Qui sont les utilisateurs de l’autotest VIH parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes en France ? Résultats de l’Enquête Rapport au sexe 2017
// Who are the users of the HIV self-test among men who have sex with men in France? Results of the 2017 survey on the Relationship to Sex
Résumé
La mise à disposition, en septembre 2015, d’autotests VIH à la vente sans ordonnance en pharmacie devait contribuer à accroître le recours au dépistage, en particulier chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) pour lesquels la recommandation actuelle est d’un test tous les trois mois. En 2016, environ 75 000 autotests ont été vendus sans que l’on connaisse les caractéristiques des acheteurs. L’objectif de cet article est de décrire les caractéristiques des HSH qui ont utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage du VIH et les facteurs associés à cette utilisation. Les données sont issues de l’enquête Rapport au sexe, enquête en ligne transversale et anonyme, auto-administrée et basée sur le volontariat.
Au début de l’année 2017, 5,0% des HSH interrogés avaient utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage du VIH. Il s’agissait de HSH aux profils très différents : jeunes jamais dépistés mais intéressés par les outils démédicalisés, hommes rapportant une activité sexuelle importante ayant déjà une familiarité avec le dépistage, HSH réticents à l’idée de se rendre dans des centres de santé.
Ces résultats montrent l’intérêt de cet outil et plaident pour une disponibilité plus large, incluant la distribution secondaire. Cette dernière, qui consiste en la redistribution à ses partenaires et connaissances d’un autotest, devrait être évaluée si on considère qu’elle peut favoriser une meilleure diffusion de l’autotest et que cet outil pourrait occuper une place plus importante dans le dispositif de dépistage français.
Abstract
In September 2015, the availability of HIV self-tests procured in pharmacies without prescription was expected to increase the use of testing, particularly among men who have sex with men (MSM) for whom the current recommendation is one test every three months. In 2016, around 75,000 self-tests were sold without anyone knowing the characteristics of the buyers. The purpose of this article is to describe the characteristics of MSM who used a self-test at their last HIV screening and the factors associated with it. The data come from the survey on the Relationship to Sex, a cross-sectional and anonymous online survey, self-administered and voluntary.
At the beginning of 2017, 5.0% of MSM surveyed had used a self-test during their last HIV screening. These MSM had very different profiles: young people never screened, but interested in non-medical tools, men reporting significant sexual activity already familiar with screening, MSM reluctant to go to health centers.
These results show the interest for this tool and plead for a wider availability, including secondary distribution. The latter, which consists in the redistribution to one’s partners and knowledge of a self-test, should be evaluated if we consider that it can promote a better diffusion of the self-test and that this tool could play a more important role in the French screening system.
Introduction
Depuis l’apparition en 1985 des premiers tests de diagnostic de l’infection par le VIH, le dépistage occupe une place centrale dans les politiques de lutte contre le sida. Cependant, le modèle des années 1980, qui mettait l’accent sur l’initiative volontaire, le consentement et le counseling, a laissé la place au paradigme du « test and treat » (1), au fur et à mesure de l’accumulation des évidences scientifiques : le traitement précoce au cours de l’infection VIH améliore le pronostic à long terme 1 et les personnes avec une charge virale durablement contrôlée ne transmettent pas le VIH à leur(s) partenaire(s) 2. Dès 2006, le Conseil national du sida rendait un avis en faveur de l’élargissement des propositions de dépistage 3. En 2009-2010, la Haute Autorité de santé (HAS) recommandait un dépistage de l’ensemble de la population générale « au moins une fois dans la vie » (dépistage universel) et un dépistage régulier pour les populations les plus exposées (dépistage ciblé) 4. Réactualisées en 2017, les recommandations insistent désormais sur la nécessité d’augmenter la fréquence du dépistage, en particulier pour les hommes qui ont des rapports sexuels avec les hommes (HSH) pour lesquels un test tous les trois mois est conseillé 5. Pour ce faire, la HAS suggère de s’appuyer sur l’ensemble de l’offre de dépistage disponible : test en laboratoire de biologie médicale, test en Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD), test rapide d’orientation diagnostique (TROD) à l’extérieur des lieux de soins, autotest de dépistage du VIH (ADVIH). La mise à disposition, en septembre 2015, des ADVIH sans ordonnance en pharmacie a été précédée d’un long débat traitant de questions éthiques (performance, accompagnement, usages détournés), stratégiques (rapport bénéfices/ risques, place dans le dispositif de dépistage) et organisationnelles (accompagnement, distribution, acteurs), alors même que les études disponibles montraient la très bonne acceptabilité de ce nouvel outil 6,7. De par son aspect pratique, rapide et anonyme, l’ADVIH semblait pouvoir répondre aux attentes de nombreux HSH : HSH peu ou jamais dépistés, vivant leur sexualité dans le secret 8, ou HSH à haut risque d’acquisition du VIH, déjà engagés dans une démarche de dépistage, pour lesquels l’autotest était perçu comme une option supplémentaire plutôt qu’un remplacement du dépistage classique 9,10. Des réticences étaient cependant exprimées (erreurs potentielles de manipulation, validité du test, absence de counseling) et son coût élevé dans la plupart des pays était souvent rapporté comme un frein à son utilisation 7. En France, les premiers autotests ont été commercialisés au prix de 28 € en moyenne et environ 75 000 autotests ont été vendus en 2016 (2), sans que l’on connaisse les caractéristiques des acheteurs.
L’objectif de cet article est de décrire les caractéristiques des HSH qui ont utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage du VIH et les facteurs associés à cette utilisation, à partir des données de l’Enquête Rapport au sexe (ERAS).
Méthodes
ERAS est une enquête transversale anonyme, auto-administrée, basée sur le volontariat. Elle a été réalisée du 16 février au 31 mars 2017 sous la responsabilité scientifique de Santé publique France, avec le soutien de l’Agence nationale de recherches sur le sida (France Recherche Nord & Sud sida-HIV hépatites). Les hommes ont été recrutés via les réseaux sociaux, sites et applications de rencontres gays. Ils étaient invités à remplir un questionnaire en ligne sur un site Internet dédié à l’enquête (http://www.enquete-prevention.fr). Ce questionnaire comprenait quatre grandes parties : les caractéristiques sociodémographiques, le mode de vie et la socialisation, les comportements sexuels et préventifs au cours des six derniers mois et au cours du dernier rapport selon le type de partenaire (stable ou occasionnel), le dépistage du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles (IST) au cours de la vie et des 12 derniers mois. Les caractéristiques du dernier test étaient renseignées : date, lieu de réalisation, type de test utilisé et résultat.
Seuls les hommes ayant eu au moins un rapport sexuel avec un homme dans les 12 mois précédant l’enquête et ayant réalisé un dépistage pour le VIH au cours de la même période ont été inclus dans les analyses (N=7 916). Plusieurs ensembles de variables ont été considérés dans l’analyse des facteurs associés à l’utilisation d’un autotest lors du dernier dépistage au cours des 12 derniers mois :
–des caractéristiques sociodémographiques : âge, niveau d’études, lieu de naissance, taille de la commune de résidence, situation financière, situation familiale ;
–des variables sur la socialisation : autodéfinition de l’orientation sexuelle, entourage amical, fréquentation des sites Internet et/ou applications de rencontres, lieu de rencontre du dernier partenaire ;
–des informations sur les comportements sexuels et préventifs : nombre de partenaires au cours des six derniers mois, utilisation d’une méthode de protection au dernier rapport sexuel. Nous avons considéré, pour la construction de cet indicateur, l’ensemble des méthodes de protection désormais disponibles : le préservatif, la prophylaxie pré-exposition (PrEP), le traitement comme outil de prévention pour les hommes séropositifs (Treatment as Prevention, TaSP) et le traitement post-exposition (TPE). Le dernier rapport sexuel était défini par la pratique de la fellation, la pratique de la pénétration anale active et passive, le fist ou une autre pratique hard ;
–les antécédents de dépistage : le nombre de tests VIH réalisés dans les 12 mois précédant l’enquête, la réalisation d’un dépistage des autres IST (infections à Chlamydia et à gonocoques, syphilis, hépatite C et HPV) dans l’année ;
–une question d’opinion sur les services de prise en charge dont la formulation était : « À votre avis, pour les homosexuels, aujourd’hui, par rapport à il y a quelques années, les services spécialisés (CeGIDD, services hospitaliers, activités associatives) prennent mieux en compte leur santé sexuelle ».
Les variables qualitatives ont été comparées avec un test du Chi2 de Pearson. Les variables significatives au seuil de 10% lors de l’analyse bivariée ont été intégrées à un modèle de régression logistique binaire. Toutes les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel Stata® 13.1.
Résultats
Au total, 18 069 hommes ont complété le questionnaire de l’enquête. Les répondants à ERAS étaient jeunes (30 ans en médiane), majoritairement nés en France (93%) et diplômés de l’enseignement supérieur (65%). Ils s’identifiaient comme homosexuels à 80% et étaient sexuellement actifs (plus de 94% ont déclaré des rapports sexuels au cours des 12 derniers mois). Les hommes sexuellement actifs étaient majoritairement multipartenaires (62%), rapportant trois partenaires sexuels en médiane dans les six derniers mois. Pour près de 6 hommes sur 10 (59,2%), le dernier rapport sexuel n’avait fait l’objet d’aucune protection. Par ailleurs, moins de la moitié (49%) ont déclaré avoir réalisé un test de dépistage du VIH au cours de l’année passée. Parmi ces derniers (N=7 916), 5% avaient utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage.
Le pourcentage d’hommes ayant utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage variait selon l’âge, les hommes les plus jeunes (18-19 ans) ayant été les plus nombreux à faire ce choix (7,4%) (tableau). À l’inverse, les hommes les plus âgés (45-49 ans) était les moins nombreux à y avoir recours (3,9%). Les hommes se disant célibataires au moment de l’enquête déclaraient un recours plus important à l’autotest que les hommes dans d’autres situations familiales, mais il s’agit d’un effet d’âge, cette association disparaissant dans les analyses multivariées qui tiennent compte de la structure par âge des répondants. Les autres caractéristiques sociodémographiques étaient peu discriminantes, y compris la situation financière déclarée ou la taille de la commune de résidence.
Le recours à l’autotest était influencé par les variables caractérisant la socialisation des HSH et, en particulier, leur fréquentation des sites et applications de rencontre. Ainsi, les hommes qui fréquentaient régulièrement les sites ou applications de rencontre ont plus souvent utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage que ceux qui ne les fréquentaient jamais ou occasionnellement (5,9 vs 4,0%).
Le recours à l’autotest était également lié au nombre de partenaires déclaré au cours des six derniers mois, et ce indépendamment des autres variables. Ainsi, la proportion d’hommes ayant utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage était de 3,3% parmi les monopartenaires contre 5,5% parmi ceux ayant eu deux partenaires ou plus.
Le recours à l’autotest était également influencé par la manière dont les hommes protégeaient leurs rapports sexuels. Les hommes sous PrEP bénéficiant d’un suivi trimestriel incluant un dépistage du VIH et des autres IST étaient peu nombreux à avoir utilisé l’autotest (1,2%). C’est parmi les hommes qui ont déclaré avoir recouru à un TPE lors de leur dernier rapport sexuel que l’on trouvait le pourcentage le plus important d’usagers de l’autotest (6,3%), suivis de ceux qui avaient utilisé le préservatif (5,3%) et de ceux ayant déclaré n’avoir utilisé aucune méthode de protection (5,2%).
Le choix de l’autotest était aussi associé aux comportements de dépistage antérieurs. Les hommes déclarant ne pas avoir fait de dépistage des IST (autre que le VIH) dans les 12 mois précédant l’enquête étaient significativement plus nombreux à avoir choisi l’autotest que ceux indiquant en avoir fait au moins un (14,8% vs 2,5%). Quant aux hommes ayant fait plusieurs tests de dépistage du VIH dans l’année, ils n’étaient pas plus nombreux à avoir choisi l’autotest que ceux n’en ayant déclaré qu’un seul (4,9% vs 5,6%, différence non significative).
Enfin, les HSH qui considéraient que les services spécialisés ne prennent pas mieux en compte la santé des homosexuels que par le passé étaient sensiblement plus nombreux à avoir utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage que ceux qui considéraient que cette prise en charge s’est améliorée (6,2% vs 4,8, p=0,06).
Discussion
Au début de l’année 2017, seuls 5,0% des HSH sexuellement actifs et dépistés dans l’année avaient utilisé un autotest lors de leur dernier dépistage du VIH. Ce pourcentage est inférieur à celui observé dans une autre étude française réalisée en ligne en 2016-2017, dans laquelle 9% des HSH interrogés indiquaient avoir utilisé un ADVIH au cours de leur vie 11. Cependant, les deux indicateurs ne sont pas strictement comparables et l’indicateur retenu dans l’enquête ERAS, ne considérant que le dernier dépistage, sous-estime le niveau global d’utilisation. Au-delà de la France, les niveaux d’utilisation rapportés dans la littérature restent modestes. Par exemple, aux États-Unis en 2015, 9,7% des HSH interrogés dans l’enquête eStamp ont déclaré avoir utilisé un autotest au cours des 12 derniers mois 12 alors même que les ADVIH sont disponibles à la vente depuis 2012 13.
En France, c’est parmi les jeunes de 18-19 ans que l’on trouve le pourcentage d’utilisateurs le plus important (7,4%) et on peut formuler l’hypothèse qu’il s’agit, pour au moins une partie d’entre eux, d’un premier test de dépistage. Il serait intéressant de connaître les motivations de ces jeunes qui ont choisi l’autotest, plutôt qu’une autre modalité de dépistage, pour réaliser leur premier test. L’autonomie qu’il procure, la confidentialité, la disponibilité d’un résultat immédiat sont les avantages le plus souvent mis en avant par les usagers 7. Ces avantages perçus favorisent l’accès au dépistage des hommes qui n’ont jamais été dépistés auparavant, dans des proportions variant de 7% à 28% selon les contextes 14.
Dans ERAS, aucune différence d’utilisation n’a été observée selon le niveau socioéconomique, contrairement à ce qui a été documenté aux États-Unis, où l’utilisation de l’ADVIH était moindre parmi les hommes les plus faiblement éduqués, aux revenus les plus modestes ou ne disposant pas d’assurance maladie 12. Le prix, bien que relativement élevé, ne semble donc pas avoir été un frein au choix de l’autotest dans notre population. On peut cependant faire l’hypothèse que l’arrivée récente sur le marché d’un autotest à un coût moindre et sa mise à disposition gratuite par les associations et des structures de dépistage amélioreront son accessibilité et permettront à un nombre plus important d’hommes de s’en saisir. L’accessibilité est un enjeu majeur pour la diffusion d’un nouvel outil et cette dernière passe aussi par sa disponibilité. Or, seule la moitié des pharmacies françaises proposaient des autotests à la vente en 2016 (3).
Les HSH qui ont choisi l’autotest pour leur dernier test présentaient un niveau d’exposition au VIH et autres IST élevé, compte tenu du nombre de partenaires qu’ils rapportaient et du faible niveau de protection de leur dernier rapport sexuel. Ce même profil d’utilisateurs a été retrouvé dans de nombreuses études 12,15,16 et ce résultat était attendu si on considère que ces mêmes hommes avaient manifesté un intérêt pour les ADVIH avant même leur arrivée sur le marché. Reste à savoir si, pour ces hommes, l’autotest vient en remplacement d’un dépistage conventionnel ou s’il permet véritablement d’accroître leur fréquence du dépistage à hauteur d’un dépistage trimestriel, tel que le recommande la HAS.
Enfin, pour une partie des hommes interrogés, le choix de l’autotest semble relever d’une certaine distance avec le système de santé, se traduisant par un faible dépistage des autres IST. Il peut s’agir d’hommes qui vivent leur homosexualité dans le secret 8, dans des contextes de discrimination importante 17, ou qui ont des réserves quant à la prise en charge de la santé des homosexuels comme semblent l’indiquer nos données. Aucun autotest pour les IST autres que le VIH n’étant homologué, la mise à disposition de kits d’auto-prélèvement devrait être envisagée pour permettre à ces hommes d’accéder à une offre complète de dépistage. De tels dispositifs existent dans plusieurs pays 18 et sont actuellement expérimentés en France 19.
Ces résultats comportent certaines limites. Ils ne peuvent être généralisés à l’ensemble de la population HSH, même si la campagne de recrutement a permis d’inclure un nombre important d’hommes avec des profils et des modes de vie diversifiés. Elle a également permis d’interroger plus d’hommes jeunes que dans les précédentes enquêtes sur les HSH réalisées en France 20,21, ce qui explique, sans doute en partie, le faible taux de recours au dépistage rapporté par notre échantillon dans l’année (49%).
À peine plus d’un an après sa mise sur le marché, l’autotest était un outil relativement peu utilisé. Sa mise à disposition a cependant permis de toucher des HSH aux profils très différents : jeunes jamais dépistés mais intéressés par les outils démédicalisés, hommes rapportant une activité sexuelle importante et ayant déjà une familiarité avec le dépistage, HSH réticents à l’idée de se rendre dans des centres de santé. Cela montre l’intérêt de cet outil et plaide pour une disponibilité plus large incluant la distribution secondaire. Cette dernière, qui consiste en la redistribution d’un ADVIH à ses partenaires et connaissances, devrait être évaluée, si on considère qu’elle peut favoriser une meilleure diffusion de l’autotest et que cet outil pourrait occuper une place plus importante dans le dispositif de dépistage français.
Remerciements
Nous remercions l’ANRS (France Recherche Nord & Sud sida-HIV hépatites) pour son soutien, via notamment la mise à disposition d’un poste de moniteur d’études en sciences sociales, ainsi que tous les hommes qui ont pris le temps de répondre à cette enquête.