Contrôler durablement l’épidémie VIH en France

// CONTROLLING THE HIV EPIDEMICS IN FRANCE

François Dabis1, 2, 3
1 Directeur de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), Paris, France
2 Inserm U1219, ISPED, Université de Bordeaux, France
3 Corevih Nouvelle-Aquitaine, CHU de Bordeaux, France

Trente-six ans après la détection des tout premiers cas de sida en France, l’épidémie continue. Certes, des progrès sans précédent ont été obtenus en matière de prévention, de dépistage, de traitement antirétroviral, et la recherche a clairement contribué à ces succès de santé publique. Beaucoup d’indicateurs épidémiologiques attestent ainsi que l’épidémie a très nettement régressé, mais les 6 000 nouvelles découvertes de séropositivité chaque année pèsent encore lourdement sur le fardeau de la maladie, sur notre système de santé et témoignent des insuffisances en matière de prévention. La stagnation de ce chiffre sur la période 2011-2015 confirme bien que l’épidémie est toujours active.

La connaissance de l’épidémiologie de l’infection à VIH en France repose sur de nombreux dispositifs de surveillance, par définition continus et systématiques, mais aussi sur des enquêtes transversales répétées. La mise en commun des ressources et la réalisation de projets collaboratifs entre Santé publique France et l’ANRS a ainsi permis, au fil des années, la documentation de l’importance de l’épidémie dans la population-clé des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et de son évolution. L’enquête PREVAGAY 2015 rapportée dans ce numéro du BEH 1 en est une excellente illustration. Annie Velter et coll. ont mené un travail méthodique dans les lieux de convivialité gay de cinq grandes villes françaises pour collecter des données démographiques, épidémiologiques, comportementales et enfin virologiques. L’ensemble permet la production d’estimations de qualité sur la prévalence de l’infection à VIH dans cette population-clé. Un HSH sur 8 qui a accepté le dispositif d’enquête vit avec le VIH, avec des disparités nettes par région. Plus inquiétant pour la suite, la prévalence chez les HSH jeunes est déjà élevée (6% chez les moins de 30 ans), plus forte que dans d’autres villes européennes et en augmentation au fil des enquêtes. Ceci témoigne d’un problème d’adhésion des plus jeunes à nos politiques de prévention. À l’inverse, on doit mentionner le caractère plus rassurant des indicateurs de prise en charge des HSH vivant avec le VIH : dans cette enquête, 92% étaient diagnostiqués et donc connaissaient leur statut, et 95% d’entre eux étaient bien sous traitement antirétroviral. Aucune estimation n’a été fournie sur la proportion des personnes traitées qui étaient virologiquement contrôlées. Les conduites à risque étaient assez fréquentes mais l’origine de l’échantillon (bars, sauna…) pouvait laisser attendre ce type de résultat. La prévalence des différentes hépatites virales n’a pas été documentée, mais on peut penser qu’elle pourrait être élevée si l’on s’en réfère à la détection récente d’épidémies d’hépatite A aiguë dans les populations d’HSH, comme rapporté en Normandie dans le même numéro du BEH 2.

L’enquête PREVAGAY 2015 procure donc une photographie à la fois inquiétante de l’épidémie chez les jeunes HSH français, mais aussi rassurante en matière de prise en charge. Or celle-ci est décisive pour un contrôle marqué et durable de l’épidémie dans cette population-clé. La diversification des réseaux sexuels et des modalités de rencontre (applications mobiles géo-localisées notamment) est un réel défi pour les dispositifs d’information et de prévention, mais impose également la diversification de nos dispositifs d’enquête et de recherche pour obtenir une image épidémiologique plus complète, fidèle et adaptée à l’évolution des pratiques. L’expérimentation de la notification aux partenaires sexuels, d’abord dans un cadre de recherche, est par ailleurs urgente en France, car elle a démontré tout son intérêt depuis de nombreuses années dans plusieurs pays anglo-saxons en tant qu’élément d’une stratégie globale de prévention des infections sexuellement transmises.

En matière de réponse, il est clair au vu de ces données d’enquête que la prévention diversifiée doit devenir rapidement la règle, tout particulièrement chez les HSH en France : maintien de la promotion effective du préservatif masculin, accès et usage larges de la prophylaxie pré-exposition (PreP), persistance à des niveaux très élevés de la pratique de dépistage répété du VIH et des hépatites selon de multiples modalités et sans oublier, enfin, les vaccinations adaptées. L’autorisation récente de mise sur le marché du Truvada pour la PreP, la révision des recommandations en matière de dépistage VIH par la Haute Autorité de santé, le lancement cette année d’une stratégie nationale de santé sexuelle et la diffusion prochaine d’un rapport d’experts VIH actualisé et abordant à la fois la prise en charge et la prévention, constituent un cadrage inégalé pour enrayer la progression de l’épidémie en France. L’enquête PREVAGAY 2015 nous rappelle que l’application de toutes ces mesures est nécessaire et urgente, qu’il faudra l’adapter aux situations locales et que surveillance et recherche resteront indispensables pendant plusieurs années pour documenter les progrès en la matière. Ce sont les défis pour la recherche en santé publique, que l’ANRS entend relever. La Conférence mondiale “HIV Science” que l’ANRS organise avec l’International AIDS Society du 23 au 26 juillet à Paris, permettra de croiser les savoirs et les expériences tant en France qu’à l’international pour mieux contrôler durablement l’épidémie à VIH.

Références

1 Velter A, Sauvage C, Saboni L, Sommen C, Alexandre A, Lydié N, et al. Estimation de la prévalence du VIH chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes fréquentant les lieux de convivialité gay de cinq villes françaises – PREVAGAY 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(18):347-54. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/18/2017_18_1.html
2 Le Bourhis-Zaimi M, Roque-Afonso AM, Chemlal K, Lejeune AC, Vion B, Mathieu A, et al. Épidémie d’hépatite A parmi des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, Rouen, décembre 2016 – avril 2017. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(18):355-9. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/18/2017_18_2.html

Citer cet article

Dabis F. Éditorial. Contrôler durablement l’épidémie VIH en France. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(18):346-7. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/18/2017_18_0.html