Caractéristiques sociodémographiques et santé des familles sans logement en Île-de-France : premiers résultats de l’étude Enfams, 2013*

// Social characteristics and health of homeless families in the greater Paris area (France): first results from the ENFAMS Study, 2013

Stéphanie Vandentorren1,2,3 (stephanie.vandentorren@ars.sante.fr), Erwan Le Méner1, Nicolas Oppenchaim1,4, Amandine Arnaud1,3, Candy Jangal1,5, Carme Caum1, Cécile Vuillermoz2, Judith Martin-Fernandez2, Sandrine Lioret6, Mathilde Roze2, Yann Le Strat3, Emmanuelle Guyavarch1
1 Observatoire du Samusocial de Paris, Paris, France
2 Sorbonne Université, UPMC Univ Paris 06, Inserm, Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique (IPLESP UMRS 1136), Paris, France
3 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
4 Université François Rabelais, Laboratoire Citeres, UMR CNS 7324, Tours, France
5 Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Laboratoire Espace, Santé et Territoires, Nanterre, France
6 Early ORigin of the Child’s Health and Development Team (ORCHAD), Inserm, UMR1153 Centre de recherche épidémiologie et statistique Sorbonne Paris Cité (CRESS) ; Université Paris Descartes, Paris, France

* Adapté de : Vandentorren S, Le Méner E, Oppenchaim N, Arnaud A, Jangal C, Caum C, et al. Characteristics and health of homeless families: the ENFAMS survey in the Paris region, France 2013. Eur J Public Health. 2015 (In press). First published online: 28 October 2015. DOI: http://dx.doi.org/10.1093/eurpub/ckv187
Version finale acceptée le 23.09.2015 // Final accepted version: 09.23.2015
Mots-clés : Sans-domicile | Familles | Migrants | Sondage espace-temps
Keywords: Homelessness | Families | Migrants | Time-location sampling

Résumé

Introduction –

L’étude Enfams, première enquête française exclusivement consacrée aux familles sans logement, visait à décrire les caractéristiques et la santé de ces ménages, en Île-de-France.

Méthode –

Le recueil de données a été mené en 2013 par l’Observatoire du Samusocial de Paris. Un sondage aléatoire à trois degrés a permis d’obtenir un échantillon de 801 familles (couple parent-enfant âgé de 0 à 12 ans) résidant dans des centres d’hébergement d’urgence, de réinsertion sociale, d’accueil pour demandeurs d’asile ou dans des hôtels sociaux. Ces familles ont été interrogées en 17 langues par un binôme enquêteur/psychologue. Des mesures anthropométriques, un prélèvement biologique et le recueil du calendrier vaccinal ont été réalisés par une infirmière.

Résultats –

Le nombre total de familles sans logement a été estimé à 10 280 en Île-de-France. Les parents étaient majoritairement nés à l’étranger (94%) et résidaient en France depuis 5 ans en moyenne. Près de la moitié des familles était monoparentale, 22% ayant au moins 3 enfants. Par ailleurs, 94% d’entre elles vivaient sous le seuil de pauvreté et 22% n’avaient aucun revenu. La majorité souffrait de malnutrition, avec une forte prévalence d’insécurité alimentaire (77% des parents et 69% des enfants), d’anémie (50% des mères et 38% des enfants), de surpoids (38% des mères et 22% des enfants) et d’obésité (32% des mères et 4% des enfants). Par ailleurs, 30% des mères souffraient de dépression et 20% d’état de stress post-traumatique. Concernant les enfants, 20% présentaient des troubles de la santé mentale et la majorité (80%) avaient un retard de développement.

Discussion – conclusion –

Ces premiers résultats invitent à réformer l’hébergement d’urgence dans le sens d’une prise en compte de ses effets sur la santé des familles, notamment sur le développement des enfants.

Abstract

Background –

The main objectives of the ENFAMS study-first study exclusively on homeless families in France-were to estimate the size of this population, to describe families’ characteristics and health in the greater Paris area.

Methods –

In 2013, the Observatoire of Samusocial of Paris conducted a cross sectional survey based on a random sample of 801 homeless families (parents with a child from 0 to 12 years old) housed in emergency housing centres, social reinsertion centres, centres for asylum-seekers, and social hotels. Pairs composed of a bilingual interviewer and a psychologist conducted the face to face interviews in 17 languages. A nurse took anthropometric measures, blood samples and collected health data from child health and immunization cards.

Results –

The population size was estimated at 10,280 families. Ninety four percent of the parents were born outside France and had been living in France for 5 years on average. Half are female single-parent families, 22% have more than 3 children. Moreover, ninety four percent of the families are living below the poverty line and 22% have no income at all. Malnutrition is found to be a major problem in homeless families, as demonstrated by the high prevalence of food insecurity (77% of parents and 69% of children); anaemia (50% of mothers and 38% of children); overweight (38% of mothers and 22% of children) and obesity (32% of mothers and 4% of children). Moreover, 30% of the mothers suffer from depression, and 20% from post-traumatic stress disorder. 20% of the children suffer from mental health disorders, and the majority (80%) had intellectual disabilities.

Discussion –

These first results stress the need to reform accommodation policies in order to take into account its deleterious effects on families’ health, and children’s development. It provides important insights for the implementation of a dedicated program of prevention.

Introduction

La population sans domicile est une population hétérogène. Ainsi, la littérature anglo-saxonne a montré que les familles sans logement ont des caractéristiques différentes des personnes isolées sans logement, soulignant la nécessité d’études spécifiques 1, d’autant qu’elles représentent une part croissante de la population sans domicile dans les grandes villes métropolitaines d’Europe. Les études menées en Europe et aux États-Unis ont montré que les conditions de vie sans logement ont des impacts négatifs sur la santé des familles. Les enfants ont un état de santé plus précaire que les enfants issus de familles pauvres mais logées 2. D’après les études nationales sur les personnes sans domicile, leur nombre a augmenté en France de plus de 50% entre 2001 et 2012. Et parmi les personnes francophones enquêtées, n’incluant pas les demandeurs d’asile, 25% avaient de jeunes enfants 3. Les données de cette même enquête concernant les personnes non francophones, interrogées par un questionnaire court et auto-administré, n’ont pas été publiées. La question des familles sans domicile est pourtant à la croisée des questions de politiques sociales et migratoires 4. En 2010, pour la première fois, des services d’urgence sociale du Samusocial ont hébergé davantage de parents et d’enfants que de personnes seules 5. Devant ce constat, l’Observatoire du Samusocial de Paris a lancé pour la première fois en France un projet spécifique intitulé Enfams (ENfants et FAMilles Sans logement). Cet article présente l’étude quantitative de ce projet, dont les objectifs étaient d’estimer le nombre des familles sans domicile hébergées ou bénéficiant d’une prise en charge en Île-de-France ainsi que de décrire leurs caractéristiques sociodémographiques, leurs conditions d’hébergement et leur santé pour mieux estimer l’impact du sans-abrisme et des conditions d’hébergement sur la santé des familles et des enfants en particulier.

Méthodes

Population d’étude

L’enquête a reposé sur un échantillon aléatoire de 801 familles résidant en centre d’hébergement d’urgence (CHU), de réinsertion sociale (CHRS), d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) ou en hôtel social (l’hôtellerie sociale constituant le mode principal d’hébergement des familles en Île-de-France). Les familles sans abri, vivant dans les rues, et celles accueillies dans des structures mère-enfant – qui relèvent davantage de difficultés familiales que d’absence de logement – n’ont pas été incluses. Pour être éligible, une famille devait comprendre au moins un adulte de plus de 18 ans avec un enfant de moins de 13 ans, parlant l’une des 17 langues de l’étude et capable de donner son consentement éclairé. Les questionnaires ont été traduits en anglais, arabe, arménien, bulgare, mongol, roumain, russe et tamoul. Une traduction orale en bambara, espagnol, italien, lingala, portugais, serbe, soninké et wolof, était également possible lors de l’entretien. Au final, près de la moitié des entretiens ont été réalisés dans l’une des 16 autres langues que le français.

Dans chaque famille, nous avons enquêté le parent (la mère préférentiellement) et un enfant de moins de 13 ans (soit 566 enfants de moins de 6 ans et 235 âgés de 6 à 12 ans) 6. Sachant que l’on estime, dans la littérature, qu’en population similaire au moins 10% des enfants de moins de 6 ans souffrent de retard de développement 7, nous avons calculé un effectif nécessaire de 533 enfants participants (pour une précision de 2,5% et un risque alpha de 5%).

Collecte de données

La première étape de la collecte consistait en une pré-visite dans les structures quelques jours avant l’étude, afin d’y recenser les familles éligibles et d’en tirer au sort. Si la famille acceptait de participer, un rendez-vous était proposé avec un binôme bilingue composé d’un enquêteur et d’un psychologue. Après l’obtention du consentement éclairé, deux questionnaires en face-à-face étaient administrés par l’enquêteur au parent : l’un portant sur l’ensemble de la famille, l’autre spécifiquement sur l’enfant tiré au sort. Le questionnaire sur la famille comportait des données sociodémographiques (composition et caractéristiques de la famille, trajectoire migratoire et résidentielle, réseau familial et amical, logement), conditions économiques (situation professionnelle et ressources) et de santé (accès et recours aux soins, santé générale, santé mentale, alimentation). Pour rendre possible la comparaison avec la population générale, ces questionnaires ont été construits à partir de questionnaires préexistants : cohorte SIRS (Santé, inégalités et ruptures sociales) de l’Inserm, enquête nationale périnatale, questionnaire d’insécurité alimentaire 8, Composite International Diagnostic Interview short-form (Cidi-SF) pour la dépression 9 et Mini International Neuropsychiatric Interview short-form (Mini-SF) pour l’état de stress post-traumatique, enquête Sans-domicile de l’Insee et enquête Elipa (Enquête longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants) du ministère de l’Intérieur. Le questionnaire sur l’enfant portait principalement sur sa santé et son alimentation si l’enfant avait moins de 6 ans, ou principalement sur ses relations sociales s’il avait de 6 à 12 ans révolus. La santé mentale des enfants de plus de 4 ans a été évaluée par le Strengths and Difficulties Questionnaire.

Parallèlement, le psychologue administrait un questionnaire à l’enfant, s’il avait plus de 6 ans, sur ses relations familiales et sociales, à la maison, à l’école et dans le quartier de résidence. Le fait d’interroger spécifiquement l’enfant permettait de mieux prendre en compte son point de vue, son ressenti, qui peut être différent de celui de son parent. Le même psychologue réalisait un test psychométrique adapté à l’âge de l’enfant : le Dominic Interactive, pour les enfants de plus de 6 ans 10 et la Vineland Social Maturity Scale 11 pour mesurer le développement psychomoteur des enfants de moins de 6 ans.

La troisième étape comprenait une collecte de données médicales par une infirmière, à partir du carnet de santé de l’enfant (calendrier vaccinal, croissance), des mesures anthropométriques (permettant d’estimer le surpoids et l’obésité pour les enfants âgés de 2 ans selon les standards de l’International Obesity Task Force 12), ainsi que des prélèvements biologiques de quelques gouttes de sang pour estimer le statut nutritionnel (mesure d’anémie par hémoglobinomètre portatif HemoCue® et statut en vitamine A à partir de buvards) et d’une mèche de cheveux pour doser les neurotoxiques (plomb, mercure).

Statistiques

Un plan de sondage aléatoire complexe à trois degrés a été utilisé, avec au premier degré les structures d’hébergement, au deuxième degré les familles (tirées au sort par un sondage aléatoire simple) et au troisième l’enfant (tiré au sort dans chaque famille).

Le nombre de familles sans logement en Île-de-France a été estimé en additionnant les poids de sondage de tous les participants. L’ensemble des prévalences et des moyennes ont été pondérées. Les analyses ont été effectuées sur le logiciel Stata12® (StataCorp, Texas, États-Unis).

Résultats

Taux de participation des structures

Parmi les 796 structures recensées (73% d’hôtels, 16% de CHRS, 6% de CHU et 5% de CADA), 251 ont été initialement tirées au sort, 237 ont été contactées et 192 visitées. Le taux de participation global des structures était de 81%, et variait de 89% pour les hôtels à 64% pour les centres de réinsertion sociale.

Au total, 801 familles ont participé à l’enquête. Le taux de participation des familles était de 79% (figure). Les principaux motifs de non-participation à l’enquête (N=258 familles) étaient le manque d’intérêt (17%) et de temps (14%). Les non participants étaient plus jeunes (33 ans en moyenne versus 38 ans), plus souvent des hommes (15,3% versus 4,6%) et avaient plus fréquemment au moins deux enfants (31,7% versus 23,1%).

Le nombre de familles sans logement en Île-de-France a été estimé à 10 280 (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [9 507-11 053]), soit une estimation de 35 000 personnes [32 184-37 763], dont 17 660 enfants âgés de moins de 13 ans [16 265-19 057].

Figure : Participation des familles dans l’étude Enfams, 2013
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Caractéristiques des familles sans logement

Les familles étaient composées de parents âgés de 32,6 ans en moyenne, la moitié était monoparentale et 21,8% [17,5-26,1] avaient 3 enfants à charge (tableau 1). Les enfants avaient en moyenne 5,4 ans et 57,3% [52,8-61,7] étaient nés en France. La plupart (93,9% [90,7-96,0]) des parents étaient nés à l’étranger ; 34,9% [30,4-39,7] étaient originaires d’Afrique subsaharienne et 17,1% [14,3-20,4] de la Communauté des États indépendants (CEI). Les principaux motifs migratoires étaient des raisons politiques pour les personnes issues de la CEI, ou économiques ou familiales pour les personnes originaires d’Afrique. En moyenne, les familles migrantes vivaient en France depuis 5 ans. Avant de se retrouver sans domicile, 47,1% [42,5-51,7] vivaient chez un tiers et 30,0% [25,9-34,6] étaient sans domicile dès leur arrivée en France. Leurs conditions de vie étaient marquées par une instabilité résidentielle, plus forte lors de la première année (les familles hébergées depuis 1 à 2 ans avaient déménagé 3,8 fois en moyenne dans l’année, versus 1,9 fois pour celles hébergées depuis 2 à 4 ans). On note que 10,2% [6,8-15,0] des enfants de 6 à 12 ans n’étaient pas scolarisés ; ce taux était de 21,1% [12,1-34,1]) pour les enfants ayant déménagé plus d’une fois durant les 12 derniers mois, versus 9,6% [5,0-17,9]) pour ceux qui avaient déménagé une fois et seulement 3,9% [1,4-10,2]) pour ceux qui n’avaient pas déménagé du tout.

Concernant le niveau d’éducation, 21,0% [15,5-27,8] des parents interrogés déclaraient ne pas avoir été scolarisés alors que 15,1% [12,1-18,7] avaient reçu un niveau d’éducation supérieur, proportion comparable à celle de l’enquête Sans-domicile 2012. Plus de la moitié des parents (63,3%, [57,6-68,6]) avaient des difficultés à comprendre, parler, lire ou écrire le français. Seuls 19,2% [15,3-23,8] des parents déclaraient travailler, avec ou sans contrat. La plupart des familles vivaient sous le seuil de pauvreté : 93,6% [90,7-95,6]. Le revenu médian par unité de consommation était de 221 euros par mois (variant de 0 à 2 953,8 euros) et 21,9% [18,2-26,1] déclaraient ne recevoir aucun revenu ni prestation sociale. Les familles se trouvaient dans une situation administrative instable (en voie de régularisation) pour 46,1% [40,8-51,4] d’entre elles ; 20,4% [16,9-24,5] n’avaient pas d’assurance maladie et 58,0% [53,1-62,9] pas de complémentaire santé.

Tableau 1 : Caractéristiques des parents dans l’étude Enfams, 2013
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La prévalence de problèmes de santé chez les adultes et les enfants était élevée (tableau 2), la malnutrition et les troubles de santé mentale étant les problèmes les plus préoccupants. L’insécurité alimentaire touchait 77,0% [72,9-80,7] des adultes et 60,7% [56,1-65,1] des enfants. Près de la moitié des familles souffrait d’anémie : 50,3% [45,8-54,8] des mères et 37,7% [32,5-43,2] des enfants. Le surpoids et l’obésité frappaient une forte proportion des familles : 38,2% [33,3-43,1] des mères étaient en surpoids et 31,7% [26,7-36,6] étaient obèses ; ces taux atteignaient respectivement 21,6% [15,2-28,1] et 4,0% [1,7-6,3] chez les enfants âgés de plus de deux ans. La santé mentale était un problème important : 27,1% [23,4-30,8] des mères sans domicile souffraient de dépression et 19,7% [14,1-25,2] présentaient un état de stress post-traumatique. Concernant les enfants, 20,8% [15,8-25,8] semblaient présenter des troubles émotionnels ou du comportement (SDQ) alors que 3,4% [1,0-5,9] avaient eux-mêmes déclaré des troubles de santé mentale (Dominic interactive). Une majorité des enfants : 80,8% [71,8-89,8] avaient un retard de développement.

Tableau 2 : État de santé des familles dans l’étude Enfams, 2013*
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Discussion

L’enquête Enfams a porté sur une population jusque-là jamais investiguée en France : les familles sans logement, exclusivement. Ces familles avaient des caractéristiques différentes des autres personnes sans domicile, qui sont quant à elles plus souvent nées en France, en moyenne plus âgées et ne sont pas accompagnées d’enfants. Il s’agissait en majorité de familles immigrées, rencontrant des difficultés administratives et disposant de très peu de ressources, avec des revenus 8,3 fois inférieurs à ceux de l’ensemble des Franciliens. Elles étaient principalement hébergées à l’hôtel, avec peu de commodités et subissaient une forte mobilité résidentielle. Cette forte mobilité résidentielle a des conséquences, également, sur la scolarisation des enfants, tout comme l’arrivée récente en France (données non montrées). Les déménagements fréquents entravent les démarches d’inscription, comme l’ont montré les travaux qualitatifs précédant cette étude 13.

Les principaux problèmes de santé de ces familles renvoient à des conditions d’hébergement qui n’offrent souvent qu’un abri, ainsi qu’au peu de ressources à leur disposition. L’insécurité alimentaire dont elles souffraient est alarmante et mérite à elle seule de s’interroger sur ses déterminants. Certains de ces facteurs sont classiquement retrouvés dans la littérature. Il s’agit avant tout d’un problème de pauvreté économique. On retrouve en effet de telles prévalences dans la littérature dans les cas de dénuement extrême 14. La dépression était fréquemment retrouvée chez les mères, à un niveau similaire à celui observé chez les familles dans l’enquête Samenta 15.

Notre étude a pour originalité son caractère pluridisciplinaire permettant une collecte riche et variée. Des travaux qualitatifs ont permis d’alimenter la conception de cette étude quantitative, que ce soit par des analyses démographiques des usagers du 115 de Paris montrant la part croissante des familles, par des enquêtes sociologiques sur le système d’hébergement des familles et la vie quotidienne à l’hôtel, ou encore des analyses ethnographiques et géographiques sur le recours aux soins des familles.

Par ailleurs, la participation en tant qu’enquêteurs de plusieurs personnes ayant été autrefois elles-mêmes prises en charge en tant que famille sans domicile et ayant désormais un logement, a apporté une dimension participative à la recherche.

Devant l’importance des problèmes rencontrés, nous avons orienté les familles vers le système de soin en cas de nécessité, avec une réponse adaptée à leurs besoins. Par exemple, une information était donnée aux familles par les infirmières sur la conduite à tenir en cas d’anémie ou de retard vaccinal, sous la supervision du médecin de l’équipe, qui a mené un travail préalable de coordination auprès des PMI.

Malgré ces forces, notre étude comporte deux principales limites. La première est l’absence de groupe de témoins parmi les enfants pauvres, mais logés. En effet, ce type d’études mené aux États-Unis a montré que les familles sans domicile ressemblent davantage aux familles pauvres mais logées qu’aux autres personnes sans domicile « isolées » 16, suggérant un continuum des problèmes sanitaires rencontrés entre les familles sans domicile et les familles pauvres logées. La seconde est qu’il s’agit d’une étude transversale : les enquêtes de cohorte menées aux États-Unis indiquent en effet que les effets délétères de ces conditions de vie sur la santé des parents et des enfants sont d’autant plus réversibles que l’épisode sans domicile ne s’installe pas trop tôt dans la vie de l’enfant, qu’il ne dure pas trop longtemps, qu’il n’y a pas trop de mobilité résidentielle subie et que les mères ne souffrent pas de dépression 17. L’augmentation de la durée de l’épisode sans domicile, la multiplication des déménagements, au sein d’une population de plus en plus jeune, caractérisent pourtant l’évolution de la prise en charge des familles, comme le montrent nos résultats. Une réforme de l’hébergement s’impose, non seulement dans le sens d’une amélioration de l’équipement des établissements, mais également en prenant en compte les effets délétères de l’organisation du système d’hébergement sur la santé des familles.

Remerciements

Cette étude a reçu le soutien financier de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France (ARS), du Cancéropôle Île-de-France, de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), de la Fondation de France, de la Fondation Macif, de la Fondation Sanofi Espoir, de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), de l’Institut de recherche en santé publique (IReSP), de l’Institut de veille sanitaire (InVS), du Ministère de l’Intérieur, de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED), de Procter et Gamble et de State Street, ainsi que le matériel de la société HemoCue®. Les auteurs remercient Pierre Chauvin pour sa relecture, et l’équipe de l’USEN (Unité de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle) : Elsa Garcin, Thomas de Watrignant, Oana Nastasa, Maud Chaigneau, Luce Gatecloud et Marie Denancé, qui ont participé au bon déroulement de l’enquête ; ainsi que toutes les familles participantes.

Références

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3 Yaouancq F, Lebrère A, Marpsat M, Régnier V, Legleye S, Quaglia M. L’hébergement des sans-domicile en 2012. Des modes d’hébergement différents selon les situations familiales. Insee Première. 2013;(1455):1-4. http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1455
4 Le Méner E, Oppenchaim N. The temporary accommodation of homeless families in Ile-de-France: between social emergency and immigration management. Eur J Homeless 2012; 6(1): 83-103.
5 Guyavarch E, Le Méner E. 2014. Les familles sans domicile à Paris et en Île-de-France : une population à découvrir. Politiques Sociales et Familiales. 2014;115(1):80-6.
6 Guyavarch E, Le Méner E, Vandentorren S. Enfams - Enfants et familles sans logement en Île-de-France. Paris: Observatoire du Samusocial; 2014. 442 p. https://www.samusocial.paris/enfams-enfants-et-familles-sans-logement-en-ile-de-france
7 Buckner JC. Understanding the impact of homelessness on children. Challenges and future research directions. American Behavioral Scientist. 2008;51(6):721-36.
8 Martin-Fernandez J, Grillo I, Parizot I, Chauvin P. Food insecurity in the Paris Metropolitan area in 2010. 3rd North American Congress of Epidemiology, Montréal, 2010. Am J Epidemiol. 2011;173:S322.
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10 Scott T, Short E, Singer L, Russ S, Minnes S. Psychometric properties of the Dominic interactive assessment: a computerized self-report for children. Assessment. 2006;13(1):16-26.
11 Fombonne E, Achard S. The Vineland Adaptive Behavior Scale in a sample of normal French children: a research note. J Child Psychol Psychiatry. 1993;34(6):1051-8.
12 Cole TJ, Bellizzi MC, Flegal KM, Dietz WH. Establishing a standard definition for child overweight and obesity worldwide: international survey. BMJ. 2000; 320(7244):1240-3.
13 Le Méner E, Oppenchaim N. L’attachement à l’école des familles sans logement à l’épreuve de l’instabilité résidentielle. Métropolitiques, 15 juin 2015. http://www.metropolitiques.eu/L-attachement-a-l-ecole-des.html
14 Lee BA, Greif MJ. Homelessness and hunger. J Health Soc Behav. 2008;49(1):3-19.
15 Laporte A, Douay C, Detrez MA, Le Masson V, Le Méner E, Chauvin P. La santé mentale et les addictions chez les personnes sans logement personnel d’Île-de-France. Premiers résultats. Paris: Observatoire du Samusocial, Inserm; 2010. 100 p. https://www.samusocial.paris/sites/default/files/rapport_samenta.pdf
16 Grant R. Twenty-five years of child and family homelessness: where are we now? Am J Public Health. 2013; 103(S2): e1-e10.
17 Shinn M, Schteingart JS, Williams NC, Carlin-Mathis J, Bialo-Karagis N, Becker-Klein R, et al. Long-term associations of homelessness with children’s well-being. American Behavioral Scientist. 2008;51(6):789-809.

Citer cet article

Vandentorren S, Le Méner E, Oppenchaim N, Arnaud A, Jangal C, Caum C, et al. Caractéristiques sociodémographiques et santé des familles sans logement en Île-de-France : premiers résultats de l’étude Enfams, 2013. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(36-37):679-85. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/36-37/2015_36-37_4.html

(1) Pour plus de détails sur les analyses de sensibilité des modèles, voir les publications originales (références 3, 4 et 5).

(2) Manuscrit en cours de rédaction.