Changement climatique et santé : nouveaux défis pour l’épidémologie et la santé publique

// Climate change and health: new challenges for epidemiology and public health

Mathilde Pascal1 (m.pascal@invs.sante.fr), Pascal Beaudeau1, Karine Laaidi1, Philippe Pirard1, Robert Vautard2
1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA/CNRS/UVSQ), Institut Pierre-Simon Laplace, Gif-sur-Yvette, France
Soumis le 15.07.2015 // Date of submission: 07.15.2015
Mots-clés : Changement climatique | Santé publique | Surveillance | Adaptation | Atténuation
Keywords: Climate change | Public health | Surveillance | Adaptation | Mitigation

Résumé

Le changement climatique contribue à modifier rapidement et profondément l’environnement. Dans le même temps, d’autres facteurs comme l’augmentation et le vieillissement de la population ou l’urbanisation accroissent la vulnérabilité à divers risques environnementaux et sanitaires. Une chaîne complexe d’interactions se met ainsi en place, impactant la santé et le bien-être des populations. Le développement de mesures de prévention est nécessaire pour réduire les impacts sanitaires des évolutions déjà observées du climat (mesures d’adaptation) et limiter l’amplitude du réchauffement et donc ses impacts futurs (mesures d’atténuation). L’objectif d’atténuation nécessite des changements majeurs dans plusieurs secteurs de la société, comme par exemple l’habitat, l’agriculture ou les transports. Prendre en compte les impacts sanitaires potentiels de ces changements est important pour éviter les choix mettant la santé humaine en danger et pour en maximiser les co-bénéfices sanitaires.

Nous proposons dans cet article une réflexion sur les évolutions liées au climat, observées et à venir en France, et les défis à relever par l’épidémiologie et la santé publique dans les prochaines années. Si de nombreuses questions restent ouvertes, il existe désormais un consensus sur l’importance des liens entre changement climatique et santé, qui se décline en trois points : 1) le changement climatique a déjà des impacts sur la santé, 2) l’adaptation et l’atténuation sont indispensables pour réduire ces impacts, 3) l’adaptation et l’atténuation peuvent s’appuyer dès maintenant sur des mesures qui seront bénéfiques à la fois pour la santé et le climat. L’importance et la multiplicité des enjeux de santé publique, les nombreuses questions posées à la recherche, en termes de surveillance ou d’intervention, nécessitent une approche intégrée et interdisciplinaire.

Abstract

Climate change contributes to a rapid and deep modification of the environment. In the same time, other factors such as population increase, ageing or urbanization increase the vulnerability to various environmental and health risks. Chains of complex interactions are impacting populations’ health and well-being. Developing prevention measures is an asset to reduce the health impacts of present climate change (through adaptation measures) and to limit the intensity of future impacts (through mitigation measures). Mitigation will result in major changes in several sectors, for instance housing, transports or agriculture. Taking into account the potential health impacts is important to avoid choices impairing human health, and to maximize health co-benefits.

In this paper we propose a reflection on how present and future climate change in France challenges epidemiology and public health in the next few years. While many questions remain unanswered, there is a consensus on the importance of the links between climate change and human health, that can be summarized into three points: 1) climate change already impacts human health, 2) adaptation and mitigation are needed to reduce those impacts, 3) adaptation and mitigation can rely on immediate measures that would be beneficial for health and for climate. An integrated and interdisciplinary approach is essential to tackle the complexity of the issue, of its implications for public health, for research, surveillance and intervention.

Introduction

Avec le changement climatique, les sociétés font face à des modifications rapides des paramètres physico-chimiques qui façonnent leur environnement 1. Ces changements surviennent en même temps que d’autres altérations profondes de l’environnement, comme la perte de biodiversité, la déforestation, l’érosion des sols ou encore l’acidification des océans, et les renforcent. En parallèle, l’augmentation et le vieillissement de la population, tout comme le développement de l’urbanisation, accroissent la vulnérabilité à divers risques environnementaux et sanitaires. Une chaîne complexe d’interactions se met ainsi en place, impactant la santé et le bien-être des populations 2,3, via par exemple des évènements climatiques extrêmes ou des difficultés d’accès aux ressources.

Développer des mesures de prévention est nécessaire pour limiter les risques sanitaires sensibles aux modifications climatiques. La prévention se décline en deux aspects, l’atténuation et l’adaptation.

L’atténuation peut s’apparenter à de la prévention primaire, puisqu’elle vise à réduire l’amplitude des changements climatiques et donc des risques sanitaires à venir, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES). Elle nécessite des changements majeurs dans plusieurs secteurs de la société tels que la production et la consommation d’énergie, l’habitat, l’agriculture ou les transports. Prendre en compte les impacts sanitaires potentiels de ces changements est important pour éviter les choix mettant la santé humaine en danger et pour en maximiser les co-bénéfices sanitaires. Les connaissances issues de l’épidémiologie peuvent ainsi aider à orienter l’atténuation, en quantifiant les co-bénéfices sanitaires possibles des politiques envisagées 3. Compte-tenu de l’inertie du système climatique et de la quantité de GES déjà présents dans l’atmosphère, les effets de ces derniers sur le climat, dont les manifestations négatives commencent seulement à être visibles (par exemple la multiplication des vagues de chaleur), sont appelés à augmenter dans les décennies qui viennent. Les mesures d’atténuation prises aujourd’hui n’empêcheront pas le réchauffement en cours, mais devraient permettre de le limiter.

L’adaptation, qui peut être vue comme une forme de prévention secondaire visant à interrompre un processus morbide en cours pour en limiter l’impact, est donc indispensable. Elle peut prendre différentes formes. L’adaptation directe est une action spécifique en réponse à un problème spécifique (par exemple, en France, le plan national canicule). L’adaptation des processus de gestion préconise, quant à elle, des modifications dans les organisations pour faire face aux nouveaux risques : par exemple, le New York City Panel on Climate Change rassemble des climatologues, des sociologues, et des gestionnaires du risque pour conseiller les décideurs sur les risques climatiques futurs, y compris les risques sanitaires 4.

Enfin, l’adaptation globale des sociétés dépendra de leur aptitude à développer de nouveaux modes d’éducation, de formation et de recherche, favorisant l’interdisciplinarité et la capacité à innover pour faire face à des problèmes complexes.

Chacune de ces formes d’adaptation doit s’appuyer sur des connaissances scientifiques. Dans le cas de l’adaptation directe en réponse à un risque donné, il faut par exemple connaître la dynamique spatio-temporelle des impacts sanitaires que l’on souhaite réduire, les facteurs de risque associés et les personnes les plus vulnérables. Il faut également savoir si des politiques de prévention ont déjà été développées et si elles demeurent efficaces malgré le changement climatique. Autant de questions auxquelles les professionnels de santé publique ne peuvent répondre de façon isolée, mais en associant à leur réflexion des spécialistes d’autres disciplines et l’ensemble des acteurs de la société 5.

Mieux connaître et prendre en compte de manière intégrée les dimensions sanitaires du changement climatique, de l’adaptation et de l’atténuation est donc essentiel pour aider à la prise de décision. Afin de rendre ces thématiques plus concrètes, nous proposons dans cet article une réflexion sur certaines évolutions déjà observées et à venir en France, et les défis qu’elles posent à l’épidémiologie et à la santé publique. Il ne s’agit pas d’un panorama complet des risques potentiels liés au climat, mais d’une illustration s’appuyant sur quelques exemples.

Quelques manifestations du changement climatique

Le changement climatique se traduit en premier lieu par un réchauffement : la température moyenne du globe a déjà augmenté de 0,85°C entre 1880 et 2012 1. La France se situe dans la moyenne (figure 1).

Figure 1 : Évolution de la température moyenne en France métropolitaine sur la période 1850-2012 : écart par rapport à la référence 1961-1990
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Les observations indiquent également une augmentation probable du nombre d’épisodes de précipitations extrêmes 1, bien que les séries soient encore trop courtes pour affirmer une tendance significative, y compris dans les régions méditerranéennes de la France réputées les plus à risque 6. Certains travaux en cours montrent cependant une augmentation significative des maximas d’automne, sur les Cévennes par exemple 6. Les impacts sur d’autres évènements extrêmes de types cyclones sont plus incertains 1. De même, l’impact du changement climatique sur la chimie atmosphérique est encore mal compris. L’augmentation des températures pourrait se traduire par des augmentations locales des pics d’ozone et de particules fines 1.

Les évolutions déjà observées du climat se répercutent sur les écosystèmes 2. L’Observatoire national des effets du réchauffement climatique (Onerc) répertorie sur son site les principaux changements écosystémiques déjà amorcés, établis ou attendus en France (http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Impacts-du-changement-climatique,2907-.html). La tendance générale est à l’appauvrissement des biocénoses naturelles et des systèmes agraires et à une nouvelle répartition des cultures.

En France métropolitaine, une hausse des températures moyennes comprise entre 0,6°C et 1,3°C est attendue sur la période 2021-2050 par rapport à 1976-2005. Ce réchauffement devrait être plus marqué dans le Sud-Est en été 7. Des froids extrêmes pourront cependant continuer à se produire. Les tendances concernant les précipitations sont variables selon les régions. Elles risquent d’être moins abondantes en été dans le futur. Ces changements sont attendus même si le réchauffement global reste limité à +2°C par rapport à l’ère préindustrielle 8, ainsi qu’illustré par la figure 2. Aboutir à un accord permettant de contenir le réchauffement global à 2°C est un des objectifs de la 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21/CMP11) à Paris, en décembre 2015.

Figure 2 : Changements de températures moyennes et de précipitations moyennes sous un scénario de réchauffement de 2°C de la température moyenne en Europe par rapport à l’ère préindustrielle [8]
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Autre exemple des conséquences possibles de ce réchauffement, le front des incendies de forêts : cantonné jusqu’à présent au pourtour méditerranéen et aux Landes, il pourrait remonter jusqu’à la Loire d’ici 2050.

Le réchauffement pourrait se poursuivre et persister pendant plusieurs siècles si des mesures d’atténuation ne sont pas mises en place. À l’horizon 2100, en l’absence de telles mesures, le réchauffement moyen pourrait varier de 2,6 à 4,8°C par rapport à la période préindustrielle, mais des augmentations encore plus importantes ne sont pas exclues sous les scénarios les plus pessimistes 9.

Comprendre, anticiper et limiter les impacts sanitaires directs : l’exemple de la température

La chaleur est un risque sanitaire immédiat à envisager. Près des trois-quarts des jours chauds observés depuis 1850 sont attribuables au changement climatique 10. Rappelons que les canicules de 2003 puis de 2006 11 et 2015 ont causé respectivement 15 000, 2 000 et 3 300 décès en excès en quelques jours en France. Des interactions entre pollution et chaleur extrêmes ont également été documentées en France et dans le monde 12. L’adaptation à la chaleur constitue une nécessité absolue. Elle s’appuie aujourd’hui, en France et en Europe, principalement sur des mesures de prévention immédiates, comme le plan national canicule. Des mesures de communication et de prévention sont ainsi mises en œuvre dès lors que des chaleurs extrêmes sont prévues par Météo-France.

À titre d’illustration, quelques-unes des questions posées en matière d’anticipation et de prévention des impacts sanitaires directs de la température sont énoncées ci-après. Ces questions concernent la recherche, la prévention et l’évaluation des politiques de santé. Ainsi, comment utiliser l’expérience acquise par plus de 10 ans de mise en oeuvre du plan national canicule et le nombre croissant d’études épidémiologiques sur les relations entre température et mortalité pour faire évoluer ce plan et le système d’alerte ? Comment et quand faire évoluer les seuils d’alerte (construits sur la période 1973-2010) pour qu’ils demeurent pertinents, alors que depuis 2000 les étés sont globalement plus chauds que la normale ? Comment faire pour que la prévention du risque chaleur soit progressivement intégrée par la population de manière à ce qu’elle adopte des comportements adaptés, y compris en l’absence d’alerte ?

Au-delà des mesures prises lors des épisodes de chaleurs extrêmes, l’adaptation à la chaleur nécessite également de repenser l’habitat et la ville pour limiter le phénomène d’îlot de chaleur urbain, qui contribue fortement à la mortalité lors des épisodes extrêmes 13. Ceci invite à s’interroger sur les inégalités sociales, les relations entre qualité de vie et santé en ville, etc. Comment éviter que l’adaptation de la ville à la chaleur conduise à un accroissement des inégalités ? Par exemple, les systèmes de climatisation avec rejet de chaleur dans l’air entraînent une augmentation notable de la température extérieure, et donc de l’exposition des personnes du voisinage ne pouvant s’offrir ces systèmes. À l’inverse, les nouveaux bâtiments et quartiers peuvent être conçus de manière à limiter leur consommation énergétique, tout en maintenant un environnement intérieur sain, en limitant l’exposition à la chaleur et en facilitant les contacts sociaux favorables à la protection des personnes vulnérables. Les pays anglo-saxons s’intéressent ainsi au rôle des espaces verts pour réduire l’îlot de chaleur urbain, et donc mieux adapter la ville à la chaleur, tout en améliorant la santé et en réduisant les inégalités sociales de santé. Ainsi, une étude a montré au Royaume-Uni que les écarts de mortalité selon le revenu diminuaient lorsque les populations avaient davantage accès à des espaces verts 14. Ces exemples soulignent la nécessité de travailler de manière plus intégrée et interdisciplinaire.

Il faut ainsi prendre en compte les impacts sanitaires à venir des différentes options d’atténuation ou d’adaptation envisagées. La figure 3 illustre la différence, en termes de nombre de journées chaudes, entre un scénario de réduction volontariste des émissions de CO2 (RCP2.6), un scénario de stabilisation (RCP4.5) et un scénario sans politique climatique (RCP8.5). Entre 1976 et 2050, l’augmentation des vagues de chaleur est largement déterminée par la situation atmosphérique actuelle. En revanche, les projections 2071-2100 indiquent que le nombre de vagues de chaleur dépendra des politiques d’atténuation menées aujourd’hui (figure 3). Ceci pose également de nombreuses questions : comment transcrire les choix d’atténuation à faire dès maintenant en impacts sanitaires futurs pour aider la décision ? L’adaptation permettra-t-elle de faire face aux canicules plus fréquentes et plus intenses ? Pourrait-on atteindre en Europe des températures sous lesquelles l’adaptation deviendrait physiologiquement difficile ? Quelles seront les conséquences indirectes d’un réchauffement marqué sur la santé et la société ? Qui seront les laissés pour compte ? Quelles données faut-il collecter aujourd’hui pour rendre possibles les études dans les prochaines décennies ?

Figure 3 : Évolution du nombre de jours où la température maximale dépasse 25°C en France métropolitaine entre 1976-2005, 2021-2050 et 2071-2100
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Enfin, la température a également des impacts sur la mortalité en dehors des canicules. Une étude internationale a estimé que 7,7% de la mortalité annuelle était attribuable à la température, effet du chaud et du froid cumulé : 11% en Italie, 9% au Royaume-Uni 15. Ceci pose de nouvelles questions pour les épidémiologistes : comment cet impact va-t-il évoluer dans le futur ? Doit-on s’attendre à une diminution du nombre de décès causés par le froid par exemple ? L’analyse des données et des connaissances disponibles à ce jour laisse penser que cela ne sera pas le cas 16, la relation entre froid et mortalité étant a priori plus forte dans les pays tempérés ou chauds que dans les pays froids, mais cette hypothèse devra être confirmée. D’autres travaux semblent indiquer que c’est moins la valeur absolue des températures que la variabilité au jour le jour qui compte ; paradoxalement, un hiver plus chaud que la normale pourrait avoir un impact sur la mortalité, de même qu’un hiver plus froid que la normale 17.

De nombreux autres sujets concrets sont à explorer, comme l’impact de la température sur la santé des travailleurs. On le voit, un sujet à première vue assez simple comme la température pose de nombreuses questions, et appelle à des travaux approfondis et nécessairement interdisciplinaires en climatologie, en épidémiologie et en sciences humaines et sociales.

Aborder les impacts indirects complexes et quantifier les bénéfices sanitaires des actions de prévention : le besoin d’interdisciplinarité

Le changement climatique induit des modifications des écosystèmes ou des bouleversements économiques et sociaux qui se répercuteront sur la santé 18, y compris en remettant en cause les acquis sanitaires des dernières décennies et en limitant les capacités d’adaptation futures 3. Notamment, le changement climatique influence déjà les systèmes naturels sur l’ensemble du globe 2 : évolution de l’aire de répartition de nombreuses espèces, modifications des activités saisonnières, mouvements migratoires, modifications des interactions interspécifiques. Les systèmes hydrologiques et les ressources en eau ainsi que la production alimentaire sont aussi négativement impactées dans de nombreuses régions du monde, causant des difficultés d’accès à ces ressources fondamentales. Ces changements auront des répercussions sanitaires, par exemple une modification des allergies en fonction de l’évolution des peuplements végétaux, l’apparition de conditions climatiques favorisant l’extension des vecteurs de maladies tropicales (par exemple les moustiques vecteurs de la dengue et du chikungunya) ou d’espèces animales ou végétales à risque pour la santé (ambroisie, chenilles processionnaires du pin, cyanobactéries, algues sargasses aux Antilles...).

Les seuls outils de l’épidémiologie ne permettent pas d’observer, d’étudier et de modéliser de tels impacts indirects passant par des interactions complexes entre environnements naturel, culturel, économique et social 19. Les collaborations interdisciplinaires sont indispensables pour dépasser les limites de chacune des disciplines et pour prendre en compte les impacts en cascade et les rétroactions associés à la simulation de scénarios prospectifs les plus vraisemblables comme les plus extrêmes. C’est l’un des enjeux de la recherche et de la surveillance. Un exemple en est donné par une étude récente sur l’ambroisie en Europe : le couplage d’outils de modélisation provenant de plusieurs disciplines environnementales a permis d’estimer que les concentrations dans l’air du pollen de l’ambroisie à feuille d’armoise pourraient quadrupler en 2050, le changement climatique expliquant les deux tiers de cette augmentation. Le tiers restant serait dû à la colonisation de la plante, favorisée par l’eau de ruissellement et les cours d’eau, ou le transport routier, les voies ferrées et les pratiques agricoles 20. La prochaine étape de la modélisation serait alors d’en estimer les conséquences sur la santé respiratoire en s’appuyant sur l’épidémiologie et la biostatistique.

Quelques exemples montrent qu’il est aujourd’hui possible de quantifier les impacts sanitaires à venir de politiques, de les comparer entre elles et d’orienter ainsi la décision. Limiter les émissions de GES passe par des mesures dont certaines peuvent être immédiatement favorables à la santé, y compris en Europe. Ainsi, en limitant l’usage des véhicules individuels et en privilégiant les transports actifs (transports en commun, marche, vélo), chacun peut améliorer sa santé via une plus grande activité physique tout en contribuant à réduire les GES. Par exemple, à Londres, en 2030, on estime que le remplacement des trajets en voiture par des transports actifs pourrait faire gagner chaque année 7 332 années de vie sans incapacité, réparties sur l’ensemble de la population londonienne 21. Une autre étude anglaise a estimé que l’adoption, par l’ensemble de la population, d’un régime avec une consommation réduite de viande et conforme aux recommandations nutritionnelles de l’Organisation mondiale de la santé permettrait une baisse des GES de l’ordre de 17% et pourrait augmenter l’espérance de vie moyenne de 8 mois dans les 30 prochaines années 22.

Santé-climat : une approche intégrée recherche, surveillance, intervention

Il y a désormais consensus sur l’importance des liens entre changement climatique et santé, qui se décline en trois points : 1) le changement climatique a déjà des impacts sur la santé (exemple, les vagues de chaleur), 2) des mesures d’adaptation et d’atténuation sont indispensables pour réduire ces risques, 3) l’adaptation et l’atténuation peuvent s’appuyer dès maintenant sur des mesures qui seront bénéfiques à la fois pour la santé et le climat.

Une approche intégrée et interdisciplinaire, prenant en compte les multiples impacts sanitaires possibles des politiques d’adaptation et d’atténuation, est donc souhaitable. Les mesures d’adaptation et d’atténuation gagneraient, en particulier, à être accompagnées de processus couplés de surveillance des effets sanitaires, d’intervention et d’évaluation des interventions. De tels couplages existent déjà partiellement sur l’adaptation à la chaleur et mériteraient être développés sur d’autre thématiques : amélioration de la qualité de l’air, réduction de l’îlot de chaleur urbain, réponse aux évènements climatiques extrêmes, réduction des risques liés à l’alimentation..., en prenant en compte les interactions entre déterminants environnementaux, sanitaires et sociaux. Il s’agirait aussi d’étudier l’évolution de ces déterminants sur les années récentes et d’établir des scénarios prospectifs en envisageant des options d’adaptation diversifiées et en quantifiant les impacts sanitaires associés. On pourrait ainsi espérer agir positivement pour réduire le changement climatique tout en améliorant la santé présente et celle des générations futures.

Un renforcement de la recherche en épidémiologie et une meilleure prise en compte des conséquences sanitaires de l’adaptation au changement climatique sont donc souhaitables. C’est dans cette perspective que le Haut Conseil de la santé publique a récemment recommandé d’intégrer la surveillance des interactions santé-climat dans les travaux de la future agence « Santé Publique France » 23.

Remerciements

Nous remercions les deux relecteurs de l’article pour leurs critiques très constructives.

Références

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23 Toussaint JF. Impacts sanitaires de la stratégie d’adaptation au changement climatique. Méthodologie de recherche et d’évaluation - Observations et recommandations. Paris: La Documentation française; 2015. 136 p.

Citer cet article

Pascal M, Beaudeau P, Laaidi K, Pirard P, Vautard R. Changement climatique et santé : nouveaux défis pour l’épidémiologie et la santé publique. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(38-39):717-23. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/38-39/2015_38-39_2.html