Analyse descriptive de l’incidence du cancer de la thyroïde à partir des données des registres des cancers sur la période 1982-2012 en France

// Descriptive analysis of the incidence of thyroid cancer between 1982 and 2012 in France using cancer registries data

Marc Colonna1,2 (mcolonna.registre@wanadoo.fr), Anne-Valérie Guizard2,3, Zoé Uhry4,5, Patricia Delafosse1,2, Florence De Maria4, Claire Schvartz2,6, Pascale Grosclaude2,7, Réseau des registres des cancers (Francim)
1 Registre du cancer de l’Isère, Grenoble, France
2 Francim, Toulouse, France
3 Registre général des tumeurs du Calvados, Caen, France
4 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
5 Hospices civils de Lyon, Service de biostatistique, Pierre-Bénite, France
6 Registre des cancers de la thyroïde de Marne-Ardennes, Reims, France
7 Registre des cancers du Tarn, Albi, France
Soumis le 29.01.2015 // Date of submission: 01.29.2015
Mots-clés : Cancer de la thyroïde | Cancers papillaires | Incidence | Tendance | Distribution spatiale | Taille de la tumeur
Keywords: Thyroid cancer | Papillary cancers | Incidence | Trends | Spatial distribution | Tumor size

Résumé

Introduction –

L’incidence du cancer de la thyroïde a fortement augmenté dans de nombreux pays au cours des dernières décennies. Cette augmentation concerne essentiellement les cancers papillaires. Les pratiques diagnostiques et l’effet de facteurs de risque sont évoqués pour expliquer cette augmentation. Nous présentons une analyse descriptive en termes d’évolution et de répartition spatiale de l’incidence de ce cancer en France.

Matériel et méthode –

L’analyse de l’incidence utilise les données des registres des cancers départementaux. Une première analyse spatio-temporelle concerne la période 1982-2012. Une seconde analyse correspond à la description de la distribution spatiale de l’incidence des cancers papillaires entre 2009 et 2012 selon la taille de la tumeur. Les approches habituelles en épidémiologie sont utilisées (standardisation directe et indirecte).

Résultats –

L’incidence des cancers papillaires a fortement augmenté au cours de la période 1982-2012, avec un taux annuel moyen d’augmentation dépassant les 6%. L’augmentation se ralentit au cours de la période récente pour les personnes de moins de 60 ans au moment du diagnostic. L’évolution diffère selon les départements.

On observe une forte disparité géographique de l’incidence des cancers papillaires au cours de la période 2009-2012, cette disparité concernant toutes les tailles de tumeur. On distingue trois départements avec une incidence élevée (Isère, Gironde et Vendée) et trois autres avec une faible incidence (Bas-Rhin, Haut-Rhin et Manche).

Conclusion –

L’incidence des cancers de la thyroïde, plus particulièrement de type papillaire, a fortement augmenté en France. Cette augmentation résulte en grande partie d’un effet des pratiques médicales. Des facteurs de risque sont probablement également impliqués dans cette augmentation. Toutefois, ces facteurs de risque n’ont pas encore été clairement identifiés à ce jour et il est difficile d’émettre des hypothèses au vu des disparités géographiques d’incidence observées.

Abstract

Background –

The incidence of thyroid cancer has sharply increased in many countries in the past decades. This increase mainly concerns papillary cancers. It has been suggested that changes in diagnostic practices and the effect of risk factors could explain this rise. We present a descriptive analysis in terms of evolution and spatial distribution of the incidence of this cancer in France.

Material and method –

The incidence analysis is based on data from French cancer registries collected at a district level. A first analysis of incidence involves data covering the whole period 1982-2012. A second analysis describes the spatial distribution of papillary cancer incidence between 2009 and 2012 according to the size of the tumor. The usual epidemiological approaches (direct and indirect standardization) are used in these analyses.

Results –

The incidence of papillary cancers has sharply increased during the period 1982-2012 with an annual average rate of over 6%. The increase has slowed in the recent period in people aged less than 60 years at the time of diagnosis. The trend differs among the districts covered by cancer registries. There is a strong geographic disparity in the incidence during the period 2009-2012. This disparity concerns all tumor sizes. Three districts report a high incidence (Isère, Gironde and Vendée), and three others show a low incidence (Bas-Rhin, Haut-Rhin and Manche).

Conclusion –

The incidence of thyroid cancer, especially papillary type cancer, has considerably increased in France. This increase results most probably from the effect of medical practices although other risk factors also seem to be involved, but to a lesser extent. These risk factors have not yet been clearly identified to date so that the geographic disparities observed are difficult to interpret in terms of risk factors.

Introduction

Comme dans la plupart des pays occidentaux 1, différentes études réalisées à partir des données des registres des cancers en France (réseau Francim) ont montré une augmentation de l’incidence des cancers de la thyroïde 2,3. Cette augmentation concerne essentiellement les cancers papillaires, avec des disparités d’évolution selon la taille de la tumeur 2 et le département 4. Cet article fournit une description actualisée de l’évolution de l’incidence du cancer de la thyroïde de 1982 à 2012 dans huit départements couverts par un registre du cancer sur l’ensemble de cette période. Les variations géographiques d’incidence des cancers papillaires de la thyroïde pour la période 2009-2012 dans 15 départements et dans la métropole lilloise sont également décrites en fonction de la taille des tumeurs, celle-ci étant recueillie en routine par les registres des cancers depuis 2009. L’étude a été réalisée dans le cadre du partenariat en charge de la surveillance des cancers, associant le réseau Francim, les Hospices civils de Lyon, l’Institut de veille sanitaire et l’Institut national du cancer.

Matériel et méthode

L’analyse des tendances de l’incidence sur la période 1982-2012 repose sur les données de sept registres du cancer (le registre des cancers thyroïdiens de Marne-Ardennes et six registres généraux) couvrant huit départements (Ardennes, Calvados, Doubs, Isère, Marne, Bas-Rhin, Somme, Tarn). L’analyse de l’incidence sur la période récente 2009-2012 prend en compte les données de 15 registres couvrant 15 départements (Ardennes, Calvados, Doubs, Gironde, Hérault, Isère, Loire-Atlantique, Manche, Marne, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Somme, Tarn, Vendée, Haute-Vienne) et la métropole lilloise. Les données du Bas-Rhin et de Haute-Vienne ne couvrent que la période 2009-2011.

La description de l’incidence du cancer, en termes d’évolution et de répartition spatiale, repose sur l’utilisation des méthodes et indicateurs classiques en épidémiologie descriptive : standardisation directe et indirecte, taux standardisé sur la population mondiale, rapport standardisé d’incidence (SIR) et taux de variation annuel moyen. Pour décrire l’évolution, les taux d’incidence (standardisés et spécifiques de l’âge, exprimés pour 100 000 personnes-années) sont lissés par la technique des splines de lissage à partir d’un modèle de Poisson. L’ensemble des analyses a été réalisé avec les logiciels Stata®14 et Splus®6.2.

Résultats

Analyse de l’incidence des cancers de la thyroïde sur la période 1982-2012 (données de sept registres)

Le tableau présente les effectifs de cas par sexe, type histologique en début de période (1982-1986) et en fin de période (2008-2012), dénombrés dans huit départements. Entre ces deux périodes, le nombre total de cas incidents est passé de 526 à 2 641 chez les femmes et de 161 à 796 chez les hommes. La proportion de cancers de type histologique papillaire a très fortement augmenté, passant de 52% à 89% chez les femmes et de 50% à 81% chez les hommes. L’incidence standardisée du cancer de la thyroïde, toutes histologies confondues, a été multipliée par 4,3 chez les femmes et 3,8 chez les hommes entre les deux périodes (tableau). Cette augmentation est majoritairement attribuable à celle des cancers papillaires, dont l’incidence a été multipliée par 6,8 chez les femmes et 6,0 chez les hommes. L’incidence des cancers médullaires a légèrement augmenté pour les deux sexes. Elle est stable pour les cancers vésiculaires chez les femmes et en légère augmentation chez les hommes. Ce type histologique est le deuxième le plus fréquent et représente 6,5% et 11% des cancers de la thyroïde au cours de la période 2008-2012, chez les femmes et chez les hommes respectivement. L’incidence des cancers anaplasiques a diminué de moitié pour les deux sexes.

Tableau : Nombre de cas incidents et taux standardisés (monde) de cancers de la thyroïde par histologie, période et sexe (sept registres), France
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Analyse de l’incidence des cancers papillaires sur la période 1982-2012 (données de sept registres)

L’évolution annuelle de l’incidence des cancers papillaires entre 1982 et 2012 est rapportée dans la figure 1. L’augmentation de l’incidence, qui correspond à un taux de variation annuel moyen de 7,0% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [6,1-7,8]) chez les femmes et 6,7% (IC95%: [6,1-7,4]) chez les hommes, se ralentit en fin de période. Le détail de l’évolution de l’incidence par âge montre que le ralentissement est plus prononcé pour les âges jeunes et ne concerne pas les cas de plus de 70 ans.

Figure 1 : Cancers papillaires de la thyroïde : taux d’incidence spécififique de l’âge et taux standardisés (monde) par sexe, France (sept registres)
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L’analyse par département (figure 2 et 3) montre une similarité d’évolution pour les deux sexes, alors que le niveau d’incidence est moindre chez les hommes. Les différences d’incidence entre départements étaient moins prononcées en début de période. Le rapport des SIR extrêmes est ainsi passé de 1,6 (IC95%: [0,6-4,2]) chez les hommes sur la période 1982-1986 à 3,7 (IC95%: [2,8-5,0]). Les chiffres correspondant pour les femmes sont respectivement 2,3 (IC95%: [1,4-3,8]) et 3,9 (IC95%: [3,4-4,6]).

L’analyse de l’évolution par département permet de distinguer quatre grandes situations chez les femmes. La première concerne cinq départements (Ardennes, Calvados, Doubs, Marne et Somme) dont les taux d’incidence standardisés ont augmenté pour atteindre un taux maximum situé entre 12 et 15 pour 100 000, cette augmentation s’étant stabilisé au début des années 2000. Ces départements se situent dans la moyenne de l’incidence des huit départements couverts, sauf en fin de période. La deuxième situation concerne le département du Bas-Rhin dont l’incidence a augmenté régulièrement, sans dépasser 8 pour 100 000, avec un léger ralentissement de l’augmentation en fin de période. L’incidence du Bas-Rhin est de ce fait très inférieure à celle de l’ensemble des départements dès le milieu des années 1980. La troisième situation correspond au département du Tarn dont l’incidence a fortement augmenté au début de la période jusqu’au début des années 2000 (avec un pic d’incidence proche de 20 pour 100 000 en 2004) pour se stabiliser ensuite. Après une incidence supérieure à celle des huit départements réunis, le Tarn se situe actuellement dans la moyenne de ces départements. La dernière situation concerne le département de l’Isère dont l’incidence a fortement augmenté à partir de la fin des années 1990, atteignant un pic d’incidence de 27 pour 100 000 en 2010. L’incidence semblerait se stabiliser actuellement.

On retrouve ces quatre situations chez les hommes, à un niveau d’incidence moindre puisqu’il ne dépasse pas les 5 pour 100 000, sauf dans l’Isère où le pic d’incidence est proche de 9 pour 100 000.

Figure 2 : Cancers papillaires de la thyroïde chez les femmes : taux standardisés (monde) par département, France (sept registres), 1982-2012
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Figure 3 : Cancers papillaires de la thyroïde chez les hommes : taux standardisés (monde) par département, France (sept registres), 1982-2012
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Analyse de l’incidence des cancers papillaires sur la période récente 2009-2012 (données de 15 registres)

Durant la période 2009-2012, 4 328 cas de cancers papillaires ont été dénombrés chez les femmes et 1 211 chez les hommes. Ces cancers représentent 89,5% et 81,5% des cas de cancer de la thyroïde dénombrés pendant cette période dans les 15 départements et dans la métropole lilloise. L’incidence standardisée (monde) des cancers papillaires est de 13,8 (IC95%: [13,4-14,2]) chez les femmes et 3,9 (IC95%: [3,6-4,1]) chez les hommes.

Les SIR reportés dans la figure 4 permettent de comparer l’incidence de chacun des départements par rapport à l’incidence de l’ensemble des 15 registres, selon la taille de la tumeur. La taille a été stratifiée en cinq classes : ≤5 mm (1 982 cas, soit 35,8% des cancers papillaires), ]5-10 mm] (1 172 cas, 21,2%), ]10-20 mm] (1 220 cas, 22%), ]20-40 mm] (820 cas, 15,2%) et >40 mm (198 cas, 3,6%). La taille est inconnue ou non mesurée pour 147 cas (2,6%).

Il existe une hétérogénéité géographique de l’incidence des cancers papillaires, quelle que soit la taille. L’amplitude des SIR est la plus forte pour les tumeurs ≤5 mm, mais elle reste élevée jusqu’aux tumeurs entre 20 et 40 mm même si, globalement, l’amplitude des rapports standardisés d’incidence s’atténue avec la taille. Pour la catégorie 20-40 mm, l’incidence dans le département de l’Isère s’écarte nettement de celle des autres départements. Les fluctuations liées à la faiblesse des effectifs ne permettent pas la mise en évidence d’une éventuelle hétérogénéité pour les tumeurs de plus de 40 mm. Enfin, trois départements se démarquent avec une incidence faible, quelle que soit la taille ≤40 mm : Bas-Rhin, Haut-Rhin et Manche et, à l’opposé, trois autres départements présentent une incidence élevée : Vendée, Gironde et Isère.

Figure 4 : Cancers papillaires de la thyroïde : rapports standardisés d’incidence selon la taille des tumeurs (en mm), France (15 registres), 2009-2012,
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Analyse de l’incidence des cancers vésiculaires sur la période 1982-2012

L’évolution annuelle de l’incidence des cancers vésiculaires entre 1982 et 2012 (données de sept registres) est reportée dans la figure 5. L’incidence est stable chez les femmes avec un taux de variation annuel moyen de 0,12% (IC95%: [-0,65;+0,88]). Cette incidence augmente chez les hommes avec un taux de variation annuel moyen de 1,8% (IC95%: [0,64-2,94]).

La répartition des cas selon la taille de la tumeur au cours de la période 2009-2012 montre une prépondérance des tumeurs de taille comprise entre 20 et 40 mm : 47% des cas chez les hommes et 43,5% des cas chez les femmes. Le second groupe le plus fréquent est constitué des tumeurs de plus de 40 mm : 39,6% des cas chez les hommes et 26,6% chez les femmes.

Figure 5 : Cancers vésiculaires de la thyroïde : taux standardisés (monde) par sexe, France (sept registres)
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Discussion

L’incidence du cancer de la thyroïde a fortement augmenté en France comme dans de nombreux pays. Cette augmentation est majoritairement liée à l’évolution de l’incidence des cancers papillaires, qui sont de très bon pronostic contrairement aux cancers anaplasiques (pronostic péjoratif), médullaires et vésiculaires (pronostic intermédiaire) 5. Dans les registres des cancers en France, les cancers papillaires représentaient 87% de l’ensemble des cancers de la thyroïde entre 2008 et 2012 et seulement 52% des cancers de la thyroïde entre 1982 et 1986. On observe toutefois un ralentissement de l’augmentation de l’incidence des cancers papillaires ces dernières années, en particulier aux âges jeunes. L’incidence des cancers papillaires a évolué différemment selon les départements, conduisant à une accentuation des écarts d’incidence entre départements. L’analyse de la répartition spatiale de l’incidence selon la taille des cancers papillaires met en évidence de fortes disparités, qui sont relativement similaires selon la taille de la tumeur.

Il existe une diversité et une complémentarité des facteurs pouvant contribuer à l’augmentation de l’incidence des cancers papillaires. De nombreuses publications mentionnent l’impact de l’évolution des pratiques médicales et l’amélioration des techniques diagnostiques 6. Ces aspects ont été décrits en France à partir d’une étude rétrospective sur l’évolution des pratiques de prise en charge des pathologies thyroïdiennes entre 1980 et 2000 7. Cette étude décrit une augmentation des découvertes fortuites de cancer lors de l’examen anatomopathologique, en association avec une augmentation de la proportion de thyroïdectomies totales. Elle décrit aussi une augmentation de l’utilisation de l’échographie lors de la prise en charge diagnostique des pathologies de la thyroïde. Combinée à l’amélioration de ses performances, cette technique a permis la détection de lésions de plus en plus petites. La pratique des cytoponctions à l’aiguille fine s’est également développée, permettant un diagnostic précoce des tumeurs. Cet effet est renforcé par l’évolution des pratiques anatomopathologiques permettant la réalisation de coupes de plus en plus fines, aboutissant à la découverte de cancers de quelques millimètres. La conséquence de l’évolution des pratiques diagnostiques et thérapeutiques, notamment chirurgicales, des pathologies thyroïdiennes induit une augmentation de la découverte fortuite de lésions infra-cliniques 8. Cette augmentation de l’incidence est d’autant plus prononcée que ces évolutions de pratiques médicales interviennent dans un contexte de prévalence élevée de cancers occultes 9. Une publication récente évalue à 60% le nombre de cas diagnostiqués entre 2003 et 2007 attribuable aux évolutions diagnostiques 6.

L’effet des pratiques médicales se combine probablement avec celui des facteurs de risque pour expliquer l’augmentation de l’incidence. L’hypothèse d’un effet de facteurs de risque repose, entre autres, sur l’analyse de l’évolution de l’incidence selon la taille des tumeurs 10. Une telle analyse a été faite dans le cadre d’une étude spécifique en France entre 1983 et 2000 2,4. Si les tumeurs de petites tailles sont celles dont l’incidence a le plus augmenté (i.e. micro-papillaires de moins de 10 mm), on observe également une augmentation de l’incidence des tumeurs de plus grande taille. L’augmentation de l’incidence des tumeurs de taille élevée suggère l’implication de facteurs de risque. En particulier, l’exposition aux rayonnements ionisants est reconnue de longue date comme un facteur de risque pour les cancers papillaires de la thyroïde, notamment pour une exposition durant l’enfance. Pour Enewold et coll., cette exposition peut résulter des radiations reçues lors du traitement de certaines pathologies bénignes entre 1930 et 1960 11. Elle peut être aussi la conséquence de la multiplication des examens radiologiques, notamment dentaires 12. Les essais nucléaires réalisés dans les années 1950-1960 sont une autre source d’exposition aux radiations. L’impact des retombées liées à l’accident de Tchernobyl est discuté en Europe. Dans la partie occidentale du continent européen, le niveau de ces retombées est resté faible et les mesures d’impact montrent la difficulté de détection d’un effet à partir des données épidémiologiques 13. Par ailleurs, une absence de corrélation entre le niveau des retombées et la répartition spatiale de l’incidence a été observée au Pays de Galles 14, en Italie 15 et en France 3.

La carence en iode constitue un facteur de risque des cancers de la thyroïde de type vésiculaire 12, mais ne semble pas induire des tumeurs papillaires. En revanche, elle favorise l’apparition de pathologies bénignes de la thyroïde (goître, nodules) qui peuvent conduire, à la suite de leur prise en charge, au diagnostic fortuit de cancers papillaires de petite taille. La supplémentation en iode par le biais de l’enrichissement du sel de cuisine, qui a débuté en France en 1952, a réduit la fréquence de ce type de pathologies bénignes, ce qui pourrait expliquer la modification de la tendance de l’incidence entre 1995 et 2000 chez les patients de 50 ans ou moins (cohortes qui ont été supplémentées dès leur enfance).

En France, nous observons une augmentation forte et régulière de l’incidence des cancers papillaires, qui concerne tous les âges depuis le début des années 1980 jusqu’en 2000. Après 2000, l’augmentation s’atténue chez les moins de 60 ans et persiste seulement au-delà de cet âge. L’importance de l’augmentation (qui est supérieure par exemple à celle des cancers du poumon chez la femme) concerne essentiellement des diagnostics de tumeurs infra-millimétriques (la part des micro-papillaires est ainsi passée de 43% entre 1983 et 2000 à 51% entre 2009 et 2012 dans les mêmes départements). Ce constat permet de privilégier plus particulièrement un effet des pratiques médicales (modifications des indications chirurgicales et type de chirurgie). Cependant, le fait que l’augmentation de l’incidence concerne aussi des cancers de plus grande taille incite à ne pas exclure le rôle de facteurs de risque. La répartition spatiale de l’incidence ainsi que son évolution ne permettent cependant pas de faire un lien évident avec un facteur de risque de type environnemental, même si l’incidence parait plus élevée dans la partie sud-ouest du territoire français 16. Nous ne montrons pas non plus d’effet « avance au diagnostic » qui se traduirait par une moindre incidence des cancers de grande taille dans les départements où l’incidence des micro-papillaires est la plus élevée. La présence élevée de cancers occultes peut néanmoins masquer cet effet. La nature des résultats et la nature de notre étude, de type descriptif, ne permettent pas de faire la part relative entre les effets des pratiques médicales et ceux d’éventuels facteurs de risque.

Le second type histologique le plus fréquent correspond aux cancers vésiculaires, qui ne représentent actuellement qu’une faible part des cas. En France, les cancers vésiculaires sont stables chez les femmes et en légèrement progression chez les hommes. Une situation similaire est observée dans plusieurs autres pays 1. Ces évolutions, dans un contexte de modifications des pratiques diagnostiques, pourraient s’expliquer par les effets de la mise en place d’une supplémentation systématique en iode du sel de table. En effet, la carence en iode constitue un facteur de risque reconnu des cancers vésiculaires de la thyroïde 17. Une répartition différente selon la taille de la tumeur entre les cancers papillaires et vésiculaires, constatée au cours de la période 2009-2012, était déjà observée en France au cours de la période 1983-2000 2. Cette situation a aussi été décrite en Allemagne 18 et aux États-Unis 19. L’un des facteurs explicatifs de cette différence selon le type histologique serait la difficulté du diagnostic préopératoire des cancers vésiculaires, puisqu’ils ne présentent pas de critères échographique ou cytologique préopératoire de malignité, à l’opposé des tumeurs papillaires 20. L’indication opératoire n’est souvent portée que sur un critère de taille.

Conclusion

L’incidence des cancers de la thyroïde, plus particulièrement de type papillaire, a fortement augmenté en France. Cette augmentation résulte en grande partie d’un effet des pratiques médicales. Des facteurs de risque sont probablement également impliqués dans cette augmentation. Toutefois, ces facteurs n’ont pas encore été clairement identifiés à ce jour et il est difficile d’émettre des hypothèses au vu des disparités géographiques d’incidence observées. L’augmentation de l’incidence semble ralentir ces dernières années, en particulier aux âges jeunes, tendance qui reste à confirmer dans les années à venir.

Remerciements

Les auteurs remercient vivement toutes les sources de données qui contribuent à l’enregistrement des cancers par les registres, en particulier les laboratoires et services d’anatomie et de cytologie pathologiques, les départements de l’information médicale (DIM) des établissements de soins publics et privés, les échelons locaux des services médicaux de l’Assurance maladie ainsi que les cliniciens généralistes et spécialistes.

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