques jours, un local a été aménagé, une équipe pluriprofessionnelle constituée, un outil informatique déployé, permettant le suivi des patients pris en charge.

Le logiciel retenu répondait globalement à la problématique de suivi local des consultants. Il présentait également l’intérêt de disposer de données, collectées selon un formulaire standard, pour l’ensemble du département car déployé dans tous les centres Covid. Dans le contexte de flambée épidémique à Perpignan, les données produites par ce logiciel déjà en place ont été utilisées à des fins de surveillance. Pour répondre à cet objectif, un important travail de recodage a été nécessaire pour compléter les données manquantes ou mal remplies. De plus, l’identifiant unique fourni correspondait à un identifiant de consultation et non à un individu : une même personne a pu consulter plusieurs fois et générer plusieurs lignes dans la base de données. Par ailleurs, la liste des comorbidités proposée par le logiciel n’était pas en adéquation totale avec celle établie par le Haut Conseil de la santé publique, juste après la mise en place de l’outil en avril 7. Par exemple, le HCSP proposait de considérer comme personne à risque les patients aux antécédents cardiovasculaires d’hypertension artérielle compliquée, antécédents d’accident vasculaire cérébral ou de coronaropathie, chirurgie cardiaque, insuffisance cardiaque stade NYHA III ou IV, alors que le logiciel proposait de manière « réduite » l’insuffisance cardiaque stade NYHA III ou IV ; les malades du cancer sous traitement ne figuraient pas comme facteur aggravant dans le logiciel. Enfin, l’orientation, dont les modalités n’étaient pas nécessairement adaptées au contexte local, a connu aussi plusieurs changements au cours de la surveillance et était peu remplie. Elle n’a donc pu être utilisée comme indicateur de gravité de la maladie. Ces variations de contenu de la fiche patient et leur adéquation partielle aux pratiques des médecins effecteurs ou aux recommandations contemporaines sur la surveillance des cas suspects ont pu influencer les pratiques de remplissage des informations par les médecins. De ce fait, il n’a pas toujours été possible d’exploiter certaines données ni de les comparer avec d’autres systèmes de surveillance (comme les comorbidités avec celles des admissions en réanimation). Associer dès le départ les médecins effecteurs et les personnes en charge de la surveillance afin d’identifier leurs besoins en amont permettrait probablement d’améliorer la qualité des informations saisies et leur exploitation pour la surveillance. Une autre option envisagée aurait été d’utiliser un logiciel ad hoc, type Voozanoo, pour les besoins de surveillance de terrain, en implémentant un formulaire adapté. Cette option n’a pas été retenue car l’utilisation du logiciel déjà en place a été préférée afin de limiter les risques d’erreur de saisie et de favoriser l’adhésion à cette surveillance.

Malgré ces difficultés, cette source de données s’est avérée essentielle pour mener cette surveillance à un échelon infra-communal, car les autres sources de données (SOS Médecins, urgences, Sivic, réanimation), bien que complémentaires, ne permettaient pas de cibler la population des quartiers de la zone d’intérêt. Il est notamment impossible d’isoler les caractéristiques des cas admis en réanimation appartenant aux deux quartiers concernés parmi les cas admis au CH de Perpignan.

La dynamique temporelle observée à partir des données des centres dédiés Covid est globalement cohérente avec celle des données SOS Médecins et urgences à l’échelle départementale. Cependant, cette surveillance spécifique a permis de suivre de façon plus fine l’évolution de la situation localement : elle a montré que la circulation virale a été plus intense dans la zone d’intérêt que dans les autres quartiers de Perpignan (avec une incidence relative des consultations d’habitants de ces quartiers plus importante que dans le reste de la ville de Perpignan durant la période d’études), confirmant la flambée épidémique perçue initialement par les cliniciens du secteur. Dans ces quartiers, les enfants représentaient une part faible de cas identifiés comme suspects alors qu’ils y étaient proportionnellement plus nombreux. Cela peut être expliqué par le fait que l’algorithme d’identification des cas suspects reposait sur la présence d’un ou plusieurs symptômes, alors que les enfants étaient probablement plus souvent asymptomatiques ou pauci-symptomatiques que les adultes, ne nécessitant donc pas de consultation. Les personnes âgées, proportionnellement moins nombreuses dans ces quartiers, ont également peu consulté dans ces centres, parce que se sachant probablement plus fragiles, elles se sont plus protégées par l’application des mesures barrières et de distanciation physique. La toux était majoritairement rapportée parmi les symptômes recensés. L’anosmie/agueusie était cohérente à ce qui était rapporté par certaines études 8,9.

Si les comorbidités des cas suspects consultant en centre dédiés étaient peu exploitables, celles des cas graves admis en réanimation étaient bien renseignées. En faisant l’hypothèse que les cas issus de ces quartiers ont représenté une part prépondérante des cas graves en réanimation, cette surveillance fournit des informations complémentaires sur l’état de santé de cette population. En effet, les cas graves admis en réanimation dans les Pyrénées-Orientales à cette période, comptaient plus de personnes avec au moins un facteur de risque que les cas graves de la région Occitanie. Les facteurs de risque associés les plus prévalents étaient le diabète et l’obésité. Ces observations sont cohérentes avec une plus forte prévalence de l’obésité et du diabète dans ces communautés 2.

Lors de la mise en place du centre dédié Covid au cœur du quartier Saint-Jacques, une campagne d’information à destination du grand public avait été diffusée rapidement afin d’orienter les patients vers la plateforme téléphonique de régulation médicale et vers les centres. Les résultats présentés sont donc à interpréter avec prudence, du fait d’un biais de recrutement lié au positionnement même du centre. L’analyse par lieu de prise en charge n’a pu être réalisée car cette information ne figurait pas dans la base de données. L’analyse des données de ces centres a permis d’avoir une vision partielle de la circulation virale dans la population résidant des quartiers étudiés, probablement sous-estimée par rapport à la réalité. En effet, seules les personnes avec des symptômes évocateurs ont consulté dans les centres, alors que les personnes asymptomatiques et pauci-symptomatiques ne s’y sont probablement pas rendues ou ont été écartées de l’analyse par absence de signes. Le dispositif de surveillance virologique actuel déployé en France depuis mi-mai, montre que près de la moitié des cas confirmés sont asymptomatiques 10. Qui plus est, aucun de ces cas considérés comme suspects n’a, à notre connaissance, été confirmé biologiquement (la mise en place du circuit de tests s’est faite plus tard que la fin de la période d’étude). À ce moment-là, seuls les cas graves ou hospitalisés étaient testés biologiquement. Une étude de séroprévalence dans ces quartiers a été mise en place à la suite de cette flambée épidémique afin d’estimer plus précisément la proportion de personnes ayant contracté l’infection. Les premiers résultats mettent en évidence une séroprévalence anti-SARS-CoV-2 proche de 40% dans ces quartiers, avec une différence importante entre les quartiers (le quartier de Saint-Jacques ayant été plus impacté que les autres).

La population des quartiers Saint-Jacques et Haut-Vernet est constituée en partie par des personnes appartenant à la communauté gitane. Le mode de vie communautaire, tel qu’inscrit dans la culture gitane, est associé à une forte promiscuité entre les personnes, qui peut être à l’origine de nombreux contacts rapprochés favorisant la diffusion du virus au sein de cette population 2. D’autres facteurs qui caractérisent fréquemment les populations vulnérables ont pu influencer la propagation du virus dans ces quartiers. Ainsi, les caractéristiques de l’habitat peuvent influer sur la dynamique de transmission, comme sur l’application des mesures barrières et du confinement (par exemple : la densité d’occupation et donc l’impossibilité d’isolement d’un cas, la présence ou non d’espaces extérieurs). En outre, les activités professionnelles qui ne peuvent faire l’objet de télétravail, et induisent de se déplacer en ville et d’utiliser les transports en commun, ont pu augmenter le risque de contracter le virus 11. Il convient cependant de ne pas tirer de conclusions quant à une spécificité de cette population vis-à-vis de la propagation du Covid-19, notamment du fait que ces quartiers ne sont pas exclusivement habités par des personnes issues de cette communauté et que leur proportion peut varier d’un Iris à l’autre.

Les mesures prises pour assurer et renforcer l’adoption par la population des gestes barrières et du confinement (allant même jusqu’à la mise en place d’un couvre-feu, à partir de la semaine 13 et jusqu’à la fin du confinement) ont certainement contribué à améliorer la situation sanitaire de Perpignan et dans les quartiers ciblés, puisque la semaine 14 a été marquée par une nette diminution de l’incidence des consultations en centres dédiés, que ce soit dans ces quartiers ou plus largement à Perpignan. Cette situation confirme que lors de la survenue de foyers épidémiques qui touchent ces populations socialement vulnérables (au sens le plus large du terme), il est nécessaire d’adapter spécifiquement les actions de prévention. Ces premières données vont dans le sens des connaissances tirées de la littérature sur l’impact sanitaire plus important de l’épidémie de Covid-19 chez les populations présentant une vulnérabilité sociale 3,12,13,14,15,16.

En ce qui concerne la surveillance prospective du Covid-19 dans les mois à venir, ces résultats montrent l’intérêt de développer et/ou adapter les outils de surveillance en intégrant dans les données collectées en routine des informations sociales individuelles, au même titre que les informations épidémiologiques. Ceci permettrait de suivre en temps quasi réel les caractéristiques des populations vulnérables atteintes du Covid-19 pour lesquelles il existe un risque de circulation virale accru, doublé d’un risque plus élevé de développer des formes graves. Les données issues de cette surveillance appellent donc des études complémentaires afin de mieux cerner l’impact sanitaire de tels épisodes et d’identifier les leviers sur lesquels il serait possible d’agir pour limiter l’ampleur de la circulation en cas de nouvelles vagues épidémiques dans ces populations. Les connaissances ainsi produites pourraient être étendues à la prévention d’autres infections de transmissibilité comparable.

Liens d'intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêt au regard du contenu de l'article.

Remerciements

Santé publique France : Jean-Claude Desenclos, Clothilde Hachin, Anne Laporte, Alexandra Mailles. GRADeS Occitanie : Arnaud Broëns, Tamara Kuhbier. Agence régionale de santé Occitanie : Guillaume Dubois, Jean-Paul Guyonnet, Christine Portero-Espert, Benoît Ricaut-Larose et Pierre Ricordeau, directeur général. Centres Covid : tous les médecins, infirmières, dentistes, internes de médecine générale ayant participé. Merci également aux kinésithérapeutes et podologues notamment qui ont apporté des masques et gants pour les centres Covid et l’effectif des infirmières libérales. Remerciements également au Centres Covid soins premiers de Perpignan (Grégory Gonzalvez, Agnès Oude Engberink, Mark Oude Engberink, Alice Pihouée, Marie-Catherine Reboul, Hermine Saguy), Samir Chibane, François Olivet, Louis Marie Durel. Centre hospitalier de Perpignan : Dr Hugues Aumaître (service maladies infectieuses), Isabelle Heran Michel (pharmacie hospitalière), le Dr Chantal Miquel (le service d’hygiène hospitalière), ainsi que le personnel de la structure d’urgences. Yasmina Djaouti, cadre IDE coordination logistique des centres ambulatoire, ainsi que les acteurs de la surveillance (urgentistes, réanimateurs, SOS médecins) ; Cyrille Delpierre (Inserm, Toulouse).

Références

1 Centre régional d’études, d’actions et d’informations (Creai) – Observatoire régional de la santé (Creai-ORS Occitanie). Profil santé. Quartiers prioritaires de la politique de la ville – Perpignan. Montpellier: ARS Occitanie; 2016. 6 p. https://www.occitanie.ars.sante.fr/sites/default/files/2017-02/QPV_66_PERPIGNAN.pdf
2 Bec, E. Covid-19. Appropriation des messages de santé publique par des populations en situation de vulnérabilité. Situation de la communauté gitane de Perpignan. Toulouse: Creai-ORS Occitanie ; 49 p. https://doccitanie-sante.fr/
revues_litterature/covid-19-appropriation-des-messages-de-sante-publique-par-des-populations-en-situation-de-vulnerabilite-situation-de-la-communaute-gitane-de-perpignan/
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Citer cet article

Simac L, Ledrans M, Catelinois O, Durand C, Guinard A, Josa P, et al. Covid-19 dans la population vulnérable des quartiers Saint-Jacques et Haut-Vernet de Perpignan : de la détection des premiers cas jusqu’au suivi de la progression de l’épidémie, une surveillance réalisée grâce aux données locales. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(30):590-8. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/30/2020_30_1.html

(1) Cellule associant les services de l’État, du Conseil départemental, de la Mairie de Perpignan, de l’ARS Occitanie, des médecins généralistes du territoire de santé et membres du département universitaire de médecine générale de la Faculté de médecine de Montpellier-Nîmes et des médecins infectiologues du Centre hospitalier de Perpignan