Les hépatites virales : une lutte sans relâche

// Viral hepatitis: a relentless struggle

Daniel Dhumeaux
Coordonnateur du Rapport de recommandations Hépatites virales 2014 et Président du Comité de suivi, CHU Henri Mondor, Université Paris-Est, Créteil

Il faut en convenir, notre pays, très tôt conscient du problème de santé représenté par les hépatites virales B et C (VHB, VHC) s’est rapidement mobilisé et, pour les combattre, des actions conjointes et concertées ont été menées par les autorités de tutelle, l’ensemble des professionnels de santé concernés et les associations de patients. Ces actions, soutenues dans le temps, ont fait que la France est aujourd’hui l’un des pays où les taux de dépistage des infections à VHB et à VHC sont les plus forts et le nombre de patients traités le plus élevé. Face à des infections responsables de cirrhoses, de cancers du foie et de désordres extra-hépatiques, tous potentiellement mortels, qui aurait pu prévoir que dans des délais aussi courts, nous disposerions de traitements à la fois d’administration simple et efficaces chez la quasi-totalité des patients ? Ces traitements sont aujourd’hui entre nos mains et leur impact fait que les insuffisances identifiées en termes de dépistage et de prise en charge constituent, chez les personnes infectées, une perte de chance inacceptable. Personne ne le conteste : nos efforts doivent se poursuivre et s’amplifier.

Après trois plans successifs de lutte contre les hépatites B et C, un rapport de recommandations produit à la demande de notre Ministre et rédigé sous l’égide de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et l’Association française pour l’étude du foie (Afef) a été remis à nos tutelles en mai 2014 1. Ce rapport, qui a mobilisé pendant plus d’une année quelque 200 cliniciens, chercheurs, autres professionnels de santé, patients et associations de patients, et généré plus de 180 recommandations portant sur l’ensemble des aspects des hépatites B et C, y compris médico-sociaux, servira de socle à la poursuite de nos actions. Un Comité de suivi, mis en place par la Direction générale de la santé, est chargé d’organiser le déploiement et la mise en place progressive de ces recommandations. La participation effective et l’appui affiché des différents Instituts, Directions et Agences concernés par ces hépatites sont à l’évidence un atout majeur.

Une des recommandations fortes du rapport a été l’accentuation du dépistage des personnes infectées (parmi les 500 000 personnes infectées par l’un ou l’autre des deux virus, un peu plus de la moitié seulement a été dépistée) et, à sa suite, un prise en charge thérapeutique plus large mais concertée des personnes atteintes, le prix actuel des médicaments développés contre l’hépatite C étant préoccupant. Pour améliorer le dépistage, trois propositions ont été émises et, nous le verrons, confortées par l’un des articles de ce BEH : (a) maintenir et amplifier le dépistage sur facteurs de risque, (b) conscients des limites de cette méthode, prévoir un dépistage populationnel ciblé sur les hommes âgés de 18 à 60 ans n’ayant encore jamais été dépistés, et (c) combiner pour le dépistage la recherche du VHC, du VHB et du VIH. S’agissant de l’infection à VHC, ces recommandations reposaient sur des données préliminaires que l’article de C. Brouard et coll. dans ce numéro vient consolider. Les auteurs, se fondant sur les résultats d’une modélisation faite à partir de l’enquête de prévalence de 2004, montrent d’une part qu’entre 2004 et 2014, le nombre de personnes non diagnostiquées pour le VHC a diminué de 100 000 à 75 000 et que, d’autre part, parmi les personnes de 18 à 60 ans non diagnostiquées pour ce virus, la proportion d’ hommes est voisine de 80%. Cette donnée conforte la recommandation faite dans le rapport et qui devrait maintenant être appliquée.

Aucune décision des autorités de santé ne peut être prise sans des données épidémiologiques solides et spécifiques du pays concerné. À cet égard, le rôle de l’Institut de veille sanitaire (InVS) dans la production de ces données en France a de longue date été déterminant. Ce numéro du BEH apporte des informations épidémiologiques nouvelles dans différentes populations à haut risque d’infection virale B et qu’il va nous falloir intégrer. Ces populations concernent spécifiquement les personnes originaires d’Afrique subsaharienne, les usagers de drogues et les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH). Parmi les personnes nouvellement prises en charge pour une infection à VHB, le système de surveillance mis en place par l’InVS a montré que plus de 40% d’entre elles étaient originaires d’Afrique subsaharienne. Il était donc important d’en définir les caractéristiques. Dans l’enquête ANRS-Parcours, menée en Île-de-France et rapportée ici par R. Dray-Spira et coll., la fréquence de la précarité sociale, la gravité de l’atteinte hépatique au moment du diagnostic (sans doute par insuffisance de dépistage) et, plus troublant encore, la proportion élevée de patients qui n’informent pas leur entourage de leur statut, sont les traits les plus saillants pour lesquels des réponses devront être apportées. Les deux causes majeures de transmission à VHB aujourd’hui identifiées sont le multipartenariat sexuel et l’usage de drogues. Deux populations concernées ont été étudiées, à l’occasion de l’enquête Prevagay 2009 menée chez les HSH et de l’enquête ANRS-Coquelicot 2011-2013 chez les usagers de drogues. L’une des constatations les plus préoccupantes, retrouvée dans ces deux groupes les plus à risque d’exposition au VHB, a été le taux insuffisant de couverture vaccinale qui est, là encore, à corriger. Enfin, peu de données permettent d’évaluer la réalité de l’infection liée au virus de l’hépatite D en France et les caractéristiques épidémiologiques, cliniques et virologiques des patients infectés par ce virus. L’article produit par E. Gordien et le Centre national de référence associé hépatite Delta souligne l’importance de son dépistage chez les personnes infectées par le VHB. Il fait un point très complet à un moment peut-être décisif de l’histoire de cette infection, à ce jour difficilement traitable et vers laquelle quelques nouvelles pistes semblent s’ouvrir.

Ce numéro témoigne une nouvelle fois de l’intérêt et de l’investissement de l’InVS (et du BEH) dans la lutte contre les hépatites virales. L’aventure n’est pas close et l’avancée des connaissances est rapide. Nul doute qu’à l’avenir, leur place, très recherchée, restera tout aussi déterminante.

Référence

1 Prise en charge des personnes infectées par les virus de l’hépatite B ou de l’hépatite C. Rapport de recommandations 2014, sous la direction du Pr Daniel Dhumeaux et sous l’égide de l’ANRS et de l’AFEF. Paris: EDP Sciences, 2014. 537 p. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Prise_en_charge_Hepatites_2014.pdf

Citer cet article

Dhumeaux D. Éditorial. Les hépatites virales : une lutte sans relâche. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(19-20):328-9. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/19-20/2015_19-20_0.html