Capacité à nager des 15-75 ans de France métropolitaine. Analyse des données des Baromètres santé 2010 et 2016

// Ability to swim of the 15-75 years-old in metropolitan France. Analyses of data from the 2010 and 2016 Health Barometers

Gaëlle Pédrono (gaelle.pedrono@santepubliquefrance.fr), Jean-Baptiste Richard, Bertrand Thélot et le groupe Baromètre santé 2016*
Santé publique France, Saint-Maurice, France


* Groupe Baromètre santé 2016 : Arnaud Gautier, Jean-Baptiste Richard, Delphine Rahib, Nathalie Lydié, Frédérike Limousi, Cécile Brouard, Christine Larsen.
Soumis le 30.05.2017 // Date of submission: 05.30.2017
Mots-clés : Capacité à nager | Noyade | Prévention | Enquête en population
Keywords: Ability to swim | Drownings | Prevention | Population survey

Résumé

Introduction –

En France, les noyades sont responsables de près de 500 décès accidentels chaque été et, parfois, de séquelles lourdes. La majorité d’entre elles a lieu dans un contexte de baignade, faisant de la capacité à nager un élément clé de la prévention des noyades. Aucune étude n’a jusque-là estimé la capacité à nager en population générale en France.

Méthodes –

Les répondants des Baromètres santé 2010 et 2016 réalisés en France métropolitaine ont été interrogés sur leur capacité à nager. La proportion de personnes sachant nager est exprimée en pourcentages pondérés standardisés sur la structure croisée sexe, âge, complétés par des intervalles de confiance à 95%. Les facteurs (sociodémographiques, économiques, de santé) favorisant la capacité à nager ont été étudiés à travers des modèles de régression logistique multivariés.

Résultats –

En 2010, 81,3% des répondants ont déclaré savoir nager (12,8% environ 10 mètres, 68,6% 50 mètres ou plus). En 2016, ils étaient 83,7% (14,7% environ 10 mètres, 69,0% 50 mètres ou plus). Les hommes étaient plus aptes à la nage que les femmes, globalement (87,8% versus 75,2% en 2010 et 89,2% versus 78,3% en 2016), et ce à tous les âges. Les jeunes répondants ont plus souvent déclaré savoir nager que leurs aînés (en 2016, 94,8% chez les 15-24 ans versus 64,7% chez les 65-75 ans). Dans le Baromètre santé, en 2016 par rapport à 2010, le pourcentage de personnes sachant nager était plus élevé chez les plus de 45 ans, et comparable chez les moins de 45 ans. Les autres facteurs significativement associés au fait de savoir nager étaient un niveau d’études supérieur au baccalauréat, une catégorie socioprofessionnelle supérieure, une bonne situation financière, ne pas vivre seul(e), une corpulence normale, une bonne santé mentale et résider dans certaines régions de France.

Conclusion –

Ce travail montre que plus d’un Français sur sept déclare ne pas savoir nager. Plus on est jeune, plus la proportion de personnes sachant nager est élevée. L’apprentissage de la nage à partir des années 1960, notamment en milieu scolaire, est probablement à l’origine de l’amélioration considérable de l’aptitude à la nage de la population, en particulier chez les femmes. Cependant, encore beaucoup des 55-75 ans ne savent pas nager, et ce sont surtout ces tranches d’âge qui sont touchées par les noyades. Il est important de rappeler que l’apprentissage de la nage, facteur de prévention des noyades, peut se faire à tout âge.

Abstract

Introduction –

In France nearly 500 people die from unintentional drowning every summer, which sometimes leaves heavy sequelae. The majority of them takes place in a context of bathing, making the ability to swim a key element in drowning prevention. So far, no study ever focused on the ability to swim in the general population in France.

Methods –

Respondents of the Health Barometer 2010 and 2016 in metropolitan France were interviewed on their ability to swim. The proportion of people who know how to swim is given in weighted percentages (standardized on the sex-age cross-structure), completed with 95% confidence intervals. Factors (demographic, economic, health) associated with the ability to swim were analyzed through multivariate logistic regression models.

Results –

In 2010, 81.3% of respondents reported being able to swim (12.8% about 10 meters, 68.6% 50 meters or more). In 2016, they were 83.7% (14.7% about 10 meters, 69.0% 50 meters or more). Men were more able to swim than women overall (87.8% versus 75.2% in 2010 and 89.2% vs. 78.3% in 2016), and at all ages. Young respondents were more often able to swim than their elders (in 2016, 94.8% among 15-24 years versus 64.7% among 65-75 years). In the Health Barometer, 2016 compared to 2010, the ability to swim was higher among the 45 years-old and above, and comparable among of the 44 years-old and younger. Other factors were significantly associated with the ability to swim: high-school level, higher socio-professional category, good financial situation, not living alone, normal weight, good mental health, and living in specific French regions.

Conclusion –

This work shows that more than one French person out of seven report they do not know how to swim. The younger people are, the higher the proportion of people knowing how to swim. The swimming learning program launched in 1960’s, particularly in the school environment, is most likely responsible for considerable improvement of the ability to swim in the population, particularly among women. However, a lot of French people older than 55 years still cannot swim, and it is precisely this age group which is particularly affected by drowning. It is important to remind that the learning of swimming, which contributes to drowning prevention, can be done at any age.

Introduction

Le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publié en 2014 décrit les noyades comme un problème de santé publique grave et négligé, à l’origine de 372 000 décès dans le monde chaque année, soit 1 000 par jour. Plus de 90% de ces décès par noyade surviennent dans des pays aux revenus pauvres ou modérés. Ce nombre de décès est équivalent à deux tiers des décès dus à la malnutrition et à plus de la moitié des décès dus au paludisme, mais contrairement à ces deux autres problèmes de santé publique, il n’existe pas de prévention généralisée permettant de lutter spécifiquement contre la noyade 1.

L’enseignement de la natation dans le primaire et le secondaire, par l’Éducation nationale, en France, repose sur une circulaire datant de 1965. Plus récemment, le décret 2006-830 du 11 juillet 2006 relatif au socle commun de connaissances et de compétences (code de l’éducation) indique : « Les principales capacités attendues d’un élève autonome sont les suivantes : […] avoir une bonne maîtrise de son corps, savoir nager ». La circulaire 2010-191 du 19 octobre 2010 complète en indiquant que « Apprendre à nager à tous les élèves est une priorité nationale, inscrite dans le socle commun de connaissances et de compétences », l’apprentissage de la nage devant répondre aux enjeux fondamentaux de l’éducation à la sécurité et à la santé et favoriser l’accès aux diverses pratiques sociales, sportives et de loisirs 2. En 2015 a été mise en place l’attestation scolaire « savoir nager » qui visait à uniformiser les tests d’aptitude à la nage pour les élèves des écoles élémentaires et des collèges 3. Pour autant, il n’existe pas de données sur la capacité à nager en France, à l’exception d’estimations faites chez les enfants à partir des enquêtes scolaires 4.

C’est lors de la réunion du Comité national de santé publique (CNSP), organisée par la Direction générale de la santé (DGS) le 7 mars 2007, qu’a été adopté un premier projet de « Plan national de prévention des accidents de la vie courante », qui comportait des actions à réaliser dans plusieurs domaines. La mesure : « Élargir l’apprentissage obligatoire de la natation pour les enfants » comportait la demande, émanant de l’Institut de veille sanitaire, d’insérer une question ad hoc dans les enquêtes en milieu scolaire, afin de rendre compte de la capacité à nager des enfants. Par la suite, une question semblable a été insérée dans le Baromètre santé 2010, puis dans le Baromètre santé DOM 2014 et enfin dans le Baromètre santé 2016, pour rendre compte de la capacité à nager en population générale âgée de 15 à 75 ans.

La surveillance des noyades est réalisée en France depuis plus de quinze ans par un dispositif d’enquêtes dédiées 5,6. Les noyades sont responsables de près de 500 décès accidentels chaque été et parfois de graves séquelles. Chez les enfants de 1 à 4 ans, elles constituent la deuxième cause de décès accidentel après les accidents de la circulation. Ces enquêtes ont montré que les noyades surviennent 4 fois sur 5 dans un contexte de baignade et qu’un défaut de capacité à nager est souvent rapporté comme responsable de la noyade.

Dans ce contexte, les objectifs de ce travail étaient d’établir une estimation du pourcentage de 15-75 ans déclarant savoir nager en France métropolitaine à partir des enquêtes Baromètre santé 2010 et 2016, selon l’âge et le sexe, et de déterminer les facteurs contribuant à cette capacité.

Matériel et méthodes

Les Baromètres santé sont des enquêtes multi-thématiques menées par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de la population des 15-75 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français. Dans les deux vagues d’enquêtes 2010 et 2016, la question suivante, visant à mesurer la capacité à nager, était posée : « Savez-vous nager ? », avec comme réponses possibles : Non ; Oui, environ 10 mètres ; Oui environ 50 mètres ou plus de 2 minutes ; Ne sait pas 7,8. Il s’agissait pour le répondant de dire s’il savait nager au moment de l’enquête. La modalité intermédiaire (savoir nager environ 10 mètres) permettait aux répondants sachant peu nager de répondre plus facilement et évitait ainsi de surestimer la part de personnes ne sachant pas du tout nager, population cible de notre étude. Dans la suite de ce travail, par commodité de langage, nous utiliserons l’expression « capacité à nager » pour parler de la capacité à nager déclarée par les répondants.

Les Baromètres santé 2010 et 2016 reposent sur une méthodologie comparable, décrite par ailleurs 9,10,11 : sondage aléatoire à deux degrés (ménage puis individu), réalisé à l’aide du système de Collecte assistée par téléphone et informatique (CATI).

Les taux de participation étaient respectivement de 61% et de 51%, pour des échantillons de 27 653 et 15 216 individus. Les données ont été pondérées pour tenir compte de la probabilité d’inclusion, puis redressées par calage sur marge sur les distributions, observées dans les enquêtes emplois 2008 et 2014 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), des variables suivantes : sexe croisé par âge en tranches décennales, région, taille d’agglomération, niveau de diplôme, fait de vivre seul. Les questions sur la capacité à nager ont été posées à 7 042 personnes en 2010 et 4 315 en 2016.

Pour l’analyse de la capacité à nager, les modalités « Non » et « Ne sait pas » (peu fréquentes) ont été regroupées. Les résultats sont exprimés en pourcentages pondérés, complétés des intervalles de confiance à 95%. Des tests de Chi2 de Pearson ont été réalisés pour comparer les résultats des enquêtes 2010 et 2016. Des modèles de régressions logistiques multivariées ont été réalisés sur les données des deux enquêtes pour l’estimation des facteurs favorisant la capacité à nager. Pour cette modélisation de la capacité à nager, les modalités « Oui, environ 10 mètres » et « Oui, environ 50 mètres ou plus de 2 minutes » ont été regroupées de façon à obtenir une variable binaire permettant d’étudier les facteurs associés au fait de ne pas du tout savoir nager. Par ailleurs, la capacité à nager déclarée étant différente chez les hommes et les femmes, ces analyses ont été stratifiées selon le genre afin d’identifier d’éventuels facteurs de risque spécifiques.

Les données sur les équipements de piscines par département ont été obtenues à partir du site www.data.gouv.fr 12 et rapportées aux nombres d’habitants selon le recensement de 2013 de l’Insee 13. L’analyse a été réalisée à l’aide du logiciel SAS® Entreprise Guide.

Résultats

Les enquêtes Baromètre santé montrent que 81,3% des répondants ont déclaré savoir nager en 2010 contre 83,7% en 2016. Cette augmentation globale de 1,5 point est significative (tableau 1). En 2010, 87,7% des hommes déclaraient savoir nager (9,7% environ 10 mètres, 78,1% 50 mètres ou plus de 2 minutes) ; ils étaient 89,2% en 2016 (10,6% environ 10 mètres, 78,6% 50 mètres ou plus de 2 minutes), cette augmentation n’est pas significative. Chez les femmes, 75,2% déclaraient savoir nager en 2010 (15,7% environ 10 mètres, 59,5% 50 mètres ou plus de 2 minutes) contre 78,3% en 2016 (18,7% environ 10 mètres, 59,6% 50 mètres ou plus de 2 minutes), cette différence de 3 points étant significative. D’une manière générale, plus les répondants étaient jeunes, plus la capacité à nager était importante ; alors que 95% des 15-24 ans déclaraient savoir nager dans les deux enquêtes, ils n’étaient, chez les 65 ans et plus, que 56,8% en 2010 et 64,7% en 2016. Si la capacité à nager est restée stable entre les deux enquêtes pour les 15-44 ans, elle a significativement augmenté chez les 45 ans et plus.

Tableau 1 : Fréquence de la capacité à nager des 15-75 ans en France métropolitaine en 2010 et 2016, selon l’âge et le sexe. Analyse des données des Baromètres santé 2010 et 2016
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La figure représente la capacité à nager déclarée par les répondants des enquêtes du Baromètre santé. En regroupant les données 2010 et 2016 par année de naissance, on montre que, chez les hommes, la capacité à nager 50 mètres ou plus passe de 57% chez les personnes nées avant 1945 à 92% chez celles nées après 1995. Par ailleurs, la capacité à nager environ 10 mètres passe de 18% à 6%, et les personnes ne sachant pas nager de 25% à 2%. Chez les femmes, la capacité à nager 50 mètres ou plus passe de 28% chez les personnes nées avant 1945 à 85% chez celles nées après 1995. Quant à la capacité à nager environ 10 mètres, elle est sensiblement la même, 15% versus 12%, et le pourcentage de personnes ne sachant pas nager diminue de 57% à 3%.

Figure : Fréquence de la capacité à nager des 15-75 ans en France métropolitaine, selon l’année de naissance chez les hommes et les femmes (regroupement des données des Baromètres santé 2010 et 2016)
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Une régression logistique multivariée a permis d’identifier les facteurs associés à la capacité à nager pour l’ensemble des répondants d’une part et par sexe d'autre part (tableau 2). Pour l’ensemble des répondants, les facteurs favorisant la capacité à nager, après ajustement sur l’ensemble des variables, étaient : le fait d’être un homme, d’avoir moins de 65 ans, de posséder un diplôme supérieur au baccalauréat, de travailler ou d’étudier, d’être cadre ou de profession intellectuelle supérieure ou intermédiaire ou employé, d’avoir un revenu supérieur au premier tercile, de ne pas vivre seul, d’avoir un score de santé mentale ne traduisant pas de détresse psychologique, d’être de corpulence normale, d’habiter les régions Auvergne Rhône-Alpes, Grand Est, Île-de-France, Nouvelle Aquitaine, Occitanie, Pays de Loire, Provence-Alpes Côte d’Azur et Corse.

Tableau 2 : Facteurs associés à la capacité à nager parmi les 15-75 ans en France métropolitaine, globalement et par sexe. Analyse des données des Baromètres santé 2010 et 2016
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Des modèles ont été réalisés séparément chez les hommes et les femmes (tableau 2). Globalement, les mêmes facteurs sont associés à la capacité à nager à quelques exceptions près : chez les hommes, après ajustement, le score de santé mentale et la corpulence ne sont pas associés à la capacité à nager ; chez les femmes, le fait de vivre seule n’est pas associé à la capacité à nager.

Le nombre d’habitants par piscine au niveau départemental a été étudié lors de la modélisation. S’il existe une relation univariée entre capacité à nager et nombre d’habitants par piscine (les résidents des départements offrant un meilleur accès aux piscines déclarent plus souvent savoir nager), cette association disparaît après ajustement sur les autres facteurs du modèle. La situation financière perçue a également été étudiée : bien que significative en univarié, l’association disparaissait dans le modèle multivarié au profit des autres variables socioéconomiques.

Discussion

Les résultats des Baromètres santé 2010 et 2016 permettent pour la première fois d’évaluer la capacité à nager des 15-75 ans vivant en France métropolitaine. En 2016, 83,7% d’entre eux déclaraient savoir nager, contre 81,3% en 2010.

D’une manière générale, chez les hommes, plus les répondants étaient jeunes et plus souvent ils savaient nager et savaient également nager au moins 50 mètres. Chez les femmes, la proportion de personnes ne sachant pas nager était de 57% chez les personnes nées avant 1945, contre 3% chez les personnes nées après 1995. En revanche, les pourcentages de personnes pouvant nager environ 10 mètres, c’est-à-dire des personnes ayant une capacité à nager limitée, étaient proches pour les différentes générations (entre 12% et 20%).

Les résultats comparant la capacité à nager selon l’année de naissance plaident en faveur de l’efficacité de l’apprentissage de la nage par l’Éducation nationale à partir de la fin des années 1960 : les jeunes générations savent beaucoup plus fréquemment nager que leurs aînés. L’attestation scolaire de savoir nager, mise en place en 2015, devrait apporter dans les années à venir des informations objectives et standardisées sur la mesure de la capacité à nager des élèves de l’école primaire et du collège 3.

La capacité à nager a été rarement évaluée dans d’autres pays. Aux États-Unis, un rapport récent de la Croix-Rouge 14 indique que 80% de la population américaine est capable de nager, 84% chez les hommes contre 78% chez les femmes, avec un pourcentage atteignant 86% chez les 35-44 ans et 75% chez les 65 ans et plus. Une autre étude américaine 15 s’intéressant à la capacité à nager des étudiants montre que 65,5% d’entre eux savent nager (36,3% un peu, 29,2% efficacement), avec des différences entre les hommes (68,2%) et les femmes (62,6%), et que cette jeune génération d’étudiants aurait de moins bonnes capacités à nager que ses aînés. Chez les enfants, une autre étude américaine 16 a estimé la capacité à nager à 65,4% chez les 4-11 ans et à 85,4% chez les 12-17 ans, et a montré que cette faculté était meilleure chez les enfants dont les parents ont des diplômes supérieurs. À notre connaissance, aucune étude européenne n’a évalué la capacité à nager en population générale.

Les facteurs associés à la capacité à nager sont avant tout socioéconomiques : un diplôme supérieur au baccalauréat, être professionnellement actif, être issu d’une catégorie socioprofessionnelle élevée ou moyenne et avoir un revenu élevé. Les autres facteurs favorisant la capacité à nager sont d’avoir une bonne santé psychologique, de ne pas vivre seul(e) et de ne pas être en surpoids ou obèse. Il existe des disparités régionales dans la capacité à nager, celle-ci étant plus élevée chez les habitants de Provence-Alpes Côte-d’Azur et Corse, Auvergne Rhône-Alpes, Nouvelle Aquitaine, Occitanie et Île-de-France, et moins élevée chez ceux des Hauts-de-France. Ces différences persistent après la prise en compte de l’ensemble des facteurs socioéconomiques. Par ailleurs, l’indicateur d’accès aux piscines (nombre moyen d’habitants par piscine pour chaque département) n’expliquait pas les différences de capacité à nager après ajustement sur les autres facteurs : l’hypothèse qu’une inégalité d’accès aux piscines pouvait entraîner des inégalités pour l’apprentissage de la nage n’a pas été confirmée par ces enquêtes.

Les enquêtes scolaires 4 ont mis en évidence qu’en CM2, 89% des garçons et 86% des filles déclaraient savoir nager, et témoignaient également du poids des inégalités sociales : la capacité à nager était significativement moins élevée lorsque les parents des enfants étaient sans activité professionnelle, de catégories socioprofessionnelles moins élevées, lorsque les enfants passaient beaucoup de temps devant un écran, qu’ils étaient scolarisés dans une zone urbaine sensible, qu’ils habitaient le Nord de la France plutôt que le Sud.

Une exploitation similaire a été faite pour les données du Baromètre santé DOM 2014 qui comportait cette même question de la capacité à nager 17. Les facteurs associés à la capacité à nager sont comparables à ceux de la métropole, avec une capacité à nager globalement plus faible dans les DOM qu’en métropole.

Ces résultats peuvent être mis en perspective avec ceux de l’enquête NOYADES 2015 5,6, qui a recensé toutes les noyades estivales (du 1er juin au 30 septembre 2015) en France métropolitaine et dans les DOM. Les personnes les plus souvent victimes de noyades sont les personnes âgées, qui s’avèrent également être les moins aptes à la nage : les services de secours mentionnaient très fréquemment l’inaptitude à la nage comme facteur à l’origine ou aggravant la noyade. De la même façon, les jeunes enfants étaient également fréquemment victimes de noyades, ceci relevant bien souvent d’un défaut de surveillance des adultes et de la non utilisation d’équipements de protection, mais également d’une inaptitude à la nage.

Comme dans toutes les enquêtes téléphoniques, les résultats sur la capacité à nager sont issus de données déclaratives, donc soumis à la subjectivité : il existe ainsi une possibilité de sous-déclaration ou de sur-déclaration de la capacité à nager. Une étude néo-zélandaise réalisée en 2012 chez des étudiants en sport 18 a montré qu’il pouvait exister une différence entre la capacité à nager déclarée et la capacité à nager mesurée par des tests de natation, les étudiants ayant tendance à sous-estimer leur faculté à flotter et à plonger et à surestimer leurs capacités pour la nage sur le dos et sous l’eau. Dans cette étude, les hommes avaient une moins bonne perception des risques de noyade que les femmes. Une étude comparable menée en Australie a montré des résultats similaires 19, avec une sous-estimation des risques et une surestimation des compétences, conduisant potentiellement à une prise de risque vis-à-vis de la noyade. Par ailleurs, la question étudiée dans le Baromètre santé ne permet pas de distinguer le fait de savoir nager en milieu artificiel (piscine) de celui de savoir nager en milieu naturel. Or le risque de noyade est vraisemblablement différent en milieu naturel et en piscine, que la personne sache bien nager ou pas.

Les travaux d’une équipe américaine 20 ont montré qu’une participation à des séances de natation au plus jeune âge réduisait de 88% les risques de noyades chez les enfants de 1 à 4 ans. Des travaux complémentaires seraient à conduire pour comprendre pourquoi l’écart homme/femme de capacité à nager, bien qu’il ait fortement diminué, persiste dans les jeunes générations.

Conclusion

Les résultats des Baromètres santé 2010 et 2016 permettent de montrer que les femmes déclarent moins souvent savoir nager que les hommes. Les jeunes adultes sont beaucoup plus souvent en capacité de nager que leurs aînés. Les facteurs associés à la capacité à nager sont avant tout socioéconomiques, les personnes socialement favorisées déclarant plus souvent savoir nager.

Cette première estimation de la capacité à nager des 15-75 ans en métropole complète les travaux de surveillance épidémiologique des noyades. Les enquêtes NOYADES ont bien montré que le défaut de capacité à nager était une des causes majeures de noyade. Leur prévention passe donc par l’apprentissage de la nage, dès le plus jeune âge et à tout âge, chez les adultes n’ayant pas appris à nager.

La poursuite de ces enquêtes épidémiologiques, sur les noyades et sur la capacité à nager en population générale, est indispensable pour évaluer l’efficacité de l’apprentissage de la nage dans le milieu scolaire. Un rapport de la Commission européenne montre que l’apprentissage de la nage à l’école (primaire et secondaire) fait partie des programmes d’études de la grande majorité des pays européens 21. La nage fait partie des activités physiques recommandées pour le bien-être et la santé 22. Il est important de continuer à relayer les campagnes de prévention, à l’approche des périodes estivales, pour se baigner en toute sécurité 23.

Comme dans la plupart des domaines de la santé, ce sont les personnes socioéconomiquement défavorisées qui savent le moins bien nager et qui sont donc soumises à des risques plus importants de noyades. L’encouragement à apprendre à nager, et à bien nager, à tous les âges, y compris pour les séniors, surtout pour les femmes et les personnes de condition modeste, en concentrant davantage d’effort dans certaines régions, apparaît ainsi comme un axe majeur de prévention des noyades. Sur le long terme, à pratique de baignade équivalente, l’amélioration de la capacité à nager dans la population devrait conduire à une baisse importante des cas de noyades.

Remerciements

À Jean De Labrusse, Bureau des équipements, Direction des sports, Ministère des Sports. À Stéphanie Chaulet-Mauro, Bureau de l’action sociale, de la santé et de la sécurité, Direction générale de l’enseignement scolaire, Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Références

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2 Conditions pratiques de mise en œuvre de l’enseignement de la natation (maternelle, élémentaire, collège et lycée). Circulaire natation n° 2011-090 du 7-7-2011. Bulletin officiel du ministère de l’Éducation Nationale n°28 du 14 juillet 2011.
3 Attestation scolaire « savoir-nager », NOR : MENE1514410D, décret n° 2015-847 du 9-7-2015 – J.O. du 11-7-2015, MENESR – DGESCO A1-2 http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=91203
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6 Lasbeur L, Szego-Zguem E, Thélot B. Surveillance épidémiologique des noyades – Enquête NOYADES 2015. 1er juin – 30 septembre 2015. Saint-Maurice: Santé publique France; 2016. 74 p. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=12949
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Citer cet article

Pédrono G, Richard JB, Thélot B, et le groupe Baromètre santé 2016 . Capacité à nager des 15-75 ans de France métropolitaine. Analyse des données des Baromètres santé 2010 et 2016. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(18);361-9. http://invs.sante​publiquefrance.fr/beh/2017/18/2017_18_3.html