Estimation du nombre de personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique en France en 2014. Implications pour des recommandations de dépistage élargi*
// Estimated number of undiagnosed chronically-infected HCV population in France in 2014. Implications for expanded screening recommendations
Résumé
Introduction –
Du fait des progrès thérapeutiques récents, le dépistage du virus de l’hépatite C (VHC) constitue un enjeu de santé publique en vue d’une possible éradication du VHC. Afin d’identifier la population qui pourrait être concernée par un dépistage populationnel en complément de la stratégie actuelle de dépistage ciblé sur les expositions à risque, nous avons estimé le nombre de personnes adultes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique et leur distribution par sexe et classe d’âge en 2004 et 2014.
Méthodes –
Un modèle prenant en compte la mortalité, l’incidence du VHC et le taux de dépistage a été appliqué aux estimations de l’enquête nationale de prévalence des hépatites B et C de 2004.
Résultats –
En 2014, le nombre de personnes de 18-80 ans non diagnostiquées pour une hépatite C chronique parmi la population atteinte a été estimé à 74 102 (intervalle de plausibilité : 64 920-83 283) vs. 100 868 (intervalle de confiance à 95%, [IC95%:58 534-143 202]) en 2004. Près de la moitié d’entre elles étaient des hommes âgés de 18 à 59 ans en 2014. La proportion de personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique en 2004 (43%) variait fortement selon l’âge, de 21,9% parmi les personnes nées entre 1945 et 1965 à 74,1% parmi celles nées entre 1924 et 1944. De ce fait, les profils démographiques des personnes infectées chroniques (diagnostiquées et non diagnostiquées) et des personnes non diagnostiquées différaient, les personnes nées entre 1945 et 1965 représentant 48,9% et 24,7% d’entre elles respectivement.
Conclusions –
Le nombre de personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique était encore élevé en 2014, malgré une nette diminution par rapport à 2004. Ce travail a contribué à l’élaboration, en 2014, d’une nouvelle recommandation de dépistage consistant à tester simultanément pour le VHC, le VHB et le VIH les hommes de 18 à 60 ans au moins une fois au cours de la vie, indépendamment de la présence d’expositions à risque. Des études complémentaires sont nécessaires pour évaluer le coût-efficacité et la faisabilité de cette nouvelle stratégie. Ce travail a également mis en évidence la nécessité de disposer, pour contribuer à orienter les stratégies de dépistage, de données sur les personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique, leurs profils démographiques différant de ceux de l’ensemble des personnes infectées chroniques.
Abstract
Background –
Recent HCV therapeutic advances make effective screening crucial for potential hepatitis C virus (HCV) eradication. To identify the potential target population for a possible population-based screening strategy to complement current risk-based testing in France, we aimed to estimate the number of adults with undiagnosed chronic HCV infection, as well as their age and gender distribution at two time points: 2004 and 2014.
Methods –
A model taking into account mortality, HCV incidence and diagnosis rates was applied to the 2004 French national seroprevalence survey on hepatitis B and C.
Results –
In 2014, an estimated 74,102 individuals aged 18 to 80 were undiagnosed for chronic HCV infection (plausible interval: 64.920-83,283) compared with 100,868 [95%CI:58,534-143,202] in 2004. Men aged 18-59 represented approximately half of the undiagnosed population in 2014. The proportion of undiagnosed individuals for chronic hepatitis C in 2004 (43%) varied from 21.9% to 74.1% in the 1945-1965 and 1924-1944 birth cohorts. Consequently, age and gender distributions between the chronically-infected (diagnosed and undiagnosed) and undiagnosed HCV populations were different, the 1945-1965 birth cohort representing 48.9% and 24.7%, respectively.
Conclusions –
Many individuals were still undiagnosed in 2014 despite a marked reduction with respect to 2004. The present work contributed to the development of a new screening recommendation in 2014 aiming at complementing the screening strategy, consisting in one-time simultaneous HCV, HBV and HIV testing in men aged 18-60, regardless of risk exposures. Further studies are needed to assess the cost-effectiveness and feasibility of such a strategy. We also demonstrated that data on the undiagnosed HCV population are crucial to help adapt testing strategies, as the features of the chronically-infected HCV population are very distinct.
Introduction
Le dépistage des infections chroniques par le virus de l’hépatite C (VHC) constitue actuellement un véritable enjeu de santé publique. L’hépatite C connaît, en effet, depuis 2010, une révolution thérapeutique avec l’arrivée des nouveaux antiviraux à action directe (NAAD) permettant une guérison virologique chez pratiquement tous les patients traités, avec une durée d’administration et des effets indésirables réduits 1. Parallèlement à ces progrès thérapeutiques, les outils de dépistage se sont diversifiés, avec le développement des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) du VHC 2. Ils offrent l’opportunité de dépister, en dehors des laboratoires ou des structures de soins, des personnes difficiles d’accès, tels les usagers de drogues ou les personnes en situation de précarité sociale, à partir de prélèvements salivaire ou capillaire.
Les enjeux du dépistage de l’hépatite C sont importants. En permettant l’instauration d’un traitement antiviral, le dépistage précoce limite, pour l’individu concerné, le risque de complications hépatiques (cirrhose, carcinome hépatocellulaire) et de décès. Il engendre également un bénéfice collectif en diminuant les coûts élevés de prise en charge des patients présentant des complications, mais aussi en réduisant le risque de transmission de l’infection, notamment chez les usagers de drogues par voie intraveineuse (UDIV), qui constituent le principal réservoir de transmission dans les pays occidentaux.
Ces avancées diagnostiques et thérapeutiques rendent envisageables, dans ces pays, le contrôle de l’épidémie à moyen terme, voire l’éradication de l’hépatite C 3, sous réserve que les NAAD soient accessibles malgré leurs coûts élevés et que l’efficacité du dépistage soit renforcée. L’hépatite C est en effet insuffisamment dépistée car elle est souvent asymptomatique pendant de nombreuses années. C’est pourquoi certains pays recommandent depuis quelques années de compléter le dépistage « ciblé » sur les personnes ayant des expositions à risque vis-à-vis du VHC par un dépistage « populationnel » consistant à dépister, au moins une fois au cours de la vie, une partie de la population générale, indépendamment de la présence d’expositions à risque. Ainsi aux États-Unis, où la moitié des personnes infectées ignoraient leur statut en 2001-2008 4, les recommandations de dépistage populationnel concernent, depuis 2012, l’ensemble des personnes nées entre 1945 et 1965, qui représentent la classe d’âge pour laquelle la prévalence de l’infection à VHC est la plus élevée 5. Au Canada, ce dépistage populationnel porte sur les personnes nées entre 1945 et 1975 6. En Europe, 30% à 40% des personnes infectées par le VHC connaissaient leur statut entre 2000 et 2009 7.
La position de la France est légèrement plus favorable, probablement du fait de plusieurs plans nationaux de lutte contre l’hépatite C depuis la fin des années 1990 8. Pour autant, malgré une activité de dépistage importante et en constante augmentation depuis le début des années 2000 9, l’efficacité du dépistage de l’hépatite C reste perfectible, puisque seules 57% des personnes infectées chroniques connaissaient leur statut en population générale adulte métropolitaine en 2004 10. En outre, 12% des personnes infectées présentaient, au moment du diagnostic, un stade avancé de la maladie (cirrhose ou carcinome hépatocellulaire) à la fin des années 2000 11. C’est dans ce contexte et dans le cadre du premier rapport français de recommandations de prise en charge des patients infectés par une hépatite B ou C 12 que la question d’un dépistage populationnel de l’hépatite C, en complément du dépistage ciblé 13, a été soulevée. Pour identifier la sous-population qui pourrait être concernée par ce dépistage populationnel (classe d’âge et/ou sexe), des données sur les caractéristiques des personnes infectées non diagnostiquées étaient nécessaires.
L’objectif de ce travail était d’estimer, en population générale métropolitaine, le nombre d’adultes non diagnostiqués pour une hépatite C chronique en 2014 et leur distribution par sexe et classe d’âge et de comparer ces estimations par rapport à celles de 2004.
Méthodes
Les personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique ont été définies comme des personnes positives pour l’ARN du VHC qui méconnaissaient leur infection. Leur nombre et distribution par sexe et classe d’âge ont été estimés à partir de la dernière enquête nationale de prévalence des hépatites B et C réalisée en population générale adulte métropolitaine en 2004 10, puis extrapolés pour 2014 à l’aide d’un modèle épidémiologique.
Estimations pour 2004
L’enquête transversale de prévalence a été réalisée, en 2004, auprès d’un échantillon aléatoire d’assurés sociaux du régime général de l’Assurance maladie, âgés de 18 à 80 ans. Un total de 14 416 personnes a accepté de se rendre dans les Centres d’examen de santé (CES) tirés au sort pour un bilan de santé au cours duquel était administré un questionnaire concernant leurs caractéristiques sociodémographiques, leurs expositions à risque vis-à-vis du VHC et leurs antécédents de dépistage. Un prélèvement sanguin était également réalisé pour recherche des anticorps anti-VHC, puis de l’ARN du VHC pour les personnes anti-VHC positives 10. La méconnaissance de l’infection VHC était évaluée à partir des questions sur les antécédents de dépistage (réalisation d’un test, résultat du dernier test).
Estimations pour 2014
Un modèle épidémiologique a été appliqué aux données de 2004, sur les personnes de 18-80 ans non diagnostiquées pour une hépatite C chronique afin d’estimer le nombre et la distribution par sexe et classe d’âge des personnes de 18-80 ans non diagnostiquées pour une hépatite C chronique en 2014. Les analyses ont été réalisées par année, de 2004 à 2014, par sexe et classe d’âge décennale (figure 1). Le principe était le suivant : chaque année, de nouveaux individus entrent dans le pool des personnes infectées chroniques non diagnostiquées, d’une part, les personnes nouvellement infectées et dont l’infection devient chronique (« cas incidents »), d’autre part, les personnes déjà infectées chroniques et non diagnostiquées (« cas prévalents ») qui rentrent dans la classe d’âge des 18-80 ans au cours de la période 2004-2014. À l’inverse, chaque année, des cas sortent du pool des personnes infectées chroniques non diagnostiquées : 1) les personnes diagnostiquées entre 2004 et 2014 (qu’il s’agisse de cas prévalents ou de cas incidents entre 2004 et 2014) ; 2) les personnes décédées ; 3) les cas non diagnostiqués qui atteignent 81 ans entre 2004 et 2014 (la population d’étude étant les 18-80 ans).
De multiples sources de données ont été utilisées pour alimenter ce modèle. Elles sont décrites brièvement ci-après ainsi que dans le tableau 1. Pour inclure de l’incertitude sur les paramètres du modèle, huit scénarios ont été considérés, faisant varier trois paramètres, afin de déterminer un intervalle de plausibilité autour du nombre estimé de personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique en 2014 (tableau 2).
Nouvelles infections passant à la chronicité
Nous avons fait l’hypothèse que celles-ci ont majoritairement concerné des UDIV « actifs », c’est-à-dire des personnes ayant pratiqué une injection de drogue au moins une fois au cours du mois précédent, et que d’autres cas sont également survenus en population générale.
Pour estimer le nombre de nouvelles infections devenues chroniques chez les UDIV actifs au cours de la période, nous avons utilisé les données suivantes : i) un taux d’incidence du VHC compris entre 6% (hypothèse basse) et 18% (hypothèse haute), 3,5 fois plus élevé chez les moins de 30 ans par rapport aux 30 ans et plus 14,15,16,17,18,19,20,21,22,23,24 ; ii) un nombre d’UDIV actifs en France estimé à 81 000 en 2006 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) 25 et supposé compris entre 70 000 et 90 000 (hypothèses basse et haute) en 2011 26 ; iii) la distribution par sexe et classe d’âges des UDIV actifs et leur séroprévalence VHC à partir des éditions 2004 et 2011 de l’enquête ANRS-Coquelicot 27,28 ; iv) le taux de guérison spontanée de l’infection aiguë par le VHC, compris entre 30 et 40% (hypothèses basse et haute), pour prendre en compte uniquement les nouvelles infections passant à la chronicité 29,30.
Le nombre de nouvelles infections devenant chroniques en population générale a été estimé en utilisant le taux d’incidence du VHC estimé chez les donneurs de sang réguliers (proxy de la population générale) 31, la prévalence estimée du VHC en population générale adulte en 2004 10, la distribution par sexe et âge de la population générale 32 et un taux de guérison spontanée de 30% ou 40% 29,30.
Cas prévalents non diagnostiqués atteignant 18 ans entre 2004 et 2014
Ce nombre a été calculé à partir du nombre estimé de cas âgés de 18 ans non diagnostiqués pour une hépatite C chronique en 2004 10.
Diagnostics
Pour les cas prévalents non diagnostiqués, le nombre de diagnostics entre 2004 et 2014 a été estimé à partir du taux de dépistage estimé en population générale en 2004, en supposant une augmentation annuelle de 1% 10. Le nombre de diagnostics parmi les cas incidents en population générale a été estimé à partir de ce taux de dépistage, en prenant en compte la distribution des délais entre l’infection et le diagnostic observée pour les personnes incluses dans la surveillance nationale de l’hépatite C à partir des services experts en hépatologie 33. Pour les cas incidents chez les UDIV actifs, l’estimation du nombre de diagnostics a reposé sur le taux de dépistage, l’âge à l’initiation de l’injection 27,28 et la distribution des délais entre l’infection et le diagnostic pour les UDIV actifs 33.
Décès des cas prévalents et incidents
Ce nombre a été estimé en appliquant aux nombres de cas non diagnostiqués, un taux de mortalité naturelle à partir des tables de mortalité 32. Pour les cas incidents chez les UDIV actifs, un facteur de surmortalité de 5,27 pour les hommes et de 9,74 pour les femmes 34 a été appliqué à la mortalité naturelle pour tenir compte d’une surmortalité par rapport à la population générale en raison de leurs comportements à risques (overdoses, suicides etc.) 35.
Cas non diagnostiqués atteignant 81 ans entre 2004 et 2014
Ces cas ont été exclus de l’estimation finale car la population d’étude était les 18-80 ans.
À partir des huit scénarios étudiés, combinant des estimations basses et hautes pour trois paramètres (nombre d’UDIV actifs en 2011, taux d’incidence du VHC chez les UDIV actifs et taux de guérison spontanée), nous avons obtenu l’estimation centrale et son intervalle de plausibilité.
Les analyses ont été réalisées à l’aide des logiciels Sudaan® (RTI International, Research Triangle Park NC, États-Unis), Stata® 12.1 (Stata Corporation, College Station TX, États-Unis) et Excel® (Microsoft Corporation, Redmond WA, États-Unis).
Résultats
Estimations pour 2004
Parmi les 232 196 personnes infectées chroniques par le VHC [IC95%:167 869-296 523], 100 868 [IC95%:58 534-143 202], soit 43,4%, n’étaient pas diagnostiquées en 2004 10. La proportion d’individus non diagnostiqués était globalement plus élevée chez les hommes que chez les femmes (48,3% vs. 40,1% ; p<10-3) (figure 2). Ceci était observé pour les 18-39 ans (46,8% vs. 28,4% ; p<10-3) et les 40-59 ans (33,5% vs. 17,4% ; p<10-3), mais pas pour la classe d’âge des 60-80 ans pour laquelle les femmes étaient plus fréquemment non diagnostiquées que les hommes (77,8% vs. 67,3% ; p<10-3). Quel que soit le sexe, la proportion de non diagnostiqués était maximale pour les 60-80 ans (74,1%) (cohorte de naissance 1924-1944) et minimale pour les 40-59 ans (21,9%) (cohorte de naissance 1945-1965).
En raison de cette proportion de non diagnostiqués variable selon l’âge et le sexe, les distributions par classe d’âges et par sexe des personnes infectées chroniques (diagnostiquées et non diagnostiquées) et des personnes non diagnostiquées différaient. Les femmes représentaient 54,9% de la population non diagnostiquée vs. 59,5% de la population infectée. Les non diagnostiqués étaient majoritairement âgés de 60-80 ans (cohorte de naissance 1924-1944) (57,6%), les 40-59 ans (cohorte de naissance 1945-1965) et les 30-59 ans (cohorte de naissance 1945-1975) représentant respectivement 24,7% et 41,0%. Ces deux dernières classes d’âge regroupaient 48,9% et 63,7% respectivement de la population infectée chronique (figures 3a et 3b).
Parmi l’ensemble des personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique, 32,4% rapportaient avoir été transfusées avant 1992 (année de mise en œuvre du dépistage systématique des anticorps anti-VHC dans les dons de sang), 6,0% un usage de drogues par voie intraveineuse au moins une fois au cours de la vie et 13,9% étaient nées dans un pays de moyenne ou forte endémicité du VHC 10.
Estimations pour 2014
Sur la période 2004-2014, les estimations des paramètres du modèle varient selon les scénarios : entre 9 469 (scénario 1) et 36 708 (scénario 8) pour les nouvelles infections devenant chroniques, entre 22 158 et 30 340 pour les diagnostics et entre 12 211 et 12 898 pour les décès (tableau 2). Les nombres de cas prévalents atteignant 18 ans et de cas dépassant 80 ans sont stables quel que soit le scénario (2 106 et 13 140 respectivement).
En 2014, le nombre de personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique est estimé entre 64 920 et 83 283 selon le scénario (intervalle de plausibilité), avec une estimation centrale de 74 102, en diminution de 27% par rapport à 2004. Cette baisse est particulièrement marquée pour les 60-80 ans (-47%). La majorité des personnes non diagnostiquées en 2014 sont des hommes (59,1%), contrairement à 2004. Les 60-80 ans restent la classe d’âge majoritaire (41,2%) en 2014, avec un poids important des 70-80 ans, qui représentent 36,9% des personnes non diagnostiquées (figure 3c). Si les femmes de moins de 60 ans sont peu nombreuses, les hommes de 18-59 ans représentent 45,4% de la population non diagnostiquée pour une hépatite C chronique en 2014.
Discussion
Dans l’objectif d’identifier la population qui pourrait être concernée par un dépistage populationnel de l’hépatite C, en complément du dépistage ciblé sur les expositions à risque, ce travail a permis d’estimer le nombre et la distribution par classe d’âge et par sexe de la population des 18-80 ans non diagnostiquée pour une hépatite C chronique en France métropolitaine. Ce nombre est estimé à 74 102 (intervalle de plausibilité : 64 920-83 283) en 2014 contre 100 868 [IC95%:58 534-143 202] en 2004. La proportion de non diagnostiqués, estimée à 43% en 2004, variait fortement selon l’âge et le sexe. Parmi les 18-59 ans, les femmes étaient plus souvent diagnostiquées que les hommes, probablement du fait d’un dépistage de l’hépatite C concomitant aux dépistages prénataux obligatoires du VIH et du virus de l’hépatite B (VHB). Si moins d’un quart des 40-59 ans n’étaient pas diagnostiqués, cette proportion atteignait près de 75% pour les 60-80 ans, qui représentaient ainsi la majorité des personnes non diagnostiquées en 2004. La plupart des personnes de 60-80 ans non diagnostiquées ont probablement été infectées de nombreuses années auparavant, en partie par transfusion sanguine (avant la mise en place du dépistage systématique des dons de sang pour les anticorps anti-VHC en 1992) et ne se considéraient pas comme à risque vis-à-vis du VHC. Près d’un tiers des personnes non diagnostiquées en 2004 rapportaient ainsi des antécédents de transfusion avant 1992, mais cette proportion est probablement plus élevée car les antécédents de transfusion peuvent être méconnus du médecin et/ou du patient lui-même.
L’actualisation des données pour 2014 était nécessaire du fait de la diminution attendue du nombre de cas non diagnostiqués depuis 2004, estimée à -27%. Cette diminution était principalement due à la baisse substantielle du nombre de personnes de 60-80 ans non diagnostiquées (-50%) du fait de leur décès ou parce qu’elles avaient dépassé 80 ans entre 2004 et 2014. Ceci a entraîné une modification du profil des non-diagnostiqués, les hommes de 18 à 59 ans représentant près de la moitié d’entre eux en 2014 (vs. 26,7% en 2004).
Ces résultats ont contribué à l’élaboration d’une nouvelle recommandation de dépistage, présentée dans le premier rapport français sur la prise en charge des patients infectés par une hépatite B ou C, publié en 2014. Cette recommandation consiste à proposer au moins une fois au cours de la vie un dépistage simultané du VHC, du VIH et du VHB aux hommes de 18-59 ans, indépendamment de la présence d’expositions à risque 12, en complément du dépistage ciblé 13. Cette recommandation est basée sur les similarités de ces trois virus en termes de modes de transmission et de prédominance des hommes parmi les populations non diagnostiquées (plus de 70% pour le VIH en 2010 36 et près de 80% pour le VHB en 2004 12). De plus, proposer une stratégie commune aux trois virus, plutôt que trois stratégies différentes, permettrait une meilleure appropriation par les professionnels de santé. La mise en œuvre des recommandations de dépistage constitue en effet un point critique. La recommandation française de 2009 de dépistage généralisé du VIH pour les 15-70 ans a ainsi été peu appliquée, en raison de problèmes de faisabilité 37. De même, plusieurs études suggèrent une faible appropriation par les médecins des recommandations américaines de dépistage populationnel du VHC pour les personnes nées entre 1945 et 1965 38,39.
Les limites de ce travail sont en premier lieu liées à un possible biais de participation à l’enquête de prévalence de 2004, dont l’impact sur les estimations est difficile à évaluer 10,40. Les autres limites concernent le modèle épidémiologique simple utilisé pour actualiser les données. En l’absence d’incertitude pour la plupart des paramètres, la variance globale n’a pas pu être calculée. Pour ajouter de l’incertitude, nous avons étudié différents scénarios, combinant des variations importantes des paramètres ayant le plus d’impact sur les estimations, et calculé une estimation centrale et un intervalle de plausibilité. Cette approche repose en outre sur de nombreuses hypothèses. Par exemple, nous avons utilisé, pour les UDIV actifs, un taux d’incidence du VHC variant entre 6% et 18%, à partir de données de la littérature 14,15,16,17,18,19,20,21,22,23,24, en attendant l’estimation d’incidence à partir de l’enquête ANRS-Coquelicot 28. Ces chiffres sont concordants avec l’estimation de 11% réalisée pour le Nord-Est de la France en 2000 22. Pour les diagnostics, nous avons fait l’hypothèse d’une augmentation annuelle de 1% de la proportion de personnes diagnostiquées, déjà utilisée dans de précédents modèles en France 7. Concernant les décès, nous avons utilisé la mortalité naturelle (hormis pour les cas incidents survenus chez des UDIV). Cette hypothèse d’une mortalité comparable à celle de la population générale semble raisonnable dans la mesure où une atteinte hépatique sévère est peu probable dans cette population non diagnostiquée (donc asymptomatique). Enfin, du fait de données parcellaires, nous n’avons pas pu tenir compte des migrations. Cela a pu conduire à une sous-estimation du nombre de personnes non diagnostiquées, mais probablement limitée du fait du faible poids des personnes migrantes parmi la population non diagnostiquée en 2004 (moins de 15%) 10 et de flux migratoires peu modifiés depuis 2004 32.
L’une des forces de ce travail est qu’il repose sur une enquête nationale de prévalence réalisée sur un large échantillon aléatoire de 15 000 individus, tous testés pour le VHC et interrogés, de façon concomitante, sur leurs expositions à risque et leur connaissance de leur statut vis-à-vis du VHC 10. Un modèle épidémiologique a permis d’actualiser l’estimation du nombre de personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique en 2014. Contrairement à nombre d’études qui concernent la population anticorps anti-VHC positive, comprenant à la fois des infections actives et guéries, ce travail porte spécifiquement sur les personnes infectées chroniques (ARN VHC positif), qui constituent la cible du dépistage. Ces estimations du nombre et des caractéristiques démographiques des personnes non diagnostiquées pour une hépatite C chronique sont essentielles pour contribuer à orienter les stratégies de dépistage, car les données sur l’ensemble des cas infectés chroniques (diagnostiqués et non diagnostiqués), seules données disponibles dans de nombreux pays, sont insuffisantes. Ainsi, comme illustré sur la figure 3, les profils démographiques des populations infectées chroniques et des populations non diagnostiquées sont très différents car la proportion de personnes non diagnostiquées est très associée à l’âge et au sexe : les personnes nées entre 1945 et 1965 représentaient près de la moitié des personnes infectées chroniques, mais seulement un quart de la population non diagnostiquée, car cette cohorte de naissance était la plus diagnostiquée. La situation est peut-être comparable aux États-Unis, où le taux de dépistage le plus élevé était aussi observé pour cette cohorte, en population générale 4 comme parmi les vétérans de l’armée 41.
Selon nos estimations de 2014, le nombre de personnes âgées de 60 à 90 ans non diagnostiquées serait élevé (environ 45 000). Ces personnes sont actuellement rarement traitées en raison d’effets secondaires importants entraînant des interruptions de traitement, mais l’arrivée des nouvelles thérapies sans interféron pourrait faire évoluer ce paradigme 3.
En conclusion, ce travail a contribué à l’élaboration d’une nouvelle recommandation de dépistage en 2014 12. Il pourrait être utile pour alimenter des modélisations afin d’évaluer si ce dépistage populationnel pourrait être coût-efficace dans un contexte de faible prévalence, en tenant compte de sa faisabilité. Ce dernier ne constituerait qu’un élément dans la stratégie globale de dépistage, qui devra inclure le renforcement du dépistage ciblé et du dépistage communautaire hors les murs pour les personnes difficiles d’accès. Rappelons toutefois que l’amélioration de l’identification des personnes infectées par le VHC doit s’accompagner d’un accès large à un traitement efficace pour l’ensemble de ces personnes, dans la perspective d’une possible éradication de l’hépatite C en France 3.
Remerciements
À C. Meffre, E. Delarocque-Astagneau, J.C. Desenclos et les centres d’examens de santé de la CnamTS pour l’enquête de prévalence de 2004 ; à C. Semaille pour son soutien au départ de ce travail ; à L. Weill-Barillet et X. Pascal pour l’analyse des données ANRS-Coquelicot ; à G. La Ruche pour sa relecture critique.