Évolution des facteurs de risque cardiovasculaire et de la mortalité coronaire prématurée entre 1986 et 2013 dans la communauté urbaine de Lille
// Changes over time in cardiovascular risk factors and premature mortality from coronary heart disease between 1986 and 2013 in Lille urban area (France)
Résumé
Introduction –
Cette étude a pour but de décrire l’évolution des facteurs de risque vasculaire modifiables et de la mortalité coronaire entre 1986 et 2013 chez les habitants de la métropole de Lille âgés de 40 à 64 ans.
Méthodes –
Les données ont été tirées de quatre enquêtes transversales et du registre des cardiopathies ischémiques de Lille. Le risque de décès coronaire a été estimé par la composante coronaire de l’outil SCORE à partir des facteurs de risque mesurés en population. Les résultats ont été standardisés sur l’âge et leurs évolutions analysées par régression logistique ou régression linéaire multiple.
Résultats –
Les prévalences de l’hypertension artérielle et des dyslipidémies ont significativement diminué dans la métropole de Lille entre 1986 et 2013. La prévalence du diabète a significativement diminué chez les femmes mais est restée stable chez les hommes. La prévalence du surpoids et de l’obésité a augmenté chez les hommes et est restée stable chez les femmes. La prévalence du tabagisme actif a baissé chez les hommes mais est restée stable chez les femmes. Le risque de décès coronaire estimé par SCORE a significativement diminué. Sur la même période, la mortalité coronaire a diminué un peu plus rapidement que le risque estimé par SCORE.
Conclusion –
Entre 1986 et 2013, les prévalences des principaux facteurs de risque vasculaire ont diminué ou sont restées stables chez les habitants de la métropole lilloise âgés de 40 à 64 ans, hormis la prévalence du surpoids et de l’obésité qui a augmenté chez les hommes. La mortalité coronaire a diminué sur cette période.
Abstract
Introduction –
The aim of this study is to describe the changes over time in modifiable vascular risk factors and in coronary heart disease mortality between 1986 and 2013 in 40 to 64 year-old Lille urban area (France) inhabitants.
Methods –
The data was taken from four cross-sectional studies and from the Lille morbidity register for coronary heart disease. The risk of fatal coronary heart disease was estimated by the coronary heart disease component of the SCORE risk score. The results were standardized on age and their evolutions were analyzed with logistic or multiple linear regression.
Results –
The prevalences of hypertension and dyslipidemias significantly decreased in Lille urban area between 1986 and 2013. The prevalence of diabetes mellitus significantly declined in women but leveled off in men. The prevalence of overweight and obesity increased in men and remained stable in women. The prevalence of current smokers significantly fell in men but leveled off in women. The estimated 10-year risk of fatal coronary heart disease significantly declined. The coronary heart disease mortality over the same period decreased slightly faster than the risk estimated by SCORE.
Conclusion –
The prevalences of the main vascular risk factors decreased or leveled off between 1986 and 2013 in 40 to 64 year-old Lille urban area inhabitants, except for the prevalence of overweight and obesity which increased in men. The coronary heart disease mortality decreased over this period.
Introduction
Les maladies de l’appareil circulatoire étaient la troisième cause de mortalité prématurée (avant 65 ans) en France en 2015, derrière les cancers et les causes externes (accidents, suicides, homicides, etc.). Parmi les maladies de l’appareil circulatoire, les cardiopathies ischémiques occupaient le premier rang. Une surmortalité prématurée, et en particulier une surmortalité cardiovasculaire prématurée 1, ont été constatées dans le Nord-Pas-de-Calais.
On observe cependant depuis plusieurs décennies une diminution de la mortalité cardiovasculaire dans les pays à revenus élevés comme la France. Cette diminution coïncide avec celle des prévalences des facteurs de risque cardiovasculaire (ou vasculaire, ou d’athérosclérose), ainsi qu’avec l’amélioration de la prise en charge médicale 2.
Les trois registres des cardiopathies ischémiques de Lille, Strasbourg et Toulouse, qui ont permis d’objectiver la diminution de la mortalité coronaire française dans le cadre du projet Monica-OMS, ont mis en évidence une diminution importante de cette mortalité entre 1984 et 1994 3, puis moindre entre 1997 et 2007, avec un gradient Nord-Sud en défaveur du Nord 4,5. L’étude des tendances entre 1997 et 2007 a montré que cette diminution était principalement attribuable à la diminution de l’incidence de la maladie coronaire 5.
Les enquêtes Monica1986-88, Monica1995-96, Monalisa2005-07 et Elisabet2011-13, conduites dans la communauté urbaine de Lille, ont rendu possible l’étude, entre 1986 et 2013, de l’évolution des principaux facteurs de risque vasculaire modifiables (hypertension artérielle, dyslipidémies, diabète, surpoids et obésité, et tabagisme) 6,7,8,9.
L’objectif de ce travail était de comparer l’évolution de la mortalité coronaire prématurée avec l’évolution des prévalences des principaux facteurs de risque vasculaire modifiables chez les habitants de la métropole lilloise âgés de 40 à 64 ans, entre 1986 et 2013.
Méthodes
Les données ont été tirées de quatre enquêtes transversales répétées réalisées entre 1986 et 2013 et du registre des cardiopathies ischémiques de Lille qui existe depuis 1986.
Enquêtes transversales
Échantillonnage
Les méthodologies d’échantillonnage des études transversales Monica1986-88, Monica1995-96, Monalisa2005-07 et Elisabet2011-13 étaient similaires 8,9,10. Les participants ont été tirés au sort sur les listes électorales de la métropole lilloise et stratifiés par sexe et par classe d’âge. Seuls les participants âgés de 40 à 64 ans ont été inclus dans la présente analyse.
Définitions et mesures des facteurs de risque vasculaire
L’hypertension artérielle a été définie par une pression artérielle systolique PAS ≥140 mmHg ou diastolique PAD ≥90 mmHg ou la prise d’un traitement antihypertenseur. La pression artérielle était mesurée avec un tensiomètre manuel (Monica1986-88 et Monica1995-96) ou automatique (Monalisa2005-07 et Elisabet2011-13). Le diabète a été défini par une glycémie à jeun ≥1,26 g/L ou la prise d’un traitement antidiabétique. La glycémie n’avait pas été mesurée dans l’enquête Monica1986-88. Les dyslipidémies ont été définies par un cholestérol total ≥2,4 g/L ou LDLc ≥1,6 g/L ou HDLc <0,4 g/L ou triglycérides ≥2 g/L ou la prise d’un traitement hypolipémiant. L’hypercholestérolémie a été définie par un cholestérol total ≥2,4 g/L ou LDLc ≥1,6 g/L ou la prise d’un traitement hypolipémiant. Les traitements étaient reportés sur le questionnaire par l’enquêteur à partir de la dernière ordonnance présentée par les sujets, puis recodés selon la classification ATC. Le surpoids a été défini pour un indice de masse corporelle (IMC) entre 25 et 29,9 kg/m², et l’obésité pour un IMC ≥30 kg/m². Un sujet était considéré comme fumeur actif s’il fumait au moins une cigarette par jour ou avait arrêté au cours de l’année précédente. Il était considéré ancien fumeur s’il avait arrêté de fumer plus d’un an auparavant. Tous les dosages biologiques étaient centralisés dans un laboratoire unique.
Prédiction du risque de décès coronaire
La composante coronaire de l’équation de risque SCORE (Systematic Coronary Risk Estimation) 11 a été utilisée pour estimer de façon synthétique l’évolution des facteurs de risque dans la population entre 1986 et 2013. Ce score estime le risque de décès coronaire à 10 ans pour les populations européennes. Il est exprimé en pourcentage. Les équations qui le déterminent tiennent compte de l’âge, du sexe, de la PAS, de la cholestérolémie totale à jeun, du tabagisme actif et du niveau de risque de la population (faible pour la France). Nous avons utilisé SCORE en variable continue.
Registre des cardiopathies ischémiques
Mortalité
Le taux annuel de mortalité coronaire a été calculé à partir des données du registre lillois des cardiopathies ischémiques. Le registre existe depuis 1986 ; l’enregistrement des cas a été interrompu entre 1995 et 1996. L’origine coronaire du décès était retenue :
–si décès dans les 28 jours suivant un épisode coronaire aigu ;
–en l’absence de cause non coronaire identifiée, s’il existait au moins un critère de :
–symptomatologie coronaire typique ou atypique lors du décès,
–antécédent de maladie coronaire,
–preuve de sténose, d’occlusion coronaire ou de séquelles d’infarctus à l’autopsie,
La population de référence utilisée pour les calculs des taux de mortalité était la population par tranche d’âge et de sexe de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour chaque année de surveillance du registre.
Analyses statistiques
Les prévalences des facteurs de risque, la mortalité coronaire et les moyennes de risque de décès coronaire ont été standardisées sur l’âge en utilisant la structure d’âge de la population européenne de 2013 telle que définie par l’Eurostat Task Force (http://ec.europa.eu/eurostat/documents/3859598/5926869/KS-RA-13-028-EN.PDF/e713fa79-1add-44e8-b23d-5e8fa09b3f8f). Les intervalles de confiance à 95% (IC95%) ont été calculés par bootstrap. Les évolutions des prévalences ont été analysées par régression logistique. L’évolution de l’outil SCORE a été calculée après transformation logarithmique par régression linéaire multiple. L’évolution du taux annuel de mortalité coronaire a été analysée par régression de Poisson.
Résultats
Population
Nous avons inclus 860 participants de Monica1986-88, 1 021 participants de Monica1995-96, 1 021 participants de Monalisa2005-07 et 1 636 participants d’Elisabet2011-13. Les caractéristiques de la population d’étude sont résumées dans le tableau et la figure 1.
Prévalences et évolution des facteurs de risque vasculaire
La prévalence de l’hypertension artérielle, des dyslipidémies et de l’hypercholestérolémie ont significativement diminué dans les deux sexes entre 1986 et 2013 (figure 1). La prévalence du diabète n’a pas varié significativement chez les hommes mais a diminué significativement chez les femmes entre les périodes 1995-1996 et 2011-2013. La prévalence du surpoids et de l’obésité (IMC ≥25 kg/m²) s’est accrue significativement uniquement chez les hommes, elle est restée stable chez les femmes. L’augmentation de la prévalence de l’obésité n’était pas significative. La proportion de fumeurs actifs n’a significativement diminué que chez les hommes dans les deux premières enquêtes. Elle est restée constante chez les femmes.
Évolution du risque de décès coronaire et de la mortalité coronaire
Chez les hommes, le taux standardisé de mortalité coronaire a diminué de moitié, passant de 119 pour 100 000 en 1986-1988 à 56 pour 100 000 en 2011-2013, ce qui correspond à une diminution annuelle moyenne de 2,6%, IC95%: [2,18-3,03]. Parallèlement, l’analyse de la composante coronaire de SCORE a révélé une diminution significative du risque estimé moyen de décès coronaire à 10 ans (figure 2). Entre 1986-1988 et 2011-2013, ce risque estimé est passé de 2,8 à 1,5%, ce qui correspond à une diminution annuelle de 2,02% [1,78-2,25].
Chez les femmes, la mortalité coronaire est passée de 32 pour 100 000 en 1986-1988 à 18 pour 100 000 en 2011-2013, ce qui correspond à une diminution annuelle moyenne de 2,79% [1,91-3,65]. Le risque estimé moyen de décès coronaire à 10 ans est passé de 0,67 à 0,40%, ce qui correspond à une diminution annuelle de 1,55% [1,32-1,78].
Discussion
Chez les habitants de la métropole lilloise âgés de 40 à 64 ans, nous avons observé entre 1986 et 2013 une diminution des prévalences de l’hypertension artérielle et des dyslipidémies dans les deux sexes, du diabète chez les femmes et du tabagisme chez les hommes. La prévalence du diabète chez les hommes et les prévalences du tabagisme et de l’IMC ≥25 kg/m² (surpoids ou obésité) chez les femmes sont restées stables. La prévalence de l’IMC ≥25 kg/m² a augmenté chez les hommes.
Nos résultats sur la diminution de la prévalence de l’hypertension artérielle concordent avec d’autres résultats européens 2. L’étude Esteban 2015, chez des Français âgés de 18 à 74 ans, a par contre relevé une stabilisation de la prévalence de l’hypertension artérielle 13. Une diminution de la prévalence de l’hypercholestérolémie a été observée dans les pays européens 2. Une augmentation de la prévalence du diabète a été relevée dans le monde, mais cette tendance est moins homogène en Europe. Chez les femmes, une petite augmentation a été observée en Europe centrale et de l’Est, et presque aucun changement n’a été noté en Europe occidentale. Chez les hommes, une petite augmentation a été remarquée dans les pays du nord-ouest de l’Europe 14. L’augmentation de la prévalence de l’IMC ≥25 kg/m² (surpoids ou obésité) que nous avons constatée chez les hommes avait également été mise en évidence par l’enquête ObEpi 2012 15, tandis que l’enquête Esteban 2015 a constaté une stabilisation de la prévalence dans les deux sexes 16. La stabilité de la prévalence du tabagisme actif depuis les années 2000 est compatible avec les résultats du Baromètre santé 17. La diminution globale de prévalence des facteurs de risque est probablement liée à des modifications favorables des comportements, comme par exemple une meilleure hygiène de vie, ainsi qu’à des facteurs environnementaux. Cette tendance est cependant susceptible de s’inverser.
Le registre lillois des cardiopathies ischémiques a montré une forte diminution de la mortalité coronaire prématurée entre 1985 et 2011 (-2,6% par an pour les hommes et -2,8% par an pour les femmes). Le taux de mortalité coronaire chez les femmes semble se stabiliser, voire augmenter légèrement depuis 2005. Au niveau national, une analyse à partir des données du CépiDC de 2002 à 2012 a par ailleurs mis en évidence une forte diminution du taux de mortalité par infarctus du myocarde chez les femmes et chez les hommes 18.
Le risque de décès coronaire estimé dans la zone géographique du registre par l’équation SCORE a diminué (-2,0% par an chez les hommes et -1,6% par an chez les femmes). La diminution de mortalité coronaire mesurée par le registre sur la même période était un peu plus rapide que celle du risque calculé. La similitude de ces évolutions suggère que la diminution de la prévalence des facteurs de risque inclus dans le score contribue pour une part importante à la diminution de mortalité coronaire. L’amélioration de la prise en charge des évènements coronariens aigus contribue également à cette diminution. Cependant, contrairement aux prévalences des facteurs de risque inclus dans l’équation SCORE (hypertension, dyslipidémies et tabagisme), la prévalence du surpoids a augmenté ou est restée stable, et la prévalence du diabète est restée stable chez les hommes. Afin de tenir compte de ces deux facteurs, le risque coronaire a été estimé avec l’équation de Framingham-Wilson (risque de premier évènement coronarien, mortel ou non) sur la période 1996-2013 6,7. Cette analyse a retrouvé une diminution du risque légèrement moins marquée que celle calculée avec SCORE, mais les évolutions globales étaient semblables.
Limites de l’étude
Le taux de participation était plus bas dans Elisabet2011-13 que dans les autres enquêtes (32% vs 66% pour Monalisa2005-07). Ceci peut être attribué à son protocole qui impliquait des visites plus longues (examens respiratoires supplémentaires) et à une difficulté plus importante pour joindre les participants (moins de téléphones fixes référencés dans l’annuaire). Néanmoins, une analyse de la distribution des catégories professionnelles n’a pas mis en évidence de biais d’échantillonnage majeur dans cette étude 7. Dans les enquêtes Monalisa2005-07 et Elisabet2011-13, les professions intermédiaires étaient surreprésentées, les professions ouvrières sous-représentées. Une analyse de sensibilité a été réalisée avec un redressement sur les catégories socioprofessionnelles : l’impact sur les taux de prévalence standardisés était faible 6,7.
Le risque de décès coronaire à 10 ans estimé par l’équation SCORE ne peut pas être comparé directement au taux annuel de mortalité coronaire car il existe une variabilité du taux de mortalité selon la zone d’étude, qui est prise en compte de façon peu précise dans le score SCORE 11. De plus, le risque à 10 ans calculé par l’équation tend à être surestimé lorsqu’il est rapporté à 1 an en raison de l’effet cumulatif de l’âge (de l’ordre de 2 à 5).
Conclusion
Nous avons étudié les évolutions de la mortalité coronaire prématurée et des principaux facteurs de risque d’athérosclérose modifiables (hypertension artérielle, dyslipidémies, diabète, surpoids, obésité et tabagisme actif) entre 1986 et 2013 chez les habitants de la métropole lilloise âgés de 40 à 64 ans. Les analyses ont montré une diminution ou une stabilité des principaux facteurs de risque, à l’exception du surpoids (obésité incluse) dont la prévalence a augmenté chez les hommes. Le taux de mortalité coronaire a diminué sur la période, suggérant une contribution de l’évolution des facteurs de risque vasculaire à cette tendance.
Remerciements
Nous remercions le CHU, l’Université, l’Institut Pasteur de Lille, le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, le Fonds européen de développement régional (Feder), l’Institut de recherche en environnement industriel (IREnI), l’Inserm, la Direction générale de la santé, le Fonds d’intervention en santé publique, la Mutuelle générale de l’Éducation nationale, Onivins, la Fondation de France, la Fédération française de cardiologie, Pfizer, Parke-Davis, Bayer, le Cerin, l’Agence nationale de recherche et le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Déclaration d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.