Consommation de soins et mortalité des bénéficiaires de la CMU-C dans les départements français d’outre-mer en 2012, et comparaisons avec la France métropolitaine

// Health care use and mortality of individuals with low income and full health coverage in the French overseas departments in 2012, and comparison with mainland France

Antoine Filipovic-Pierucci, Anne Cuerq, Solène Samson, Stéphane Tala, Anne Fagot-Campagna, Philippe Tuppin (philippe.tuppin@cnamts.fr)
Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CnamTS), Paris, France
Soumis le 27.07.2015 // Date of submission: 07.27.2015
Mots-clés : Départements français d’outre-mer, | Désavantage | Prévalence | Hospitalisation | Sniiram
Keywords: French overseas territories | Deprivation | Prevalence | Hospitalization | Sniiram

Résumé

Objectifs –

L’état de santé de la population des départements d’outre-mer (DOM) est moins bon que celui de la population métropolitaine. Par ailleurs, le taux de bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), attribuée pour de faibles revenus, est plus important dans les DOM qu’en France hexagonale, alors même que des études ont montré qu’en métropole, ces bénéficiaires ont un moins bon état de santé que le reste de la population. Cette moins bonne santé des bénéficiaires de la CMU-C est-elle aussi une réalité dans les DOM et dans quelle mesure explique-t-elle le moins bon état de santé des habitants comparativement à ceux de France métropolitaine ?

Méthodes –

Le Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram) a permis de repérer, pour l’année 2012, les pathologies prises en charge à l’aide d’algorithmes, ainsi que la mortalité des assurés du régime général âgés de moins de 60 ans, tranche d’âge éligible à la CMU-C. Des risques relatifs standardisés sur l’âge et le sexe entre bénéficiaires ou non de la CMU-C ont été calculés dans chaque DOM. La part des différences d’état de santé entre DOM et métropole expliquée par le bénéfice d’une CMU-C a été estimée.

Résultats –

Les effectifs étudiés étaient de 244 896 en Guadeloupe, 237 320 en Martinique, 112 423 en Guyane, 571 324 à La Réunion et 36 millions en France métropolitaine. Dans ces DOM, les proportions de bénéficiaires de la CMU-C étaient respectivement de 35%, 35%, 54% et 50% versus 11% en métropole. Dans chaque DOM, les bénéficiaires de la CMU-C présentaient des taux de mortalité plus importants (RR : 1,6 ; 1,9 ; 2,2 ; 1,7 respectivement) et plus fréquemment des pathologies prises en charge repérées dans le Sniiram. Les différences d’état de santé entre DOM et métropole étaient rarement entièrement expliquées par la surreprésentation des bénéficiaires de la CMU-C des DOM.

Conclusion –

Dans chaque DOM, à structure d’âge et sexe comparable, les bénéficiaires de la CMU-C de moins de 60 ans ont un état de santé moins bon que celui du reste de la population, selon les données de consommation de soins. Même si la proportion de bénéficiaires de la CMU-C est plus importante dans les DOM qu’en métropole, cette surreprésentation n’explique pas à elle seule les différences d’état de santé entre les DOM et la métropole.

Abstract

Objectives –

In mainland France, individuals with low income have full health coverage (CMU-C) are reported to have a poorer health status than the rest of the population. A much higher proportion of CMU-C coverage is reported in the French overseas departments (DOM). Is the health status of people with CMU-C worse than that of the rest of the population in the DOM, and are the health inequalities observed between the DOM and mainland France explained by the CMUC factor?

Methods –

People less than 60 years covered by the general insurance scheme were analyzed using data from the French national health insurance reimbursements database on diseases identified by algorithms and on mortality. Comparisons of individuals depending on their CMU-C status were made for each DOM using relative risks standardized on age and sex. The part of the differences in health status between the DOM and mainland France associated with CMUC status was estimated.

Results –

244,896 individuals were included in Guadeloupe, 237,320 in Martinique, 112,423 in French Guyana and 571,324 in Réunion Island, as well as 36 million in metropolitan France. Respectively 35%, 35%, 54%, 50% of these populations had CMU-C coverage versus 11% in mainland France. In each DOM, these populations had higher mortality rates (RR 1.6; 1.9; 2.2; 1.7 respectively) and more frequently diseases identified in the database than the rest of the population. Differences in health status between the DOM and mainland France were only partially explained by an overrepresentation of CMU-C beneficiaries in the DOM.

Conclusion –

In the DOM as in mainland France, people aged less than 60 years, with CMU-C coverage, have a poorer health status, using health care use data, than the rest of the population. Differences in health status between DOM and mainland France are only partially explained by the higher proportion of people covered by CMU-C.

Introduction

Un rapport de la Cour des comptes publié en 2014 pointe l’existence de problèmes de santé propres aux départements d’outre-mer (DOM) et recommande la production de données de santé spécifiques nécessaires à une meilleure allocation des ressources 1. Les données disponibles mettent en évidence des inégalités socio-sanitaires non seulement entre la France métropolitaine et les DOM, mais aussi entre certains DOM 2. Par rapport à la métropole, en 2005-2010, il existait une surmortalité globale en Guadeloupe et en Guyane et surtout à La Réunion et, en revanche, une sous-mortalité à la Martinique. Une surmortalité prématurée chez les moins de 65 ans était aussi observée en Guadeloupe, à La Réunion et surtout en Guyane. Des études, dont certaines réalisées en population générale, ont par ailleurs rapporté dans les DOM des fréquences plus élevées de diabète, d’hypertension artérielle (HTA), de surpoids et d’obésité, de maladies respiratoires, d’infection par le VIH et d’autres agents infectieux 3,4,5,6,7,8,9. De plus, le récent Baromètre santé 2014 spécifique aux DOM apporte de nombreuses informations sur les comportements, les facteurs de risque et le recours aux soins 10.

Au niveau national, en 2009, les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) assurés au régime général de l’Assurance maladie avaient un taux de mortalité standardisé deux fois plus élevé et des taux d’hospitalisations plus importants pour de nombreuses pathologies, comparativement au reste de la population 11. L’état de santé des bénéficiaires de la CMU-C n’a pas été étudié spécifiquement dans les DOM, alors que leur proportion, tous âges confondus, y était de 30% versus 6% en France métropolitaine en 2013 et qu’il pourrait être un élément d’explication de la moins bonne santé dans les DOM. La CMU-C est attribuée selon le niveau de ressources : en 2012, pour une personne seule, elle l’était pour un revenu annuel inférieur à 7 771 euros en métropole et inférieur à 8 649 euros dans les DOM.

Dans ce contexte, le but de l’étude était de rechercher si l’état de santé de la population bénéficiant de la CMU-C, apprécié par la consommation de soins, est moins bon que celui du reste de la population dans chaque DOM, et si les contrastes observés entre DOM et métropole sont expliqués par une fréquence plus élevée de bénéficiaires de la CMU-C dans les DOM.

Matériel et méthode

Source de données

Le Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram) rassemble, de façon exhaustive et individualisée, toutes les prescriptions et tous les actes réalisés en ambulatoire et remboursés aux assurés 12. Il n’est pas recueilli d’information clinique quant aux résultats en relation avec les consultations, prescriptions ou examens. Néanmoins, des informations existent sur les affections de longue durée (ALD) dont la reconnaissance par un médecin- conseil de l’Assurance maladie, après demande du médecin traitant, permet l’exonération du ticket modérateur. Un numéro d’identification anonyme et unique pour chaque assuré permet de chaîner ces informations à celles recueillies par le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) lors d’éventuelles hospitalisations. Comme les ALD, les diagnostics hospitaliers sont codés selon la 10e Classification internationale des maladies (CIM- 10). Les principales informations socioéconomiques individuelles disponibles dans le Sniiram sont le bénéfice de deux principaux dispositifs d’assurance complémentaire santé, dont l’attribution est basée sur le niveau annuel de ressources : la CMU-C et l’aide pour une complémentaire santé (ACS). La CMU-C permet d’accéder à un panier de soins sans avance de frais et sans dépassement d’honoraires. Néanmoins, si elle regroupe des habitants avec de faibles revenus, ces derniers peuvent se différencier entre eux et par rapport au reste de la population sur de nombreux points tels que leur origine et leur culture, leurs caractéristiques sociodémographiques, leurs comportements et facteurs de risque, leur isolement géographique...

Population

La population d’étude a été constituée des assurés du régime général de l’Assurance maladie de France métropolitaine et de chaque DOM (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion), âgés de moins de 60 ans et ayant consommé des soins en 2012 ; les individus n’ayant pas au moins une prestation remboursée au cours de l’année ont été exclus, soit environ 4%. Le département de Mayotte n’a pas été pris en compte car le système d’information y est en cours de montée en charge. Seuls les assurés de moins de 60 ans ont été inclus car les plus âgés peuvent bénéficier de prestations dont le niveau est supérieur au seuil d’attribution de la CMU-C. Le régime général a été considéré car le statut vital des assurés est mis à jour régulièrement à l’aide du répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP). Les individus ont été localisés selon leur lieu de résidence, et ceux ayant changé de résidence en 2012 entre différents DOM ou vers la métropole ont été exclus. Les bénéficiaires de la CMU-C étaient ceux ayant eu des droits ouverts et avec au moins une dépense remboursée à ce titre en 2012.

Mesure de la consommation de soins

L’état de santé a été apprécié par la consommation de soins. En effet, la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CnamTS) a élaboré une cartographie, avec pour objectif d’identifier les assurés avec des pathologies, états de santé particuliers et traitements fréquents afin de les étudier en termes d’effectifs et de taux de patients, de dépenses et d’évolutions annuelles. Cet outil utilise les données du Sniiram et, à l’aide d’algorithmes qui ont été discutés et expertisés 13,14, répartit les assurés en 56 groupes non exclusifs. Les algorithmes utilisés se basent sur les diagnostics des séjours hospitaliers en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) et psychiatrie ; les diagnostics des ALD et, pour un plus faible nombre, sur la délivrance de médicaments quasi spécifiques ou la réalisation d’actes spécifiques. Schématiquement, le terme « aigu » fait référence, pour une pathologie cardiovasculaire, à une hospitalisation dans l’année avec les codes adéquats (avec ou sans ALD) et, pour les pathologies/ groupes restants, le terme de « chronique » est utilisé en présence d’une ALD dans l’année et/ou d’une hospitalisation les cinq années antérieures.

Analyses statistiques

Les taux bruts d’assurés présentant une maladie ou un état de santé particulier (maternité) ont été calculés en prenant comme dénominateur le nombre d’assurés consommant. Les risques relatifs (RR) ont été calculés par un modèle de Poisson ajusté sur l’âge (en classes quinquennales), le sexe et une interaction entre l’âge et le sexe. Ces RR ont permis de comparer les taux des bénéficiaires de la CMU-C à ceux du reste de la population de chaque DOM, puis ceux de l’ensemble des assurés de chaque DOM aux assurés de France métropolitaine, avec prise en compte ou non du bénéfice de la CMU-C. Les taux de variation des RR selon l’ajustement ou non sur le statut CMU-C ont été calculés à partir du logarithme naturel des RR, dont l’échelle est linéaire. Les analyses ont été réalisées à l’aide des logiciels SAS® 9.3 (associé à SAS® Enterprise Guide version 4.3) et R 3.2.0. L’utilisation des données du Sniiram a été approuvée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Résultats

Population d’étude

Les effectifs d’assurés du régime général de moins de 60 ans et ayant consommé en 2012 étaient respectivement de 244 896 en Guadeloupe (80% de la population de moins de 60 ans), 237 320 en Martinique (84%), 112 423 en Guyane (77%), 571 324 à La Réunion (77%) et 36 millions en France hexagonale (78%). Parmi eux, les proportions de bénéficiaires de la CMU-C étaient de 35% en Guadeloupe et en Martinique, 54% en Guyane et 50% à La Réunion, contre 11% en métropole. La part des femmes était plus élevée parmi les bénéficiaires de la CMU-C que parmi les non bénéficiaires : respectivement 61% et 54% en Guadeloupe et en Martinique, 56% et 54% en Guyane, 56% et 50% à La Réunion et 54% et 51% en métropole. Les bénéficiaires de la CMU-C étaient en moyenne plus jeunes que les non bénéficiaires : respectivement 26 et 32 ans en Guadeloupe, 26 et 33 ans en Martinique, 21 et 28 ans en Guyane, 25 et 30 ans à La Réunion et 24 et 31 ans en France métropolitaine.

Mortalité

Dans tous les DOM, après ajustement sur l’âge et le sexe, les bénéficiaires de la CMU-C de moins de 60 ans avaient un taux de mortalité plus important que les non bénéficiaires (RR Guadeloupe : 1,6 ; Martinique : 1,9 ; Guyane : 2,2 ; La Réunion : 1,7) (tableau 1). La comparaison avec la métropole sans ajustement sur le statut CMU-C montrait des situations contrastées, avec un taux standardisé de mortalité plus important en Guadeloupe et en Guyane, moins important en Martinique et non significativement différent à La Réunion (RR Guadeloupe : 1,2 ; Martinique : 0,9 ; Guyane : 1,3 ; La Réunion : 1,0). Après ajustement selon le statut CMU-C, l’analyse de ces RR ne mettait plus en évidence de taux significativement différents en Guadeloupe et en Guyane. À La Réunion, ce taux était significativement inférieur à celui de métropole ; en Martinique, la sous-mortalité était accentuée.

Tableau 1 : Taux bruts de mortalité des assurés de moins de 60 ans bénéficiaires de la CMU-C et risques relatifs de décès des bénéficiaires de la CMU-C par rapport au reste de la population dans chaque DOM, ajustés sur l’âge et le sexe, en 2012 ; risques relatifs de décès ajustés sur l’âge et le sexe pour les assurés de chaque DOM comparativement à ceux de la métropole, ajustés ou non sur le statut CMU-C
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Relations entre CMU-C et pathologies dans les DOM

Dans chaque DOM (tableau 2), la population bénéficiaire de la CMU-C présentait, plus souvent que les non bénéficiaires du même DOM et selon les données de recours aux soins du Sniiram, un accident vasculaire cérébral (AVC), une insuffisance cardiaque, un diabète, une insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) avec dialyse (sauf à La Réunion), une maladie du foie et du pancréas, une maladie psychiatrique, incluant les troubles addictifs et les troubles psychotiques (sauf à La Réunion), une épilepsie, une infection à VIH (sauf à La Réunion). Il n’a pas été retrouvé de prévalence plus importante pour le cancer du poumon ou du côlon chez les bénéficiaires de la CMU-C, mais cela était le cas pour la fréquence du cancer de la prostate en Guadeloupe.

Tableau 2 : Taux bruts de pathologies des assurés de moins de 60 ans bénéficiaires de la CMU-C et risques relatifs de pathologies des bénéficiaires de la CMU-C comparativement au reste de la population, ajustés sur l’âge et le sexe, dans chaque DOM en 2012
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En revanche, certaines maladies inflammatoires chroniques et neurodégénératives étaient moins fréquemment retrouvées chez les bénéficiaires de la CMU-C que chez les non bénéficiaires, et ce dans pratiquement chaque DOM, notamment la sclérose en plaques, les maladies inflammatoires du côlon ou de l’intestin, la myopathie et la myasthénie, la polyarthrite rhumatoïde et la spondylarthrite ankylosante.

Effet de la CMU-C dans les différences avec la France métropolitaine

La fréquence de certaines pathologies était beaucoup plus importante dans les DOM qu’en métropole, quel que soit le statut vis-à-vis de la CMU-C (tableau 3) : le diabète, l’IRCT, l’AVC (sauf en Martinique), le syndrome coronarien aigu (SCA) à La Réunion, l’infection à VIH (sauf à La Réunion), l’épilepsie (sauf en Guyane), les troubles psychotiques aux Antilles et à La Réunion, les autres maladies inflammatoires chroniques (catégorie comprenant principalement le lupus érythémateux systémique) principalement dans les départements français d’Amérique, le cancer de la prostate aux Antilles.

Tableau 3 : Taux bruts de pathologies des assurés de moins de 60 ans de métropole et risques relatifs de pathologies pour les assurés de chaque DOM comparativement à ceux de la métropole, ajustés sur l’âge et le sexe, et ajustés ou non sur le statut CMU-C, chez les moins de 60 ans, en 2012
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Après ajustement sur le statut CMU-C, l’intensité des RR diminuait pour l’ensemble des pathologies, à l’exception du cancer du sein de la femme, des pathologies inflammatoires et du cancer de la prostate aux Antilles. Cette diminution était, par exemple, minime pour l’IRCT (de 8 à 12%), modérée pour le diabète (de 23 à 39%) et importante pour les AVC (de 41 à 70%). Les sur-risques observés à La Réunion disparaissaient ou étaient inversés pour les troubles addictifs, les maladies du foie et du pancréas, le SCA et la maternité. De même, les sur-risques d’AVC en Guadeloupe et d’infection à VIH et d’épilepsie en Martinique disparaissaient par l’ajustement sur le statut de bénéficiaire de la CMU-C. Pour le reste des pathologies, les différences entre les DOM et la métropole persistaient.

Discussion

Les données présentées font état, dans les DOM comme en France métropolitaine, d’un moins bon état de santé des bénéficiaires de la CMU-C âgés de moins de 60 ans par rapport au reste de la population de même âge, en termes de fréquence des pathologies repérables dans le Sniiram et de mortalité prématurée. Même si la proportion de bénéficiaires de la CMU-C est plus importante dans les DOM qu’en France hexagonale, ce marqueur, qui reflète entre autres le niveau socioéconomique des bénéficiaires, n’explique pas complètement les contrastes des situations sanitaires observées entre la métropole et les DOM. Il semble en revanche expliquer la surmortalité prématurée observée en Guyane et à La Réunion, le sur-risque de SCA et d’addictions à La Réunion, d’AVC en Guadeloupe et d’infection à VIH en Martinique. Ces données montrent également que les inégalités de santé, qu’elles soient en relation avec les caractéristiques liées au lieu de résidence ou avec le niveau socioéconomique et d’autres caractéristiques des bénéficiaires de la CMU-C, apparaissent précocement puisqu’elles portent sur une population âgée de moins de 60 ans.

Certaines pathologies avec une consommation de soins plus élevée chez les bénéficiaires de la CMU-C de chaque DOM correspondent en effet à celles classiquement reliées à un faible niveau de ressources (AVC, infection à VIH, diabète, maladies psychiatriques...), mais aussi aux déterminants et facteurs de risque associés à ce faible niveau de ressources 15,16. Au niveau national 12, des résultats similaires ont été mis en évidence chez les bénéficiaires de la CMU-C, avec en particulier des fréquences élevées de cancer du poumon, de pathologies cardiovasculaires, du diabète, des maladies du foie et du pancréas, des maladies respiratoires chroniques, de l’infection à VIH ou sida, de l’épilepsie, des démences, des maladies psychiatriques et de l’IRCT, par rapport au reste de la population. Il est intéressant de noter que le sur-risque de cancer du poumon décrit au niveau national n’est pas retrouvé pour la population CMU-C en Outre-mer. Il est possible que la relation entre le niveau socioéconomique et le tabagisme soit différente dans ces régions, dans lesquelles la prévalence du tabagisme est par ailleurs plus faible qu’en métropole 10.

La différence de structure socioéconomique des populations, mesurée par la CMU-C, explique partiellement le fait que de nombreuses pathologies soient retrouvées plus fréquemment dans les DOM qu’en métropole. Pour la majorité des pathologies, les différences d’état de santé entre DOM et métropole sont moins importantes après ajustement sur le statut de bénéficiaire de la CMU-C, surtout à La Réunion où la proportion de ses bénéficiaires est particulièrement élevée.

Forces et limites

Les principales forces de l’étude résident dans l’utilisation du Sniiram, qui rassemble des données sur plus de 76% de la population française, et de la cartographie basée sur des algorithmes qui recourent à l’ensemble des données médico-administratives disponibles et dépassent donc les indicateurs fournis par la mortalité (indicateur tardif) et l’ALD (indicateur partiel d’une pathologie). Néanmoins, ces algorithmes de construction récente présentent des limites. En effet, ils dépendent du recours, de l’offre et de l’accès aux soins. Ces derniers peuvent être moins importants chez des personnes bénéficiaires de la CMU-C et/ou résidant dans les DOM pour de multiples raisons, et ce bien que la CMU-C permette d’accéder à un panier de soins sans avance de frais et sans dépassement d’honoraires. Cependant, la mortalité n’étant pas mesurée via la consommation de soins, la surmortalité observée n’est pas exposée à ce biais. Par ailleurs, la spécificité et la sensibilité des algorithmes doivent être améliorées et, s’ils sont utilisés pour construire des tableaux de bord, ils doivent aussi être développés en tenant compte du contexte et de la situation épidémiologique et démographique locaux. Cette étude a exclu les non-consommants, qui ne représentent que 4% de la population étudiée, mais peuvent être plus fréquents dans des régions de faible niveau socioéconomique. Cependant, la notion de non-consommant dans le Sniiram est complexe, car elle peut inclure aussi bien des personnes en bonne santé que des personnes institutionnalisées, décédées à l’étranger ou autres cas de figure.

De par son caractère binaire, le statut CMU-C ne permet pas de mesurer les gradients de niveaux socioéconomiques existants. De plus, il ne prend pas en compte les caractéristiques de l’environnement des individus et de nombreux autres facteurs, divers selon les sous-groupes de bénéficiaires de la CMU-C. Des indicateurs géographiques gradués de désavantage social permettraient de pallier certaines de ces limites, mais les indicateurs classiquement utilisés n’ont pas été développés pour les DOM. Cependant, le statut CMU-C présente l’avantage de mesurer des caractéristiques individuelles, là où un indicateur géographique ne permet pas de prendre en compte l’hétérogénéité des niveaux socio-économiques des individus vivant au sein d’un même territoire.

Conclusion

Les résultats soulignent l’importance des données du Sniiram dans l’analyse des inégalités sociales et géographiques de santé. Globalement, la population des DOM qui bénéficie de la CMU-C a un moins bon état de santé que celle qui n’en bénéficie pas, comme en métropole. La population des DOM présente un état de santé différent de celle de la France hexagonale, plus dégradé sur de nombreux indicateurs. Or, la fréquence élevée de la CMU-C dans les DOM n’explique pas totalement ces différences d’état de santé observées entre la métropole et les DOM, qui sont souvent en défaveur, mais parfois aussi en faveur de certains DOM. Ces résultats soulignent la nécessité d’actions de santé publique spécifiques à chaque DOM et, au sein de chaque DOM, un ciblage des bénéficiaires de la CMU-C pour de multiples types d’actions, sachant que ce groupe ne représente qu’une partie des populations désavantagées, auxquelles appartiennent aussi les bénéficiaires de l’ACS.

Remerciements

À Chloé Le Cossec.

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Citer cet article

Filipovic-Pierucci A, Cuerq A, Samson S, Tala S, Fagot- Campagna A, Tuppin P. Consommation de soins et mortalité des bénéficiaires de la CMU-C dans les départements français d’outre-mer en 2012, et comparaisons avec la France métropolitaine. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(38-39):733-41. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/38-39/2015_38-39_4.html