Étude IMPACTS : Investigation des manifestations traumatiques post-attentats et de la prise en charge thérapeutique et de soutien des personnes impliquées dans les attentats de janvier 2015 en Île-de-France

// IMPACTS study: Investigation of post-attacks traumatic events and therapeutic management and support of people involved in the January 2015 terrorist attacks in Ile-de-France

Stéphanie Vandentorren1,2 (stephanie.vandentorren@santepubliquefrance.fr), Philippe Pirard1,3, Alice Sanna1, Lydéric Aubert1, Yvon Motreff1,2, Cécile Vuillermoz2, Sophie Lesieur2, Pierre Chauvin2, Nicolas Dantchev4, Thierry Baubet4,5
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Inserm, Sorbonne Université, Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (iPLESP), Équipe de recherche en épidémiologie sociale, Paris, France
3 CESP Inserm 1178, Santé mentale et santé publique, Villejuif, France
4 Urgences médico-psychologiques, APHP Hôtel Dieu, Paris, France
5 Université Paris 13, EA4403, APHP Hôpital Avicenne, Bobigny, France
Soumis le 08.06.2018 // Date of submission: 06.08.2018
Mots-clés : Attentat terroriste | État de stress post-traumatique | Santé mentale | Prise en charge médico-psychologique
Keywords: Terrorist attacks | Post-traumatic stress disorder | Mental health | Psychological health care

Résumé

Suite à la série d’attentats terroristes survenus en Île-de-France du 7 au 9 janvier 2015, Santé publique France et l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France ont réalisé l’enquête épidémiologique IMPACTS. L’objectif était d’évaluer l’impact psychotraumatique de ces attentats chez les personnes exposées et chez celles impliquées dans la prise en charge des victimes et le rétablissement de l’ordre public. Il s’agissait en outre de savoir si ces personnes avaient eu recours à des soins après ces évènements.

L’enquête s’est déroulée en deux temps, 6 et 18 mois après les évènements. Deux groupes de population ont été étudiés. Le premier comprenait les personnes issues de la population civile ayant été exposées aux attentats selon le critère A de l’état de stress post-traumatique (ESPT) du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition (DSM-5). Le deuxième était constitué des intervenants impliqués dans la réponse aux attentats. Ainsi, des psychologues formés au psycho-traumatisme se sont entretenus avec 190 civils et 232 intervenants (forces de l’ordre et de secours, secours médico-psychologique, pompiers et personnels associatifs) pour recueillir leur expérience au moyen de questionnaires.

Il en ressort que, parmi la population civile, 18% des personnes présentaient un ESPT, 20% avaient des troubles dépressifs ou anxieux sans ESPT et 25% avaient consulté un médecin pour un problème de santé somatique qu’elles considéraient comme lié aux événements. Plus de la moitié des personnes exposées ont bénéficié d’une prise en charge médico-psychologique ou d’un soutien psychologique suite aux évènements. Parmi les intervenants, 3% ont présenté un ESPT et 14% au moins ont eu un trouble anxieux. La moitié d’entre eux ont reçu un soutien psychologique suite aux attentats.

Cette étude a permis de souligner l’importance de discerner toutes les victimes potentielles d’attentats terroristes (personnes directement menacées ou témoins) et de leur proposer une prise en charge médico-psychologique éventuelle. Elle a aussi fait ressortir la nécessité de sensibiliser les professionnels de santé aux conséquences du psycho-traumatisme pour qu’ils soient à même d’assurer un relais thérapeutique efficace.

Abstract

A series of terrorist attacks occurred in the Greater Paris area in January from 7 to 9 January 2015. ‘Santé publique France’ and the Regional Health Agency conducted the IMPACTS survey. The objective was to assess the psycho-traumatic impact of these attacks on those exposed and those involved in the care of victims and the restoration of public order. The objective was also to know whether these people had sought care after these events.

We implemented a cohort with two waves of interviews at 6 months and at 18 months after the attacks. The study population was defined as i) the exposed civilians and ii) the rescue and police staff involved in the response according to the exposure criteria A for PTSD of the DSM-5. We included 190 civilians and 232 rescue, firemen and police staff involved. Interviews were conducted face-to-face by psychologists trained to psychotrauma.

Among civilians, 18% reported symptoms of PTSD and 20% suffered from anxiety disorders or depression (without PTSD). A quarter consulted a physician for a non-psychological health problem related to the attacks. More than a half of the exposed people benefited from a psychological support after the events. Rescue and police staff reported lower symptoms of PTSD (3%) and anxiety disorders (14%). Half of the professionals benefitted from mental health support after the attacks.

This study showed the usefulness of delineating all the potential victims from the terrorist attacks (directly exposed or witnesses) and of promoting psychological care access at short term for all the exposed persons. It also highlights the necessity to train health care professionals to psychological trauma to ensure efficient care at mid and long term.

Introduction

L’attentat terroriste a des répercussions sur la santé mentale, les relations sociales et la qualité de vie de la population qui y est exposée 1. L’état de stress post-traumatique (ESPT) est une des conséquences de tels évènements sur la santé mentale. Il se manifeste par des pensées intrusives, des réactions neurovégétatives intenses, des conduites d’évitement et des perturbations de la cognition et de l’humeur. En population civile exposée, on retrouve dans la littérature des prévalences d’ESPT de 20% à New York après les attentats du 11 septembre 2001 2 ou de 11% en Norvège après l’attaque de l’île d’Utøya 3, alors que chez les intervenants cette proportion varie de 1 à 22% 4. La littérature rapporte également une augmentation des épisodes dépressifs caractérisés (EDC) et des troubles anxieux généralisés (TAG). En France, les études menées après les attentats survenus de 1982 à 1987 avaient estimé la prévalence de l’ESPT à 8% et 30% chez les blessés légers et graves, respectivement 5.

Le début de l’année 2015 a été marqué par une série d’attentats perpétrés sur la période de trois jours allant du 7 au 9 janvier. Ils se sont déroulés à Paris, au magazine Charlie Hebdo et au supermarché Hyper Casher de la porte de Vincennes, puis à Montrouge (92) et à Dammartin-en-Goële (77). Ces fusillades ont fait 17 morts, 20 blessés et des centaines de personnes ont été impactées.

Les actes terroristes peuvent avoir des retentissements sur la santé mentale d’une population exposée même si elle n’a pas été physiquement atteinte. Dans cette population, certains individus auront une prise en charge thérapeutique ultérieure. Améliorer la connaissance de ces phénomènes peut aider à orienter et optimiser la réponse en santé publique. C’est pourquoi Santé publique France a réalisé l’étude « IMPACTS » (Investigation des Manifestations sanitaires Post-Attentats et Accompagnement des Conduites Thérapeutiques ou de Soutien), avec les soutiens de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France (ARS) et de la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme. Ses objectifs étaient, d’une part, d’évaluer l’impact des attentats de janvier 2015 sur la santé des personnes exposées et de celles impliquées dans la réponse et, d’autre part, de connaître le type de prise en charge ou de soutien dont elles ont bénéficié.

Méthodes

Population d’étude

La population concernait les personnes de 16 ans et plus, répondant au « Critère A » (Stressor) de l’ESPT de la 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5). Elle a été scindée en deux groupes. La méthodologie est décrite de façon détaillée dans des publications précédentes 6,7.

La population dite « intervenante »

Ce groupe comprenait les personnels de l’aide médicale urgente, les secouristes bénévoles ou professionnels, les pompiers et les forces de l’ordre présentes sur les lieux les 12 premières heures. Le recrutement a été réalisé via une information par e-mail relayée par les employeurs. L’inclusion dans l’étude était volontaire après inscription sur un site web sécurisé.

La population dite « civile »

Dans ce groupe nous avons distingué :

les témoins directement menacés sur la scène du crime. Il pouvait s’agir d’otages, de blessés, d’individus directement menacés par une arme ou ayant dû se cacher ;

les témoins présents sur les lieux ou sur la scène du crime mais n’ayant pas été directement menacés. Ils correspondaient à ceux ayant vu quelqu’un être menacé, être blessé ou mourir ; ceux ayant vu du sang, des corps, ayant entendu quelqu’un mourir ; ceux ayant fui ou qui se sont retrouvés bloqués ;

les témoins à proximité qui résidaient ou travaillaient aux alentours du théâtre des évènements. Ils étaient témoins à distance suffisante pour, par exemple, avoir entendu les coups de feu ;

les proches des victimes : familles, endeuillés (proches de victimes décédées lors des attentats).

Le recrutement des personnes a été réalisé à partir des listes fournies par les autorités. Une enquête de terrain complémentaire a permis d’identifier des témoins supplémentaires non répertoriés dans ces listes. Des lettres d’invitation à participer ont été déposées dans les boîtes aux lettres des domiciles et des entreprises dans un périmètre de 100 mètres autour du lieu de déroulement des actes terroristes. Elles contenaient un formulaire d’inclusion recueillant les coordonnées des participants pour un futur entretien.

Type d’étude

Il s’agit d’une étude de cohorte. Aux personnes incluses dans l’étude, il était proposé deux entretiens menés au moyen d’un questionnaire pré-établi, à 6 et 18 mois après la date des attentats. Ils se sont déroulés sur deux périodes : la première de juin à octobre 2015 et la deuxième de juin à octobre 2016.

Données collectées

Les questionnaires ont été administrés en face-à-face par 32 psychologues diplômés, sélectionnés sur la base de leur formation ou expérience en psychotraumatisme. Ces professionnels étaient particulièrement aguerris dans le recueil de données médico-psychologiques et dans la manipulation des différentes échelles de mesure utilisées en santé mentale. En outre, ils étaient en capacité d’orienter, si besoin, la personne vers une filière de soins. Une journée de formation a été organisée pour tous les enquêteurs : formation théorique, présentation des outils, ateliers pratiques en petits groupes. Ils bénéficiaient d’une helpline, disponible en cas de difficulté, et de séances de supervision collective mensuelles.

Ces entretiens ont recherché, pour chaque personne :

des informations sociodémographiques : âge, sexe, statut marital, catégorie socioprofessionnelle, activité professionnelle, niveau d’études, soutien social ;

des antécédents de problèmes psychologiques, de traitement pour troubles anxieux, du sommeil ou de l’humeur, et les événements psycho-traumatisants au cours de la vie ;

l’intensité d’exposition aux évènements, sur la base des manifestations somatiques de la peur au moyen de l’échelle Shortness of breath, Tremulousness, Racing heart and Sweating rating scale, STRS-A3 8, et les symptômes dissociatifs péri-traumatiques (Peritraumatic Dissociative Experience Questionnaire, PDEQ) 9 ;

les principaux troubles psychiatriques à partir de la version 6 du Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI), en utilisant les modules permettant de repérer l’épisode dépressif caractérisé (EDC), le risque suicidaire, le trouble panique (TP), l’agoraphobie, l’état de stress post-traumatique (ESPT) et le trouble anxieux généralisé (TAG) 10 ;

la présence de l’ESPT à partir du score PCL-S (Post Traumatic Stress Disorder Check list) 11 qui permet de mesurer l’intensité des manifestations sub-syndromiques, marqueurs d’une souffrance notable ;

le vécu post-attentats en mesurant l’impact sur le travail, la vie sociale et familiale à partir de l’échelle Sheehan disabilities12, en s’enquérant de la santé somatique du patient et de sa consommation éventuelle de substances psychoactives ;

le recours à un soutien psychologique à court, moyen et long termes après les évènements ;

l’appréciation globale clinique du niveau de détresse psychologique (questionnaire Clinical Global Impression, CGI) 13.

Analyses statistiques

Les analyses ont été menées avec le test de Fischer ou Chi2 pour les variables qualitatives et le test de Kruskal-Wallis pour les variables quantitatives. Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel R (R 3.2.1). Tous les tests ont été réalisés avec un seuil de significativité bilatérale à 5%.

Aspects éthiques

Les personnes contactées pour participation à l’étude ont été informées des modalités de recueil et de conservation des données et de leur liberté de participer ou pas. Cette participation a été soumise à la signature d’un formulaire de consentement éclairé, et une lettre d’information a été remise aux volontaires. Toutes les personnes contactées ont également été informées des modalités de prise en charge médico-psychologique disponibles, indépendamment de leur consentement à participer à l’enquête : les coordonnées de telles institutions leur ont été fournies au moment de l’inclusion et étaient disponibles sur le site Internet dédié.

Cette enquête a reçu l’approbation du Comité d’éthique et de déontologie de l’Institut de veille sanitaire lors de la séance du 17 avril 2015, ainsi que les accords de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil, n°915262), du Comité de protection des personnes (avis n°3283) et du Comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche (CCTIRS, avis n°150522B-31).

Résultats

Population d’étude

La première vague d’entretiens, de juin à octobre 2015, a recueilli 422 questionnaires auprès de 190 personnes civiles et 232 intervenants. Les intervenants se répartissaient ainsi : 19% étaient des personnels de secours médico-psychologique, 26% des sapeurs-pompiers de Paris, 24% des forces de l’ordre et 31% des personnels de secours associatifs.

Le taux de participation était de 56%. Les participants étaient plus jeunes que les non participants (39 vs 52 ans, p<0,001). Les principales raisons de refus avancées étaient le manque de temps pour les intervenants (44%) ou la difficulté d’en parler pour la population civile (33%).

La seconde vague, de juin à octobre 2016, a collecté 335 entretiens auprès de 286 personnes ayant déjà eu un entretien un an auparavant et de 49 personnes qui n’avaient pas été en état de répondre lors de la première vague (figure 1).

Figure 1 : Diagramme de flux de l'inclusion de la population de l’étude IMPACTS
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Caractéristiques sociodémographiques et antécédents

Le sex-ratio H/F était de 0,65 en population civile et de 2,2 chez les intervenants (5,7 chez les pompiers et 1 chez les acteurs des urgences médico-psychologiques) (tableau 1). La population civile était âgée de 41 ans et les intervenants de 36 ans en moyenne (30 ans chez les associatifs et 47 ans chez les acteurs des urgences médico-psychologiques). La majorité des personnes en population civile (57%) et des intervenants (62%) vivait en couple. Chez les intervenants, 89% avaient une activité professionnelle vs 82% en population civile. Concernant le soutien social, 85% de la population civile et 94% des intervenants déclaraient se sentir bien entourés. Pour les intervenants, l’esprit de corps était important et la grande majorité (86%) déclarait connaitre une personne ressource sur les risques psychosociaux au sein de son institution.

Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques et exposition des intervenants et de la population civile dans l’étude IMPACTS
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Concernant les antécédents en santé mentale, 25% des personnes en population civile avaient déjà été suivies plus de six mois pour un problème d’ordre psychologique et 15% avaient déjà eu un traitement pour dépression ou anxiété, vs 15 et 7% chez les intervenants. Parmi ces derniers, 68% avaient déjà vécu une situation traumatisante, majoritairement dans le cadre professionnel.

Les expositions

En population civile, 58 personnes ont été directement menacées, 82 ont été témoins sur les lieux, 32 témoins à proximité ; 14 personnes étaient endeuillées ou proches des victimes. La médiane du score STRS était de 23 [Min: 0-Max: 52] et de 14 [0-40] pour le score PDEQ.

Parmi les intervenants, 14 personnes appartenant aux forces de l’ordre ont été directement menacées. Les autres intervenants ont été indirectement menacés (n=134) ou impliqués (n=84). Le temps d’intervention médian était de 5 jours (et avait duré en moyenne 6 heures le jour même de l’intervention). Plus d’un tiers des intervenants ont participé à plusieurs opérations sur des sites différents. Parmi les intervenants, 14% ont déclaré être parent, ami ou collègue d’une victime décédée ou blessée. La médiane globale observée du score STRS était de 10 [0-48], et de 3 [0-33] pour le score PDEQ (figure 2).

Figure 2 : Exposition subjective dans les différents groupes d'exposition dans l’étude IMPACTS : niveau d'exposition ressenti par la personne sur une échelle de 0 à 10, score STRS et score PDEQ
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L’impact psychotraumatique

En population civile, 18% des personnes souffraient d’ESPT. Cette proportion variait selon un gradient d’exposition : 3% chez les témoins à proximité, 12% chez les témoins sur les lieux et 31% chez les personnes directement menacées. Le score médian de l'échelle PCL était de 31 et variait aussi selon l’exposition. Au total, 25% des personnes avaient un score compatible avec une suspicion d’ESPT et 17% présentaient un score compatible avec des manifestations sub-syndromiques d’ESPT. La présence d’un EDC a été retrouvée chez 10% des personnes (19% chez les personnes menacées). Un risque suicidaire a été décelé chez 27% des personnes (dont 3% avaient un risque modéré ou élevé). Par ailleurs, au moins un trouble anxieux a été découvert chez 31% des personnes. Cette dernière pathologie variait selon l’exposition : 38% parmi les directement menacées, 28% parmi les témoins sur les lieux et 29% parmi les proches et endeuillés. Le trouble anxieux le plus répandu était l’agoraphobie avec une prévalence de 26%.

Parmi les civils, 38% présentaient au moins un trouble de santé mentale : 20% souffraient exclusivement d’une dépression ou d’un trouble anxieux, 5% présentaient un ESPT seul et 13% un ESPT accompagné d’une comorbidité (dépression ou trouble anxieux) ; 80% des personnes présentant une dépression avaient un ESPT associé. Inversement, les personnes présentant des troubles psychiques sans ESPT étaient plus fréquemment touchées par des troubles anxieux, uniques ou multiples.

Un ESPT était retrouvé chez 7 intervenants, dont 6 n’avaient reçu aucune préparation au risque psychosocial et 4 avaient reçu un soutien immédiat. On notait que 8% des intervenants avaient un score de PCL >33 (dont 8 un score élevé >44) et 14% présentaient au moins un trouble anxieux (tableau 2).

Tableau 2 : Impact psychotraumatique des attentats de janvier 2015 en population civile et chez les intervenants (étude IMPACTS)
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L’impact somatique

Parmi les intervenants, 21%, dont la moitié était issue du milieu associatif, ont consulté pour un problème de santé autre que psychologique. Ils étaient 21% à attribuer cette consultation aux évènements.

En population civile, 44% des personnes ont consulté un médecin pour des troubles somatiques après les évènements. Parmi elles, 58% considéraient que leur demande de soins était due aux attentats. Cette proportion variait selon le degré d’exposition (43% chez les personnes directement menacées, 17% chez les témoins sur les lieux, 11% chez les témoins à proximité et 29% chez les endeuillés/proches exclusifs).

L’impact sur le travail

Chez les intervenants, 15 personnes, essentiellement issues des forces de l’ordre, ont eu un arrêt de travail dont la durée médiane était de 40 jours.

Au sein de la population civile, 25% des personnes déclaraient avoir eu un arrêt de travail. Six mois après les attentats, 6% n’avaient pas repris leur métier. Par ailleurs, 52% des personnes affirmaient que les évènements avaient dégradé leur situation économique et 14% considéraient cette détérioration comme importante : fermeture de leur entreprise ou licenciement.

L’impact sur les consommations d’alcool, de tabac et de cannabis et sur l’automédication

Parmi les intervenants, 10% ont augmenté leur consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis. Cette proportion variait selon le degré d’exposition aux attentats.

En population civile, 22% des personnes ont augmenté leur consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis. Là aussi, la proportion variait selon le degré d’exposition : 29% chez les personnes directement menacées, 19% chez les témoins sur les lieux, 8% chez les témoins à proximité et 36% chez les endeuillés/proches exclusifs.

Parmi les civils souffrant d’ESPT avec comorbidités, 56% ont augmenté leur consommation d’alcool, de tabac ou de cannabis et 20% ont augmenté leur automédication.

La prise en charge

La moitié des intervenants (51%) a reçu un soutien psychologique de leur institution suite aux évènements. Cette prise en charge a eu lieu 48 heures après l’évènement pour 35% d’entre eux. La plupart étaient satisfaits de cette aide psychologique (78%). Dix-huit intervenants (8%) ont engagé des soins réguliers pour un trouble de santé mentale six mois après les attaques.

Dans la population civile, 53% des personnes avaient eu une prise en charge psychologique dans les 48 heures (36% parmi les témoins à proximité ; 46% parmi les témoins sur les lieux et 78% chez les personnes directement menacées).

Au moment de l'enquête, 24% des personnes déclaraient être suivies par un psychologue ou un psychiatre (45% parmi les personnes directement menacées, 12% parmi témoins sur les lieux, 6% parmi les témoins à proximité et 50% parmi les endeuillés/proches).

Parmi les civils présentant au moins un trouble mental, 75% des témoins sur les lieux et 67% des témoins à proximité n’avaient pas reçu de soutien psychologique suite aux attentats. Chez les personnes directement menacées, elles étaient seulement 31% à n’avoir pas reçu ce soutien.

Discussion

Dans notre étude, 18% d’ESPT et 20% de troubles dépressifs ou anxieux sans ESPT ont été observés en population civile, ce qui est comparable aux chiffres retrouvés dans la littérature 14. Au total, près de 40% des personnes souffraient de troubles mentaux, dont la sévérité variait selon l’exposition : les personnes les plus touchées étaient celles ayant été directement menacées et celles qui étaient proches de victimes, voire endeuillées, comme dans la littérature 15. Parmi les personnes souffrant d’ESPT, 47% n’avaient pas été directement menacées. Soit elles avaient été témoins des faits sur les lieux soit, étant proches des victimes, elles ont été endeuillées ou affectées par les séquelles des survivants (respectivement 12% et 36%). Chez les témoins à proximité, la souffrance psychique s’exprimait par des troubles anxieux ou une dépression (31%), ce qui est comparable aux études post 11 septembre 2001 menées à New York.

Une proportion non négligeable des personnes n’ayant pas été directement menacées (témoins sur les lieux ou proches des victimes) présentait un ESPT. Ceci a des implications en termes de santé publique.

En population intervenante, notre étude a rapporté une proportion d’ESPT de 3% alors que plusieurs articles faisaient état d’une prévalence d’ESPT d’environ 10%, variant selon le type d’intervenants 16,17. Pourtant, parmi les intervenants, les forces de l’ordre ont été le plus souvent directement menacées ou affectées par le deuil d’un collègue. Cette prévalence moindre d’ESPT peut s’expliquer par une possible inadéquation des outils psychométriques employés. En effet, ces outils ne prennent pas forcément en compte l’accumulation de stress et la répétition d’événements traumatogènes durant la vie professionnelle de cette population. Paradoxalement, la prévalence élevée (20%) de troubles somatiques chez les intervenants suggère que l’impact des attentats a pu prendre un autre aspect.

Près d’un quart de la population civile déclarait avoir consulté un praticien pour des troubles somatiques apparus ou aggravés après les événements, et plus de 20% signalaient une augmentation de leur consommation en substances psychoactives. Cet impact déclaré sur la santé, mais également sur le travail et la sécurité économique des personnes interviewées, témoignait d’une altération globale de leur vie quotidienne plusieurs mois après les évènements, en particulier chez les personnes directement menacées ou endeuillées.

Parmi les personnes présentant un trouble de la santé mentale, le défaut de prise en charge concernait 70% des témoins et 30% des personnes directement menacées. Le fait que les professionnels de santé aient proposé un suivi plus systématique à ces dernières peut expliquer en partie ce résultat. On peut également supposer que les personnes moins exposées se soient senties moins légitimes à demander une aide. Néanmoins, dans la mesure où les troubles de santé mentale touchaient 40% des personnes impactées à des degrés divers, il aurait été opportun que l’ensemble de cette population puisse bénéficier d’une aide psychologique.

L’originalité de cette étude est d’avoir mené une recherche active sur le terrain (36% des questionnaires) en recrutant des personnes potentiellement impactées hors des circuits de secours et de prise en charge initiale. L’autre atout est d’avoir inclus dans l’étude des personnes ne disposant pas d’Internet, notamment des personnes âgées ou défavorisées sur le plan social ou économique à qui était offerte la possibilité de retourner le questionnaire par voie postale.

Toutefois, l’étude comporte aussi des limites : l’inclusion des personnes n’était pas complètement indépendante de la présence de troubles psychiques, ce qui a pu conduire à des biais de sélection différentiels. Le caractère rétrospectif du recueil des facteurs péri-traumatiques et post-traumatiques immédiats a pu engendrer des biais de mémorisation, liés à l’état psychique dans lequel se trouvait la personne interviewée. Ce type de biais a été retrouvé dans un grand nombre d’études portant sur des évènements de cette ampleur. Car, dans la mesure où leur survenue est impossible à prévoir, la mise en place d’un recueil de données réellement prospectif est illusoire.

Les premiers résultats de cette enquête suggèrent de proposer une prise en charge précoce à l’ensemble de la population potentiellement impactée par ce type d’évènement. L’utilisation de dispositifs d’information, notamment à destination des personnes n’ayant pas été directement menacées, apparait essentielle. Le relais par un suivi psychologique à long terme des personnes les plus touchées demeure un objectif pour consolider la prise en charge initiale. De façon plus générale, l’enjeu de tels évènements pour nos sociétés est d’assurer aux victimes des filières de soins efficaces et pérennes. L’analyse de ces premiers résultats se poursuit, notamment pour caractériser plus précisément les facteurs pré-traumatiques (caractéristiques sociodémographiques, antécédents psychiatriques), péri-traumatiques (types et caractéristiques des expositions, y compris dans leur dimension subjective) et post-traumatiques (prise en charge, entourage familial, soutien social) qui sont les plus prédictifs de la santé mentale des personnes impliquées, à 6 mois et à 18 mois après les évènements.

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Citer cet article

Vandentorren S, Pirard P, Sanna A, Aubert L, Motreff Y, Vuillermoz C, et al. Étude IMPACTS : Investigation des manifestations traumatiques post-attentats et de la prise en charge thérapeutique et de soutien des personnes impliquées dans les attentats de janvier 2015 en Île-de-France. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(38-39):738-46. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/38-39/2018_38-39_1.html