Dix premières années de surveillance de l’hépatite A par la déclaration obligatoire, France, 2006-2015

// Ten first years of hepatitis A surveillance through mandatory notification, France, 2006-2015

Elisabeth Couturier1 (elisabeth.couturier@santepubliquefrance.fr), Lina Mouna2, Marie-José Letort1, Dieter Van Cauteren1, Anne-Marie Roque-Afonso2, Henriette De Valk1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Centre national de référence VHA-VHE, AP-HP, Hôpital Paul Brousse, Villejuif, France
Soumis le 17.11.2017 // Date of submission: 11.17.2017
Mots-clés : Hépatite A | Surveillance | Déclaration obligatoire
Keywords: Hepatitis A | Surveillance | Mandatory notification

Résumé

Introduction –

La surveillance de l’hépatite A est assurée par la déclaration obligatoire (DO) depuis novembre 2005, avec pour objectifs la détection de cas groupés, afin de prendre rapidement les mesures de contrôle, et l’estimation des taux d’incidence de notification. Les résultats de l’analyse des cas notifiés au cours des dix premières années de surveillance (2006-2015) sont présentés.

Méthodes –

Un cas (IgM anti-VHA positif) doit être notifié à l’Agence régionale de santé à l’aide d’une fiche de DO. Cette fiche recueille des informations sociodémographiques et cliniques ainsi que les expositions à risque (notamment cas dans l’entourage, séjour hors métropole, consommation de fruits de mer).

Résultats –

Pour la période 2006-2015, 11 158 cas d’hépatite A ont été notifiés, soit un taux d’incidence moyen de notification de 1,7/100 000 habitants. Une tendance à la diminution de ce taux a été observée à partir de 2010. Le taux d’incidence moyen de notification chez les hommes était de 1,9/100 000 et, chez les femmes, de 1,4/100 000, avec une tendance à la diminution pour les deux sexes. Les principales expositions à risque étaient la présence de cas dans l’entourage (46%) et un séjour hors métropole (38%). Trente-deux pour cent des cas appartenaient à un épisode identifié de cas groupés. Chaque année, la part des cas groupés était relativement stable, comprise entre 28 et 37%.

Conclusion –

Le taux annuel d’incidence de notification a progressivement diminué à partir de 2010, pour atteindre en 2015 celui d’un pays de basse endémicité pour l’hépatite A (1,1/100 000). Les incidences de notification les plus élevées ont été retrouvées chez les moins de 15 ans, groupe d’âge le plus touché en raison de la transmission féco-orale du virus, favorisée au sein des familles et des collectivités d’enfants. Les données recueillies par la DO et par les investigations d’épisodes de cas groupés ont permis, en 2009, l’élaboration de recommandations vaccinales dans l’entourage familial d’un patient atteint d’hépatite A et dans les communautés de vie en situation d’hygiène précaire. La tendance à la baisse de l’incidence de notification observée à partir de 2010 est peut-être due à l’impact de ces recommandations vaccinales.

Abstract

Background –

In France since November 2005, hepatitis A surveillance was carried out by mandatory notification (MN). The objectives are to detect HAV clusters in order to implement control measures and to estimate incidence rates of notified cases. The analysis of notified cases during the first ten years (2006-2015) is presented.

Methods –

A case (IgM anti-HAV positive) should be reported to the Regional Health Agency (Agence régionale de santé) on a notification form collecting socio-demographic, clinical and at risk exposures (other HAV cases in close circle, travel outside mainland France, shellfish consumption) information.

Results –

From 2006 to 2015, 11,158 hepatitis A cases were notified representing a mean incidence rate of notified cases of 1.7/100,000 inhabitants. A decreasing trend of this rate has been observed since 2010. The mean incidence rate of notified cases was 1.9/100,000 among men and 1.4/100,000 among women with decreasing trends among both sexes. Main at risk exposures were other cases in close circle (46%) and a travel outside mainland France (38%). Thirty-two per cent of cases were part of an identified cluster. Each year, the proportion of those cases was stable ranging from 28 to 37%.

Conclusion –

Since 2010, mean incidence rates of notified cases have gradually decreased to reach in 2015 an incidence of a low HAV endemic country (1.1/100,000). Highest incidences rates of notified cases were observed in the youngest age group (<15 years) due to the faeco-oral transmission of the virus enabled within families and children settings. Data collected through mandatory notification and investigations of clusters allowed providing hepatitis A vaccine recommendations for post-exposure prophylaxis of close contact of cases and in populations living in poor sanitation and hygiene (2009). Decreasing incidence trends of notified cases observed since 2010 might be due to the potential impact of those recommendations.

Introduction

L’hépatite A est une infection aiguë d’évolution le plus souvent favorable. En raison de l’excrétion fécale du virus, le principal mode de transmission est de type féco-oral, à l’origine de la contamination par contact direct de personne à personne. La contamination peut être indirecte par consommation d’eau contaminée, de coquillages crus ou peu cuits et récoltés en eau insalubre, ou par ingestion d’aliments contaminés pendant la culture, la récolte ou la préparation. Des épidémies récentes en Europe et en France ont concerné la consommation d’huîtres, de fruits rouges surgelés, de tomates séchées et de denrées d’une boulangerie-pâtisserie 1,2,3,4.

Après une incubation silencieuse de quatre semaines en moyenne (extrêmes 15-50 jours), l’hépatite A se manifeste par des signes généraux suivis d’un ictère dans plus de 70% des cas à l’âge adulte. Chez l’enfant de moins de six ans, les formes asymptomatiques sont les plus fréquentes (70%). La sévérité augmente avec l’âge, avec une évolution possible vers une hépatite fulminante peu fréquente, moins de 1% des cas 5.

Une étude nationale (2008-2010) a montré que la séroprévalence des anticorps vis-à-vis de l’hépatite A était faible chez les 1-6 ans (2,5%) et progressait ensuite avec l’âge, de 6,7% chez les 6-9 ans à 45,7% chez les 40-49 ans 6.

La surveillance de l’hépatite A est assurée par la déclaration obligatoire (DO) depuis novembre 2005 et par le Centre national de référence (CNR) des virus à transmission entérique. Les objectifs de la DO sont de détecter les cas groupés afin de prendre rapidement les mesures de contrôle, d’estimer les taux d’incidence de notification et leurs tendances et de décrire l’évolution des distributions des cas par classe d’âge et par exposition à risque pour guider les politiques vaccinales. Le CNR contribue à la surveillance épidémiologique par le typage d’un échantillon de souches.

L’objectif de cet article est de présenter les résultats de l’analyse des cas notifiés d’hépatite A au cours des dix premières années de surveillance par la DO (2006-2015) et de décrire la circulation des souches virales génotypées par le CNR au cours de cette période.

Méthodes

Un cas, défini par la présence d’IgM anti-VHA dans le sérum, est signalé à l’Agence régionale de santé (ARS) et notifié par le déclarant (médecin/biologiste) à l’aide d’une fiche de DO. Les fiches de DO validées sont ensuite transmises à Santé publique France.

La DO recueille des informations sociodémographiques (âge, sexe, département de domicile, profession), biologiques (date IgM anti-VHA(+), ALAT), cliniques (symptômes, ictère, hospitalisation) et les expositions à risque non mutuellement exclusives dans les deux à six semaines précédant le diagnostic (autre(s) cas dans l’entourage, enfant âgé de moins de 3 ans au domicile, travail/fréquentation d’une crèche ou d’un établissement pour personnes handicapées, séjour hors métropole, consommation de fruits de mer, profession).

Des cas groupés sont suspectés lorsque l’item « autre cas dans l’entourage » de la DO est coché, ou bien lorsque deux cas ou plus sont signalés dans des collectivités d’enfants ou bien dans une même zone géographique dans un intervalle de temps proche 7.

La surveillance des souches repose sur un réseau de laboratoires volontaires qui envoient au CNR des échantillons (sang, selles) pour recherche du génome viral et analyse phylogénique. Lors de cas groupés, les laboratoires hospitaliers/privés sont sollicités par l’ARS pour adresser au CNR les échantillons afin de vérifier l’homologie des souches 8.

La qualité et la réactivité du système de surveillance ont été évaluées par la proportion de remplissage des informations de la DO et par les délais de notification (délai entre la date du prélèvement IgM(+) et la date de notification à l’ARS) et de réception à Santé publique France (délai entre la date de notification et la date de réception, disponible depuis 2011).

À partir des DO reçues, la détection de cas groupés implique une investigation pour mesurer l’ampleur du phénomène, identifier le mode de transmission et la source. Concernant les résultats des investigations, la seule information disponible dans la base nationale DO recueillie à la fin de l’investigation est l’appartenance ou non du cas à un épisode de cas groupés. Les cas n’appartenant pas à un épisode identifié de cas groupés sont considérés comme des cas sporadiques.

Pour le calcul des taux d’incidence de notification, la population 2010 (source Insee) par sexe, classe d’âge (0-4, 5-14, 15-24, 25-44, >44 ans) et département de résidence a été retenue.

Résultats

Qualité et réactivité du système

Parmi les informations de la fiche, les proportions de remplissage étaient supérieures à 95% pour la grande majorité d’entre elles. Les moins bien complétées étaient travailler/fréquenter une crèche (85% de remplissage), la profession (76%), et travailler/fréquenter un établissement pour personnes handicapées (69%). Chaque année, ces proportions ont peu varié.

Le délai moyen de notification à l’ARS était de 8 jours (médiane 2 jours [0-745]) et le délai moyen de réception à Santé publique France de 8 jours (médiane 2 jours [0-381]). Le délai moyen de notification à l’ARS a diminué au cours du temps : 12 jours en 2006, 7 jours entre 2011 et 2014 et 5 jours en 2015.

Nombre de cas notifiés et taux d’incidence

Pour la période 2006-2015, 11 158 cas d’hépatite A ont été notifiés, dont 544 (5%) par les départements d’Outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion et, à partir de 2009, Mayotte).

Le nombre annuel de cas a varié de 1 343 en 2006, année du début de la surveillance, à 1 548 en 2009, pic suivi d’une diminution progressive pour atteindre 745 cas en 2015 (figure 1). Le taux d’incidence moyen des cas notifiés en métropole était de 1,7/100 000 habitants. Une diminution significative du taux d’incidence des cas notifiés a été observée à partir de 2009 (passant de 2,4 en 2009 à 1,1 en 2015) (p<10-3) (figure 2).

Figure 1 : Nombre total de cas sporadiques et de cas groupés d’hépatite A notifiés par an, France, 2006-2015
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Figure 2 : Taux d’incidence des cas notifiés d’hépatite A par sexe et par an, France métropolitaine, 2006-2015
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Au cours de la période 2006-2015, les taux d’incidence moyens des cas notifiés par département métropolitain de résidence ont varié de 0,2/100 000 à 4,2/100 000 (figure 3).

Figure 3 : Taux d’incidence moyen des cas notifiés d’hépatite A par département métropolitain de résidence, France métropolitaine, 2006-2015
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Distribution mensuelle des cas notifiés

Trente-six pourcent des cas notifiés ont été diagnostiqués entre août et octobre (4 026/11 158). Par année, cette proportion était stable jusqu’en 2012 (34-37%) pour ensuite ne représenter que 20% des cas en 2013, 25% en 2014 et 21% en 2015.

Caractéristiques des cas notifiés

L’âge moyen des 11 158 cas était de 25,2 ans (médian 20 ans, étendue 1-99). Chaque année, l’âge moyen a peu varié, de 22,7 ans à 27,3 ans.

Pour la période 2006-2015, le taux d’incidence moyen de notification par classe d’âge était de 2,3/100 000 pour les 0-4 ans, de 4,3 pour les 5-14 ans, de 2,0 pour les 15-24 ans, de 1,7 pour les 25-44 ans et de 0,7 pour les plus de 44 ans. Parmi les cas âgés de 15 ans et plus, les taux d’incidence moyens de notification étaient plus élevés chez les hommes que chez les femmes (figure 4).

Figure 4 : Taux d’incidence moyen des cas notifiés d’hépatite A par sexe et classe d’âge, France, 2006-2015
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Globalement, entre 2006 et 2015 et à l’exception de la classe d’âge >44 ans, les taux d’incidence de notification ont diminué dans toutes les classes d’âge (figure 5).

Figure 5 : Taux d’incidence des cas notifiés d’hépatite A par classe d’âge et par an, France métropolitaine, 2006-2015
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Au cours de la période 2006-2015, le taux d’incidence moyen de notification était de 1,9/100 000 chez les hommes et de 1,4/100 000 chez les femmes. Une tendance à la diminution des taux d’incidence de notification a été observée chaque année à partir de 2010 pour les deux sexes (hommes : 2,4 à 1,1 ; femmes : 1,5 à 1,1) (figure 2). Chaque année, les taux d’incidence de notification étaient plus élevés chez les hommes que chez les femmes, avec une différence moindre entre les deux sexes à partir de 2012 et identique en 2015 (1,1/100 000).

Au cours de la période 2006-2015, 76% des cas notifiés avaient un ictère associé ou non à des symptômes aspécifiques (asthénie, anorexie, fièvre, vomissements, douleurs abdominales, diarrhée), 19% avaient des symptômes aspécifiques sans ictère et 5% n’avaient ni ictère ni symptômes. Ces proportions sont restées stables au cours du temps (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques et expositions à risque des cas notifiés d’hépatite A par an, France, 2006-2015
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Globalement, 43% des cas ont été hospitalisés et cette proportion est restée stable sur la période (tableau 1). La proportion d’hospitalisation augmentait avec l’âge, 32% des moins de 15 ans vs 51% des 15 ans et plus (p<10-3).

Parmi les 4 641 cas âgés de 18 ans et plus dont la profession était connue, 1,3% étaient des professionnels de la petite enfance et 2,5% des professionnels de la restauration.

Expositions à risque dans les 2 à 6 semaines précédant le diagnostic

Quarante-six pourcent des cas avaient d’autre(s) cas dans leur entourage, dont 60% dans leur famille, 5% dans une collectivité d’enfants, 16% dans d’autres lieux (plus de la moitié vivant sur des sites d’accueil des gens du voyage) et, pour les 19% restants, une association de plusieurs lieux (par exemple famille et école etc.).

Un séjour hors métropole a été documenté pour 38% des cas. Parmi ceux-ci, 50% avaient voyagé au Maghreb, 27% en Afrique subsaharienne, 9% en Europe (dont 75% en Europe du Sud ou de l’Est), 1% dans les DOM-TOM et 13% dans un pays d’Asie ou des Amériques.

Parmi les autres expositions à risque, 28% des cas avaient un enfant de moins de 3 ans à domicile, 21% avaient consommé des fruits de mer (dont 46% des huîtres), 2% et 1% fréquentaient ou travaillaient respectivement dans un établissement pour personnes handicapées ou une crèche. La distribution des expositions à risque des cas par an est présentée dans le tableau 1.

La proportion de cas dans l’entourage diminue avec l’âge, passant de 72% chez les 0-4 ans à 18% chez les plus de 44 ans. La consommation de fruits de mer était plus fréquente parmi les 25 ans et plus (tableau 2).

Tableau 2 : Expositions à risque des cas d’hépatite A par classe d’âge, France, 2006-2015
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Parmi les cas ayant séjourné hors métropole, on observe une augmentation, de juillet à septembre, du nombre mensuel de cas dans les deux groupes d’âge (≤14 ans, plus de 14 ans) (figure 6). Cette augmentation a été suivie d’une chute brutale les deux mois suivants. Parmi les cas n’ayant pas voyagé, une augmentation plus tardive, entre août et novembre, a été observée parmi les seuls cas âgés de ≤14 ans.

Figure 6 : Distribution mensuelle des cas notifiés* d’hépatite A par notion de séjour hors France métropolitaine et par âge (14 ans, >14 ans), France, 2006-2015
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Cas identifiés comme cas groupés

Parmi les 11 158 cas notifiés, 3 597 soit 32% appartenaient à un épisode identifié de cas groupés. Chaque année, la part des cas groupés était relativement stable, comprise entre 28 et 37%. Soixante-et-un pourcent des cas groupés étaient âgés de ≤14 ans vs 31% des cas sporadiques (p<10-3).

À l’exception d’une augmentation observée en 2009, due à une épidémie communautaire dans plusieurs communes du département du Nord 9, le nombre de cas groupés est resté relativement stable au cours de la période 2006-2012 puis a fortement diminué entre 2012 et 2013 (-56%, 396 vs 253), suivi d’une stabilité pour la période 2013-2015 (figure 1). Le nombre de cas sporadiques, après un pic en 2009, a diminué progressivement jusqu’en 2014, puis brutalement en 2015 (-36%). Si l’on compare les tendances à la diminution entre 2009 et 2015, le nombre de cas groupés a diminué de 89% (472 vs 249) et celui de cas sporadiques de 117% (1 076 vs 496) (p=0,15).

Circulation des génotypes, 2006-2015

Pour la période 2006-2015, 2 440 cas d’hépatite A présentant des IgM VHA(+) et un ARN viral détectable ont pu être génotypés, avec des variations du nombre annuel de cas (figure 7).

Figure 7 : Distribution des génotypes VHA par an, 2006-2015
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Au cours de ces 10 années, le génotype majoritairement isolé était le génotype IA (62%), suivi des génotypes IB (25%), IIIA (12%) et IIA (1%). Le suivi de la circulation des souches a permis d’observer la persistance de certaines souches pendant plusieurs années, notamment la souche de génotype IA GQ506663, associée à plusieurs épisodes de cas groupés dans des populations vivant sur des sites d’accueil pour gens du voyage.

Durant cette période, le CNR a reçu 1 146 échantillons présentant des IgM VHA(+) et un ARN viral indétectable (31,9% des échantillons IgM VHA(+)). L’âge moyen de ces sujets était significativement plus élevé que celui des sujets IgM VHA(+) et ARN détectable, respectivement de 45,8±25 ans selon les années pour les cas non virémiques vs 25,3±17 ans pour les cas virémiques.

Dans de rares cas, la détection d’IgM VHA correspondait soit à des faux positifs soit à la détection d’IgM d’origine vaccinale ou encore à une infection semi-récente (avec une virémie déjà négative mais une avidité faible des IgG). Le plus souvent, une avidité élevée des IgG anti-VHA suggérait une infection ancienne, la détection des IgM étant alors liée à une activation polyclonale du système immunitaire.

Discussion

La mise en place, en novembre 2005, de la surveillance de l’hépatite A par la DO a permis d’estimer les taux annuels d’incidence des cas notifiés en France métropolitaine. Ces taux ont progressivement diminué à partir de 2009 pour atteindre en 2015 celui d’un pays de basse endémicité (1,1/100 000). Cette incidence est proche de celles observées en 2014 en Espagne (1,3) et en Lettonie (1,0) et elle se rapproche de celles de l’Allemagne (0,8), du Danemark (0,5), de la Finlande (0,5), de l’Irlande (0,5) et du Royaume-Uni (0,5) 10.

Le nombre de cas notifiés recensés est nécessairement une sous-estimation du nombre réel d’infections par le VHA car l’infection peut-être asymptomatique ou pauci-symptomatique et ne pas conduire à une consultation. Par ailleurs, certains cas notifiés peuvent ne pas être des cas d’hépatite A. En effet, la présence d’IgM anti-VHA s’explique alors par une réactivation immunitaire d’une contamination ancienne (activation polyclonale), surtout en l’absence de signe typique d’infection et d’exposition à risque.

Les incidences des cas notifiés les plus élevées ont été retrouvées chez les moins de 15 ans. Ce groupe d’âge est le plus touché en raison de la transmission féco-orale du virus, favorisée au sein des familles et des collectivités surtout chez les plus jeunes (apprentissage/non-respect des règles d’hygiène, infection asymptomatique/pauci-symptomatique plus fréquente). D’autre part, de nombreux cas groupés sont survenus dans des populations vivant sur des sites d’accueil dans des conditions sanitaires précaires, populations parmi lesquelles la proportion d’enfants est élevée. En effet, depuis 2006 des épisodes de cas groupés ont été identifiés soit ponctuellement soit tout au long de l’année dans ces populations en région Alsace (2008), Auvergne (2006, 2010, 2011), Bourgogne (2009), Bretagne (2010), Centre (2006, 2007, 2011), Champagne-Ardenne (2010), Haute-Normandie (2011, 2012), Languedoc-Roussillon (2006), Nord-Pas-de-Calais (2008, 2009, 2015), Pays-de-Loire (2012) et Poitou-Charentes (2012) 9,11,12,13. Les taux d’incidence moyens les plus élevés observés dans des départements de ces régions pendant la période 2006-2015 sont probablement en lien avec la survenue de ces épisodes. Entre 2013 et 2015, peu de régions ont été confrontées à des épisodes de cas groupés dans ces populations.

Les données épidémiologiques recueillies par la DO et par les investigations d’épisodes de cas groupés ont permis l’élaboration, en 2009, de recommandations vaccinales anti-hépatite A par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Dans un avis du 13 février 2009, la vaccination dans l’entourage familial d’un patient atteint d’hépatite A et dans les communautés de vie en situation d’hygiène précaire a été recommandée 14. De plus, un « Guide pour l’investigation, la prévention et l’appui à la gestion des cas d’hépatite A » a été élaboré en 2009 7. La DO permet de rappeler aux cas les mesures d’hygiène personnelle et collective à prendre et aussi de recommander une vaccination anti-hépatite A pour l’entourage.

Chez les 25-44 ans, le taux d’incidence des cas notifiés presque deux fois plus élevé chez les hommes que les femmes (2,1 vs 1,2) pourrait être expliqué par des cas survenus chez les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH), population à risque d’hépatite A. Dans cette tranche d’âge, les hommes ont déclaré moins souvent que les femmes la présence d’autres cas dans l’entourage (29% vs 45%) ou la présence d’enfants à domicile (18% vs 36%). Des cas d’hépatite A sont suspectés chez les HSH lors de l’observation d’une augmentation du sexe ratio homme/femme sur une période donnée et dans une même zone géographique. Cet indicateur a permis d’identifier des cas dans cette population, en particulier à Paris en 2008-2009, et cela a conduit à une incitation à la vaccination 15.

En 2017, comme dans plusieurs pays européens, une épidémie d’hépatite A de grande ampleur a touché à des degrés divers toutes les régions métropolitaines, avec une contribution importante de la transmission chez les HSH (voir encadré en fin d’article) 16. Dans le cadre d’un futur bilan de cette épidémie, une évolution de la DO pourrait être envisagée, en particulier le recueil de l’orientation sexuelle permettant d’identifier cette exposition à risque en dehors des épisodes de cas groupés chez les HSH.

Un peu plus d’un tiers des cas notifiés sur la période 2006-2015 a été diagnostiqué pendant les mois d’août-octobre, et 38% de ces cas ont déclaré avoir séjourné hors métropole dans les deux à six semaines précédant le diagnostic. Les séjours estivaux en zone d’endémie pour l’hépatite A sont responsables de l’augmentation des cas en août-octobre. Cette augmentation est suivie par un pic en novembre, en faveur d’une importante transmission secondaire à partir de ces cas importés, et observée uniquement parmi les moins de 15 ans n’ayant pas voyagé. L’étude nationale de séroprévalence 6 avait montré une faible exposition au VHA chez les plus jeunes, mais aussi le rôle des liens avec les pays d’endémie dans l’exposition à l’hépatite A de la population résidant en France. En effet, la séroprévalence était 3 fois plus élevée chez les 20-49 ans nés à l’étranger que chez ceux nés en France (80% vs 29%). La vaccination contre l’hépatite A est recommandée chez les adultes non immunisés et les enfants de plus d’un an voyageant en zone d’endémie 14. Le HCSP recommande aussi la vaccination des enfants « de familles dont l’un des membres (au moins) est originaire d’un pays de haute endémicité et qui seront susceptibles d’y séjourner ». Certains voyageurs peuvent ne pas se percevoir comme à risque pour eux-mêmes ou leurs enfants, en particulier les personnes originaires d’un pays d’endémicité élevée et qui y retournent pour les vacances. Le coût de la vaccination peut également représenter un obstacle. À Amsterdam, une vaccination ciblée est proposée depuis 1998 aux enfants âgés de moins de 16 ans d’origine turque ou marocaine. Depuis, une tendance globale à la diminution de l’incidence dans ce pays a été observée, mais avec persistance d’une incidence plus élevée parmi les enfants nés aux Pays-Bas dont les parents étaient originaires de l’un de ces pays 17.

Depuis 2009, l’incidence des cas notifiés d’hépatite A a diminué régulièrement, bien que la part des cas groupés soit restée stable. Cette baisse peut être due à une identification plus précoce des cas, entrainant l’application rapide des recommandations vaccinales. Dans une étude catalane, les auteurs suggèrent qu’un délai plus court de notification et une vaccination précoce sont associés à une durée plus brève de l’épisode de cas groupés 18. Par ailleurs, nous n’avons pas observé d’épidémies communautaires liées à une transmission de personne à personne à partir de 2010, sauf dans le département du Nord en 2015 13. Il est possible que l’application des recommandations vaccinales dans l’entourage familial d’un cas et dans des communautés de vie en situation d’hygiène précaire, dès la survenue des premiers cas, ait contribué à l’absence d’épidémie.

En conclusion, la stabilité des indicateurs de surveillance par la DO au cours du temps a permis le suivi des tendances, en particulier l’incidence des cas notifiés et des caractéristiques des groupes à risque. Malgré une sous-estimation importante du nombre réel d’infections, ce système de surveillance a permis la détection et l’investigation des épisodes de cas groupés pour la mise en place des mesures de contrôle. La tendance à la baisse de l’incidence peut être due à l’impact des recommandations vaccinales.

Il reste néanmoins important de s’assurer d’un bon accès à la vaccination des populations chez lesquelles elle est recommandée. Les perspectives d’évolution du système de surveillance pourraient viser à mieux identifier les cas groupés, en lien avec les investigations menées sur le terrain, et éventuellement à documenter l’orientation sexuelle dans la DO. Afin d’actualiser les politiques de prévention selon les évolutions épidémiologiques, il est essentiel de rappeler aux professionnels de santé l’importance et l’utilité de la DO.

Remerciements

Aux déclarants, aux Agences régionales de santé et aux Cellules d’intervention en région de Santé publique France (Cire) pour leur participation à la surveillance et aux investigations.

Références

1 Guillois-Bécel Y, Couturier E, Le Saux JC, Roque-Afonso AM, Le Guyader FS, Le Goas A, et al. An oyster-associated hepatitis A outbreak in France in 2007. Euro Surveill. 2009; 14(10):pii=19144.
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Encadré :
Épidémie d’hépatite A en France et en Europe en 2017. Point d’actualité au 13/11/2017

Depuis février 2017, la France et plusieurs pays européens observent une augmentation importante du nombre de cas d’hépatite A, touchant en particulier les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH).

Du 1er janvier au 31 octobre 2017, 2 980 cas d’hépatite A ont été recensés par la déclaration obligatoire. Le nombre de cas d’hépatite A déclarés au cours des 10 premiers mois de 2017 est quatre fois supérieur au nombre total de cas déclarés au cours de l’année 2016 (697 cas).

Cette épidémie concerne majoritairement les hommes, qui représentent 2 355 (79%) des 2 980 cas déclarés en 2017. L’orientation sexuelle ne fait pas partie des informations recueillies dans le cadre de la déclaration obligatoire. Cependant, des cas groupés chez les HSH sont évoqués lorsqu’on observe une augmentation du sexe-ratio H/F.

L’augmentation du sexe-ratio H/F constatée chez les 18-55 ans (3,8 en 2017 vs 1 en 2016) et les résultats des premières investigations de cas groupés suggèrent très fortement que la population des HSH est la plus touchée par cette épidémie, en France comme dans les autres pays d’Europe (figure).

Figure : Sexe-ratio H/F des cas d’hépatite A âgés de 18 à 55 ans, France, 2016-2017
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Citer cet article

Couturier E, Mouna L, Letort MJ, Van Cauteren D, Roque-Alfonso AM, et al. Dix premières années de surveillance de l’hépatite A par la déclaration obligatoire, France, 2006-2015. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(5):68-77. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/5/2018_5_1.html