Connaissance de la population française sur les symptômes d’infarctus du myocarde et sur l’appel du 15 lors d’une crise cardiaque ou d’un accident vasculaire cérébral : Baromètre de Santé publique France 2019
// Knowledge in the French adult population on the symptoms of myocardial infarction and on the emergency number 15 throughout a heart attack or a stroke: Santé publique France Health Barometer 2019
Résumé
Introduction –
L’infarctus du myocarde (IDM) est une cause importante de morbidité et de mortalité en France. L’identification précoce des symptômes d’un IDM et l’appel au Service d’aide médicale urgente (Samu) sont des éléments indispensables pour une prise en charge optimale et pour limiter la morbidité de cette pathologie. L’objectif de cette étude était d’évaluer la connaissance de la population générale française des symptômes d’IDM et la conduite envisagée devant des symptômes de crise cardiaque ou d’accident vasculaire cérébral (AVC).
Méthodes –
Cette étude est basée sur les données du Baromètre de Santé publique France 2019. Dans cet article, les analyses ont porté sur les 5 074 personnes, âgées de 18 à 85 ans, résidant en France métropolitaine, qui ont répondu aux questions sur les maladies cardiovasculaires. Les données ont été redressées et les analyses pondérées pour être représentatives de la population française. Les connaissances des symptômes de l’IDM et le comportement envisagé face à « une crise cardiaque ou un AVC » ont été évalués. Les déterminants de la méconnaissance de la « douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire » comme symptôme d’IDM et du non-appel au Samu ont été analysés.
Résultats –
En 2019, 46% de la population craignait l’IDM. Les connaissances sur les symptômes d’IDM étaient variables : 94% de la population identifiait la douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire comme un symptôme d’IDM ; 80% pour l’essoufflement à l’effort, 70% pour les palpitations, 68% pour la grande fatigue persistante, 49% pour la douleur persistante dans le dos ou l’épaule et 38% pour les nausées, douleurs et troubles digestifs. De plus, 36% de la population déclarait que la symptomatologie de l’IDM pouvait différer entre les hommes et les femmes. Face à des symptômes de crise cardiaque ou d’AVC, 58% de la population déclarait qu’elle appellerait le Samu, 32% les pompiers, 9% irait par elle-même aux urgences et 2% appellerait son médecin traitant. La connaissance de la douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire et de l’appel au 15 était moins fréquente chez les hommes, les personnes de moins de 45 ans, celles ayant un niveau d’étude inférieur au baccalauréat, celles n’ayant pas suivi de formation aux gestes de premiers secours et celles ne se sentant pas à risque de maladies cardiovasculaires.
Conclusion –
Cette étude est en faveur de la poursuite des initiatives de santé publique et d’information sur les IDM ainsi que sur la conduite à tenir en urgence. Les différences mises en évidence suggèrent que les symptômes moins spécifiques de l’infarctus sont moins bien connus et que certains groupes de population, notamment les hommes jeunes, les personnes ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, qui se sentent moins à risque de maladies cardiovasculaires, sont moins bien informés sur l’infarctus et la conduite à tenir devant une crise cardiaque ou un AVC.
Abstract
Introduction –
Myocardial infarction (MI) is a leading cause of morbidity and mortality in France. Early recognition of MI and calling emergency number ‘15’ is critical for prompt management and a favorable outcome. The aim of this study was to evaluate the French population’s knowledge of MI symptoms and their response faced with symptoms of heart attack or a stroke.
Methods –
This study used data from the 2019 Health Barometer of Santé publique France. In this article, the analyses focused on the 5,074 individuals, aged 18 to 85, living in metropolitan France, who answered the cardiovascular questions. Data were weighted to adjust to the French population structure. The proportion of knowledge of MI symptoms and the intended behavior faced with a heart attack or a stroke were estimated. The determinants of the lack of knowledge of “chest pain that radiates to the left arm up to the jaw” as a symptom of MI and of the non-call emergency number ‘15’ were analyzed.
Results –
In 2019, 46% of the population feared a MI. Knowledge of MI symptoms was 94% for “chest pain that radiates to the left arm up to the jaw”; 80% for shortness of breath; 70% for palpitations, 68% for persistent fatigue; 49% for persistent back or shoulder pain; and 38% for nausea, digestive pain or trouble. In addition, 36% of the population reported that the symptomatology of MI may differ between men and women. Faced with symptoms of heart attack or stroke, only 58% of the French population would call the emergency number ‘15’ firstly. Knowledge of chest pain that radiates to the left arm up to the jaw and calling 15 was lower among men, people under 45 years of age, with low education level, with no first aid training, and those who did not feel they were at personal risk for cardiovascular disease.
Conclusion –
This study supports the continuation of public health and communication initiatives on MI and emergency response. The differences found suggest that the less specific MI symptoms are less well known and that certain population groups, particularly young men, people with a low education level, who feel less at risk of cardiovascular disease, are less informed about MI and emergency response.
Introduction
L’infarctus du myocarde (IDM) est une cause importante de morbidité et mortalité en France. Chaque année, plus de 60 000 personnes sont hospitalisées pour un IDM et 15 000 en décèdent 1,2. Bien que la mortalité de l’IDM soit en diminution, le Global Burden of Disease a estimé en 2013 que les cardiopathies ischémiques étaient la première cause d’années de vie perdues en France 3.
Lors d’un IDM, lié à une occlusion d’une artère coronaire, une prise en charge très urgente est essentielle pour permettre
une revascularisation du muscle cardiaque rapide et ainsi réduire la mortalité et les séquelles de cette pathologie 4,5. De même, lors d’un accident vasculaire cérébral (AVC), une intervention médicale en urgence est nécessaire 6. Pour éviter une perte de chances pour le patient, induites par le retard diagnostique et thérapeutique en phase aiguë d’un
IDM ou d’un AVC, l’appel au Samu (par le numéro ‘15’) et l’intervention de Structures mobiles d’urgence et de réanimation
(Smur) sont des
priorités 6,7. Pour réduire le délai d’intervention et pouvoir bénéficier d’une prise en charge optimale, il est indispensable que la population
générale sache reconnaitre les symptômes d’IDM et d’AVC et connaisse cette nécessité d’appeler le Samu en urgence.
En France, peu de données récentes sont disponibles sur la connaissance des maladies cardiovasculaires, en particulier de l’infarctus du myocarde, et sur la conduite envisagée face à une urgence cardioneurovasculaire dans la population générale. En 2019, un module spécifique sur ces questions a été intégré dans le Baromètre de Santé publique France. Ainsi, à partir de ces données, cet article a pour objectif de décrire les connaissances, dans la population française, sur les symptômes de l’IDM et la conduite envisagée en priorité devant une crise cardiaque ou un AVC.
Méthodes
Cette étude a été réalisée à partir des données du Baromètre de Santé publique France 2019. L’échantillon repose sur une génération aléatoire de numéros de téléphones fixes et mobiles. L’enquête a été menée par l’Institut Ipsos, entre le 9 janvier et le 29 juin 2019, auprès de 10 352 personnes âgées de 18 à 85 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français. Le taux de participation s’est élevé à 50,8%. Une partie des participants (n=5 074), sélectionnés de façon aléatoire, a été interrogée sur les maladies cardiovasculaires. Pour tenir compte du mode de recrutement des participants et être représentatives de la population de France métropolitaine, les données ont été pondérées par le poids de sondage puis redressées sur la structure de la population par sexe croisé avec l’âge en tranches décennales, la région, la taille d’unité urbaine, la taille du foyer et le niveau de diplôme (population de référence : Insee, Enquête emploi 2018).
La connaissance des symptômes d’IDM a été estimée à partir de la question suivante « D’après vous, les éléments que je vais vous citer constituent-ils un symptôme d’infarctus ? ». Les symptômes suivants étaient proposés dans un ordre aléatoire « Une douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire », « Un essoufflement à l’effort et parfois au repos », « Des palpitations », « Une grande fatigue persistante », « Des douleurs ou troubles digestifs, des nausées », « Une douleur persistante au niveau du dos ou des épaules » 8. Les réponses possibles étaient « Tout à fait », « Plutôt » (regroupées pour définir la connaissance du symptôme) et « Plutôt pas », « Pas du tout » (regroupées pour définir la méconnaissance du symptôme). La prévalence de la connaissance de chaque symptôme d’IDM a été estimée dans la population générale et selon l’âge et le sexe. La population ayant répondu « Plutôt pas » ou « Pas du tout », à l’item : « Une douleur thoracique dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire constitue-t-il un symptôme d’infarctus ? », a été identifiée et les caractéristiques sociodémographiques et médicales de ce groupe ont été décrites, puisque ce symptôme est le plus spécifique de l’IDM 9,10. Les déterminants de la méconnaissance de ce symptôme ont été étudiés. La connaissance des symptômes moins spécifiques de l’IDM 8 a été décrite. La connaissance des différences de symptomatologie de l’IDM entre les hommes et les femmes a été estimée par la question « D’après vous, les symptômes de l’infarctus chez les femmes sont-ils différents des symptômes chez les hommes ? », avec une réponse binaire « Oui » ou « Non ».
La connaissance de la conduite envisagée en cas d’apparition des symptômes a été évaluée à partir de la question suivante : « Si vous ou une personne de votre foyer présente des symptômes de crise cardiaque ou d’AVC, que feriez-vous en priorité ? », avec des items de réponse suivants : « Vous appelez les pompiers ? », « appelez le 15 (Samu) ? », « allez rapidement aux urgences les plus proches ? », « contactez votre médecin traitant ? », « attendez de voir si les symptômes persistent ? ». La méconnaissance a été établie si la personne répondait autre chose que l’appel au 15, puisque cet appel constitue la conduite à tenir recommandée 6,7 et enseignée lors de la formation aux gestes de premiers secours, et les déterminants de ce non-appel ont été recherchés. Une analyse de sensibilité, regroupant les personnes ayant répondu « appel au 15 (Samu) » ou « appel des pompiers » a été réalisée, afin d’identifier les caractéristiques des personnes n’appelant aucun numéro d’urgence (pompiers ou SAMU). Les caractéristiques sociodémographiques et médicales, renseignées dans le questionnaire et décrites dans cette étude sont : le sexe, l’âge, le niveau d’étude, la situation du ménage (en couple, célibataire, autre), la taille de l’agglomération, la formation aux premiers secours, le statut tabagique, les antécédents d’AVC ou d’hypertension artérielle, la crainte de la maladie, la connaissance des symptômes d’AVC. La crainte de l’IDM a été identifiée par la question « Je vais vous citer différents risques et maladies, dites-moi si vous les craignez, pour vous-même… ». Étaient alors cités, dans un ordre aléatoire : le cancer, le diabète, l’AVC, l’infarctus du myocarde, la maladie d’Alzheimer, les nouvelles épidémies (SRAS, Ebola…). Le sentiment d’exposition au risque cardiovasculaire a été mesuré par la question « Vous personnellement, pensez-vous être à risque d’avoir une maladie cardiovasculaire ou un accident vasculaire cérébral ? ». Des questions sur la formation aux gestes de premiers secours et sur l’expérience d’utilisation d’un défibrillateur ont également été posées dans ce Baromètre santé et ont été analysées.
La comparaison des variables qualitatives a été faite par le test du Chi2 ou Fisher quand cela était nécessaire, et par le test t de Student pour les variables quantitatives. Des régressions logistiques multivariées ont été effectuées pour identifier les facteurs associés à la non-connaissance de la douleur thoracique comme symptôme d’IDM et à la non-connaissance de l’appel au 15. Les facteurs associés à la non-connaissance, connus ou suspectés dans la littérature scientifique et pertinents cliniquement, ont été intégrés au modèle. Les interactions ont été testées. Les analyses ont été pondérées et réalisées avec le logiciel Stata® version 14.
Résultats
Parmi les 5 074 personnes ayant répondu aux questions relatives à l’infarctus du myocarde, près d’une personne sur deux a déclaré craindre l’infarctus du myocarde (45,5%), avec une crainte plus importante chez les femmes (47,7%) que chez les hommes (43,2%) (p=0,03). La population était composée à 51,9% de femmes et à 22,9% de personnes âgées de plus de 65 ans. La proportion de fumeurs quotidiens était de 29,0%, celle de l’hypertension artérielle (HTA) déclarée était de 17,6%. Enfin, 57,9% de la population a indiqué avoir suivi une formation aux gestes de premiers secours (62,9% des hommes et 53,4% des femmes) (tableau 1).
Symptômes d’infarctus du myocarde
Le symptôme d’IDM le plus connu dans la population française était la « douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire ». Cependant, il restait, en 2019, 6,5% de la population qui n’identifiait pas cette douleur comme un symptôme d’IDM, avec une variabilité de cette méconnaissance selon le sexe et l’âge (8,6% des hommes et 9,1% des moins de 45 ans) (figure 1).
Les symptômes moins spécifiques d’IDM étaient considérés comme pouvant constituer un symptôme d’infarctus par 80,1% de la population pour « l’essoufflement à l’effort et parfois au repos », 69,4% pour « les palpitations », 67,7% pour « la grande fatigue persistante », 48,9% pour « la douleur persistante au niveau du dos ou des épaules » et 38,0% pour « les douleurs ou troubles digestifs, nausées ». Ces connaissances différaient selon l’âge et le sexe du répondant, avec des taux plus élevés pour les douleurs et troubles digestifs, ainsi que les douleurs dans le dos et dans l’épaule, chez les femmes et chez les personnes plus âgées. Au total, 15,9% de la population estimaient que les six symptômes énoncés pouvaient constituer des symptômes d’IDM et pour 1,6% aucun de ces symptômes ne pouvaient être reliés à un infarctus. Chez les personnes qui n’identifiaient pas « la douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche et jusqu’à la mâchoire » comme symptôme d’IDM, la méconnaissance des autres symptômes était également élevée (résultats non présentés).
Les personnes qui n’identifiaient pas « la douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire » comme un symptôme d’IDM craignaient moins les IDM (résultats non présentés) et se sentaient moins à risque cardiovasculaire (p<0,001) alors même qu’ils étaient plus souvent des fumeurs quotidiens (p=0,002) (tableau 2). Après ajustement, le sexe (hommes), l’âge jeune (moins de 45 ans), un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, le statut urbain, l’absence de formation aux gestes de premiers secours, le statut tabagique et l’absence de sentiment d’être à risque de maladie cardiovasculaire ou d’AVC étaient significativement et indépendamment associés à la méconnaissance de la « douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire » comme symptôme évocateur d’IDM (tableau 2).
Environ une personne sur trois (36,1%) déclarait que les signes d’IDM différaient chez les hommes et chez les femmes, avec des taux supérieurs chez les femmes (41,6%) que chez les hommes (30,2% (p<0,001)).
Conduite à tenir devant des symptômes de crise cardiaque ou d’AVC
En 2019, 57,8% des individus interrogés déclaraient qu’ils appelleraient, en priorité, le 15 (Samu) si « une personne de leur foyer présentait des symptômes de crise cardiaque ou d’AVC », 31,5% appelleraient les pompiers, 8,5% iraient par eux-mêmes aux urgences les plus proches, 2,0% contacteraient leur médecin traitant et 0,3% attendraient de voir si les symptômes passent (dont 47,2% appelleraient le 15 si les symptômes persistent). La conduite qui serait tenue devant des symptômes d’urgences cardiovasculaires était variable selon le sexe et l’âge du répondant : 60,1% des femmes appelleraient le Samu contre 55,3% des hommes (p=0,05) ainsi que 60,4% des personnes ayant entre 45 et 64 ans contre 54,8% des moins de 45 ans et 59,3% des plus de 65 ans (p<0,001). Parmi les personnes qui n’identifiaient pas la « douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire » comme symptôme d’IDM, seules 38,2% appelleraient le Samu, 45,7% les pompiers et 11,8% iraient aux urgences (figure 2).
Parmi les personnes qui ont indiqué avoir suivi une formation aux gestes de premiers secours, 60,0% déclaraient la conduite à tenir recommandée : appeler le Samu en priorité (résultats non présentés). Ce taux était de 61,1% parmi ceux ayant eu cette formation moins de 5 ans auparavant, 59,3% parmi ceux l’ayant suivie plus de 5 ans avant.
Les personnes qui ne déclaraient pas l’appel du Samu en priorité étaient plus souvent des hommes, étaient moins souvent formés aux gestes de premiers secours et connaissaient moins souvent les facteurs de risque cardiovasculaires et les symptômes d’IDM. Après ajustement, le sexe (hommes), l’âge jeune (moins de 45 ans), le célibat, le statut tabagique, un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, l’absence de formation aux gestes de premiers secours et l’absence de perception d’un risque personnel de maladies cardiovasculaires étaient associés à une adoption moindre de la conduite à tenir recommandée en cas de symptômes (appel au 15) (tableau 3).
Près de 90% de la population déclaraient appeler un numéro d’urgence (pompiers ou Samu) devant des symptômes de crise cardiaque ou d’AVC. Après ajustement, le sexe (hommes), le statut tabagique, un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat et l’absence de formation récente aux gestes de premiers secours étaient associés à une moindre déclaration de l’appel aux numéros d’urgence (Samu ou pompiers). L’âge en revanche n’était pas associé significativement à un moindre appel des pompiers ou du SAMU.
Concernant l’expérience de la population, plus d’une personne sur trois déclarait avoir déjà eu l’occasion d’utiliser ou de voir fonctionner un défibrillateur (37,4%). Cette fréquence était plus élevée chez les hommes (40,0%) que chez les femmes (34,9%) (p=0,004).
Discussion
Cette étude met en évidence que près de 95% de la population française identifiait la « douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire » comme un symptôme d’IDM, que plus de 40% de la population n’appellerait pas, en priorité, le Samu devant des symptômes de crise cardiaque ou d’AVC et que 11% n’appellerait ni les pompiers ni le Samu. La méconnaissance de la « douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire » et le non-appel du Samu étaient plus fréquents chez les hommes, les personnes âgées de moins de 45 ans, celles ayant un faible niveau de diplôme, celles n’ayant pas eu la formation aux gestes de premiers secours et celles ne se sentant pas à risque de maladies cardiovasculaires ou d’AVC.
Plusieurs programmes de prévention et d’information ont été menés ces dernières années pour favoriser la connaissance des maladies cardiovasculaires et promouvoir l’appel au 15 11,12.
La bonne connaissance des symptômes d’IDM est corrélée à une diminution du délai de prise en charge 13 et doit être encouragée. Selon une étude allemande, les patients ayant une bonne connaissance des symptômes d’IDM ont 50% de chance de plus d’être rapidement pris en charge (arrivée à l’hôpital dans les 2 heures) 14. À l’étranger, et notamment dans des études américaines, il a été montré que la connaissance des symptômes d’IDM était en augmentation 15,16.
Cependant, dans notre étude, comme dans la littérature 17, les symptômes moins spécifiques que la douleur thoracique étaient moins bien identifiés par la population. Il a été montré que la bonne connaissance des symptômes atypiques était corrélée à une diminution du délai de prise en charge 14. En effet, jusqu’à 20% de la population victime d’infarctus ne présente pas de douleur thoracique intense 8,18. Il a été rapporté que plus de 50% des personnes victimes d’un IDM présentaient une fatigue intense ou des nausées et 30% une dyspnée 8. De plus, la fréquence de ces symptômes et douleurs atypiques est plus élevée chez les femmes et les personnes plus âgées 8,19,20,21. Si toute douleur ou trouble digestif ne doit pas faire suspecter un infarctus, il est important que l’association de symptômes atypiques soit suffisamment connue en population générale pour déclencher l’appel à un numéro d’urgence.
L’appel du 15, directement par le patient ou ses proches, permet de réduire les délais de prise en charge des patients victimes d’un IDM. Diverses campagnes de sensibilisation ont permis d’améliorer le taux d’appel au Samu 11,22, mais notre étude a montré que plus d’une personne sur trois n’appellerait pas en priorité le Samu devant des symptômes d’IDM.
Les études effectuées à partir des données de registres populationnels et autour des indicateurs pour l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins (IPAQSS) sur la prise en charge hospitalière de l’IDM de la Haute Autorité de santé ont montré des taux d’appel au Samu légèrement plus élevé (61%) ; mais elles portent sur des données rétrospectives, sur des patients ayant été hospitalisés pour un IDM à la phase aiguë 23,24. Il est possible que cette différence de résultats soit en partie expliquée par la proportion de patients présentant un IDM, mais non hospitalisés ou décédés avant l’arrivée à l’hôpital, qui auraient une conduite différente de la population hospitalisée. Cette différence peut également être en partie liée au comportement des personnes, qui peut être différent en situation réelle par rapport aux déclarations faites a priori. L’étude Stent for life quant à elle retrouvait en 2010 une utilisation du numéro d’urgence ‘15’ dans 49% des cas d’IDM 12. Ces différentes sources soulignent toutes que l’importance d’appeler le numéro d’urgence médicale (le ‘15’) devra être rappelée dans les prochaines campagnes d’information du grand public et relayée par tous les professionnels de santé. Certains messages pourraient être adaptés aux spécificités des groupes de populations : chez les personnes plus âgées qui appellent plus facilement le médecin traitant que le 15, ou dans le cas des IDM des femmes. En effet, alors que les femmes semblent plus informées sur la nécessité d’appeler le Samu dans notre étude, des taux d’appel du Samu, de l’ordre de 40% pour les femmes victimes d’un IDM et de 44% pour les hommes, étaient retrouvés en 2014 25.
Cette étude permet de souligner l’importance de la bonne coordination entre les pompiers et le Samu pour optimiser le temps entre les premiers symptômes et le début de la prise en charge thérapeutique d’une crise cardiaque ou d’un AVC. En effet, outre l’appel au Samu, plus de 30% de la population a déclaré appeler les pompiers face à ces urgences. Cela permet d’atteindre un taux proche de 90% de la population qui aurait recours à un numéro d’urgence (les pompiers ou le Samu) dans ces situations. Les initiatives de création de plateforme unique regroupant les services de régulation pompiers/Samu peuvent être encouragées et la création d’un numéro unique pour tous les appels d’urgence peut être recommandée. Un numéro d’urgence unique existe dans certains pays, comme par exemple aux États-Unis (le 911), où il a été retrouvé que 95% de la population déclarent appeler le Samu devant des symptômes d’IDM 15.
Concernant les disparités de connaissance des symptômes et de la conduite à tenir, selon le sexe, l’âge, la situation du ménage, la taille d’agglomération, le niveau d’éducation, le niveau socioéconomique et l’exposition aux facteurs de risque cardiovasculaires, elles ont également été retrouvées dans d’autres pays d’Europe ou aux États-Unis 16,26,27.
Dans notre étude, nous retrouvions que la nonperception d’un risque personnel cardiovasculaire était un facteur indépendamment associé à la méconnaissance de la douleur thoracique irradiant dans la mâchoire et le bras gauche et au non-appel du 15. Cela suggère que la communication sur le poids des maladies cardiovasculaires en France, sur les facteurs de risque de ces maladies et sur l’importance de connaître ses propres risques cardiovasculaires est une première étape pour sensibiliser la population. Du temps dédié en consultation ainsi que des collaborations avec les professionnels paramédicaux peuvent être utiles dans ce but 16.
Nos données ont montré une meilleure connaissance, parmi les ex-fumeurs, des symptômes et de l’importance d’appeler le 15 ou un numéro d’urgence. Cela pourrait s’expliquer par cette sensibilisation accrue des fumeurs au risque cardiovasculaire, via les campagnes d’aide au sevrage tabagique. Ces personnes connaissant leur risque personnel connaitraient également mieux les maladies cardiovasculaires, leurs symptômes et la conduite à tenir. Bien que la connaissance du risque ne suffise pas, cette sensibilisation et ces connaissances pourraient ainsi les avoir encouragées à arrêter le tabac. À l’inverse, la meilleure connaissance des IDM n’a pas été retrouvée chez les fumeurs. On peut supposer que les fumeurs quotidiens sont moins sensibilisés par ces campagnes ou qu’ils ignorent ou s’intéressent moins au risque cardiovasculaire liée au tabac et, plus globalement, que les fumeurs seraient moins sensibles aux messages d’information sur les maladies cardiovasculaires, dont les IDM.
Par ailleurs, il est également important de sensibiliser les personnes jeunes et celles qui ne sont pas à risque cardiovasculaire mais peuvent être témoins de ces situations d’urgence cardiovasculaire. La formation aux gestes de premiers secours est particulièrement utile dans cette population. En effet, une meilleure connaissance des symptômes, mais surtout de la conduite à tenir devant un IDM, a été retrouvée chez les personnes ayant eu une formation récente aux gestes de premiers secours, d’autant plus si elle était récente. Ce résultat encourage la diffusion et l’accès de cette formation au grand public. Promouvoir la formation aux premiers secours et son renouvellement régulier dans tous les milieux (scolaires, entreprises, administrations, etc.) pourrait permettre d’améliorer la perception des maladies cardiovasculaires et de la conduite à tenir.
Forces et limites
Cette étude, basée sur un échantillon représentatif de la population française métropolitaine, a permis de décrire les connaissances sur les IDM et la conduite à tenir face à une urgence cardioneurovasculaire, en France en 2019. Cependant, la formulation des propositions peut être une limite à l’interprétation de cette étude. En effet, les participants ont été interrogés sur le symptôme spécifique de « douleur dans le thorax qui irradie vers le bras gauche jusqu’à la mâchoire ». Cela ne nous permet pas d’évaluer si la population suspecte un infarctus du myocarde devant une douleur thoracique seule. Une proposition supplémentaire et une simplification des termes employés pourront être recommandées pour les prochains questionnaires sur le sujet. De plus, la réponse à la question sur la conduite envisagée peut différer pour les répondants selon qu’il s’agit de symptômes de crise cardiaque ou d’AVC. Or, la question a été posée en regroupant ces deux urgences cardio-neurovasculaires, ne permettant donc pas de différencier la conduite devant l’une ou l’autre. Par ailleurs, certaines informations, notamment sur les antécédents d’infarctus du myocarde, n’étaient pas disponibles dans le questionnaire.
Enfin, nous ne pouvons exclure un biais de déclaration avec des questions fermées qui peuvent orienter la réponse du participant. Aucun symptôme ne correspondant pas du tout à un IDM n’était proposé. On ne peut ainsi pas mesurer « la propension à répondre oui » de chaque individu et la proportion de connaissance des symptômes peut être surestimée. L’étude du CDC (BRFSS) réalisée en 2005 aux États-Unis a interrogé la population sur les symptômes d’IDM par des questions fermées, en incluant des symptômes ne correspondant pas aux IDM. Dans cette étude américaine, 31% de la population connaissait cinq signes d’IDM mais la moitié d’entre eux (18%) pensaient que les troubles de la vision étaient des symptômes d’IDM. Ce type de proposition pourra être inclus dans les prochaines éditions pour évaluer ce biais 28.
Conclusion
Cette étude est en faveur de la poursuite des initiatives de santé publique et de communication sur les IDM et, plus largement, sur les maladies cardiovasculaires. Malgré des taux relativement hauts pour la connaissance de la « douleur dans le thorax qui irradie dans le bras gauche et la mâchoire », la connaissance des symptômes atypiques ainsi que de l’appel au Samu reste à améliorer. Les différences mises en évidence suggèrent que certains groupes de population, notamment les hommes, les personnes jeunes ou avec un bas niveau d’éducation, sont moins bien informés sur l’IDM et la conduite à tenir devant une crise cardiaque ou un AVC. Une attention particulière pourra être portée dans les prochaines campagnes d’information ou lors d’instauration de mesures spécifiques sur ces populations moins informées.
Liens d'intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
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