Transports actifs et santé : programme européen TAPAS et évaluation d’impact sanitaire à Barcelone (Espagne)

// Active transports and health: the TAPAS research programme and health impact assessments in Barcelona (Spain)

Audrey de Nazelle (anazelle@imperial.ac.uk), pour le consortium TAPAS, (Transportation, Air pollution and Physical ActivitieS)*
Centre for Environmental Policy, Imperial College, Londres, Royaume-Uni
* Contributeurs du consortium TAPAS : Zorana Jovanovic Andersen, Charlotte Braun-Fahrländer, Hana Bruhova, Tom Cole Hunter, Ariadna Curto Tirado, David Donaire, Katarzyna Iwinska, Michael Jerrett, Nadine Kubesch,
Lindsay Maurer, Hala Nassif, Martina Ragettli, Ole Raaschou-Nielsen, Daniel A Rodriguez, David Rojas, Marko Tainio,
Jean-François Toussaint et Mark Nieuwenhuijsen.
La liste complète des membres du consortium TAPAS est disponible sur le site du programme : http://tapas-program.org
Soumis le 19.05.2015 // Date of submission: 05.19.2015
Mots-clés : Marche | Vélo | Activité physique | Évaluation d’impact sanitaire | Transport actif | Pollution de l’air | Accidents de la circulation
Keywords: Walking | Cycling | Exercise | Health impact assessment | Active travel | Air pollution | Traffic injuries

Résumé

Contexte –

La promotion de la marche et du vélo comme modes de déplacement présente plusieurs avantages tels que la réduction des émissions de polluants et l’augmentation de l’activité physique de la population. Mais, dans le même temps, les personnes qui adoptent ces modes de transport actifs peuvent se trouver exposées à un risque accru d’accidents de la circulation et d’inhalation de polluants. Le programme européen de recherche TAPAS (2009-2013) a été élaboré dans l’optique d’aider les décideurs à concevoir des politiques urbaines qui contribuent à la lutte contre le changement climatique et encouragent des pratiques favorables à la santé tout en réduisant les risques potentiels liés à ces pratiques.

Méthodes –

Des modèles quantitatifs d’évaluation d’impact sanitaire (EIS) ont été développés dans le cadre d’une approche multidisciplinaire pour estimer les impacts globaux, dans six villes européennes, de politiques de promotion des transports actifs. Sont présentées ici les EIS réalisées à Barcelone (Espagne) concernant l’impact de l’installation d’un système de vélos en libre-service et celui de scénarios de report de l’utilisation de la voiture vers le vélo et les transports en commun. Les impacts sur la mortalité et la morbidité, au regard des risques liés à une augmentation de l’inhalation de polluants et d’accidents de la circulation, et celui de l’activité physique ont été estimés.

Résultats –

Quel que soit le scénario, les bénéfices liés à l’activité physique induite par les modes de transport actif ou lors du report vers les transports en commun sont supérieurs aux risques associés à l’accroissement de l’exposition à la pollution de l’air et aux accidents de circulation. On observe également une diminution des émissions de gaz à effet de serre, par exemple de 9 000 tonnes par an dans le cas de la mise en place du système de vélos en libre-service à Barcelone.

Conclusions –

Les bénéfices sur la santé des populations de politiques urbaines visant à promouvoir la marche et le vélo sont supérieurs aux risques liés à une augmentation de l’exposition à la pollution atmosphérique et aux accidents de circulation. Pour apprécier complètement ces bénéfices, de nouvelles EIS sont nécessaires en vue d’identifier les politiques de promotion des transports actifs les plus efficaces et cerner les caractéristiques des personnes les plus à même d’adopter ces modes de transports, avec un risque environnemental et individuel le plus réduit possible.

Abstract

Background –

Encouraging walking and cycling as means of transportation may have diverse benefits, such as reduced pollutant emissions and increased physical activity in the population. At the same time, individuals who shift to active travel modes may also experience increased risks of traffic injuries and inhalation of air pollutants. The purpose of the TAPAS research programme (2009-2013) was to help decision makers design urban policies that tackle climate change and promote health-related outcomes in Europe, while minimizing potential risks from air pollution and traffic accident.

Methods –

The central approach of the multi-city and multi-disciplinary study was the development of quantitative health impact assessment models to assess overall impacts of active travel policies. We developed health impact models in Barcelona, Spain of the implementation of the bike sharing system BICING and of car reduction scenarios towards combinations of cycling and public transport. We estimated impacts of travel mode shifts on mortality and morbidity, considering effects through changes in exposure to air pollution, traffic injuries, and physical activity.

Results –

The health impact assessments indicated that the physical activity-related benefits of active travel were greater than the risks associated with increased air pollution inhalation and traffic injuries for all modelled scenarios. Large physical activity benefits are also estimated when mode shifts to public transit are assumed. Greenhouse gas emissions savings also ensue, for example 9 thousand tons per year from the implementation of the bike sharing system in Barcelona.

Conclusions –

Population health benefits can be expected from policies aimed at increasing walking and cycling, despite concerns of increased air pollution and traffic injury exposure while physically active in travel microenvironments. To assess the full extent of such benefits further research is needed to understand the types of policies that are most effective in encouraging active travel, the characteristics of individuals who are most likely to shift to active travel modes, and optimal environmental and personal risk tradeoff profiles.

Introduction

La promotion de la marche et du vélo comme modes de déplacement peut contribuer à répondre à certains des plus grands défis actuels en santé publique, tels que l'inactivité physique, la pollution atmosphérique ou le changement climatique 1. Face à l'urbanisation croissante et à l’augmentation du nombre de véhicules motorisés dans le monde, les organisations nationales et internationales préconisent de nouvelles stratégies, notamment une planification urbaine favorisant les modes de transport actif 1. Le développement de la pratique de la marche et du vélo, intégrée dans la vie quotidienne, pourrait permettre d’atteindre le niveau d'activité physique de 30 minutes par jour recommandé par l’Union européenne. Cette approche présente l’avantage de réduire les émissions polluantes, et donc d’améliorer la qualité de l'air, et de diminuer la pollution sonore et les émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique. Cependant, l’adoption d’un mode de transport actif expose à des risques accrus d'accident de la circulation et d’inhalation de polluants atmosphériques 1. Il donc est nécessaire d’en évaluer le rapport bénéfice-risque, condition préalable au succès des politiques en faveur des modes de transport actif. Urbanistes, professionnels de santé, spécialistes des questions environnementales, usagers des transports et décideurs doivent pouvoir prendre en compte l’ensemble des impacts sanitaires et environnementaux des politiques de telles politiques.

Le programme européen de recherche multidisciplinaire TAPAS (Transportation, Air pollution and Physical ActivitieS, 2009-2013. http://tapas-program.org) a été élaboré en vue d'aider les décideurs à concevoir des politiques urbaines contribuant à réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports et encourageant des pratiques favorables à la santé, tout en réduisant les risques potentiels liés la pollution atmosphérique et aux accidents de la circulation. Le consortium TAPAS était composé de six instituts de recherche de six villes européennes : Paris (France), Barcelone (Espagne), Varsovie (Pologne), Copenhague (Danemark), Bâle (Suisse) et Prague (République tchèque). Chaque ville constituait en elle-même une étude de cas et fournissait une équipe de recherche apportant son expertise spécifique dans un cadre multidisciplinaire.

L'approche a consisté à élaborer des modèles quantitatifs d'évaluation d’impact sanitaire (EIS) pour estimer les impacts globaux des politiques de transport actif. Elle a été complétée par des études ciblées permettant de compléter les connaissances sur des thèmes connexes tels que l’exposition à la pollution de l’air lors des déplacements selon des modes actifs, les comportements en matière de transport, etc.

Cet article résume les travaux de trois EIS réalisées à Barcelone pour évaluer divers scénarios de changement de modes de déplacement. Les principaux résultats des modélisations (1) sont présentés ici.

Méthodes

Cadre général de la démarche d’évaluation

La méthode adoptée est celle proposée par Joffe et Mindell 2. Afin que les EIS répondent au mieux aux besoins du terrain, dans une perspective d’appropriation d’une politique publique, des réunions et des ateliers avec les diverses parties prenantes ont été organisés dans chacune des six villes. Ces échanges ont également permis d’identifier les données locales disponibles pour la réalisation des EIS.

À Barcelone, un atelier d’experts a été organisé pendant deux jours, en 2009, pour faire le point sur l'état des connaissances relatives à l’impact des politiques de transport actif et jeter les bases d’une évaluation quantitative. Des experts internationaux de plusieurs domaines (activité physique, transports, sciences de l'environnement, architecture, sociologie, modélisation de la pollution de l'air, épidémiologie et politiques publiques) ont participé à l’élaboration d’un cadre d’évaluation de l’impact des politiques ou des scénarios visant à passer de modes de transport passif (notamment automobile) à des modes de transport actif 1. À l’issue de cet atelier, trois paramètres ont été retenus pour être inclus dans les EIS, compte tenu du poids de leur impact et de la robustesse des relations dose-réponse décrites dans la littérature : la pollution atmosphérique, les accidents de la circulation et l'activité physique (figure 1). Ont été évalués, en particulier, les bénéfices liés à la pratique d’une activité physique, ainsi que les risques liés à l’inhalation d’air pollué et à l’exposition aux accidents de circulation qui peuvent l’accompagner. Le modèle inclut également l’estimation du bénéfice, pour la population générale, de l’amélioration de la qualité de l’air en fonction de différents scénarios de changement de modes de déplacement.

Figure 1 : Paramètres retenus pour les évaluations quantitatives de l'impact sanitaire de politiques favorisant des modes de transport actif à Barcelone, Espagne (programme TAPAS, 2009-2013)
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D’autres paramètres (bruit, interactions sociales, espaces verts, etc.), potentiellement identifiés comme importants à considérer, n’ont pas été retenus pour le modèle quantitatif du fait de l’absence de relations dose-réponse robustes.

Politiques et scénarios

Barcelone, ville de 1,6 million d’habitants située dans une agglomération urbaine de 3,2 millions d’habitants, a servi de terrain d'essai pour l’application des trois premiers modèles d’EIS de TAPAS. En 2009, les déplacements en vélo n’y représentaient que 1% des 7,7 millions de déplacements quotidiens dans l’agglomération, et 2% dans la ville intra-muros. La marche était le mode de déplacement le plus fréquent (31% dans l’agglomération, 45% dans la ville), suivie par les transports publics (respectivement 36% et 30%) et les voitures particulières (respectivement 15% et 10%).

La première EIS a évalué l’impact sur la mortalité de la mise en service du réseau public de vélos en libre-service (Bicing), mis en place en 2007 à Barcelone 3. Les données sur les déplacements en voiture et à vélo et sur l’utilisation des vélos en libre-service provenaient des services municipaux de Barcelone, d’enquêtes réalisées par le service des transports de la ville et de la région métropolitaine, et par la société Bicing. Le nombre moyen de trajets quotidiens et leur durée moyenne par mode de déplacement dans la ville ont pu être estimés. Le nombre d’utilisateurs réguliers des vélos en libre-service était de 28 251. L’hypothèse a été faite que 90% d’entre eux (25 426) étaient de « nouveaux » cyclistes, qui avaient remplacé la voiture par le vélo pour tous leurs déplacements, tout en conservant le même nombre de trajets et la même distance parcourue (soit 4,34 km parcourus par jour de travail) 3.

La deuxième EIS a estimé l’impact sur la mortalité de différents scénarios de réduction des trajets en voiture en faveur d’autres modes de déplacement dits « actifs » 4. La troisième a estimé quant à elle l’impact sur la morbidité de ces mêmes scénarios 5. Huit scénarios, comprenant un report de tout ou partie des déplacements automobiles vers le vélo, la marche à pied et les transports publics ont été construits (tableau 1) : quatre concernaient les déplacements dans la ville de Barcelone (distances estimées, en moyenne, à 3,1 km/trajet) et quatre les déplacements entre la ville de Barcelone et sa zone péri-urbaine (en moyenne 6,4 km/trajet). Il a été considéré que les déplacements en voiture étaient remplacés par des déplacements de même distance à vélo ou en transports publics. La répartition entre métro, train, bus ou tram reflétait les proportions respectives d’utilisation de ces transports 4,5.

Tableau 1 : Scénarios de report de modes de transport utilisés dans les évaluations d’impact sanitaire du programme TAPAS à Barcelone (Espagne)
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Modélisations

Pour les deux premières EIS, l’estimation de l’impact sur la mortalité a pris en compte les expositions au risque d’accidents de la circulation, l’inhalation d’air pollué et la pratique d’une activité physique.

La troisième EIS a mesuré la morbidité, approchée par l’indicateur DALY (Disability Adjusted Life Years, en français AVCI : années de vie corrigées du facteur d’invalidité). Le calcul du nombre d’AVCI, fréquemment utilisé dans les EIS et dans les études des facteurs de risque sur le poids des maladies, permet d’exprimer non seulement les années de vies perdues, mais également les années vécues avec un handicap 6.

L’impact sanitaire a été calculé à partir d’estimations de l’exposition aux risques d’accidents de la circulation et à la pollution de l’air, et du niveau d’activité physique lors des déplacements en mode actif, pour chacun des huit scénarios. La même démarche a été adoptée pour les personnes se déplaçant exclusivement avec les vélos du réseau Bicing (scénario de base). Les étapes classiques de l’évaluation des risques, comme décrites par exemple dans le domaine de la pollution atmosphérique 7,8, ont été suivies. Les fonctions utilisées sont présentées dans les tableaux 2 et 3.

Tableau 2 : Fonctions générales d’évaluation d’impact sanitaire utilisées à Barcelone, Espagne (TAPAS, 2009-2013)
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Tableau 3 : Formules d’adaptation des fonctions de risques relatifs (RR) pour les scénarios de Barcelone (Espagne)
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Les accidents de la circulation

Le risque d’accidents est rapporté aux distances parcourues dans chaque mode de déplacement (en km). Concernant les accidents mortels, les risques relatifs (RR) de mortalité toutes causes selon le mode de déplacement ont été obtenus à partir des données de mortalité totale due au trafic, par mode de transport et par nombre total de kilomètres parcourus (données publiées par l'Agence de la santé publique de Barcelone).

L’activité physique

Le niveau d’activité physique est rapporté au temps passé dans chaque mode de transport. L’outil d’évaluation économique des effets sanitaires HEAT (Health Economic Assessment Tools) liés à la pratique du vélo et à la marche, développé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a été utilisé pour mesurer l’activité physique 9.

Pour les déplacements à vélo, le calcul du RR de mortalité toutes causes est basé sur le RR issu d’une étude réalisée à Copenhague, cohorte la plus importante prenant en compte l’impact sur la santé des déplacements à vélo 10. Ce RR a été corrigé pour tenir compte des distances quotidiennes parcourues à vélo à Barcelone (tableau 3).

Pour la marche, le calcul du RR de mortalité toutes causes est basé sur une méta-analyse de neuf études de mortalité dans des populations comparables 9. Le RR a été ajusté sur la durée moyenne de marche hebdomadaire rapportée dans cette méta-analyse. Chaque trajet en transport en commun (bus, tram, métro et train) a été assorti de 10 minutes de marche à pied (tableau 3).

Pollution atmosphérique

L’exposition à la pollution de l’air est rapportée au temps passé dans chaque transport. Le modèle a pris en compte l’exposition aux particules de diamètre inférieur à 2,5 μm (PM2,5), dont l’association avec la mortalité toutes causes a été démontrée 3. Les niveaux d’exposition et les doses inhalées ont été calculés pour chaque mode de déplacement. Pour la voiture, le vélo, la marche et le bus, ces données ont été obtenues à partir d’une campagne de mesures réalisée à Barcelone 11. Pour l’exposition dans le métro et le train, un niveau trois fois supérieur à la concentration de base de la ville a été appliqué, en se basant sur des études réalisées dans d’autres villes 4,12,13. Pour chaque trajet en transport public, les niveaux d’exposition correspondant aux 10 minutes de marche à pied ont été intégrés. La dose annuelle de PM2,5 inhalée a été estimée en prenant en compte les taux d’inhalation, les expositions et les durées de trajet spécifiques à chaque mode de transport 14. Les durées hors déplacement ont été considérées comme des temps de repos et de sommeil, avec une exposition aux PM2,5 à des niveaux correspondant aux concentrations de l’air intérieur. Le RR de mortalité associée à l’augmentation de l’inhalation d’air pollué par les usagers des transports en commun et du vélo, comparée à celle des automobilistes, a été estimé selon la méthode de Hartog et coll. 15. Pour chaque mode de déplacement (vélo, bus/tram et métro/train), le différentiel d’exposition par rapport à l’automobile a été estimé en appliquant le ratio entre les doses inhalées pour le mode considéré et celles inhalées par les automobilistes à la concentration moyenne dans l’air (tableau 2). Ce différentiel d’exposition a ensuite été appliqué aux fonctions exposition-réponse de PM2,5 rapportées dans la littérature 16 comme pour les autres impacts sanitaires (tableau 3).

Morbidité : les pathologies retenues

La troisième EIS a porté sur la morbidité 5. À l’issue d’une consultation d’experts et d’une revue systématique de la littérature, six pathologies ou groupes de pathologies ont été retenus pour l’étude de l’impact de l’activité physique : maladies cardiovasculaires, démences, diabète de type 2, cancer du sein chez les femmes et cancer du côlon chez les hommes et chez les femmes. Le même processus a conduit à retenir cinq pathologies pour l’étude de l’impact de la pollution atmosphérique : maladies cérébrovasculaires, infections des voies respiratoires basses, prématurité, petit poids de naissance et maladies cardiovasculaires.

Pour les accidents de la circulation, les dossiers relatifs aux blessures (minimes et graves) selon les différents modes de déplacement ont été obtenus auprès de la ville de Barcelone.

Taux de mortalité et morbidité

Les estimations de RR liés à la pollution atmosphérique, aux accidents de la circulation et à l’activité physique ont été appliquées aux taux de mortalité et de morbidité à Barcelone pour estimer les variations de la mortalité attribuable au changement des modes de déplacement (tableau 2).

Les taux de mortalité toutes causes de la population de 16 à 64 ans (moyenne 39 ans) de la région de Barcelone ont été estimés à 2,05 décès pour 1 000 habitants par an en 2007, soit environ 2 200 décès par an (Institut de statistique de Catalogne - GENCAT, 2010). La même source a été utilisée pour le calcul du taux de mortalité de la population générale, estimé à 9,36 décès pour 1 000 habitants par an en 2007, après ajustement sur l’âge pour chaque région de recensement.

Les taux de morbidité pour les différentes pathologies retenues ont été obtenus à partir d’études épidémiologiques et de rapports publics concernant la population locale. Les taux de morbidité spécifiques par âge et par sexe étaient disponibles 5.

Par ailleurs, pour chacune des relations modélisées (pollution de l’air, activité physique et accidents de la circulation), des études de sensibilité ont été menées pour estimer le degré d’incertitude et la sensibilité aux différents paramètres 3,4,5. Cette partie n’est pas décrite ici.

EIS et population générale

Dans les deuxième et troisième EIS, les bénéfices d’une réduction de la pollution de l’air ont été estimés pour la population générale. L’évaluation de l’impact sanitaire de la réduction de la concentration de PM2,5 dans la ville de Barcelone a été faite avec le modèle de dispersion particulaire des PM10 « Barcelona Air-Dispersion » 17. La concentration en PM2,5 a été estimée à partir de ce modèle en appliquant un ratio de 0,6 (PM2,5/PM10) pour la situation de référence. Les mêmes estimations ont été faites pour les scénarios impliquant une réduction de 20% et de 40% du trafic automobile. Ce modèle de dispersion a été utilisé exclusivement pour la ville de Barcelone et sa population. Les changements de concentration ont été estimés dans les 1 482 zones de recensement de Barcelone en prenant en compte, pour chaque zone, le nombre d’habitants et sa distribution par âge. Dans chaque zone, la mortalité attendue, le RR et la fraction de risque attribuable chez les personnes exposées ont permis d’estimer l’impact sanitaire associé à la réduction des PM2,5.

Résultats

Quel que soit le scénario, les bénéfices pour la santé liés au passage d’un mode de transport passif à un mode de transport actif sont largement supérieurs aux risques associés à une augmentation de l'inhalation de polluants atmosphériques et à une plus grande exposition aux accidents de la route (figures 2 et 3).

Figure 2 : Estimation du nombre de décès évités selon les divers scénarios. Évaluations d'impact sanitaire sur la mortalité à Barcelone, Espagne (TAPAS, 2009-2013)
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Figure 3 : Estimation des AVCI évités selon les scénarios. Évaluations d'impact sanitaire sur la morbidité à Barcelone, Espagne (TAPAS, 2009-2013)
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Le vélo en libre-service

Selon notre modèle, la mise en œuvre du système de vélos en libre-service aurait permis, en augmentant l’activité physique des individus, d’épargner 12 vies par an, contre une augmentation de 0,03 décès par an dus aux accidents de la circulation et 0,13 décès par an liés à une inhalation plus importante de polluants pendant les trajets (figure 2).

Scénarios avec report vers les transports publics

Les six scénarios (3 à 8) de réduction de l’utilisation des véhicules automobiles individuels avec transferts partiels ou complets vers les transports publics (incluant 10 minutes de marche) conduisaient également à un impact positif sur la santé. Cependant, les bénéfices étaient moindres que lorsque le vélo était le mode de transport alternatif (scénario 1 vs 3 et scénario 2 vs 4).

Pour la population générale, les bénéfices d’une réduction de l’exposition à la pollution de l'air (tableau 4) étaient supérieurs aux risques d’exposition individuelle du fait de la pratique du vélo dans tous les scénarios développés pour Barcelone (figures 2 et 3). Ils étaient cependant beaucoup moins importants que les bénéfices liés à l'activité physique, même dans les scénarios où seuls les transports publics étaient utilisés.

Tableau 4 : Estimations des réductions des concentrations en PM2,5 et des émissions de dioxyde de carbone (CO2) à Barcelone, Espagne (TAPAS, 2009-2013)
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Le scénario 8 (réduction de 40% des déplacements en voiture entre la zone péri-urbaine et la ville de Barcelone, en faveur d’un report vers le vélo (20%) et les transports en commun (80%)) présentait les bénéfices les plus élevés : 98,4 décès évités par an du fait de l’augmentation de l'activité physique et 1,4 en raison de la réduction des accidents de la circulation. L’inhalation de polluants atmosphériques entraînait 1,6 décès supplémentaire pour ceux qui avaient adopté le vélo, mais avait un impact positif (8,6 décès évités) dans la population générale (figure 2). Dans ce scénario, les bénéfices liés à l'activité physique et à la diminution des accidents de la circulation se traduisaient respectivement par une diminution de 259 et 45 AVCI ; une diminution de 34 AVCI était attribuable à la réduction de la pollution de l'air dans la population générale, alors qu’une augmentation de 2 AVCI était attribuable à l'augmentation de l’inhalation d’air pollué chez les voyageurs (figure 34,5. On peut noter que ces bénéfices au niveau de la population générale sont relativement conséquents, malgré une réduction plutôt faible des concentrations en PM2,5(de 0,3 à 1,2%, tableau 4).

Discussion

Le programme européen de recherche multidisciplinaire TAPAS, développé en vue d’améliorer les connaissances et la compréhension des impacts sur la santé des politiques de transport actif, a été mené sur quatre années. Les EIS réalisées à Barcelone ont montré que les bénéfices liés à l'accroissement de l’activité physique étaient largement supérieurs à l'augmentation des risques associés aux accidents de la circulation et à l'inhalation de polluants.

Des EIS telles que celles décrites ici ont également été mises en œuvre dans les six villes européennes partenaires du programme TAPAS, couvrant une grande diversité de situation urbaines (2). À Prague ou Varsovie, où les risques d'accidents de la circulation sont respectivement 5 à 15 fois plus importants qu’à Barcelone pour la marche et le vélo, et avec une pollution atmosphérique jusqu'à 50% plus élevée, les avantages des politiques de transport actif l’emportaient sur les inconvénients dans tous les scénarios étudiés. En outre, une évaluation de l’impact économique de l’abandon de la voiture au profit de la marche ou du vélo, réalisée dans le cadre du programme TAPAS pour une population européenne générique, a montré que les gains, en termes de coût, de l’activité physique étaient près de 20 fois supérieurs aux risques liés à l’inhalation de polluants et aux accidents de la circulation. Par ailleurs, le ratio coût-bénéfice du système de vélo en libre-service parisien Vélib’ a été estimé à 2,8 18.

Les analyses de sensibilité révèlent l’importance d’intégrer à l’avenir dans les modèles d’EIS une caractérisation plus fine des personnes amenées à changer de comportement, comme leur profil démographique (âge, sexe) et leur niveau d’activité physique.

En plus de leur impact sur la santé, les changements de modes de déplacement en faveur de modes actifs jouent sur la qualité de l’air et les gaz à effet de serre. L’évaluation des émissions de dioxyde de carbone (CO2) pour les différents scénarios décrits ci-dessus (sur la base des données fournies par le Bureau catalan du changement climatique 19), montre une forte réduction de ces émissions. La mise en service des vélos en libre-service à Barcelone conduit à une réduction des émissions de CO2, estimée à 9 000 tonnes chaque année ; la diminution la plus importante (160 000 tonnes/an) concerne les deux scénarios (scénarios 6 et 8) impliquant des trajets automobiles entre la ville de Barcelone et sa zone péri-urbaine (tableau 4).

Depuis 2009, les EIS des modes de transport actif se multiplient dans le monde. Même si les méthodes utilisées varient selon le niveau de détail (e.g. taux d’accidents par âge et sexe), l’évènement sanitaire considéré, les expositions et les variables intégrées dans les modèles, les conclusions des 20 études publiées à ce jour ayant pris en compte les mêmes paramètres que TAPAS montrent également que les avantages du transport actif, en termes d'activité physique, l'emportent sur les risques potentiels liés à l’augmentation de l’inhalation de pollution atmosphériques et à une exposition accrue aux accidents de la circulation 18,20,21,22.

Contexte épidémiologique

Ces EIS ne prenant pas en compte l’impact de la combinaison d’activité physique et d’exposition à la pollution de l’air au niveau individuel, le programme TAPAS a comporté des études complémentaires. Les effets au niveau individuel de l’utilisation de modes actifs en milieu pollué sont peu connus. De même, les interactions entre la pollution atmosphérique et l'activité physique restent mal comprises. Des études permettant d’évaluer la santé des personnes qui font de l’exercice physique sur fond de pollution atmosphérique ont donc été menées. L’activité physique améliorant certains processus physiologiques que la pollution atmosphérique détériore 23,24,25, l’interprétation de ces études expérimentales est complexe. Pour répondre à cette difficulté, une étude avec un design permettant de découpler les effets de l’activité physique de ceux liés à la pollution de l’air (cross-over design) a été réalisée dans le cadre de TAPAS. Cette étude montre qu’une activité physique modérée a des effets bénéfiques, voire protège de certains effets indésirables aigus de la pollution de l'air, même en cas d’exposition à des niveaux élevés 26,27. De même, une autre étude épidémiologique du programme TAPAS confirment les bénéfices à long terme, au niveau individuel, de la pratique de transports actifs, même en milieux relativement pollués 28.

Conclusion

Le programme TAPAS a clairement montré la pertinence d'investir dans des politiques qui favorisent le transport actif, dont les avantages majeurs reposeront probablement sur leur contribution à l'augmentation des niveaux d'activité physique dans la population. Elles pourront en outre contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre et l'exposition à la pollution de l'air dans la population générale.

Les données disponibles, limitées à ce jour aux conditions rencontrées dans des villes occidentales, indiquent que les questionnements relatifs à l’augmentation de l’exposition à la pollution atmosphérique liée aux modes de déplacement actif ne constituent pas un obstacle à la pratique du vélo 20. Il n’en reste pas moins qu’il faut développer des itinéraires à faible pollution pour les cyclistes et les piétons.

Ce type d’approche doit être étendu à un plus large éventail de villes et de populations, ou intégrer des données environnementales et comportementales plus précises, afin de contribuer à proposer des réponses politiques adaptées aux différents profils environnementaux et personnels. De nouveaux programmes de recherche, tels que le projet européen Physical Activity Through Sustainable Approaches (PASTA, http://www.pastaproject.eu/home), développent des méthodes permettant de comprendre cette composante comportementale essentielle et d’approfondir les études d’évaluation de l’impact sanitaire.

Remerciements

Ce travail fait partie du programme européen Transportation, Air pollution and Physical ActivitieS: an integrated health risk assessment progamme of climate change and urban policies (TAPAS), associant en partenariat les villes de Barcelone, Bâle, Copenhague, Paris, Prague et Varsovie. TAPAS a été financé par la Fondation Coca-Cola, l’Agencia de Gestió D'Ajuts Universitaris I de Recerca (AGAUR) et le Center for Research in Environmental Epidemiology (CREAL), Barcelone.

Références

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2 Joffe M, Mindell J. Health impact assessment. Occup Environ Med. 2005;62(12):907-12:830-5.
3 Rojas-Rueda D, de Nazelle A, Tainio M, Nieuwenhuijsen MJ. The health risks and benefits of cycling in urban environments compared with car use: health impact assessment study. BMJ. 2011;343:d4521.
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Citer cet article

de Nazelle A, pour le consortium TAPAS. Transports actifs et santé : programme européen TAPAS et évaluation d’impact sanitaire à Barcelone (Espagne). Bull Epidémiol Hebd. 2015;(30-31) :570-9. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/30-31/2015_30-31_4.html

(1) Pour plus de détails sur les analyses de sensibilité des modèles, voir les publications originales (références 3, 4 et 5).

(2) Manuscrit en cours de rédaction.