Anévrismes de l’aorte abdominale et dissections aortiques : patients hospitalisés et mortalité, France, 2000-2013

// Abdominal aortic aneurysms and acute aortic dissection: hospitalized patients and mortality, France, 2000-2013

Maëlle Robert1, Yves Juillière2, Amélie Gabet1, Serge Kownator3, Valérie Olié1 (v.olie@invs.sante.fr)
1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 Institut lorrain du coeur et des vaisseaux Louis Mathieu, CHU Nancy-Brabois, Vandoeuvre-lès-Nancy, France
3 Centre de cardiologie, Thionville, France
Soumis le 15.07.2015 // Date of submission: 07.15.2015
Mots-clés : Anévrisme aortique abdominal | Dissection | Hospitalisation | Mortalité | Évolutions temporelles
Keywords: Abdominal aortic aneurysm | Dissection | Hospitalization | Mortality | Time trends

Résumé

Introduction –

Les anévrismes de l’aorte abdominale (AAA) et les dissections aortiques (DA) sont des pathologies graves présentant une létalité élevée. L’objectif était d’estimer les taux de patients hospitalisés et les taux de mortalité pour ces pathologies, et d’analyser leurs évolutions temporelles.

Méthodes –

Les hospitalisations et les certificats de décès mentionnant un AAA (rompu ou non) ou une DA ont été analysés. Les taux bruts et standardisés ont été calculés et leurs évolutions temporelles étudiées en fonction du sexe et de l’âge.

Résultats –

En 2013, 11 651 patients ont été hospitalisés pour AAA ou DA. Le taux de patients hospitalisés a légèrement diminué entre 2002 et 2013 pour les AAA sans mention de rupture, et a diminué de plus de 20% pour les AAA rompus. En revanche, le taux de patients hospitalisés pour DA a augmenté sur cette période, particulièrement chez les femmes (+25%). En 2011, 2 171 décès ont été recensés. Entre 2000 et 2011, les taux de mortalité ont diminué significativement pour ces trois pathologies.

Conclusion –

Les recommandations récentes de mise en oeuvre d’un dépistage ciblé des AAA et l’augmentation de l’incidence des patients hospitalisés pour DA plaident pour la mise en place d’une surveillance de ces pathologies.

Abstract

Introduction –

Abdominal aortic aneurysms (AAA) and acute aortic dissection (AAD) are serious diseases with high fatality. The objective was to estimate the rates of hospitalized patients and mortality for these diseases and to analyze their trends over time.

Methods –

Hospitalization and death certificates mentioning an AAA (with or without rupture) or an AAD were analyzed. The crude and standardized rates were calculated, and time trends studied by gender and age.

Results –

In 2013, 11,651 patients were hospitalized in France for AAA or AAD. The rate of hospitalized patients decreased slightly between 2002 and 2013 for unruptured AAA, and decreased by more than 20% for ruptured AAA. However, the rate of patients hospitalized for AAD increased over this period, particularly among women (+25%). In 2011, 2,171 deaths were recorded. Between 2000 and 2011, mortality rates declined significantly for these three diseases.

Conclusion –

The recent recommendations on implementation of targeted screening of AAA and the increased incidence of patients hospitalized for AAD call for an epidemiological surveillance of these pathologies.

Introduction

Les anévrismes et dissections sont les principales pathologies de l’aorte qui, lorsqu’elles sont symptomatiques ou qu’il y a rupture, constituent une urgence vitale 1. Pour les anévrismes de l’aorte abdominale (AAA) rompus, la létalité globale est estimée entre 80 et 90%, avec 50% de décès avant l’arrivée à l’hôpital 2. Les anévrismes sont des pathologies évolutives, souvent asymptomatiques, au contraire des dissections dont la majorité survient de façon aiguë. Ces deux pathologies sont étroitement liées, une dissection pouvant s’accompagner d’une dilatation de l’aorte et un anévrisme aboutir à une fissuration de sa paroi. Dans cette étude, seuls les anévrismes de l’aorte abdominale, qui constituent la localisation la plus fréquente, ont été analysés.

L’âge, le sexe masculin, l’hypertension artérielle, le tabagisme et l’existence d’antécédents familiaux sont les principaux facteurs associés aux AAA et dissections aortiques (DA) 1,3,4,5,6. Le syndrome de Marfan et certaines pathologies dégénératives sont également considérés comme des facteurs de risque de DA 1,3.

En Europe, la prévalence des AAA chez les hommes de plus de 65 ans était de 3,9% au Danemark et 7,7% en Angleterre dans les années 1990, et de 1,7% en Suède entre 2006 et 2009 7,8. Deux études conduites en Italie, sur les périodes 2000-2011 et 2000-2008 respectivement, rapportaient des taux de patients hospitalisés de 20,9 pour 100 000 pour les AAA sans mention de rupture 9, de 4,8 pour les AAA rompus, de 9 et de 4,7 pour les DA 10.

En France, il existe peu de données épidémiologiques sur ces pathologies. En 2012, la Haute Autorité de santé (HAS) a estimé la prévalence des AAA à 0,22% (0,87% chez les plus de 60 ans) et a préconisé la mise en oeuvre d’un programme de dépistage opportuniste unique et ciblé des AAA chez les hommes de 65 à 75 ans présentant certains facteurs de risque 11. En Europe et en Australie, quatre essais randomisés ont montré l’efficacité de la mise en place d’un tel dépistage sur la mortalité spécifique 12.

L’objectif de cette étude était d’estimer les taux de patients hospitalisés et les taux de mortalité par AAA (rompus et sans mention de rupture) et DA, ainsi que la létalité hospitalière, et d’en décrire les évolutions entre 2000 et 2013.

Méthodes

Sources de données

Les données d’hospitalisation ont été extraites des bases nationales du Programme de médicalisation des systèmes d’information en médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie (PMSI-MCO) pour les années 2002 à 2013. L’analyse a été conduite sur l’ensemble des patients hospitalisés pour AAA ou DA en diagnostic principal. Les DA ont été définies par le code I71.0 (Dissection de l’aorte, toute localisation) de la 10e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-10). Pour l’étude des anévrismes, nous avons choisi de nous limiter à la localisation abdominale, qui est la plus fréquente (80% des anévrismes). Ainsi, nous avons inclus dans cette définition des AAA les anévrismes abdominaux ou thoraco-abdominaux et de localisation non précisée. Ainsi, les AAA ont été définis par les codes CIM-10 suivants : anévrisme aortique abdominal rompu (I71.3), anévrisme aortique abdominal sans mention de rupture (I71.4), anévrisme aortique thoraco-abdominal rompu (I71.5), anévrisme aortique thoraco-abdominal sans mention de rupture (I71.6), anévrisme de l’aorte sans précision sur la localisation rompu (I71.8), anévrisme de l’aorte sans précision sur la localisation sans mention de rupture (I71.9).

L’analyse a été conduite séparément pour les AAA rompus, les AAA sans mention de rupture et les DA. Ont été exclues de l’analyse les hospitalisations faisant l’objet d’un transfert immédiat, les hospitalisations en ambulatoire de moins d’un jour et les hospitalisations pour séances. Les séjours d’un même patient ont été chaînés. Seul le premier séjour a été retenu lorsqu’il y avait plusieurs hospitalisations au cours d’une année.

Les chapitres « 04.03.01 » et « 04.03.11 » de la Classification commune des actes médicaux (Ccam), correspondant respectivement aux « Actes thérapeutiques sur l’aorte thoracique » et « Actes thérapeutiques sur l’aorte abdominale et les artères iliaques communes et externes », ont été utilisés pour l’étude de la prise en charge hospitalière des DA et AAA. Les sous-chapitres « 04.03.01.06 », « 04.03.01.07 », « 04.03.01.08 », « 04.03.11.05 » et « 04.03.11.06 » regroupaient les actes par voie chirurgicale et « 04.03.11.08 » par voie endovasculaire.

Les certificats de décès des personnes domiciliées en France ont été extraits de la base nationale du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc-Inserm) pour les années 2000 à 2011. Les décès par AAA ou DA ont fait l’objet d’une analyse en cause initiale définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « la maladie ayant déclenché l’évolution morbide conduisant directement au décès ». Les codes CIM-10 utilisés pour repérer les décès par DA ou AAA étaient identiques à ceux utilisés pour les hospitalisations. Nous avons choisi dans cette étude de nous limiter, pour les analyses, à la cause initiale stricte, ce qui exclut les certificats de décès sur lesquels figuraient de manière concomitante un AAA ou une DA et un syndrome de Marfan ou une hypertension artérielle.

Les populations moyennes nationales pour les années 2002 à 2013 sont celles de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). La population française de l’année 2010 a servi de référence pour le calcul des taux standardisés.

Analyses statistiques

Les analyses ont été conduites par année sur les données de métropole et des départements d’outre-mer, hors Mayotte. Les taux bruts et standardisés sur l’âge (méthode directe) de patients hospitalisés et de mortalité ont été calculés pour l’ensemble de la population, ainsi que par sexe. Ils sont exprimés pour 100 000 personnes-années (PA). Les taux bruts ont été calculés par classe d’âge décennale.

La létalité hospitalière a été définie comme le rapport entre le nombre de patients hospitalisés pour AAA ou DA et décédés au cours du séjour et le nombre total de patients hospitalisés pour AAA ou DA.

Les variables d’intérêt quantitatives ont été comparées par un t-test et les variables qualitatives par un test du Chi2. Les taux standardisés ont été comparés par un test de l’écart réduit. La régression de Poisson a été utilisée pour l’analyse des tendances annuelles, conduite par catégorie d’âge et par sexe, avec le log des populations en variable offset.

Les analyses ont été réalisées avec le logiciel SAS® Enterprise guide 4.3.

Résultats

Caractéristiques des patients hospitalisés

En 2013, 11 651 personnes (hommes : 83%, femmes : 17%) ont été hospitalisées pour AAA sans mention de rupture (73,6%), AAA rompus (9,5%) ou DA (16,9%) (tableau 1). La proportion d’AAA rompus était plus élevée chez les femmes que chez les hommes (18,3% et 10,6% respectivement). L’âge moyen des patients hospitalisés pour AAA sans mention de rupture était de 72,1 ans, de 75,3 ans pour les rompus et de 66,8 ans pour les DA ; les femmes étaient, en moyenne, significativement plus âgées. Les durées moyennes de séjour étaient de 9,0 et 11,7 jours pour les AAA sans mention de rupture et les AAA rompus et de 13,6 jours pour les DA. La létalité hospitalière était de 2,9% pour les AAA sans mention de rupture. En revanche, elle atteignait 45,8% en cas de rupture de l’anévrisme. Pour les DA, la létalité était de 24,9%.

Tableau 1 : Caractéristiques des personnes hospitalisées pour anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) rompu ou sans mention de rupture et dissection aortique (DA), selon le sexe, France, 2013
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Chez les patients hospitalisés pour un AAA sans mention de rupture, le traitement par voie endovasculaire était privilégié par rapport à la chirurgie ouverte (42,8% vs 38,6%). Une tendance inverse était observée, avec un recours privilégié à la chirurgie ouverte pour les AAA rompus (endovasculaire : 10,2% vs chirurgie ouverte : 51,7%) et les DA (endovasculaire : 8,0% vs chirurgie ouverte : 41,4%). Pour les AAA sans mention de rupture, le traitement par voie endovasculaire était moins fréquent chez les femmes (33,7%) que chez les hommes (43,8%). De la même manière, pour les AAA rompus et les dissections aortiques, la chirurgie par voie ouverte était moins pratiquée chez les femmes que chez les hommes.

En 2013, les taux bruts de patients hospitalisés s’élevaient respectivement à 13,1 pour 100 000 pour les AAA sans mention de rupture, 1,7 pour les AAA rompus et 3,0 pour les DA (tableau 1). Ils étaient significativement plus élevés chez les hommes que chez les femmes, quelle que soit la classe d’âge. Le taux augmentait avec l’âge, atteignant un maximum chez les 75-84 ans pour les AAA sans mention de rupture et les DA, et chez les plus de 85 ans pour les AAA rompus. Après standardisation sur l’âge, les taux étaient respectivement de 12,6, 1,6 et 2,9 pour 100 000.

Évolution des taux standardisés de patients hospitalisés

Entre 2002 et 2013, les taux standardisés de patients hospitalisés pour AAA sans mention de rupture ont diminué de 6,1% chez les hommes et sont restés stables chez les femmes (figure 1). Pour les AAA rompus, ils ont diminué de 20,6% chez les hommes et de 25,0% chez les femmes. En revanche, pour les DA, les taux ont augmenté, de manière plus importante chez les femmes (25%) que chez les hommes (5,4%).

Figure 1 : Évolution du taux standardisé sur l’âge de personnes hospitalisées pour anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) rompu ou sans mention de rupture et dissection aortique (DA), selon le sexe, France, 2002-2013
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L’évolution annuelle des taux de personnes hospitalisées pour AAA sans mention de rupture était hétérogène selon le sexe et la classe d’âge (figure 2). Chez les hommes, on a observé une diminution significative chez les 0-54 ans et 65-74 ans (jusqu’à 4%) et une augmentation chez les plus de 85 ans (4%).

Figure 2 : Évolution annuelle moyenne des taux standardisés de personnes hospitalisées pour anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) rompu ou sans mention de rupture et dissection aortique (DA), selon le sexe et la classe d’âge, France, 2002-2013
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Chez les femmes, une baisse a été observée pour les 65-74 ans et une hausse pour les 55-64 ans. Pour les AAA rompus, la baisse concernait les hommes âgés de 0 à 54 ans et de 65-84 ans (4%). Chez les femmes, la baisse était limitée aux plus de 65 ans. Pour les DA, une augmentation a été notée chez les hommes de moins de 55 ans et les femmes de plus de 55 ans (jusqu’à 3%).

Évolution de la létalité hospitalière

Entre 2002 et 2013, la létalité hospitalière a diminué d’environ 30% pour les AAA sans mention de rupture et de 10% pour les AAA rompus ; la baisse était plus marquée chez les femmes que chez les hommes. Pour les DA, la létalité a diminué de 5,9% chez les hommes mais a augmenté de 16,7% chez les femmes.

Caractéristiques des patients décédés

En 2011, 2 171 décès pour AAA sans mention de rupture (24,5%), AAA rompus (42,5%) et DA (33%) ont été recensés (tableau 2). L’âge moyen au décès variait de 71,6 ans pour les DA à 79,7 ans pour les AAA rompus ; les décès survenaient significativement plus tôt chez les hommes que chez les femmes.

Tableau 2 : Caractéristiques des personnes décédées par anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) rompu ou sans mention de rupture et dissection aortique (DA), selon le sexe, France, 2011
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En 2011, les taux bruts de mortalité étaient de 0,8 pour 100 000 pour les AAA sans mention de rupture, 1,4 pour 100 000 pour les AAA rompus et 1,1 pour 100 000 pour les DA. Ils étaient plus élevés chez les hommes que chez les femmes, chez les plus de 65 ans et en cas de rupture de l’anévrisme. La standardisation sur l’âge ne modifiait par ces taux.

Évolution des taux de mortalité

Entre 2000 et 2011, les taux standardisés de mortalité pour AAA sans mention de rupture ont diminué de 52,0% chez les hommes et de 33,3% chez les femmes et, pour les AAA rompus, de 52,3% et 46,2% respectivement (figure 3). Pour les DA, la diminution a été de 26,3% chez les hommes et de 20,0% chez les femmes.

Figure 3 : Évolution des taux standardisés de mortalité par anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) rompu ou sans mention de rupture et dissection aortique (DA), selon le sexe, France, 2000-2011
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Pour les AAA sans mention de rupture, l’analyse de l’évolution annuelle moyenne, par sexe et classe d’âge, montre une baisse chez les hommes pour toutes les catégories d’âge (jusqu’à 7%) et une diminution pour les femmes de plus de 75 ans (figure 4). Pour les AAA rompus, une baisse (3 à 7%) est observée quels que soient le sexe et la classe d’âge considérés, à l’exception des femmes de 0-54 ans. Pour les DA, une diminution est observée chez les hommes de 55 à 84 ans et les femmes de 0-54 et 65-74 ans (jusqu’à 3%).

Figure 4 : Évolution annuelle moyenne des taux standardisés sur l’âge de mortalité par AAA rompu ou non et DA, selon le sexe, France, années 2000 à 2011
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Discussion

En France, les AAA et les DA ont été à l’origine de l’hospitalisation de 11 651 personnes en 2013 (73,6% pour AAA sans mention de rupture, 9,5% pour AAA rompus et 16,9% pour DA) et du décès de 2 171 personnes en 2011. Les taux standardisés de patients hospitalisés étaient respectivement de 13,1,1,7 et 2,9 pour 100 000 pour les AAA sans mention de rupture, les AAA rompus et les DA, et de 0,8, 1,4 et 1,1 pour les taux standardisés de mortalité.

Hospitalisations

Dans notre étude, les taux de patients hospitalisés pour AAA rompus ou sans mention de rupture étaient inférieurs à ceux observés en Italie et en Australie 9,13. Cependant, la comparaison reste difficile en raison de l’utilisation d’algorithmes de repérage et de populations de standardisation différents. Pour les DA, les taux observés ici étaient cohérents avec ceux trouvés en Suède et Italie 3,10 (entre 3 et 4,7 pour 100 000). Chez les plus de 65 ans, les taux de patients hospitalisés étaient également proches de ceux observés aux États-Unis (10 pour 100 000) 14.

La diminution globale du taux de patients hospitalisés pour AAA sans mention de rupture chez les hommes a été aussi observée en Australie 13 et en Italie 9. En revanche, ces études notaient également une diminution chez les femmes, alors que ce taux est resté stable en France. L’évolution observée chez les hommes pourrait refléter une baisse de l’incidence des AAA sans mention de rupture, en lien avec une réduction du tabagisme qui constitue le principal facteur de risque de survenue des AAA 8,9,13,15. En France, une baisse de la prévalence des fumeurs quotidiens a été rapportée entre 2000 et 2005 chez les hommes 16. La diminution de la prévalence de l’hypertension artérielle et son meilleur contrôle chez les patients traités ont aussi pu contribuer à cette réduction 17,18. L’augmentation des taux de patients hospitalisés observée chez les hommes de plus de 85 ans a été rapportée par trois autres études 9,13,15 et pourrait être liée une meilleure prévention de certains facteurs de risque qui ralentirait le développement des AAA, décalant leur découverte à un âge plus avancé 19. Chez les femmes, la stabilité globale de l’incidence des patientes hospitalisées résulte à la fois d’une augmentation chez les 55-64 ans et les plus de 85 ans et d’une diminution ou d’une stabilité dans les autres classes d’âge. L’augmentation chez les 55-64 ans pourrait être liée à une augmentation de la prévalence de fumeuses entre 2005 et 2014, particulièrement pour les 45-64 ans 20. Dans cette même tranche d’âge, la réduction de la prescription de traitements hormonaux de la ménopause depuis 2003 pourrait également avoir participé à cette augmentation, l’hypothèse d’un lien entre la survenue d’un AAA et la diminution du taux d’oestradiol avec la ménopause ayant été avancée 21.

Pour les AAA rompus, les diminutions observées chez les hommes et les femmes sont cohérentes avec les résultats des études italienne, anglaise et australienne, et pourraient refléter une baisse de l’incidence globale ainsi qu’une amélioration de la prise en charge des AAA sans mention de rupture 9,13,15,19,22.

Dans cette étude, les hausses rapportées chez les patients hospitalisés pour DA sont en accord avec les résultats trouvés en Suède 23. Malgré une situation plus favorable pour certains facteurs de risque comme l’HTA, qui constitue le principal facteur de risque de DA, le taux de patients hospitalisés a augmenté sur la période étudiée. Ceci pourrait s’expliquer par l’amélioration du diagnostic et la prise en charge d’urgence plus rapide, conduisant à hospitaliser davantage de cas qui auparavant décédaient avant leur admission à l’hôpital 3,23.

Létalité hospitalière

Pour les AAA, il n’existe pas, à notre connaissance, d’autres données comparables sur la létalité hospitalière. Pour les DA, la létalité observée ici est comparable à celle rapportée en Italie (27,7% entre 2000 et 2008) 10.

Quelle que soit la pathologie considérée, la létalité hospitalière observée en France était moins élevée chez les hommes que chez les femmes, ce qui avait été déjà rapporté par le registre international pour les DA 24. La survenue des évènements à des âges plus avancés chez les femmes pourrait expliquer en partie cette disparité hommes-femmes. Une prise en charge différente selon le sexe a également été évoquée 25, ce que semble confirmer la proportion plus faible de femmes opérées par chirurgie ouverte ou voie endovasculaire dans notre étude. Les femmes ayant un diamètre moyen de vaisseaux plus petit, l’opération d’un AAA par voie endovasculaire reste un geste thérapeutique complexe 26. De plus, la taille d’anévrisme à partir de laquelle une intervention chirurgicale est indiquée est fixée à 5 cm, ce qui est parfois considéré comme trop élevé pour les femmes 22. Pour les DA, un délai de diagnostic plus long a aussi été rapporté, en raison probablement de symptômes moins spécifiques 25.

Mortalité

Les taux de mortalité par AAA observés en France sont proches de ceux rapportés en Australie 13 et, à notre connaissance, il n’existe pas de données publiées sur les décès par DA.

Les baisses observées des taux de mortalité par AAA (rompus ou sans mention de rupture) semblent conforter l’hypothèse d’une diminution de l’incidence globale. L’amélioration de la prise en charge des AAA, notamment avec le développement de la chirurgie par voie endovasculaire, a également été avancée pour expliquer ces évolutions favorables 19. La baisse observée de la létalité hospitalière sur la période 2002-2013 va dans ce sens. De la même manière, une amélioration de la prise en charge, et notamment une réduction des délais avant les premiers soins, pourrait expliquer cette diminution de la mortalité. Cependant, chez les femmes, l’augmentation de l’incidence et de la létalité hospitalière sur la période d’étude contribue à une diminution de moindre ampleur de la mortalité comparée à celle des hommes.

Limites

En ce qui concerne les hospitalisations, la qualité du codage des AAA et des DA dans le PMSI-MCO n’a pas été évaluée. Par ailleurs, les codes CIM-10 ne permettent pas de renseigner la localisation des dissections – thoraciques, thoraco-abdominales ou abdominales (Type I, II, III) – ni le caractère ascendant ou descendant du secteur de l’aorte touchée (type A ou B), alors qu’il existe des différences importantes de létalité entre ces types, et notamment entre les types A et B. Pour les anévrismes aortiques, 3,9% étaient codés sans précision de la localisation (codes I71.8 et I71.9) en 2013. Ils étaient 5,9% en 2002. Cette amélioration du codage, minime, impacte peu l’analyse des évolutions des taux de patients hospitalisés. Enfin, en 2009, la définition du diagnostic principal a évolué, passant de « la pathologie la plus consommatrice de soins au cours du séjour hospitalier » à « la pathologie ayant motivé l’admission du patient ». Pour des pathologies lourdes comme les AAA et les DA, l’impact de cette modification a sans doute été limité.

Selon les règles internationales de codage des causes de décès, lorsqu’une DA ou un AAA est codé en cause initiale avec une hypertension artérielle ou un syndrome de Marfan en cause associée, ces deux dernières pathologies sont recodées en cause initiale aux dépens des DA ou des AAA. Nous n’avons pas inclus ces cas qui demeurent marginaux (107 décès pour AAA et 79 décès pour DA en 2013).

Conclusion

Cette étude présente les premières données nationales en termes d’incidence de patients hospitalisés et de mortalité pour les AAA et les DA, deux pathologies entraînant des hospitalisations longues et coûteuses, et marquées par une létalité très élevée. Les évolutions récentes sont favorables pour les AAA, avec une diminution de tous les indicateurs suivis (hospitalisations, létalité hospitalière, mortalité). En revanche, les tendances sont moins favorables pour la DA, notamment chez les femmes, avec une augmentation de l’incidence des patients hospitalisés, de la létalité hospitalière et une quasi stabilité de la mortalité. Dans un contexte de mise en oeuvre d’un dépistage opportuniste, unique et ciblé des AAA et de tendances défavorables de plusieurs indicateurs épidémiologiques pour les DA, la mise en place d’une surveillance épidémiologique de ces pathologies apparaît pertinente et nécessaire.

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Citer cet article

Robert M, Juillière Y, Gabet A, Kownator S, Olié V. Anévrismes de l’aorte abdominale et dissections aortiques : patients hospitalisés et mortalité, France, 2000-2013. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(38-39):724-32. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/38-39/2015_38-39_3.html