Enquête de santé publique post-attentats du 13 novembre 2015 (ESPA 13-Novembre) : trouble de santé post-traumatique, impact psychologique et soins, premiers résultats concernant les civils

// Public health survey after the 13 November 2015 terrorIST attacks (ESPA 13 November): post-traumatic stress disorder, psychological impact and care, first results concerning civilians

Philippe Pirard1,2 (philippe.pirard@santepubliquefrance.fr), Yvon Motreff1,3, Céline Lavalette1, Stéphanie Vandentorren1,3, Groupe 13-Novembre, Thierry Baubet2,4, Antoine Messiah2
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 CESP Inserm 1178, Santé mentale et santé publique, Villejuif, France
3 Inserm, Sorbonne Université, Institut Pierre Louis d’Épidémiologie et de santé publique (iPLESP), Équipe de recherche en épidémiologie sociale, France
4 Université Paris 13, EA4403, APHP Hôpital Avicenne, Bobigny, France
Cette étude est partie intégrante du Programme 13-Novembre, financé par le Programme investissements d’avenir via l’Agence nationale de la recherche. Pour plus d’informations : www.memoire13novembre.fr.
Soumis le 21.06.2018 // Date of submission: 06.21.2018
Version mise à jour le 11 janvier 2019. Remplace la version publiée le 13 novembre 2018.

Mots-clés : Attentats | Trouble de stress post-traumatique | Civils | Enquête de santé publique | Web-questionnaire
Keywords: Terrorist attacks | Post-traumatic stress disorder | Civilians | Public health study | Web-questionnaire

Résumé

Huit à 11 mois après les attentats de novembre 2015, Santé publique France a lancé, entre le 7 juillet et le 10 novembre 2016, une Enquête de santé publique post-attentats. Cette enquête par web-questionnaire et basée sur une participation volontaire concernait la population dont les expositions répondaient au critère A du trouble de stress post-traumatique (TSPT) tel que défini dans le DSM-5 (exposition à la mort ou à une blessure grave). Ses objectifs étaient d’estimer l’impact psychologique et de mieux connaître l’utilisation des dispositifs de soins et les facteurs associés à cette utilisation. Cet article présente les premiers résultats concernant les membres de la population civile (hors personnel intervenant et soignant) ayant participé à cette enquête.

La population concernée a été informée de l’étude via les médias, les associations de victimes, les associations d’aide aux victimes, les relais médicaux volontaires ainsi que grâce à des visites aux cafés et auprès des résidents adjacents aux lieux d’attentats. Les volontaires devaient remplir un questionnaire d’inclusion sur le site Internet de Santé publique France, puis accédaient à un questionnaire épidémiologique. Celui-ci renseignait sur leurs caractéristiques sociodémographiques, leurs antécédents psychologiques, leur exposition aux attaques et à leurs conséquences, leur santé mentale – PTSD Checklist for DSM-5 (PCL-5), Hospital Anxiety and Depression scale (HAD), Prigerson’s Inventory of Complicated Grief (ICG) – et leur utilisation des dispositifs de soins médico-psychologiques.

L’impact était important, avec un trouble de stress post-traumatique (TSPT) probable pour 54% des menacés directs (directement visés, blessés), 27% des témoins sur place et 21% des témoins à proximité. Pour les endeuillés (c’est-à-dire les personnes ayant perdu une personne qu’elles considéraient comme proche) sans autre exposition, la prévalence du TPST probable était de 54%. Un possible deuil compliqué (score supérieur à 25 au questionnaire de Prigerson) était observé chez 66% de ces endeuillés. Parmi les personnes atteintes d’un TSPT probable, 46% déclaraient ne pas avoir engagé de traitement régulier avec un psychologue ou un médecin. Cette proportion était plus importante pour les témoins sur place et à proximité (63%) et pour les endeuillés non exposés directement (46%) que pour les menacés directs (33%).

Ces premiers résultats suggèrent un besoin de renforcer et d’élargir le dispositif d’accès aux soins à moyen terme.

Abstract

Eight to 11 months after the terrorist attacks of November 2015 Santé publique France launched a post-attack public health survey between 7 July and 10 November 2016. The study targeted persons whose exposure corresponded to DSM-5 criterion A (exposure to death or to severe injuries) for PTSD. Its objectives were to assess the psychological impact of these attacks on responders and the mental health care use by these persons. This article presents the preliminary results regarding civilian victims (except health care and rescue staff) who participated in the study.

The study was announced to the concerned population via media campaigns, victims' associations, victims’ support associations, voluntary medical relays, and visits to cafés and residents adjacent to the terrorist attacks. Volunteers had to respond to a web-questionnaire available on “Santé publique France” website. After having answered an inclusion questionnaire, participants were asked questions on socioeconomic characteristics, previous trauma and mental health history, mental health (PTSD checklist for DSM-5 (PCL-5) Hospital anxiety and depression scale (HAD), Prigerson’s Inventory of complicated grief (ICG), using standard thresholds for each scale), health care utilization, exposures to the attacks, losses and life consequences.

The impact was significant with a likely post-traumatic stress disorder (PTSD) for 54% of direct (directly targeted, injured) victims exposed, 27% of on-site witnesses and 21% of nearby witnesses. For the bereaved (ie persons who lost a person whom they considered close) without any other exposure, the prevalence of the probable PTSD was 54%. A possible complicated mourning (score greater than 25 on the Prigerson questionnaire) was observed in 66% of these mourners. Of those with probable PTSD, 46% reported not having regular treatment with a psychologist or doctor. This proportion was higher for witnesses on site et nearby (63%) and for the mourners with no direct exposure (46%) than for the people directly threatened (33%). These initial results suggest a need to strengthen and expand access to medium-term health care.

Introduction

Le 13 novembre 2015, trois explosions ont eu lieu à proximité du Stade de France (Saint-Denis) et une dans un café du boulevard Voltaire (Paris). Les terroristes ont également mitraillé plusieurs restaurants et cafés des rues de Charonne, de la Fontaine au Roi, Bichat et Alibert, et ont attaqué le Bataclan. Au total, 130 personnes ont été tuées, plus de 400 ont été blessées physiquement et des milliers de personnes ont été exposées directement (menacées, témoins) ou indirectement (endeuillées, ami proche) à cet évènement traumatique.

Parmi les conséquences en santé mentale des attentats, le trouble de stress post traumatique (TSPT) a été le plus étudié. Ce syndrome, défini dans le DSM-5 1, peut survenir chez des personnes qui ont été exposées à la mort ou à une menace de mort, à une blessure grave ou à des violences sexuelles. Il se manifeste par des pensées intrusives, des conduites d’évitement, des réactions neurovégétatives intenses ainsi que des altérations cognitives et de l’humeur, qui durent au moins un mois et handicapent la vie quotidienne 2. Ce trouble a été constaté dans la population exposée aux attentats de Paris dans les années 1980-1990, comme de New-York, de Madrid ou d’Utøya en Norvège dans les mois qui ont suivi ces événements 3. Le TSPT est fréquemment chronique et la prévalence de cette pathologie au cours de la première année semble augmenter après des évènements traumatisants classés comme « intentionnels » 4. Le TSPT peut avoir de lourdes répercussions sur les relations familiales et sociales, les capacités de travail ainsi que sur la survenue de comorbidités (troubles addictifs, dépression, idées suicidaires et troubles somatiques) 5.

Même en l’absence de TSPT, l’exposition à de tels événements peut induire des épisodes dépressifs caractérisés, des troubles anxieux et des conduites addictives 3. Chez les endeuillés par un évènement terroriste, le deuil peut être concomitant à une exposition directe (donc potentiellement traumatique) à l’évènement ; mais même lorsque le sujet n’est pas présent, la mort soudaine et violente d’un proche peut être considérée en elle-même comme une exposition traumatique (DSM-5). Le deuil dans des conditions traumatiques est davantage susceptible de se compliquer dans son évolution 6.

Il est donc important de dépister le TSPT et les autres morbidités chez les personnes fortement exposées, directement (menacées, témoins) ou indirectement (endeuillées, proches d’une victime directe). Ce dépistage permet de proposer un traitement et une prise en charge qui atténuent l’intensité, la durée et les complications sociales de l’ensemble des morbidités post-traumatiques.

Les expertises collectives 7 préconisent une prise en charge du TSPT par des soins adaptés et d’une durée de plusieurs mois après l’exposition à un évènement traumatisant. Dans le mois qui a suivi les attentats de novembre 2015, les Cellules d’urgence médico-psychologique (Cump) ont été déployées et des lieux d’accueil de terrain ad hoc ont été mis en place pour proposer un soutien psychologique à ces personnes ; au-delà de ce premier mois, les autorités sanitaires ont confié leur prise en charge au dispositif de santé mentale existant.

Afin de documenter les effets psychologiques des attentats de novembre 2015 et l’utilisation des services de soin, et d’orienter les réponses de santé publique à apporter à de tels événements, Santé publique France a lancé entre le 7 juillet et le 10 novembre 2016 (8 à 11 mois après les évènements) l’Enquête de santé publique post-attentats du 13 novembre (ESPA 13-Novembre), par questionnaire Web auprès des personnes fortement exposées (intervenants et civils). Ses objectifs étaient d’estimer, parmi les répondants, l’impact psychotraumatique de ces attentats et de mieux connaître l’utilisation des dispositifs de soins ainsi que les facteurs associés à cette utilisation.

Cet article présente les premiers résultats concernant l’impact psychotraumatique et l’utilisation des soins médico-psychologiques suivis et réguliers pour les répondants civils.

Méthode

La méthodologie de cette enquête s’inspire de celle développée pour l’étude IMPACTS (Investigation des manifestations sanitaires post-attentats et accompagnement des conduites thérapeutiques ou de soutien) menée 6 à 10 mois après les attentats survenus à Paris et en région parisienne en janvier 2015 (voir l’article de S. Vandentorren et coll. dans ce numéro). Elle a été adaptée aux conditions d’une interview par Web-questionnaire. La population concernée par l’enquête est celle dont l’exposition lors des attentats du 13 novembre répondait au critère A de la définition du DSM-5 d’un TSPT : les personnes qui avaient été directement menacées ou blessées (A1), les témoins directs de l’événement (A2), les personnes ayant appris brutalement l’implication dans ces événements d’une personne qu’elles considéraient comme proche, voire sa disparition (A3). Il a de plus été proposé de participer à l’enquête aux résidents civils qui ont été témoins de l’opération de police du 18 novembre effectuée dans un immeuble de la ville de Saint-Denis afin de neutraliser une cellule terroriste liée aux attentats. En effet, le personnel communal de cette ville avait alerté sur l’importance des expositions et de l’impact que cette intervention avait eu auprès des riverains des lieux de l’opération. L’enquête concernait aussi les personnes qui, étant intervenues dans la réponse à ces attentats, étaient ou avaient été exposées de façon répétée ou extrême aux caractéristiques aversives de l’événement. L’analyse de l’impact sur cette population spécifique fait l’objet d’un autre article du même numéro (Y. Motreff et coll.).

Une information et une proposition de participation à destination de ces personnes ont été faites par Santé publique France au moyen de différents modes de contact. Des annonces ont été passées dans les médias (radio, télévision, presse). Une démarche active a été conduite auprès des relais d’information privilégiés des civils (associations de victimes, associations d’aide aux victimes). Les coordonnateurs des Cump de certains départements, y compris hors Île-de-France (78, 93, 94, 95, 63, 69, 86), qui ont pu être contactés et l’ont accepté ont envoyé un courrier aux personnes vues en urgence dont elles avaient conservé l’adresse. Comme pour l’étude IMPACTS 3, une démarche active de partage d’information sur le terrain a été menée auprès des restaurants touchés, associée à une distribution de courriers dans les boites aux lettres des résidents dans un rayon de 100 mètres autour de chaque lieu touché.

Toutes les personnes qui consultaient le site Web de Santé publique France avaient accès à une information sur les impacts possibles de l’exposition à ce type d’événement et sur les moyens de recourir à des soins (http://invs.santepubliquefrance.fr/Dossiers-thematiques/Populations-et-sante/Actes-terroristes/Faire-face-a-des-evenements-choquants). La personne volontaire pour participer était invitée à remplir, sur le site web de Santé publique France, un questionnaire d’inclusion qui permettait de vérifier ses conditions d’exposition. Elle était ensuite orientée vers un questionnaire renseignant les coordonnées (courriel ou adresse postale, numéro de téléphone) permettant de la recontacter en vue d’une éventuelle deuxième phase de recueil et vers un questionnaire épidémiologique distinct du précédent. À tout moment du remplissage, elle avait accès à une ligne téléphonique permettant si besoin un soutien par des psychologues spécifiquement formés. Cette enquête a reçu l’avis favorable de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et d’un Comité de protection des personnes (numéro d’amendement 7035/3/3283).

Le questionnaire renseignait sur :

les données sociodémographiques (âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle et activité, niveau d’études) ;

l’exposition :

factuelle : lieu de l’attentat, faits relatés (directement blessé ou menacé, a dû se cacher, exposition sensorielle (vue, toucher, audition)), perte d’un proche…

subjective, par une description du souvenir de la réaction du système nerveux autonome lors de l’exposition aiguë à l’événement (échelle de score module A3 du Shortness of breath, Tremulousness, Racing heart and Sweating rating Scale (STRS-A3) 8, ainsi que des symptômes dissociatifs (Peritraumatic Dissociative Experience Questionnaire (PDEQ)) 9 ;

les antécédents d’exposition à d’autres événements psycho-traumatiques ou d’au moins six mois de suivi psychologique ou de traitements médicamenteux psychotropes ;

la qualité perçue du réseau de soutien social ;

l’impossibilité de travailler, la modification de consommation de substances psychoactives, la présence de problèmes physiques (12 manifestations) (1) et la perception de leur lien avec l’événement ;

la PCL-5 (Post-Traumatic Stress Disorder Checklist Scale, version DSM-5), dont les 20 questions explorent la présence des symptômes liés au TSPT le mois précédent en proposant une échelle de réponse pour chaque question allant de 0 (« pas du tout ») à 4 (« extrêmement »). Un « TSPT probable » était défini par un score total supérieur à 32. De plus, il fallait que la personne ait au moins une réponse positive à l’une des quatre questions demandant si les symptômes entrainaient des difficultés dans les relations avec les familles, les amis, le travail ou dans la vie quotidienne (= critère G du diagnostic du TSPT dans le DSM-5). Cette définition du TSPT probable était aussi considérée comme justifiant un traitement du TSPT 2,10;

l’échelle Hospital Anxiety and Depression Scale11 qui permet de détecter la présence d’une symptomatologie anxieuse ou une symptomatologie dépressive certaine et justifiant un bilan et une prise en charge par un clinicien. Ces symptomatologies étaient respectivement définies par un score strictement supérieur à 10 à la sous-échelle d’anxiété (HAD-a) ou à celle de dépression (HAD-d) 12 ;

l’échelle Inventory of Complicated Grief (ICG) de Prigerson, qui explore la présence de symptômes pouvant alerter sur un possible deuil compliqué (symptômes de deuil sévères et handicapants persistant plus de six mois après la mort d’un être aimé). Le seuil d’alerte était défini à 26 13. La traduction française a fait l’objet d’une validation 14 ;

la prise en charge par du personnel de santé en urgence immédiate, lors de la visite dans l’un des centres d’accueil mis à disposition, lors d’une hospitalisation, ou d’une visite médico-psychologique spontanée en ville ou à l’hôpital ;

l’engagement ou pas de soins médico-psychologiques réguliers s’ils étaient encore en cours, et leur durée sinon ;

Les analyses ont été réalisées sous SAS® Enterprise Guide 7.11 : analyses bivariées à partir du Chi2 pour les variables qualitatives et analyses de variance pour les variables quantitatives.

Résultats

Au total, 575 civils ont répondu au questionnaire. La figure 1 montre que les réponses se sont échelonnées dans le temps et ont surtout été influencées par les campagnes d’information via les relais privilégiés. Le recours au service téléphonique de soutien psychologique a été très faible (15 appels).

Figure 1 : Évolution de la participation journalière à ESPA 13-Novembre pour les civils, du 7 juillet au 10 novembre 2016
Agrandir l'image

Les 49 réponses qui, après analyse des questionnaires, ne permettaient pas d’identifier l’exposition ont été exclues. Parmi les 526 répondants restants, 222 ont été exposés à l’attaque du Bataclan (143 étaient à l’intérieur), 70 rue Alibert/Bichat, 53 rue de la Fontaine au Roi, 52 rue de Charonne, 26 aux alentours du Stade de France, 23 boulevard Voltaire et 28 lors de l’intervention de la police le 18 novembre à Saint-Denis. Dans l’échantillon, 132 personnes se sont déclarées endeuillées d’une personne qu’elles considéraient comme proche et 246 avaient une personne qu’elles considéraient comme proche impliquée dans les attentats. Enfin, 45 personnes ont déclaré avoir été blessées, dont 27 hospitalisées.

Parmi les répondants, 32% (169) ont été directement menacés ; 27% (141) ont été témoins sur les lieux mêmes, 18% (98) témoins à proximité (résident, dans la rue) et 22% (118) sans exposition directe mais soit endeuillés (95) soit proches d’un menacé direct (23).

Parmi les répondants, on comptait 167 hommes et 356 femmes (sex-ratio H/F de 0,47) (tableau 1). L’âge médian était de 38 ans [min=17, max=79]. La moitié (54%) des personnes vivaient en couple, 78% étaient en activité professionnelle, 82% ont fait des études supérieures au Bac, 10% avaient le niveau Bac et 8% étaient titulaires d’un CAP, BEP, CEP ou sans diplôme.

Concernant le soutien social, 25% des répondants déclaraient se sentir seul ou très seul ; 23% des personnes avaient déjà été, avant les attentats, suivies pendant plus de 6 mois pour un problème psychologique et 21% avaient déjà eu un traitement de plus de 6 mois pour dépression, anxiété ou trouble du sommeil.

Tableau 1 : Variables sociodémographiques, support social et antécédents des participants civils à ESPA 13-Novembre (N=526)
Agrandir l'image

Un « TSPT probable » a été observé pour 54% des menacés directs (51% pour les blessés sur les lieux mêmes de l’attentat), 27% des témoins sur place et 21% des témoins à proximité (tableau 2). La prévalence de cette pathologie était de 54% pour les endeuillés sans autre exposition. La symptomatologie dépressive (HAD-d>10) était aussi fréquente, avec des prévalences de 49% chez les endeuillés, 36% chez les menacés et 26% chez les témoins sur les lieux ou à proximité. Une augmentation ou une initiation du recours à une consommation de substances psychoactives (alcool, cannabis et autre, médicaments) était de 43%. Les répondants non blessés physiques étaient 83% à déclarer des troubles physiques dont l’apparition ou l’aggravation était, selon eux, liée aux attentats. Blessés exclus, le nombre moyen de problèmes physiques déclarés était de 4,0 pour les endeuillés, 4,7 pour les menacés, 3,5 pour les témoins directs, 3,0 pour les témoins à proximité. Chez les endeuillés, 8 à 11 mois après les événements, 66% présentaient un deuil compliqué probable (score ICG >25).

Tableau 2 : Impact sanitaire des événements sur les civils répondants, selon l’exposition, ESPA 13-Novembre
Agrandir l'image

Parmi les personnes qui occupaient un emploi, 56% affirmaient avoir eu un arrêt de travail dans les suites des attentats et 5% ne pouvaient pas retourner travailler au moment où elles ont rempli le questionnaire.

Parmi les endeuillés avec un TSPT probable, 81% présentaient un deuil compliqué probable (score ICG>25) contre 51% sans TSPT. Parmi les personnes avec un TSPT, 54% présentaient des symptômes dépressifs élevés, contre 20% chez les sujets sans TSPT.

Les facteurs plus fréquemment associés à un TSPT probable étaient : le sexe féminin, être employé ou technicien, avoir des antécédents de traitement pour dépression, stress ou de suivi psychologique, avoir vécu une situation difficile l’année précédant les attentats, avoir un sentiment d’isolement social (tableau 3). De même, les scores aux échelles STRS-A3 et PDEQ ainsi que le nombre de symptômes somatiques exprimés étaient statistiquement plus élevés chez les personnes présentant un TSPT probable.

Tableau 3 : Caractéristiques associées au trouble de stress post-traumatique (TSPT) chez les civils répondants, ESPA 13-Novembre
Agrandir l'image

Sur les 475 personnes qui ont répondu à la question, 159 (33%) déclaraient avoir engagé des soins médico-psychologiques réguliers et 67% ne pas l’avoir fait. Parmi les personnes atteintes d’un « TSPT probable », 77 (46%) déclaraient ne pas avoir engagé de traitement médico-psychologique régulier avec un psychologue ou un médecin. Cette proportion était plus importante pour les témoins sur les lieux ou à proximité (63%) et pour les endeuillés non exposés directement (46%) que pour les menacés directs (33%). Le recours aux soins était associé au nombre de problèmes physiques listés (tableau 4).

Tableau 4 : Facteurs associés aux traitements réguliers parmi les civils répondants présentant un trouble de stress post-traumatique (TSPT), ESPA 13-Novembre
Agrandir l'image

En listant les 110 raisons exprimées pour expliquer un non-recours à des soins réguliers pour les personnes atteintes d’un TSPT probable (figure 2), 28% se référaient au fait que « ce n’était pas le bon moment » ou à des modalités qui ne convenaient pas, 20% à l’absence de besoin éprouvé, 14% au fait qu’on ne leur ait pas proposé, 12% évoquaient des raisons psychologiques (comme l’absence de légitimité au regard d’expositions jugées plus graves, une gêne à engager un traitement pour des raisons psychologiques, un mauvais contact avec un premier thérapeute), 11% évoquaient des difficultés d’accès pratique aux soins, 11% des raisons financières. Enfin 4% étaient déjà suivis avant les événements.

Figure 2 : Raisons exprimées parmi les civils répondants pour ne pas avoir engagé de traitement régulier malgré un trouble de stress post-traumatique (TSPT) probable, ESPA 13-Novembre
Agrandir l'image

Discussion

Les résultats montrent un impact important des attentats sur la santé mentale des répondants, aussi bien chez les personnes directement menacées que chez les témoins et les endeuillés. Les prévalences observées de TSPT probable (score PCL-5>32 et gêne associée dans la vie quotidienne) dépassent les valeurs observées dans l’année qui suit les attentats dans les autres études (de 12 à 39% chez les personnes directement exposées et de 17 à 29% parmi les proches des victimes tuées ou blessées 15)ou les prévalences mesurées dans l’étude IMPACTS (voir l’article de S. Vandentorren et coll. dans ce numéro). La sévérité des expositions vécues par la population concernée par cette enquête explique ces résultats, mais le mode de sélection de l’enquête, basée sur le volontariat, ne permet pas de généraliser ceux-ci à l’ensemble de la population concernée. En effet, les plus souffrants peuvent ressentir qu’il est trop difficile ou trop tôt pour répondre, ce qui peut correspondre aux symptômes d’évitement d’un TPST. A contrario, les moins souffrants peuvent se sentir moins intéressés ou moins légitimes pour participer.

Il n’a pas été possible d’avoir accès à une liste des victimes afin de pouvoir la comparer à la liste des répondants 16. Bien qu’en l’occurrence la taille de la population éligible pour l’enquête soit de plusieurs milliers de personnes et qu’aucune liste existante ne soit exhaustive, une telle comparaison aurait sans doute permis d’observer une éventuelle plus grande propension chez les femmes que chez les hommes à participer volontairement à ce type d’enquête et d’en estimer la contribution au ratio homme-femme observé. Les échelles par auto-questionnaires sont utilisées pour identifier des personnes qui pourraient bénéficier d’une prise en charge de leurs troubles ainsi dépistés.

Le web-questionnaire ne permet pas d’examen clinique, qui est la méthode de diagnostic de référence. Les échelles sont considérées comme valables pour un dépistage des principaux troubles mentaux rencontrés avec une bonne sensibilité et une bonne spécificité 2,10,13,17 et les résultats habituellement trouvés par auto-passation ne semblent pas différents des études ayant recours à un clinicien en face à face 18. En revanche, l’utilisation d’un web-questionnaire est réputée faciliter la réponse aux questions intimes en comparaison avec un face-à-face 16. Davantage de recherches sont nécessaires pour tester les propriétés psychométriques des échelles et des seuils proposés pour une population aussi spécifique que les exposés aux actes de violence de masse, notamment en comparant pour la même personne les réponses aux échelles par web avec un examen clinique structuré à visée diagnostique.

Les informations apportées par les résultats de cette enquête sont utiles pour l’action. Le fait que de nombreuses personnes aient déclaré avoir dû interrompre leur travail alerte sur l’importance de l’impact des événements sur l’intégration sociale des exposés. Une forte proportion de personnes a déclaré être allée consulter un médecin pour des troubles somatiques qu’elle considérait liés à l’exposition aux attentats. Ce résultat montre un impact sanitaire plus large que les seuls troubles mentaux. Cet impact influe sur la consommation de soins. Il montre l’intérêt de sensibiliser et de former les médecins au dépistage et à l’orientation vers les dispositifs de prise en charge adéquats des troubles de santé mentale dont peuvent souffrir les personnes exposées à ces événements.

Une proportion notable des témoins présentaient un TSPT probable qui justifierait une prise en charge, alors que nos résultats montrent une moindre proportion de suivi régulier chez ces personnes, ainsi que chez les endeuillés, par rapport aux personnes directement menacées. Ce résultat indique qu’il faudrait consacrer des efforts plus importants au dépistage et à la prise en charge de témoins et des personnes indirectement exposées.

Les facteurs de risques associés au TSPT identifiés dans cet échantillon sont retrouvés dans la littérature scientifique 19. Le niveau de soutien social déclaré est l’un des principaux facteurs de risque associés au TSPT ; bien qu’il semble à la fois facteur de protection comme de gravité de la maladie 20, il plaide pour l’importance de ne pas laisser isolées les personnes exposées après l’événement. Les manifestations somatiques sont un marqueur de la gravité de l’impact psychotraumatique 21 ; elles sont aussi liées au recours aux soins régulier et il faut explorer en quoi elles modifient les parcours de soins observés 22.

Nous trouvons également des niveaux de comorbidité importants avec le TSPT. L’association avec de probables complications du deuil est ici fréquente. Dans un contexte où le traumatisme fait concurrence au travail de deuil 6, ce résultat vient à l’appui de la recommandation selon laquelle une attention particulière doit être portée au traitement des patients conjointement traumatisés et endeuillés 7.

Ces premiers résultats, qui confortent les résultats de l’étude IMPACTS faite après les attentats de janvier 2015 3, suggèrent un besoin de renforcer et d’élargir le dispositif d’accès aux soins à moyen terme. Nous proposons de mieux tenir compte des raisons exprimées par les personnes qui n’ont aucun recours régulier aux soins en dépit de leurs symptômes, en travaillant sur l’accès et les modalités de délivrance des soins comme sur la notion de moment adéquat pour adapter l’information nécessaire. Un travail est en cours afin de mieux caractériser les spécificités de personnes ayant engagé des soins médico-psychologiques réguliers ou pas dans cette enquête et d’orienter d’éventuelles recommandations.

Une deuxième phase d’interview de ces personnes par web-questionnaire est prévue au premier trimestre 2019. Elle devrait permettre de mieux connaitre l’évolution de l’impact sanitaire et des recours aux soins au sein de cette population.

Remerciements

Les auteurs remercient l’ensemble des personnes du groupe de travail ayant aidé à la construction de cette enquête : APHP et Cump (G. Barbry-Abgrall, L. Bernard-Brunel, A. Botero, C. Dendoncker, M. Grohens, J. Geneste, S. Molenda, A. Rochedreux, L. Zeltner), Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (M. Petitclerc), Croix-Rouge française (L. Simeoni, R. Duhamel, A. Carvalho), La protection civile de Paris (E. Labonne), Police nationale (F. Foullon, C. Pinson), Service de santé des armées (F. De Montleau, L. Ollivier), Fenvac (S. Gicquel, G. Le Jan), Paris aide aux victimes (C. Damiani), France victimes (I. Sadowski, J. Palacin), Ose (E. Ghozlan, A. Meimoun), Ville de Paris (V. Istria, M. Prudhomme), Ville de Saint-Denis (S. Jung), Université de Strasbourg (MF. Bacqué), Université de Lyon (JL. Terra), Ministère de la Justice (E. Bousquier, M. Chateaux), Santé publique France (T. Cardoso, J. Carré).
Les auteurs remercient tout particulièrement « Life for Paris », « 13 onze 15 : fraternité et vérité », Françoise Rudetzki et l’Association française des victimes du terrorisme.
Les auteurs remercient Gabrielle Rabet pour sa relecture attentive du manuscrit.
Les auteurs remercient le conseil scientifique (B. Falissard, C. Chan Chee, JJ. Chavagnat, N. Dantchev, F. Ducrocq, I. Khireddine-Medouni, L. Jehel, N. Prieto, L. Stene) et le comité de pilotage de l’enquête ; l’ensemble des psychologues intervenus sur le terrain de l’enquête et ayant assuré la permanence téléphonique (A. Ravaud, I. Barbosa, T. Baungally, B. Bazile, P. Bellet, J. Chaib, G. Malka, K. Miquelis, C. Rousseau, A. Tollance, C. Viardot et A. Vidal).
Les auteurs remercient l’ensemble des participants.

Références

1 American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM-5®), fifth edition. Washington, DC: American Psychiatric Association Publishing. 2013; 991 p.
2 National Center for Posttraumatic Stress Disorder (PTSD). PTSD Checklist for DSM-5 (PCL-5). National Center for PTSD. [Internet]. https://www.ptsd.va.gov/professional/assessment/adult-sr/ptsd-checklist.asp
3 Vandentorren S, Pirard P, Sanna A, Aubert L, Motreff Y, Dantchev N, et al. Healthcare provision and the psychological, somatic and social impact on people involved in the terror attacks in January 2015 in Paris: Cohort study. Br J Psychiatry. 2018;212(4):207-14.
4 Santiago PN, Ursano RJ, Gray CL, Pynoos RS, Spiegel D, Lewis-Fernandez R, et al. A systematic review of PTSD prevalence and trajectories in DSM-5 defined trauma exposed populations: Intentional and non-intentional traumatic events. PloS One. 2013;8(4):e59236.
5 Kessler RC. Posttraumatic stress disorder: The burden to the individual and to society. J Clin Psychiatry. 2000;61 Suppl 5:4-12; discussion 13-14.
6 Bacqué MF. Deuils et traumatismes. Ann Méd-Psychol Rev Psychiatr. 2006;164(4):357-63.
7 National Institute for Health and Care Excellence (NICE). Post-traumatic stress disorder: management. London: NICE Clinical guideline CG26. 2005; 41 p. https://www.nice.org.uk/guidance/cg26
8 Bracha HS, Williams AE, Haynes SN, Kubany ES, Ralston TC, Yamashita JM. The STRS (Shortness of breath, Tremulousness, Racing heart, and Sweating): A brief checklist for acute distress with panic-like autonomic indicators; development and factor structure. Ann Gen Hosp Psychiatry. 2004;3(1):8.
9 Birmes P, Brunet A, Benoit M, Defer S, Hatton L, Sztulman H, et al. Validation of the peritraumatic dissociative experiences questionnaire self-report version in two samples of French-speaking individuals exposed to trauma. Eur Psychiatry. 2005;20(2):145-51.
10 Bovin MJ, Marx BP, Weathers FW, Gallagher MW, Rodriguez P, Schnurr PP, et al. Psychometric properties of the PTSD checklist for diagnostic and statistical manual of mental disorders, fifth edition (PCL-5) in veterans. Psychol Assess. 2016;28(11):1379-91.
11 Zigmond AS, Snaith RP. The hospital anxiety and depression scale. Acta Psychiatr Scand. 1983;67(6):361-70.
12 Haute Autorité de santé. Échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression scale). Saint-Denis: HAS, 2014 [Internet]. https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2014-11/outil__echelle_had.pdf
13 Prigerson HG, Maciejewski PK, Reynolds CF, Bierhals AJ, Newsom JT, Fasiczka A, et al. Inventory of Complicated Grief: A scale to measure maladaptive symptoms of loss. Psychiatry Res. 1995;59(1-2):65-79.
14 Bourgeois ML. Études sur le deuil. Méthodes qualitatives et méthodes quantitatives. Ann Méd-Psychol Rev Psychiatr. 2006;164(4):278-91.
15 Paz García-Vera M, Sanz J, Gutiérrez S. A systematic review of the literature on posttraumatic stress disorder in victims of terrorist attacks. Psychol Rep. 2016;119(1):328-59.
16 Schlenger WE, Silver RC. Web-based methods in terrorism and disaster research. J Trauma Stress. 2006;19(2):185-93.
17 Bjelland I, Dahl AA, Haug TT, Neckelmann D. The validity of the hospital anxiety and depression scale. An updated literature review. J Psychosom Res. 2002;52(2):69-77.
18 Miller ET, Neal DJ, Roberts LJ, Baer JS, Cressler SO, Metrik J, et al. Test-retest reliability of alcohol measures: Is there a difference between internet-based assessment and traditional methods? Psychol Addict Behav. 2002;16(1):56-63.
19 Brewin CR, Andrews B, Valentine JD. Meta-analysis of risk factors for posttraumatic stress disorder in trauma-exposed adults. J Consult Clin Psychol. 2000;68(5):748-66.
20 Charuvastra A, Cloitre M. Social bonds and posttraumatic stress disorder. Annu Rev Psychol. 2008;59:301-28.
21 Gupta MA. Review of somatic symptoms in post-traumatic stress disorder. Int Rev Psychiatry. 2013;25(1):86-99.
22 Stene LE, Wentzel-Larsen T, Dyb G. Healthcare needs, experiences and satisfaction after terrorism: A longitudinal study of survivors from the Utøya attack. Front Psychol. 2016;7:1809.

Citer cet article

Pirard P, Motreff Y, Lavalette C, Vandentorren S, Groupe 13-Novembre, Baubet T, et al. Enquête de santé publique post-attentats du 13 novembre 2015 (ESPA 13-Novembre): trouble de santé post-traumatique, impact psychologique et soins, premiers résultats concernant les civils. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(38-39):747-55. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/38-39/2018_38-39_2.html

(1) Migraines, mal de dos, maux de ventre, asthme ou problème respiratoire, mal à l’estomac, problème dermatologique, fatigue, difficultés de concentration, troubles du sommeil, diabète déséquilibré, hypertension artérielle, problème cardiaque, acouphènes.