Enquête de santé publique post-attentats du 13 novembre 2015 (ESPA 13-Novembre) : premiers résultats concernant les intervenants

// Public health survey (ESPA 13 November) following the 13 November 2015 terrorist attacks: preliminary results on first responders

Yvon Motreff1,2 (yvon.motreff@santepubliquefrance.fr), Philippe Pirard1,3, Thierry Baubet3,4, Groupe 13-Novembre, Pierre Chauvin2, Stéphanie Vandentorren1,2
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Inserm, Sorbonne Université, Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (iPLESP), Équipe de recherche en épidémiologie sociale, Paris, France
3 CESP Inserm 1178, "Santé mentale et santé publique", Villejuif, France
4 Université Paris 13, EA4403, APHP Hôpital Avicenne, Bobigny, France
Cette étude est partie intégrante du Programme 13-Novembre, financé par le Programme investissements d’avenir via l’Agence nationale de la recherche. Pour plus d’informations : www.memoire13novembre.fr.
Soumis le 28.06.2018 // Date of submission: 06.28.2018
Version mise à jour le 11 janvier 2019. Remplace la version publiée le 13 novembre 2018.

Mots-clés : Attentats | Trouble de stress post-traumatique | Intervenants | Enquête de santé publique | Web-questionnaire
Keywords: Terrorist attacks | Post-traumatic stress disorder | First responders | Public health study | Web-questionnaire

Résumé

Des milliers d’intervenants des secours et des forces de l’ordre ont été mobilisés suite aux attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. Afin d’estimer l’impact psychologique de ces évènements, le recours aux soins et l’utilisation des dispositifs d’accompagnement, l’Enquête de santé publique post-attentats du 13 novembre (ESPA 13-Novembre) a été menée auprès de ces intervenants. Cet article présente les caractéristiques sociodémographiques de cette population, la prévalence des troubles de stress post-traumatiques (TSPT) et décrit les facteurs de vulnérabilité pour le TSPT.

L’enquête s’est déroulée de juillet à novembre 2016. Pour informer sur l’existence de l’enquête, une campagne médiatique et une information, via un relais dans chaque institution participante, ont été menées. Les personnes volontaires éligibles à l’enquête étaient âgées de 16 ans ou plus et étaient intervenues en lien avec les attentats la nuit du 13 novembre ou dans les trois semaines qui ont suivi. Les caractéristiques sociodémographiques, les antécédents psychologiques, les conditions d’intervention, la préparation aux événements traumatogènes, le soutien social et l’état psychologique actuel ont été recueillis au moyen d’un questionnaire en ligne sécurisé. Le TSPT a été mesuré par la PCL-5 (Post-Traumatic Stress Disorder Checklist Scale, version DSM-5).

Au total, sur les 837 personnes ayant commencé à répondre à l’enquête, 698 ont complété le questionnaire : 34% étaient des professionnels de santé, 30% des sapeurs-pompiers de Paris, 20% des associatifs de protection civile, 14% des forces de l’ordre et 2% des agents des villes de Paris ou Saint-Denis. Les prévalences de TSPT variaient de 3,5% à 9,9% selon le type d’intervenant. L’intensité de l’exposition, la non-préparation aux événements traumatogènes et l’isolement social étaient associés au TSPT.

Ces résultats exploratoires suggèrent l’importance du soutien social ainsi que la préparation à la gestion du stress et aux conséquences des traumatismes psychiques. Des analyses complémentaires sont actuellement menées pour confirmer ces premiers résultats.

Abstract

Following the November 13 2015 Paris terrorist attacks, thousands of first responders (rescue and law enforcement staff) intervened in Paris and Saint-Denis. A public health survey on first responders was set up. Its aims was to assess: 1) the psychological impact of these terror attacks on responders and associated factors, 2) the use of supports and health care by first responders. This paper presents the sociodemographic characteristics of this population, the prevalence of post-traumatic stress disorders (PTSD), and describes the vulnerability factors for PTSD.

The study was carried out between July and November 2016. A media campaign and information were conducted to inform about the survey via a relay in each participating institution. The volunteers eligible for the survey were aged 16 or older and had intervened in connection with the attacks on the night of 13 November or within three weeks. They answered a highly secured web questionnaire about sociodemographic characteristics, psychiatric history, intervention’s conditions, preparedness, social support and current psychological state. PTSD was measured with the PCL-5 (Post-Traumatic Stress Disorder Checklist Scale, DSM5 version).

Among the 837 persons that started to answer the survey, 698 individuals completed the questionnaire: 34% were health professionals, 30% from the Paris fire brigade, 20% from civil protection association, 14% from police forces and 2% from the staff of the cities of Paris and Saint-Denis). Prevalence of PTSD was estimated to be between 3.5% and 9.9% in the different populations. PTSD was associated with exposure, preparedness to psycho-traumatic events and social support (bivariate analyses).

These exploratory results suggest the importance of training all the categories of first responders about stress management and consequences of psychotrauma. Further analyses are underway to confirm these preliminary results.

Introduction

Le bilan des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis fait état de 130 morts, de plus de 400 blessés physiques et de milliers de blessés psychiques. Dans la nuit du 13 novembre 2015, des milliers d’intervenants ont été mobilisés pour sécuriser les scènes de crimes, apporter les premiers secours d’urgence et les premiers soutiens psychologiques. Dans les jours et semaines qui ont suivi, la mobilisation est restée importante : poursuite des soins et des enquêtes judiciaires, mise en place des dispositifs de soutien et réhabilitation des lieux des attaques.

Depuis les années 2000, plusieurs études se sont intéressées au trouble de stress post-traumatique (TSPT) affectant les intervenants suite à des actes terroristes. Cependant, la littérature sur ce sujet reste parcellaire : la majorité des articles concerne les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et certaines publications sur ces attentats se basent sur les mêmes participants 1.

Le TSPT est une pathologie pouvant devenir chronique et sa prévalence, suite à une exposition à des actes intentionnels, a tendance à augmenter au cours de la première année suivant l’exposition 2.

Entre deux et trois ans après les attentats du 11 septembre 2001, la prévalence du TSPT était de 12,4%, allant de 6,2% pour les forces de l’ordre à 21,2% pour les volontaires spontanés 3. Les forces de l’ordre intervenues pour porter secours lors des attentats de Madrid en 2004 présentaient une prévalence du TSPT de 1,3% après 5 à 12 semaines 4. La prévalence du TSPT parmi les ambulanciers intervenus suite aux attentats de Londres en 2005 était de 6% 5. Suite aux attentats du 22 juillet 2011 à Oslo et sur l’île d’Utøya, une étude menée auprès des intervenants a montré une prévalence du TSPT allant de 0,4% à 15% selon le type d’intervenant 6. Les différentes études montraient que les prévalences du TSPT parmi les intervenants variaient notamment en fonction de l’exposition, du corps d’appartenance et du type d’attentat.

La menace terroriste continuant de peser sur la France, Santé publique France a lancé une grande enquête de santé publique auprès des populations touchées par les attentats du 13 novembre 2015, y compris auprès des intervenants, afin de mesurer l’impact sanitaire et l’utilisation des dispositifs de prise en charge et de soutien. Les résultats permettront d’aider les institutions amenées à intervenir après un attentat à améliorer la prise en charge et la préparation de leur personnel.

Cet article présente les premiers résultats de l’enquête de santé publique post-attentats du 13 novembre (ESPA 13-Novembre) concernant les intervenants :

caractéristiques sociodémographiques des participants ;

distribution des facteurs de vulnérabilité pour le TSPT ;

prévalence du TSPT et les facteurs associés (analyses bivariées).

Cette enquête s’inscrit dans le programme 13-Novembre, programme de recherche transdisciplinaire qui se déroulera sur 12 ans 7.

Méthode

L’ESPA 13-Novembre a été lancée le 7 juillet 2016 et le recueil des données s’est terminé le 10 novembre 2016, soit 8 à 12 mois après les attaques. Ce délai entre la survenue des attentats et la réalisation de l’enquête était nécessaire pour obtenir l’ensemble des autorisations indispensables ainsi que pour préparer et tester le web-questionnaire. Par ailleurs, au-delà de six mois la plupart des TSPT qui doivent apparaitre sont apparus (apparition rare après six mois) et sont chroniques (si leur durée d’évolution est supérieure à six mois) 8.

Pour informer sur l’existence de l’enquête, une campagne médiatique et une information, via un ou plusieurs relais dans chaque institution participante, ont été menées.

Pour participer à l’enquête, les personnes devaient être âgées de 16 ans ou plus et être intervenues en lien avec les attentats la nuit du 13 novembre ou dans les trois semaines qui ont suivi.

A été définie comme intervenante toute personne ayant, dans le cadre de son activité professionnelle ou associative, été mobilisée la nuit du 13 novembre 2015 ou dans les trois semaines qui ont suivi :

pour assurer la prise en charge physique ou psychologique des victimes des attentats et de la population exposée sur le site des attentats ou dans les structures de prise en charge ;

pour sécuriser les lieux des attaques ou mener les enquêtes judiciaires ;

pour réhabiliter les lieux des attaques.

Les personnes ayant participé à la prise en charge physique ou psychologique des personnes exposées à l’assaut de la police du 18 novembre 2015 étaient également concernés. Cet assaut était dirigé contre des membres de la cellule terroriste des attentats du 13 novembre.

Les personnes remplissaient alors au moins un critère A du TSPT tel que défini dans la 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) 8, à savoir avoir été confronté à la mort ou à une menace de mort, à une blessure grave d’une ou plusieurs des façons suivantes : 1) en étant directement exposée à un ou plusieurs événements traumatisants ; 2) en étant témoin direct d’un ou plusieurs événements traumatisants ; 3) en apprenant qu’un (ou plusieurs) événements traumatisants étaient arrivés à un membre de sa famille proche ou un ami proche ; 4) en étant exposée de manière répétée ou extrême à des détails horribles d’un événement traumatisant. Un questionnaire d’inclusion en ligne permettait de vérifier ces conditions d’éligibilité et de recevoir le consentement de la personne. Si la personne acceptait de participer, elle devait indiquer son numéro de téléphone portable pour recevoir par SMS un one-time password (OTP) permettant de valider sa participation à l’étude et d’accéder au web-questionnaire d’enquête. Il était possible de remplir ce questionnaire en ligne en plusieurs fois sur tout support connecté à Internet (ordinateur, tablette, smartphone). Un dossier d’information sur l’enquête, le psychotraumatisme et les dispositifs d’aides médico-psychologiques était disponible sur le site de Santé publique France 9.

Le questionnaire recueillait les caractéristiques sociodémographiques, les antécédents psychologiques, les conditions d’intervention (exposition), la préparation des intervenants à ce type d’intervention et à leurs conséquences, le soutien social, l’état psychologique actuel de la personne et le recours aux soins. La durée de remplissage du questionnaire était comprise entre 20 minutes et une heure, selon le vécu de la personne et sa propension à répondre aux questions ouvertes (texte libre sur la prise en charge, les conséquences sur les enfants, sur les changements qu’ont induits les attentats, témoignage libre, etc.). Le TSPT a été mesuré au moyen de la PCL-5 (Post-Traumatic Stress Disorder Checklist Scale, version DSM-5) 10, utilisée en catégorielle. Cette échelle est composée de 20 questions (codées de 0=« pas du tout » à 4=« extrêmement »). Un diagnostic de TSPT peut être approché en traitant comme un symptôme chaque question cochée à 2 (modérément) ou plus, puis en suivant les règles de diagnostics du DSM-5 qui requièrent au minimum : un item du critère B (reviviscence : questions 1-5), un item du critère C (évitement : questions 6-7), deux items du critère D (altérations négatives persistantes dans les cognitions et l'humeur : questions 8-14) et deux items du critère E (hyperréactivité : questions 15-20).

Tout au long de la durée de l’enquête, une permanence téléphonique spécifique à l’enquête, disponible du lundi au samedi de 10h à 22h, était assurée par des psychologues formés au psychotraumatisme. L’objectif de cette permanence téléphonique était de pouvoir assister les personnes dans la complétion du questionnaire, leur fournir un soutien psychologique téléphonique immédiat en cas de détresse lors du remplissage du questionnaire et les orienter vers une structure de soin si nécessaire.

Le web-questionnaire a été développé sous Voozanoo 4 par Epiconcept. Compte tenu des enjeux politiques et de sécurité des données liés au contexte de cette enquête, l’ensemble de l’application informatique a fait l’objet d’un audit externe de sécurité.

Cette enquête a reçu l’avis favorable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et d’un comité de protection des personnes (numéro d’amendement 7035/3/3283).

Les analyses ont été réalisées sous SAS® Enterprise Guide 7.11. Les comparaisons de proportions ont été réalisées avec un test du Chi2 et les comparaisons de moyennes par une analyse de variance. Pour étudier l’association entre les facteurs de vulnérabilité et le TSPT, des régressions logistiques univariées ont été menées.

Résultats

Participation

Le questionnaire d’inclusion a été validé par 837 personnes éligibles. Sur ces 837 inclusions, 96% (n=802) ont commencé à remplir le questionnaire épidémiologique. Pour les analyses, 698 individus ont été conservés après avoir exclu :

une personne n’ayant pas renseigné son institution d’appartenance ;

les personnes ne remplissant finalement pas les critères d’inclusion (n=3) ;

et celles n’ayant pas complété leur exposition et au moins un indicateur sanitaire (n=100).

Le tableau 1présente la participation par institution.

Tableau 1 : Répartition des participants à l’enquête ESPA 13-Novembre en fonction du type d’intervenant (n=698)
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Les professionnels de santé représentaient plus du tiers de notre échantillon, avec des profils très différents : personnels intra-hospitaliers, réservistes sanitaires de Santé publique France étant intervenus à la cellule interministérielle d’aide aux victimes (Ciav), psychiatres ou psychologues des cellules d’urgence médico-psychologiques (Cump), Samu.

L’ensemble des intervenants des associations de protection civile était bénévole et une majorité s’est rendue sur le terrain en tant que secouriste (91%), le reste en tant qu’acteur social (9%).

La majorité des forces de l’ordre de notre échantillon appartenait soit à la police judiciaire de la police nationale soit à la police judiciaire de la préfecture de police de Paris (67%), et 20% faisaient partie de services de police de proximité (Direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne, Direction de l'ordre public et de la circulation, Compagnie républicaine de sécurité). Les autres personnels de la police appartenaient à la Brigade de recherche et d’intervention, au Laboratoire central de la préfecture de police de Paris ou n’avaient pas indiqué leur service d’appartenance.

Compte tenu du faible effectif des personnes des villes de Paris et Saint-Denis, la suite des analyses ne les prend pas en compte.

Caractéristiques sociodémographiques

Le tableau 2 présente les caractéristiques sociodémographiques par catégories d’intervenants. La proportion de femmes était plus élevée chez les professionnels de santé et le personnel était plus jeune parmi les associatifs et les sapeurs-pompiers de Paris. Toutes institutions confondues, très peu de personnes n’avaient pas le baccalauréat. Cependant, les professionnels de santé présentaient un niveau d’études supérieures plus élevé. On observait une proportion moins importante de personnes en couple chez les associatifs.

Tableau 2 : Caractéristiques sociodémographiques des participants à l’enquête ESPA 13-Novembre en fonction du type d’intervenant (n=679)
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Expositions

Les moments et les conditions d’intervention suite aux attentats différaient selon les institutions (tableau 3). Trois quarts des sapeurs-pompiers de Paris sont intervenus alors que les lieux n’étaient pas encore sécurisés la nuit du 13 novembre, à l’inverse des professionnels de santé qui ont été 8% à intervenir dans ces conditions. Un peu plus de la moitié des bénévoles associatifs sont intervenus alors que les lieux n’étaient pas encore sécurisés. Les membres des forces de l’ordre se sont répartis uniformément entre intervention sur des lieux pas encore sécurisés la nuit du 13 novembre, intervention sur lieux sécurisés ou à distance la nuit du 13 novembre et intervention dans les trois semaines qui ont suivi.

Tableau 3 : Exposition selon la catégorie d’intervenant, enquête ESPA 13-Novembre (n=673)
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Parmi les intervenants, 9% ont également craint pour la vie de leurs proches ou ont perdu un proche dans ces attentats : 55 personnes ont eu un proche qui a été directement menacé par les terroristes et 14 personnes sont endeuillées (ont perdu un proche). La proportion de personnes ayant perdu un proche était plus élevée parmi les associatifs (p=0,09) et celle ayant eu un proche menacé était plus haute parmi les forces de l’ordre (p=0,14).

Antécédents psychologiques et antécédents traumatogènes

Globalement, quels que soient les intervenants, les prises de médicaments psychotropes au moins une fois pendant une période de plus de six mois avant les attentats étaient plutôt faibles (5%).

Concernant les antécédents de suivi psychologique, la proportion de personnes ayant été suivies par un psychologue ou un psychiatre au moins une fois pendant plus de six mois variait selon le type d’intervenants : de 4% chez les sapeurs-pompiers de Paris à 15% chez les professionnels de santé (p<0,01).

Près de la moitié (44%) des intervenants avaient été confrontés, avant les attentats, à un événement traumatogène au cours de leur vie. Cette proportion est plus élevée chez les sapeurs-pompiers de Paris (49%) et les policiers (60% ; p<0,01).

Presque un tiers des personnes étaient déjà intervenues suite aux attentats de janvier 2015. Cette proportion est plus importante pour les associatifs (43%) et les forces de l’ordre (50% ; p<0,001).

Préparation

Les volontaires associatifs étaient les plus nombreux à avoir reçu une formation spécifique sur les risques psychosociaux (78% contre 62% des professionnels de santé et sapeurs-pompiers de Paris et 24% parmi les forces de l’ordre ; p<0,0001). Les mêmes ordres de grandeur ont été observés quant à la sensibilisation aux conséquences psychologiques que les personnes pourraient voir apparaître suite à une intervention traumatogène. Tous types d’intervenants confondus, 30% déclaraient avoir été formés à assurer des premiers secours psychologiques. Cette proportion variait selon le type d’intervenants : 3% parmi les forces de l’ordre, 20% parmi les sapeurs-pompiers de Paris, 47% chez les professionnels de santé et 49% chez les associatifs (p<0,0001). Plus des trois quarts des intervenants connaissaient une personne susceptible de leur apporter une aide sur les risques psychosociaux (proportion variant de 57% chez les forces de l’ordre à 88% chez les associatifs ; p<0,0001).

Support social

Au moment de l’enquête, d’une manière générale, les intervenants se sentaient bien entourés : 90% se disaient « plutôt entourés » ou « très entourés ». Cette proportion était plus faible chez les forces de l’ordre (79%) et les associatifs (85% ; p<0,001).

Trouble de stress post-traumatique

Globalement, 5% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [3,6-6,9]) des intervenants présentaient un TSPT (tableau 4). Cette proportion était plus élevée pour les forces de l’ordre (9,9% ; p=0,12).

Tableau 4 : Répartition des personnes souffrant d’un trouble de stress post-traumatique par catégorie d’intervenant, enquête ESPA 13-Novembre (n=664)
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Les analyses bivariées suggéraient une association positive entre l’absence de TSPT et la sensibilisation aux risques psychosociaux, la connaissance d’une personne ressource sur ces risques, la sensibilisation aux conséquences psychologiques suite à une intervention traumatogène, la formation aux premiers secours psychologiques ainsi que le soutien social. À l’inverse, le faible niveau d’étude, les antécédents psychiatriques et le fait d’être intervenu sur des lieux pas encore sécurisés étaient associés à la survenue de TSPT (tableau 5).

Tableau 5 : Analyses bivariées comparant les personnes ayant un trouble de stress post-traumatique (TPST) à celles n’en ayant pas, enquête ESPA 13-Novembre
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Discussion

Nos résultats montrent des proportions de TSPT allant de 3,5% [1,7-7,0] chez les sapeurs-pompiers de Paris à 9,9% [5,3-17,7] parmi les forces de l’ordre, 8 à 12 mois après les attaques. Ces résultats semblent concordants avec les travaux menés après les attentats de janvier 2015 où 3% des intervenants présentaient un TSPT 11. Par rapport aux attentats du 11 septembre 2001, excepté pour les policiers, les prévalences de TSPT sont inférieures : 6,2% pour les policiers, 14,1% pour les services d’urgence médicale et 9,1% pour les associatifs (la Croix-Rouge et l’Armée du Salut notamment), deux à trois ans après les attentats du 11 septembre 3 et 9,8% pour les pompiers un an après le 11 septembre 12. En revanche, nos prévalences sont supérieures à celles retrouvées après les attentats de Madrid 4 et d’Oslo/Utøya 6. Ces disparités pourraient s’expliquer en partie par les natures différentes des attentats 1 et des expositions, ainsi que par la diversité des missions et rôles des intervenants selon les pays.

Ces chiffres de prévalence sont aussi à interpréter avec précaution car il est difficile d’évaluer la représentativité de notre échantillon au regard de la diversité et du nombre des intervenants amenés à travailler suite aux attentats du 13 novembre, ainsi que du mode de recrutement pour l’enquête, basé sur le volontariat et s’appuyant principalement sur des relais dans les institutions pour diffuser l’information. Il n’a pas été possible d’évaluer le taux de participation pour les professionnels de santé ni pour les forces de l’ordre en raison des nombreux services impliqués dans ces institutions. En revanche, la participation était d’environ 25% chez les sapeurs-pompiers de Paris, 30% parmi les associatifs de la Croix-Rouge et les réservistes sanitaires de Santé publique France.

Comme la plupart des études post-attentats sur les intervenants, nous retrouvons une association entre le TSPT et le niveau d’exposition aux attentats 3,5,6. L’hétérogénéité des caractéristiques sociodémographiques entre les différents types d’intervenants ne permet pas de mettre en évidence certains facteurs classiquement retrouvés associés au TSPT tels que le jeune âge ou le sexe 6. De même, le nombre de personnes endeuillées (n=14) dans notre échantillon ne nous permet pas de montrer une association entre la survenue d’un TSPT et la perte d’un proche 13. Les antécédents psychologiques ainsi que le soutien social n’ont pas été souvent recueillis auprès des intervenants, mais ils sont des facteurs connus de TSPT parmi la population civile. Les formations aux risques psychosociaux et aux conséquences psychologiques ressortiraient comme des facteurs protecteurs du TSPT. Les forces de ces associations ont pu être accentuées par le fait que les personnes souffrant du TSPT ont pu se sentir moins bien formées. Il se peut également que certaines personnes aient pu être formées à ce type de risque sans pour autant s’en souvenir ou l’avoir identifié comme une formation ad hoc. Les formations de ce type sont assez hétérogènes et chaque personne peut en avoir une définition différente. Certaines études ont abordé les questions de formation, mais sous des formes différentes des nôtres, ce qui rend les comparaisons difficiles. En Norvège, le fait d’avoir déjà fait des interventions de ce type a été un facteur protecteur. Suite aux attentats du 13 novembre, une autre étude sur l’impact psychologique à un mois sur le personnel soignant (hospitalier et associatif) a mis en évidence qu’être médecin ou infirmier est un facteur protecteur d’apparition de symptômes du TSPT par rapport à ceux qui ont bénéficié uniquement d’une formation aux premiers secours 14.

Forces et perspectives

Bien que notre étude puisse présenter un biais de recrutement, une de ses forces est d’avoir obtenu la participation des différents acteurs amenés à répondre aux attentats du 13 novembre 2015. En effet, compte tenu du mode d’information des potentiels participants, il est probable que certaines personnes n’ont pas eu l’information sur l’étude. De même, en raison d’un état psychologique trop fragile, certains ne participent pas à ce genre d’enquête dans les mois qui suivent mais pourraient y répondre par la suite 15. Le suivi de cohorte, qui est prévu pour l’année 2019, devrait permettre d’inclure des non-participants de la première vague. En effet, ce suivi interrogera les personnes ayant pris part à cette étude ainsi que toute nouvelle personne souhaitant participer.

Ces premiers résultats exploratoires suggèrent qu’une importance particulière devrait être accordée par les différentes institutions au soutien social, ainsi qu’à la préparation à la gestion du stress et aux conséquences des traumatismes psychiques. Ces résultats devront être confirmés par des analyses multivariées et complétés par l’étude d’autres événements de santé : troubles de stress post-traumatique subsyndromiques, symptômes d’anxiété, symptômes dépressifs, pensées suicidaires et plaintes somatiques. Enfin, une autre partie des analyses portera sur les facteurs freinant ou favorisant le recours aux soins psychologiques. La présentation aux intervenants de ces résultats ainsi que les analyses qualitatives des questions ouvertes devraient permettre de mieux interpréter nos résultats et d’orienter nos pistes de recherche.

Remerciements

Les auteurs remercient l’ensemble des personnes du groupe de travail ayant aidé à la construction de cette enquête : APHP et Cump (G. Barbry-Abgrall, L. Bernard-Brunel, A. Botero, C. Dendoncker, M. Grohens, J. Geneste, S. Molenda, A. Rochedreux, L. Zeltner), Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (M. Petitclerc), Croix-Rouge française (L. Simeoni, R. Duhamel, A. Carvalho), La protection civile de Paris (E. Labonne), Police nationale (F. Foullon, C. Pinson), Service de santé des armées (F. De Montleau, L. Ollivier), Fenvac (S. Gicquel, G. Le Jan), Paris aide aux victimes (C. Damiani), France victimes (I. Sadowski, J. Palacin), Ose (E. Ghozlan, A. Meimoun), Ville de Paris (V. Istria, M. Prudhomme), Ville de Saint-Denis (S. Jung), Université de Strasbourg (MF. Bacqué), Université de Lyon (JL. Terra), Ministère de la Justice (E. Bousquier, M. Chateaux), Santé publique France (T. Cardoso, J. Carré).
Les auteurs remercient tout particulièrement « Life for Paris », « 13 onze 15 : fraternité et vérité », Françoise Rudetzki et l’Association française des victimes du terrorisme.
Les auteurs remercient Gabrielle Rabet pour sa relecture attentive du manuscrit.
Les auteurs remercient le conseil scientifique (B. Falissard, C. Chan-Chee, JJ. Chavagnat, N. Dantchev, F. Ducrocq, I. Khireddine-Medouni, L. Jehel, N. Prieto, L. Stene) et le comité de pilotage de l’enquête ; l’ensemble des psychologues intervenus sur le terrain de l’enquête et ayant assuré la permanence téléphonique (A. Ravaud, I. Barbosa, T. Baungally, B. Bazile, P. Bellet, J. Chaib, G. Malka, K. Miquelis, C. Rousseau, A. Tollance, C. Viardot et A. Vidal).
Les auteurs remercient l’ensemble des participants.

Références

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Citer cet article

Motreff Y, Pirard P, Baubet T, Groupe 13-Novembre, Chauvin P, et al. Enquête de santé publique post-attentats du 13 novembre 2015 (ESPA 13-Novembre) : premiers résultats concernant les intervenants. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(38-39):756-64. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/38-39/2018_38-39_3.html