La valeur des données de mortalité en santé publique à l’ère du numérique
// The value of mortality data for public health in the digital era
La certification des décès permet, par la compilation des certificats de mortalité, la constitution de la statistique nationale des causes de décès par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Cette statistique constitue le plus ancien système structuré de surveillance en santé publique. À l’heure de la course aux données, du « big data » et de la science des données, ce système est une source de données et d’indicateurs de santé publique irremplaçable et d’avenir, que ce soit dans une perspective de recherche, d’amélioration de l’état de santé ou de sécurité sanitaire. La finalité de sécurité sanitaire a gagné en intérêt avec la remontée rapide des décès à partir des communes à l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et leur transmission à Santé publique France, et la mise en œuvre de la certification électronique qui permet de disposer d’analyses de la mortalité en temps quasi réel pour l’alerte 1. Il faut aussi insister sur la grande qualité de la certification et du codage des décès. Sous l’égide de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le volet médical (VM) du certificat de décès et son codage pour élaborer la statistique suivent des règles standardisées visant à la meilleure comparabilité internationale, ce qui fait de la mortalité la source de données la plus fiable pour les comparaisons entre pays. Enfin, et ce n’est pas le moindre, les causes de décès enrichissent de nombreuses cohortes et constituent avec les données de consommation de soins de l’Assurance maladie et celles du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), la base historique du Système national des données de Santé (SNDS). Ce numéro du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) illustre de manière exemplaire la valeur de santé publique des données de mortalité et la dynamique des évolutions récentes du système de certification des décès à l’heure du numérique.
Un premier article 2 analyse l’évolution de la mortalité par causes en France métropolitaine entre la période 2000-2007 et celle de 2008 à 2016. En 2016, parmi les 579 230 décès enregistrés, les décès par tumeurs (29,0%) et maladies cardio-vasculaires (24,2%) sont prépondérants avec une surmortalité masculine (sex-ratio de 1,7) pour la quasi-totalité des causes. La mortalité prématurée, globalement de 17%, est double chez les hommes (22,6%) par rapport aux femmes (11,3%). Dans une tendance de baisse générale, la mortalité a particulièrement diminué entre les deux périodes pour le sida et le VIH, les accidents de transports, ainsi que pour les maladies cardio-vasculaires pour les deux sexes. Elle a en revanche fortement augmenté pour le cancer du poumon chez les femmes, et de façon plus modérée pour le cancer du pancréas et le cancer du cerveau pour les deux sexes.
Le second article 1 analyse l’évolution de la certification électronique du certificat de mortalité depuis sa mise en œuvre à la suite de la canicule de 2003. Elle permet aux médecins de certifier électroniquement les décès (VM) via une application web sécurisée et de les transmettre au CépiDc de l’Inserm et Santé publique France dès leur validation. En 2018, les décès certifiés électroniquement restent modestes parmi l’ensemble des décès (15,6% au niveau national, variant de 0,6% à 24% selon la région du décès). La majorité des certificats électroniques concernait des personnes âgées de 65 ans ou plus (81,6%) et était enregistrée à l’hôpital (90,1%). Si on note une dynamique à l’amélioration, l’hétérogénéité actuelle de la dématérialisation selon les territoires, l’âge et le lieu de décès rend l’interprétation des fluctuations de la mortalité certifiée électroniquement délicate pour la surveillance réactive de la mortalité. L’engagement d’actions régionales de promotion de la certification électronique par les agences régionales de santé (ARS) et l’amélioration régulière de l’application de certification lèvent des freins au déploiement. La certification électronique des décès améliore aussi la qualité de la certification et permet des bénéfices pour les médecins certificateurs et les ARS.
Pour des raisons techniques, la dématérialisation du volet administratif (VA) du certificat de décès n’a pas pu suivre le même mode opératoire que pour le VM, imposant le maintien de l’impression du VA par les médecins certificateurs pour transmission aux mairies et aux opérateurs funéraires. Cet état de fait ayant été identifié comme un frein, une expérimentation de la dématérialisation totale des certificats de décès a été engagée. Un des articles de ce BEH 3 décrit cette expérimentation qui montre que sur l’ensemble des communes où elle a été mise en œuvre, près de la moitié des certificats ont été transmis de manière dématérialisée. Malgré les limites de l’étude, ces résultats sont en faveur d’un saut quantitatif important par rapport à la période précédente et de la pertinence opérationnelle de la dématérialisation totale. Sur la base de ce bilan positif, la dématérialisation totale de la certification électronique sera déployée sur l’ensemble du territoire 4.
La certification électronique des décès qui alimente en temps réel les bases de données pose de nouveaux défis pour leur analyse réactive et valide en situation de menaces de santé publique telles que les canicules, les épidémies, les catastrophes... Le développement des méthodes de traitement automatique des langues (TAL) offre de nouvelles perspectives pour la détection précoce d’alerte, c’est ce qu’évalue l’étude rapportée dans un 5e article de ce BEH 5. Réalisée dans un contexte de challenge international et d’application à la veille sanitaire, l’étude montre l’intérêt et la performance d’une approche innovante telle que le TAL pour plusieurs regroupements syndromiques utilisés en routine en surveillance. La participation d’équipes internationales à ce travail souligne l’intérêt des données de mortalité pour le développement et l’évaluation d’outils innovants sur des jeux de données comparables et des problématiques originales, multilingues et homogènes.
Ce numéro du BEH démontre plus que jamais l’intérêt de l’analyse de la mortalité sur du temps « long » pour juger d’évolutions favorables, liées à la prévention ou la meilleure prise en charge médicale, et défavorables du fait de nos modes de vies et expositions aux risques. La forte diminution des décès par accident de transport rend compte de manière exemplaire de l’effet positif des politiques publiques en matière de sécurité routière, et plus globalement l’apport de l’analyse des causes de décès pour l’évaluation de politiques publiques. À l’opposé, la progression de la mortalité par cancer du poumon chez les femmes traduit de manière retardée l’épidémie de tabagisme chez les femmes qui a débuté dans les années 60. Sur le « temps court » l’analyse de la mortalité a gagné une application plus récente en matière d’alerte. Si la dématérialisation des certificats de décès est un important progrès pour la surveillance, des améliorations sont nécessaires pour que cette promesse devienne une réalité opérationnelle. Grâce à une collaboration étroite entre l’Inserm, la Direction générale de la Santé (DGS) et Santé Publique France, l’expérimentation de la dématérialisation totale et sa généralisation prochaine offrent des perspectives très positives pour les quelques années à venir. Enfin, avec l’évaluation de nouvelles méthodes, l’innovation n’est pas en reste ! La science des données offre à court terme de nouvelles possibilités d’analyse des données de santé pour la sécurité sanitaire, la santé publique et en matière de recherche. Ce numéro du BEH montre que la certification des décès a encore de très beaux jours devant elle et une espérance de vie très longue !
Références
http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/29-30/2019_29-30_3.html
601-2. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2019/29-30/2019_29-30_4.html