La précarité des personnes sans domicile affecte leur santé dans toutes ses dimensions

// The precarious living conditions of homeless people affect their health in all its dimensions

Isabelle Parizot
CNRS, Centre Maurice Halbwachs, Équipe de recherche sur les inégalités sociales (ERIS), Paris

Il y a plus de 20 ans, en 1993, le Conseil national de l’information statistique (Cnis), appuyé par plusieurs associations, militants et chercheurs, pointait la nécessité de mener de grandes enquêtes afin de mieux connaître le nombre et la situation des personnes sans domicile. En effet, ces dernières se trouvaient, de fait, exclues du champ de la statistique publique. Depuis, et plus particulièrement au cours des années 2010, quelques recherches quantitatives ont pu être menées, étayées par de complexes réflexions méthodologiques et éthiques. Elles apportent de précieuses informations sur les conditions de vie, l’état de santé et le recours aux soins de ces personnes. Ce numéro du BEH en témoigne.

Les enquêtes nationales menées par l’Insee en 2001 puis en 2012 révèlent une augmentation et une diversification des populations sans domicile au cours de la dernière décennie, avec notamment un accroissement des familles ayant des enfants. Toutes les recherches soulignent la grande hétérogénéité de ces personnes. En effet, si elles partagent l’absence de logement personnel (l’absence d’un « chez soi »), leur situation au regard-même du logement diffère : certaines sont hébergées par des proches, d’autres en hôtel social, dans des centres collectifs à la nuit ou à plus long terme, d’autres encore dorment dans la rue ou dans des lieux non prévus pour l’habitation. De même, leurs caractéristiques sociodémographiques, leur situation au regard de la citoyenneté, leur trajectoire et l’intensité de leurs liens sociaux sont diverses. Loin de la totale désocialisation que certains imaginent parfois, ces personnes participent à la vie sociale de diverses manières. Un quart d’entre elles occupe un emploi, un quart vit avec des enfants, elles fréquentent différents services publics ou associatifs, la plupart ont eu un contact avec le système de santé dans l’année… comme le montrent les articles ci-après. Elles sont également inscrites dans des réseaux de sociabilité, certes plus ou moins constants et plus ou moins denses.

Il convient par ailleurs de rappeler que le « sansabrisme » n’est pas un état stable, mais s’inscrit dans des parcours familiaux, des histoires migratoires, des trajectoires professionnelles. Les situations peuvent parfois évoluer rapidement, et les changements de lieu comme de type d’hébergement ne sont pas rares : par exemple passage d’un centre collectif à un logement personnel avant d’être hébergé chez des amis ; ou encore départ contraint d’un centre d’hébergement pour un hôtel situé dans une autre commune.

La précarité que connaissent les personnes sans domicile a de nombreux impacts sur leur état de santé. En matière de santé physique comme de santé mentale ou de mortalité, les indicateurs disponibles révèlent un état souvent détérioré et des problèmes plus nombreux et plus marqués que dans la population générale, y compris la frange la plus défavorisée des individus ayant un logement personnel. Leurs conditions de vie, bien que très diverses, ont en commun de multiplier les facteurs de risque. C’est un cumul de dimensions qui sont impactées, par exemple l’alimentation ou les pratiques de prévention comme la vaccination des enfants, étudiées ici. Les déterminants de la santé sont nombreux et il ne saurait bien sûr être question ici de tous les évoquer. On soulignera uniquement que la nécessité, parfois quotidienne, de trouver un hébergement et des ressources financières peut faire passer au second plan d’autres priorités influant sur l’état sanitaire.

La santé des personnes sans domicile s’avère d’autant plus dégradée que la période vécue sans logement personnel est longue. Les différents types d’hébergement sont par ailleurs statistiquement liés à l’état de santé physique et psychique. Ils peuvent en être la cause : est présenté par exemple dans ce numéro du BEH le rôle de certaines conditions d’hébergement sur l’insécurité alimentaire, voire la malnutrition, sur des problèmes dermatologiques ou encore sur les symptômes anxio-dépressifs et des retards de développement constatés chez les enfants. Ils en sont parfois aussi la conséquence, notamment lorsqu’un problème psychiatrique perturbe l’adaptation à certaines offres d’hébergement proposées. Ils peuvent enfin être le reflet de déterminants communs à la situation au regard du logement et à l’état de santé. Ces données rappellent, si besoin était, que les actions à mener doivent tenir compte, et associer, les aspects sanitaires et les aspects sociaux des prises en charge, plaidant notamment pour des solutions de logement ou d’hébergement plus stables.

Concernant le recours aux soins, les enquêtes analysées dans ce BEH indiquent que la très grande majorité des personnes (adultes comme enfants) sans domicile a consulté un médecin au cours de l’année écoulée, et ce même si leur faible protection sociale – en particulier leurs difficultés à bénéficier d’une couverture maladie complémentaire – complique leur accès aux soins. On doit alors s’interroger sur les nombreuses « occasions manquées » dans le système de santé – moments où des professionnels du soin ont rencontré ces personnes pour une question particulière, mais n’ont pas pu (ou su) mettre en oeuvre des actes de prévention, de dépistage voire de prise en charge d’autres problèmes de santé.

Citer cet article

Parizot I. Éditorial. La précarité des personnes sans domicile affecte leur santé dans toutes ses dimensions. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(36-37):656-7 http://www.invs.sante.fr/beh/2015/36-37/2015_36-37_0.html