Disparités départementales d’années potentielles de vie perdues prématurément par maladies cardiovasculaires en France (2013-2015)

// Departmental disparities in potential years of life lost due to premature cardiovascular diseases in France (2013-2015)

Félicia Santos, Amélie Gabet, Laure Carcaillon-Bentata, Clémence Grave, Valérie Olié (valerie.olie@santepubliquefrance.fr)
Santé publique France, Saint-Maurice, France
Soumis le 06.02.2020 // Date of submission: 02.06.2020
Mots-clés : Années potentielles de vie perdues | Mortalité prématurée | Mortalité cardiovasculaire | Disparités départementales
Keywords: Potential years of life lost | Premature mortality | Cardiovascular mortality | Departmental disparities

Résumé

Introduction –

Les maladies cardiovasculaires (MCV) constituent la deuxième cause de mortalité en France et la troisième cause de mortalité prématurée. L’objectif de notre étude était de décrire les disparités départementales de mortalité prématurée pour l’ensemble des MCV, et plus spécifiquement pour l’accident vasculaire cérébral (AVC) et l’infarctus du myocarde (IDM), en France en prenant en compte l’âge au décès.

Méthode –

Les données de mortalité ont été extraites de la base nationale des causes médicales de décès (CépiDc-Inserm). Différents indicateurs standardisés sur l’âge ont été estimés au niveau national en 2015 : mortalité totale, mortalité prématurée (décès survenant avant 65 ans) et années potentielles de vie perdues prématurément (APVPp). Les APVPp ont ensuite été déclinées au niveau départemental pour les décès survenus entre 2013 et 2015.

Résultats –

En 2013-2015, en France, la mortalité prématurée par MCV représentait 8,9% de la mortalité globale par MCV. Le nombre moyen d’APVPp par MCV était de 10,4 ans par personne. D’importantes disparités départementales étaient observées sur le territoire. Globalement, le croissant Nord/Nord-Est de la France métropolitaine ainsi que les DROM présentaient un nombre d’APVPp plus important que le niveau moyen national. En revanche, plusieurs départements d’Île-de-France et de la région Auvergne-Rhône-Alpes avaient des taux APVPp plus bas que la moyenne nationale.

Discussion –

D’importantes disparités territoriales de mortalité prématurée par MCV persistent sur le territoire français et concordent avec la distribution des facteurs de risque cardiovasculaires modifiables. La prise en compte de l’âge au décès permet une meilleure estimation au niveau départemental du fardeau cardiovasculaire lié à la mortalité. La poursuite d’actions de dépistage et de prévention de ces facteurs de risque semble prioritaire dans les départements présentant un excès d’APVPp et pourrait permettre de diminuer la part évitable liée à ces pathologies.

Abstract

Introduction –

Cardiovascular disease (CVD) is the second leading cause of death in France and the third leading cause of premature death. The objective of our study was to describe the departmental disparities in premature mortality from all CVD, stroke and myocardial infarction (MI) in France, taking into account the age at death.

Method –

Mortality data were extracted from the national database of medical causes of death (CépiDc-Inserm). Different age-standardized indicators were estimated at the national level in 2015: total mortality, premature mortality (death occurring before age 65) and potential years of life lost prematurely (YLLp). The YLLp were declined at a departmental level for deaths occurring between 2013 and 2015.

Results –

In 2013-2015 in France, premature mortality from CVD represented 8.9% of overall mortality from CVD. The average number of YLLp per CVD was 10.4 years per person. Significant departmental disparities were observed on the territory. Overall, the North / North-East of France as well as the overseas departments had a higher number of YLLp than the national average level. By contrast, several departments of Île-de-France and the Auvergne-Rhône-Alpes region had lower YLLp rates than the national average.

Discussion –

Significant territorial disparities in premature mortality from CVD persist in France and are consistent with the distribution of modifiable cardiovascular risk factors. Taking into account the age at death allows a better estimate at the departmental level of the cardiovascular mortality burden. The development of prevention actions and screening for these risk factors seems to be a priority in the departments with an excess of YLLp and could reduce the preventable part of these pathologies.

Introduction

La mortalité prématurée définie comme l’ensemble des décès survenant avant 65 ans est, souvent, la conséquence précoce de comportements individuels à risque (consommation de tabac, sédentarité…) ou d’une insuffisance du système de soin. Ainsi, une part importante de la mortalité prématurée est considérée comme évitable 1,2. Bien que la France dispose, grâce à une baisse constante de la mortalité prématurée depuis les années 90, d’un taux de mortalité évitable très bas comparativement à l’Europe (premier rang européen pour les hommes, second pour les femmes), près de 20% des décès enregistrés en 2013 étaient des décès prématurés (106 393 décès), dont 30% considérés comme évitables (31 963 décès) 3,4.

Si le calcul de la mortalité prématurée apporte une information importante sur l’état de santé, il ne prend pas en compte l’âge de survenue du décès. Ainsi, un décès survenant à l’âge de 35 ans a le même poids qu’un décès survenant à 55 ans dans le calcul de cet indicateur, alors même que la perte en années de vie (années potentielles de vie perdues prématurément – APVPp) est bien plus importante à 35 ans (30 APVPp) qu’elle ne l’est à 55 ans (10 APVPp). L’utilisation de tels indicateurs, prenant en compte l’âge au décès, apparaît donc primordiale pour refléter au mieux le poids d’une maladie sur la mortalité 1,2.

D’importantes inégalités territoriales d’incidence et de mortalité cardiovasculaire ont été décrites en France. Ces disparités s’expliquent par une répartition inégale des facteurs de risque cardiovasculaire et de l’offre de soin sur le territoire 3,4,5. La mise en place d’actions de prévention de la mortalité prématurée par des mesures ciblant les facteurs de risque cardiovasculaire nécessite, en amont, l’identification des territoires sur lesquels il conviendrait d’agir en priorité. Dans ce contexte, la déclinaison d’indicateurs de mortalité prématurée, à un niveau géographique fin, pourrait fournir aux acteurs locaux des éléments concrets pour l’orientation des politiques locales de prévention. La dernière étude sur les disparités territoriales de mortalité prématurée par maladies cardiovasculaires (MCV) en France portait sur les années de 2008 à 2010 et était déclinée au niveau régional 5. Ainsi, l’objectif de notre étude était de décrire les disparités territoriales de mortalité prématurée en France en 2013-2015, à l’échelle départementale, par l’estimation des années potentielles de vie perdues prématurément par MCV, accident vasculaire cérébral (AVC) et infarctus du myocarde (IDM).

Méthode

Bases de données

Données de mortalité

Les données de mortalité pour les décès par maladies de l’appareil circulatoire sur les dernières années disponibles (2013 à 2015) ont été extraites à partir de la base nationale du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm (CépiDc-Inserm) pour tous les sujets résidant en France métropolitaine et dans les départements ou régions d’outre-mer (DROM). Afin de limiter les fluctuations d’échantillonnage liées aux petits effectifs dans certains départements, les données de ces trois années ont été regroupées. Dans chaque base annuelle, nous avons sélectionné les décès cardiovasculaires à partir des codes de la 10e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-10). Nous avons retenu en cause initiale les codes I00-I99 pour la mortalité par MCV, les codes I60 à I64 et I69 pour la mortalité par AVC et les codes I21 à I23 pour la mortalité par IDM 6. Nous avons choisi de faire un focus sur l’AVC et l’IDM qui constituent les deux pathologies cardiovasculaires les plus connues et parmi les plus fréquentes.

Données de population

Les données de population utilisées pour le calcul des taux sont celles délivrées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les populations nationales et départementales (âge en années révolues) totales et par sexe, par classe d’âge et par années considérées (2013-2015) ont été utilisées dans nos analyses 7.

Analyses statistiques

Des taux bruts de mortalité totale, de mortalité prématurée et d’APVPp ont été estimés pour la France entière (globalement et par sexe) et pour chaque département (tous sexes confondus), pour l’ensemble des MCV, AVC et IDM. La borne d’âge retenue pour les deux indicateurs prématurés (mortalité prématurée et APVPp) était 65 ans. Le taux d’APVPp a été calculé en rapportant l’effectif d’APVPp (pondération de chaque décès par la différence entre 65 ans et l’âge du décès) à la population française de moins de 65 ans. Un nombre moyen d’APVPp par personne a pu être estimé au niveau national en rapportant l’effectif d’APVPp au nombre de décès considérés 8. Des taux standardisés sur l’âge, ainsi que leur intervalle de confiance, ont été calculés au niveau national pour 2015 (mortalité totale, mortalité prématurée et APVPp) et départemental pour 2013-2015 (APVPp) par la méthode directe (utilisation des classes d’âge quinquennales), à partir de la structure d’âge de la population européenne de 2010 9. Les taux standardisés sur l’âge ont été comparés chez les hommes et les femmes à l’aide des intervalles de confiance à 95%.

Des cartes mettant en avant un pourcentage de variation entre les taux standardisés départementaux d’APVPp et le taux standardisé national ont été réalisées pour chaque groupe de pathologies [(taux standardisé départemental d’APVPp – taux standardisé national d’APVPp)/taux standardisé national d’APVPp]. Pour l’élaboration de ces cartes, les effectifs des décès et des populations annuelles des trois années consécutives 2013-2015 ont été regroupés afin de limiter les fluctuations annuelles des effectifs et garantir des effectifs départementaux suffisants. Une standardisation sur l’âge par la méthode indirecte (ratio standardisé de mortalité – SMR) a été réalisée pour les APVPp au niveau départemental, permettant l’identification des départements pour lesquels le taux exprimé était significativement différent du taux national (p<0,05). Ces départements, identifiables par la présence d’un astérisque sur les cartes, sont les seuls commentés dans les résultats.

Les analyses statistiques et les cartes ont été réalisées avec le logiciel SAS® Entreprise Guide, version 4.3.

Résultats

Mortalité cardiovasculaire au niveau national en 2015

Le nombre de décès en France en 2015 était de 144 626 par MCV, dont 14 652 (10,1%) pour l’IDM et 31 218 pour l’AVC (21,6%). Les autres causes de mortalité cardiovasculaires étaient les autres cardiopathies ischémiques et autres maladies cérébrovasculaires (hors IDM et AVC), l’insuffisance cardiaque et les maladies hypertensives (données non décrites ici, mais inclues dans le groupe MCV total). L’âge moyen de décès était de 83,5 ans par MCV ; 77,7 ans par IDM et 83,3 ans par AVC. Les hommes décédaient en moyenne 7,2 ans plus tôt que les femmes par MCV (jusqu’à 10,2 ans pour l’IDM) (tableau 1). Le taux standardisé de mortalité par MCV était de 204,1 pour 100 000 habitants. Ce taux était 1,6 fois plus important chez les hommes que chez les femmes pour les MCV (262,5 vs 163,1/100 000) et jusqu’à 2,4 fois pour l’IDM (32,0 vs 13,4/100 000). Si l’on ne considérait que les décès prématurés, l’âge moyen de décès par MCV était de 55,1 ans et similaire pour l’AVC et l’IDM (respectivement 54,7 et 55,6 ans).

Tableau 1 : Description de la mortalité cardiovasculaire en France au niveau national en 2015
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La mortalité prématurée représentait 8,9% (12 874 décès) de la mortalité totale par MCV, 8,2% pour l’AVC (2 575 décès), et jusqu’à 19,8% pour l’IDM (2 906 décès). Le taux standardisé de mortalité prématurée était de 24,4/100 000 pour l’ensemble des MCV, 4,9/100 000 pour l’AVC, et 5,5/100 000 pour l’IDM. Ce taux était 5,3 fois plus important chez les hommes que chez les femmes pour l’IDM (9,5 vs 1,8/100 000) ; 3,1 fois pour l’ensemble des MCV et 1,9 fois pour l’AVC. Le nombre moyen d’APVPp par personne était de 10,4 ans et semblable pour l’AVC et l’IDM pour les deux sexes. Le taux standardisé d’APVPp était de 255,9/100 000 pour les MCV ; 53,2/100 000 pour l’AVC et 55,8/100 000 pour l’IDM. Ce taux était jusqu’à 5,5 fois plus important chez les hommes que chez les femmes pour l’IDM (95,7 vs 17,5/100 000) ; 2,7 fois plus élevé pour les MCV et 1,7 pour l’AVC (tableau 1).

Disparités départementales d’APVPp en France en 2013-2015

Maladies cardiovasculaires (MCV)

Globalement pour les MCV, le croissant Nord/Nord-Est ainsi que les DROM présentaient des taux d’APVPp plus importants que le taux national moyen en 2013-2015 (257,3/100 000) (figure 1, tableau 2). Plusieurs départements de la région Hauts-de-France affichaient un taux au moins 30% supérieur au taux national : le Pas-de-Calais (+48%), l’Aisne (+42%) et le Nord (+35%). Les départements à l’ouest de la région Grand-Est avaient des taux au moins 25% supérieurs au taux national : Meuse et Aube (+27%), Haute-Marne et Marne (+25%), Ardennes (+37%). Les taux en Normandie étaient systématiquement au moins 10% plus élevés que le taux national, allant jusqu’à +36,1% pour la Seine-Maritime. Enfin, la Lozère (+48%, comme le Pas-de-Calais) et la Nièvre (+68%) présentaient les taux d’APVPp métropolitains les plus élevés. Dans les DROM, les taux d’APVPp par MCV étaient particulièrement élevés, avec une différence de plus de 45% par rapport au taux national (+50% pour la Guyane, +49% pour la Martinique, +47% pour La Réunion et +45% pour la Guadeloupe).

Figure 1 : Disparités départementales des taux moyens standardisés d’années potentielles de vie perdues prématurément (APVPp) par maladie cardiovasculaire en 2013-2015
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Tableau 2 : Taux départementaux standardisés d’années potentielles de vie perdues prématurément,
France 2013-2015
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À l’opposé, l’Île-de-France et l’Est de la région Auvergne-Rhône-Alpes présentaient systématiquement des taux inférieurs ou dans la moyenne nationale. Dans ces régions, la Haute-Savoie (-36%), Paris (-33%), et l’Ain (-33%), présentaient des taux au moins 30% inférieurs à la moyenne nationale. Outre ces départements, les taux étaient de 44% plus faibles en Haute-Garonne et en Hautes-Alpes.

Accident vasculaire cérébral (AVC)

Le taux national moyen d’APVPp pour l’AVC en 2013-2015 était de 53,3/100 000. Une tendance Nord/Sud était retrouvée en France métropolitaine avec des taux d’APVPp plus importants au Nord qu’au Sud (figure 2). Ainsi, plusieurs départements de la région Hauts-de-France (Aisne +34%, Nord +36%), de l’ouest de la région Grand-Est (Aube +43%, Marne +44%, Haute-Marne +51%), de la Normandie (Orne +65%, Seine-Maritime 47%), ainsi que la Nièvre (+38%) affichaient un taux au moins 30% supérieur au taux national. En revanche dans la moitié nord de la France, le Haut-Rhin (-40%) et la Loire-Atlantique (-36%) présentaient des taux d’APVPp très inférieurs au taux national moyen.

Figure 2 : Disparités départementales des taux moyens standardisés d’années potentielles de vie perdues prématurément (APVPp) par accident vasculaire cérébral en 2013-2015
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La moitié sud de la France métropolitaine montrait globalement des taux d’APVPp en dessous de la moyenne nationale. Des taux au moins 20% inférieurs au taux national étaient retrouvés en Haute-Vienne (-23%), Haute-Garonne (-46%), Hautes-Pyrénées (-26%), Haute-Savoie (-40%), Isère (-38%), Tarn (-23%), Tarn-et-Garonne (-24%) et Hautes-Alpes (-28%). Cependant, certains départements de la moitié sud de la France métropolitaine, comme l’Aude (+33%) et surtout les Alpes-de-Haute-Provence (+94%) montraient des taux très élevés d’APVPp.

Dans les DROM, la situation était défavorable pour l’AVC, particulièrement en Guyane avec un taux d’APVPp plus élevé de 186% par rapport au taux national moyen, et dans une moindre mesure en Guadeloupe (+85%), Martinique (+50%) et à La Réunion (+49%).

Infarctus du myocarde (IDM)

Pour l’IDM, des disparités beaucoup plus hétérogènes étaient observées sur le territoire (figure 3). Le taux national d’APVPp en 2013-2015 était de 57,3/100 000. L’ensemble des départements des régions Hauts-de-France, Normandie, Bourgogne-Franche-Comté, l’ouest de la région Grand-Est et la Corse étaient particulièrement impactés : Pas-de-Calais (+53%), Eure (+42%), Orne (+45%), Seine-Maritime (+42%), Nièvre (+79%), Yonne (+45%), Territoire de Belfort (+67%), Ardennes (+76%), Aube (+48%), Corse du Sud (+50%) et Haute-Corse (+67%). Des taux élevés étaient aussi retrouvés dans le Cantal (+71%), la Haute-Loire (+41%), la Creuse (+50%), les Landes (+49%), l’Aude (+46%), le Lot (+45%), la Lozère (+122%) et les Pyrénées-Orientales (+55%). Contrairement aux MCV et à l’AVC, la situation dans les DROM était défavorable uniquement à La Réunion (+57%).

Figure 3 : Disparités départementales des taux standardisés moyens d’années potentielles de vie perdues prématurément (APVPp) par infarctus du myocarde en 2013-2015
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L’Île-de-France (Paris -55%, Yvelines -34%, Val de Marne -41%), l’est de la région Auvergne-Rhône-Alpes (Ain -27%, Isère -23%, Rhône -29%, Haute-Savoie -43%), ainsi que le Bas-Rhin (-26%), la Haute-Garonne (-55%), les Hautes-Alpes (-39%) et la Guadeloupe (-23%) montraient des taux départementaux d’APVPp pour IDM particulièrement bas.

Discussion

Mortalité cardiovasculaire (2015) et disparités départementales d’APVPp (2013-2015) en France

En France en 2015, la mortalité prématurée par MCV représentait 8,9% de la mortalité globale par MCV, et jusqu’à 19,8% pour l’IDM. Le nombre moyen d’APVPp par MCV était de 10,4 années par personne en France en 2015, semblable pour les deux sexes et les pathologies considérées. Des disparités marquées d’APVPp étaient observées sur le territoire français en 2013-2015.

Comme dans la précédente étude réalisée en 2008-2015, une hétérogénéité entre territoires était observée dans notre étude 5. Globalement, pour les MCV, le croissant Nord/Nord-Est, ainsi que les DROM avaient des taux d’APVPp plus élevés comparativement au taux national moyen, alors que l’Île-de-France et l’est de la région Auvergne-Rhône-Alpes présentaient systématiquement des taux inférieurs ou dans la moyenne nationale. Différentes hypothèses peuvent être formulées pour expliquer ces disparités : 1) une variation de l’incidence des pathologies, elle-même due à une répartition inégale des facteurs de risque, 2) une répartition inégale de l’offre, de l’accès et de la qualité des soins, liés à la prise en charge en général ou cardio-neuro-vasculaire en particulier 10,11.

Une étude réalisée dans 52 pays sur l’IDM montrait que 96% du risque d’IDM chez les hommes et 93% chez les femmes étaient attribuables à 9 facteurs de risques modifiables (dyslipidémies, tabagisme, hypertension artérielle, diabète, obésité, inactivité physique, consommation d’alcool, absence de consommation de fruits, stress) 12. Une autre étude de même type réalisée dans 22 pays avait mis en évidence que 84% des cas d’AVC étaient attribuables à 5 des facteurs de risque modifiables (hypertension artérielle, tabagisme, rapport taille-tour de hanches élevé, alimentation défavorable à la santé et sédentarité) 13. Même si, compte tenu de la méthodologie utilisée, le calcul des cas attribuables doit être interprété avec précaution dans ces études, elles mettent en évidence la part très importante des facteurs de risque modifiables dans l’incidence des MCV et l’intérêt de leur prévention par la mise en place de programmes et de politiques de santé publique. Une étude récente, utilisant une méthodologie différente, a également mis en évidence cette part considérable des facteurs comportementaux (tabac) et métabolique (hypertension, cholestérol, diabète, obésité) dans la survenue des maladies cardiovasculaires 14. Il existait une concordance entre la répartition des facteurs de risque cardiovasculaires sur le territoire et les disparités observées de mortalité prématurée, avec des taux d’APVPp élevés dans des départements où les facteurs de risque étaient très prévalents. Ainsi, la région Hauts-de-France, l’ouest de la région Grand-Est, ainsi que les DROM, qui étaient globalement les régions avec les taux les plus importants d’APVPp pour les MCV et l’AVC, présentaient aussi des taux plus élevés pour au moins l’un de ces facteurs de risque 3,15. De même, dans la région Grand-Est, on observait une prévalence particulièrement élevée du tabagisme, de l’hypertension, de l’hypercholestérolémie et du diabète ; dans la région Hauts-de-France, une prévalence élevée de diabète, hypertension, d’hypercholestérolémie et d’obésité ; et dans les DROM une prévalence supérieure à la moyenne nationale pour le diabète et l’hypertension dans certains départements comme la Guadeloupe. La Normandie, qui présentait des taux d’APVPp supérieurs à la moyenne nationale pour les trois pathologies, présentait également une prévalence plus élevée que la moyenne nationale d’hypocholestérolémie, d’hypertension et d’obésité. En revanche, l’Île-de-France et l’est de la région Auvergne-Rhône-Alpes présentaient toutes les deux des prévalences inférieures à la moyenne nationale pour plusieurs facteurs de risque (tabagisme et obésité pour l’Île-de-France, obésité et hypercholestérolémie en Auvergne-Rhône-Alpes) et des taux d’APVPp parmi les plus bas du territoire français. Globalement, le sud de la France métropolitaine, moins impacté que le nord par l’AVC, possédait des prévalences inférieures ou dans la moyenne nationale pour l’ensemble des cinq facteurs de risque.

Le niveau socioéconomique représente également un facteur de risque indépendant non négligeable de mortalité cardiovasculaire. En effet, plus le niveau socioéconomique est faible, plus la prévalence et la mortalité des MCV est élevée 16,17,18. Les disparités socio-territoriales retrouvées en France concordent avec nos résultats. En effet, les régions Hauts-de-France, l’ouest de la région Grand-Est, ainsi que les DROM présentent globalement des situations sociales plus défavorables, alors que l’Île-de-France et l’est de la région Auvergne-Rhône-Alpes bénéficient d’une situation sociale plus favorisée en moyenne.

S’il existe une concordance forte entre la répartition des facteurs de risque vasculaires sur le territoire et celle de la mortalité prématurée par MCV, des inégalités d’offre ou de qualité des soins pourraient également expliquer les inégalités territoriales observées. C’est notamment le cas de l’AVC, pour lequel l’organisation de l’offre de soin, récente, est restée longtemps très inégale en France selon les territoires 19. Si le développement important depuis 2010 des unités neurovasculaires (UNV), unités de référence pour la prise en charge de cette pathologie, a permis de gommer une partie de ces inégalités de prise en charge de l’AVC, certains territoires restent encore sous-dotés (absence d’UNV proche ou nombre de lits dans l’UNV insuffisant) 20. Ainsi, certains départements qui possédaient de faibles taux d’admission en UNV (moins de 20% des AVC pris en charge en UNV) comme l’Orne, la Nièvre ou les Alpes-de Hautes-Provence présentaient des taux élevés d’APVPp 20,21. De la même manière, aucune UNV n’est actuellement présente en Guyane, qui montre la plus haute variation à la moyenne nationale du taux d’APVPp dans notre étude. Par ailleurs, plusieurs des départements qui présentent un taux d’APVPp inférieur à la moyenne nationale présentent aussi un bon taux de prise en charge en UNV, comme par exemple les Hautes-Pyrénées (76%) ou le Tarn (72%) 20,22. Le développement depuis 2015 d’une nouvelle technique de recanalisation rapide de l’artère occluse par thrombectomie mécanique permet aujourd’hui d’élargir l’arsenal thérapeutique de l’AVC ischémique, mais contribue également à de nouvelles inégalités de prise en charge territoriales, dans la mesure où cette technique ne peut être dispensée que dans des centres de neuroradiologie interventionnelle agréés et par des praticiens formés à cette technique. Ainsi, si la structuration de la filière neurovasculaire permet aujourd’hui une meilleure prise en charge du patient éligible à une thrombolyse intraveineuse, elle nécessite encore une adaptation pour la thrombectomie mécanique, compte tenu du faible maillage du territoire en centres de neuroradiologie interventionnelle pour garantir des délais de prise en charge compatibles avec la sécurité du patient 23.

Forces et limites des indicateurs

Pour le calcul d’indicateur de mortalité prématurée, l’âge limite de 65 ans avait été défini par convention. L’espérance de vie ayant progressé, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) recommandait dans son rapport de 2013 de reculer la borne à 75 ans. Cependant, le seuil à 65 ans est toujours celui de référence pour les comparaisons entre États membres de l’Union européenne. Il a donc été choisi pour cette étude 3.

Le calcul du taux d’APVPp permet de prendre en compte l’âge au décès dans la quantification de la mortalité prématurée, et d’évaluer ainsi le fardeau d’une pathologie par rapport aux autres pathologies ou d’un territoire à l’autre. Afin d’évaluer la part du prématuré au sein de la mortalité totale, il reste cependant nécessaire de passer par le calcul d’un taux de mortalité prématurée. Indicateur couramment utilisé, la mortalité prématurée est facilement comparable au niveau international et permet de suivre les évolutions au cours du temps. Ces deux indicateurs complémentaires permettent ainsi de fournir aux acteurs locaux des éléments concrets pour l’orientation des politiques locales de prévention en évaluant le fardeau que représente une pathologie, en comparant les pathologies entre elles et en identifiant des territoires prioritaires pour mener des actions de prévention 10,24. Leur interprétation doit cependant être nuancée en l’absence de données précises sur l’incidence des pathologies ou l’offre et la qualité des soins. En effet, la mortalité peut être élevée, même si un système de soin est efficace, si la prévalence ou l’incidence d’une maladie est importante.

Forces et limites de l’étude

Les données du CépiDc-Inserm sur les causes médicales de décès sont exhaustives et permettent de travailler sur l’ensemble du territoire français. Le regroupement des données de trois années a permis de limiter les fluctuations d’échantillonnages liées à de faibles effectifs dans certains départements. Néanmoins, cette étude présente plusieurs limites, notamment concernant l’interprétation des disparités départementales. En effet, les données concernant la prévalence des facteurs de risque n’étaient disponibles, le plus souvent, qu’au niveau régional et n’étaient, pour plusieurs facteurs de risque, qu’une approximation de la prévalence réelle puisqu’il ne reflétait que la part prise en charge pharmacologiquement (diabète, hypertension, hypercholestérolémie) ou la part déclarée (obésité, tabagisme). La simple juxtaposition des cartes sur les facteurs de risque cardiovasculaire ou l’offre de soin ne peut en aucun cas permettre de conclure de manière certaine sur les causes de ces disparités, mais permet de formuler certaines hypothèses. Des analyses plus fines devront être conduites afin d’analyser la part respective de la prévalence élevée des facteurs de risque et/ou des inégalités de prise en charge dans ces disparités d’APVPp.

Conclusion

En France en 2015, la mortalité par MCV représentait 12,4% de la mortalité prématurée globale. De plus, 8,9% des décès par MCV survenaient de manière prématurée. Le nombre d’années potentielles de vie perdues par MCV excédait les 10 ans pour les hommes comme pour les femmes. Les disparités géographiques d’APVPp sur le territoire français restaient marquées, avec notamment les régions du Nord, de l’Est et les DROM qui étaient particulièrement touchées. La prévalence importante des facteurs de risque vasculaire modifiables et accessibles à la prévention sur ces territoires met en évidence la nécessité de poursuivre et d’encourager, notamment chez les moins de 65 ans, des actions de dépistage des facteurs de risque (diabète, hypertension et hypercholestérolémie) dont la part non prise en charge reste importante, mais également des actions de prévention et notamment d’aide à l’arrêt du tabac, tout particulièrement auprès des personnes les plus défavorisées socialement.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Lapostolle A, Lefranc A, Gremy I, Spira A. La mesure de la mortalité prématurée : comparaison des décès avant 65 ans et des années espérées de vie perdues. Rev Epidémiol Santé Publique. 2008;56(4):245-52.
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Citer cet article

Santos F, Gabet A, Carcaillon-Bentata L, Grave G, Olié V. Disparités départementales d’années potentielles de vie perdues prématurément par maladies cardiovasculaires en France (2013-2015). Bull Epidémiol Hebd. 2020;(24):
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