Maladie à virus Ebola : dispositif de surveillance renforcée en France et caractéristiques des signalements reçus, mars-décembre 2014

// Ebola virus disease: surveillance system and response to clinical inquiries received from March to December 2014

Mathias Bruyand1, Mathieu Tourdjman1 (m.tourdjman@invs.sante.fr), Harold Noël1, Alexandra Mailles1, Sophie Vaux1, Etienne Lucas1, Julien Durand1, Sylvie Quelet1, Bruno Coignard1, Stéphanie Vandentorren2, Karine Wyndels3, Manuel Zurbaran1, Brigitte Helynck1, Hélène Therre1, Delphine Pannetier4, Sylvain Baize4, Henriette De Valk1
1 Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
2 Cellule de l’Institut de veille sanitaire en région Île-de-France, Paris, France
3 Cellule de l’Institut de veille sanitaire en région Nord-Pas de Calais, Lille, France
4 Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales, Lyon, France
Soumis le 11.12.2014 // Date of submission: 12.11.2014
Mots-clés : Fièvre hémorragique | Ebola | Surveillance | Signalements | Suivi des contacts
Keywords: Hemorrhagic fever | Ebola | Public health surveillance | Clinical inquiries | Contact tracing

Résumé

Suite à l’épidémie de maladie à virus Ebola (MVE) qui sévit depuis décembre 2013 en Afrique de l’Ouest, la France a mis en place en mars 2014 un système de surveillance renforcée, dont l’objectif est de détecter précocement les symptômes évocateurs de MVE chez les voyageurs arrivant d’un pays à risque, leur proposer une prise en charge adaptée et limiter le risque de transmission secondaire sur le territoire national. Ce dispositif repose sur un circuit spécifique permettant le signalement sans délai des cas répondant à la définition de cas suspects, en vue d’une évaluation clinico-épidémiologique, et sur le recensement et le suivi des personnes ayant été en contact avec un malade infecté par le virus Ebola.

Entre le 23 mars et le 8 décembre 2014, 655 signalements ont été traités par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et les partenaires régionaux de ce dispositif de surveillance renforcée ; 632 cas (96,5%) ont été exclus d’emblée, 21 (3,2%) ont été classés comme cas possibles et ont tous été secondairement exclus sur la base des résultats biologiques. Deux cas confirmés, diagnostiqués au Liberia et en Sierra Leone, ont été transférés en France pour y être pris en charge ; tous deux ont guéri.

Le dispositif de surveillance renforcée a montré sa capacité à traiter l’ensemble des signalements notifiés et orienter correctement les patients suspects afin de leur prodiguer des soins adaptés. Compte tenu de l’évolution de l’épidémie actuelle en Afrique de l’Ouest, l’évaluation régulière de ce dispositif est nécessaire afin de l’adapter et d’en optimiser l’efficience.

Abstract

Following the ongoing outbreak of Ebola virus disease (EVD) in West Africa, a reinforced surveillance system for EVD has been set up in France in March 2014. The objectives of this surveillance system are to early detect symptoms compatible with EVD among travelers coming from the epidemic area in order to provide adequate treatment, and to implement control measures to prevent domestic human-to-human transmission. This reinforced surveillance system relies upon early recognition and prompt reporting of suspect cases to allow immediate risk assessment, and upon exhaustive contact tracing and contact monitoring.

Between March 23 and December 8, 2014, 655 clinical inquiries were received at both regional and national levels. Overall, 632 (96.5%) inquiries concerned persons who neither had traveled to an Ebola-affected country nor had at-risk exposures to EVD or presented with no fever. Twenty-one (3.2%) patients were classified as possible cases and underwent diagnosis testing for Ebola virus; all 21 were eventually confirmed negative. Two confirmed cases, diagnosed in Liberia and Sierra Leone, were evacuated in France for appropriate care and treatment, both fully recovered.

The EVD surveillance system was able to efficiently handle all clinical inquiries received since March 2014. Given the unpredictable outcome of the ongoing EVD outbreak in West Africa, this surveillance system must be regularly evaluated and adapted to maintain its efficiency.

Introduction

Le virus Ebola a été identifié pour la première fois au Zaïre en 1976 lors d’une épidémie de fièvres hémorragiques 1. Depuis, une trentaine d’épidémies ont été rapportées, la plupart d’ampleur limitée car restreintes à des zones forestières reculées d’Afrique centrale 2.

L’épidémie de maladie à virus Ebola (MVE), qui sévit depuis décembre 2013 en Afrique de l’Ouest, est d’une ampleur sans précédent et est l’une des premières à atteindre des centres urbains à forte densité de population 3. Le 8 août 2014, l'état d’Urgence sanitaire de portée internationale a été prononcé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Au 8 décembre 2014, 17 800 cas de MVE et 6 331 décès ont été rapportés à l'OMS par les trois pays au sein desquels la transmission du virus est intense (Guinée Conakry, Liberia et Sierra Leone) 4. Le Sénégal, le Nigeria, les États-Unis et, plus récemment, le Mali ont présenté des cas importés de MVE. Dans les trois derniers pays, des chaînes de transmissions secondaires ont été documentées à partir de ces cas. Entre août et novembre 2014, la République démocratique du Congo a par ailleurs connu une épidémie distincte de celle sévissant en Afrique de l’Ouest. Enfin, plusieurs personnes infectées en zone épidémique ont été évacuées vers l’Europe et les États-Unis pour y être prises en charge ; un cas de transmission secondaire à partir d’un de ces patients a été rapporté en Espagne 5.

En France, un système de surveillance renforcée de la MVE a été mis en place dès le mois de mars 2014 afin de détecter précocement les symptômes évocateurs de MVE chez les voyageurs arrivant d’une zone à risque, leur proposer une prise en charge adaptée et limiter le risque de transmission secondaire sur le territoire. Cet article présente le dispositif de surveillance renforcée de la MVE et ses principaux résultats au 8 décembre 2014.

MVE : aspects virologiques et cliniques

Le virus Ebola appartient à la famille des filovirus, qui comprend le virus Marburg et les virus Ebola, dont il existe 5 sous-types : Zaïre, Soudan, Reston, Taï-Forest et Bundibugyo. L’épidémie actuelle en Afrique de l’Ouest est liée au sous-type Ebola Zaïre.

Le virus Ebola est d’origine zoonotique. Son réservoir est très vraisemblablement constitué par les chauve-souris frugivores ; il peut également infecter différents mammifères et tout particulièrement les singes. Le virus se transmet par contact direct avec les tissus ou les fluides corporels d’un patient infecté symptomatique. Il a été détecté dans le sang, les selles, les vomissements, les urines, la salive, les sécrétions séminales, le lait maternel, les larmes et la sueur de personnes infectées 6,7. La contamination peut également se produire par contact direct avec un animal ou de la viande de brousse contaminés, ou du matériel souillé. Il n’y a pas de transmission par voie aérienne.

Après une période d’incubation de 2 à 21 jours (en moyenne 8 jours), la MVE se manifeste initialement par la survenue brutale de signes non spécifiques : fièvre aiguë, maux de tête, extrême fatigue. Les symptômes gastro-intestinaux (vomissements, diarrhées, douleurs abdominales) apparaissent rapidement et sont très fréquents. Bien que classiquement décrits, la survenue de signes hémorragiques (épistaxis, saignements aux points de ponction, diarrhées sanglantes…) est inconstante (moins de 40% des cas environ) 8 ; peuvent également survenir une éruption cutanée, une conjonctivite, une toux ou un hoquet. Dans les formes sévères, des signes d’encéphalite peuvent apparaître. Le risque de transmission virale est plus faible au début de la maladie et augmente avec son évolution, qui s’accompagne d’un accroissement de la réplication virale.

La létalité varie entre 40 et 90% selon les épidémies et les conditions et délais de prise en charge. Il n’existe actuellement aucun traitement spécifique ayant fait la preuve de son efficacité, mais des traitements et des vaccins expérimentaux sont en cours d’évaluation. En l’absence de traitement spécifique et pour éviter toute contagion, la prise en charge des patients infectés repose sur un isolement strict au sein d’unités spécialisées et sur l’optimisation du traitement symptomatique. L’identification et la prise en charge précoces des malades permettent d’interrompre la transmission et de prévenir la survenue de cas secondaires. Toutes les personnes ayant eu un contact à risque avec un cas confirmé de MVE doivent être identifiées et suivies pendant 21 jours après leur dernier contact, afin d’être immédiatement prises en charge en cas d’apparition de symptômes compatibles avec la maladie.

Dispositif de surveillance renforcée

En France, les fièvres hémorragiques africaines, dont les infections à virus Ebola, sont des maladies à déclaration obligatoire : tout tableau clinique évocateur de fièvres hémorragiques chez une personne ayant séjourné dans une zone de circulation de ces virus, ou ayant été en contact avec une personne malade suspectée de fièvre hémorragique africaine, doit être signalé 9. Le dispositif de surveillance renforcée mis en place au mois de mars 2014 a pour objectifs d’identifier au plus tôt d’éventuels cas importés afin, d’une part, d’assurer la meilleure prise en charge possible à ces patients tout en assurant un haut degré de sécurité aux soignants et, d’autre part, de mettre en œuvre les mesures de prévention de la dissémination du virus. Il repose sur un circuit spécifique permettant le signalement sans délai des cas répondant à la définition de cas suspects, en vue d’une évaluation clinico-épidémiologique, et sur le recensement et le suivi des personnes ayant été en contact (personnes-contacts) avec un malade infecté par le virus Ebola. Ce dispositif s’accompagne d’autres mesures telles que la délivrance d’une information spécifique aux voyageurs provenant de la zone à risque, le contrôle dans les aéroports de la température corporelle des passagers arrivant de la zone à risque (entry screening) et la mise en place d’une évaluation du risque et d’un suivi le cas échéant pour toute personne impliquée dans la réponse à l’épidémie lors de son retour d’un pays à risque.

Définition de cas

La définition de cas est établie par l’Institut de veille sanitaire (InVS) et intègre des critères cliniques et épidémiologiques permettant d’évaluer les patients. Cette définition est régulièrement actualisée en fonction de l’évolution de la situation épidémiologique dans les pays affectés et des connaissances sur la maladie. La version actualisée de la définition de cas est disponible sur le site Internet de l’InVS : http://www.invs.sante.fr/Dossiers-thematiques/Maladies-infectieuses/Fievre-hemorragique-virale-FHV-a-virus-Ebola.

Au 8 décembre 2014, la définition de cas est la suivante :

Cas suspect

Un cas suspect est défini comme toute personne présentant, dans un délai de 21 jours après son arrivée de la zone à risque, une fièvre mesurée par un soignant supérieure ou égale à 38°C. La zone à risque comprend la Sierra Leone, la Guinée Conakry, le Liberia et le district de Bamako au Mali.

Cas possible

Un cas possible est défini comme un cas suspect pour lequel au moins une exposition à risque a été établie dans un délai de 21 jours avant le début des symptômes, ou pour lequel il est impossible d’évaluer l’existence d’expositions à risque. Les expositions à risque sont définies dans le tableau 1.

Tableau 1 : Expositions à risque de transmission du virus Ebola
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Cas confirmé

Un cas confirmé est défini comme toute personne ayant eu une confirmation biologique d’infection par le virus Ebola, réalisée par le Centre national de référence des fièvres hémorragiques virales (CNR FHV) de Lyon, ou par un laboratoire habilité suivant le cahier des charges du CNR FHV.

Cas exclu

Un cas est exclu s’il ne répond pas à la définition de cas suspect ou possible, ou si le diagnostic d’infection par le virus Ebola a été biologiquement écarté par le CNR FHV ou par un laboratoire habilité.

Circuit des signalements et procédure de classement des cas

Tout cas suspect, ou tout médecin prenant en charge une telle personne, doit contacter le Samu-Centre 15. Le signalement est alors transmis à l’Agence régionale de santé (ARS), qui contacte à son tour la Cellule de l’InVS en région (Cire) ou le Département des maladies infectieuses de l’InVS en dehors des heures ouvrées.

Le classement du signalement est réalisé par la Cire/InVS sur la base des informations qui lui sont transmises et selon les critères de la définition de cas. En fonction de l’absence ou de la présence d’expositions à risque de MVE, un cas suspect est soit exclu, soit classé en « cas possible ». En cas d’exclusion, le patient est pris en charge dans la filière de soins habituelle. En cas de classement en « cas possible », le patient est transféré sans délai vers un établissement de santé de référence habilité (ESRH) à prendre en charge les infections à virus Ebola. Au 8 décembre 2014, il existe 12 ESRH répartis sur le territoire ; leur liste est actualisée sur le site Internet du ministère de la Santé 10. Le transfert du patient vers l’ESRH est assuré par le Samu au moyen d’un transport sécurisé. Après admission du patient dans l’ESRH, des prélèvements sanguins à visée diagnostique sont réalisés et adressés par transporteur dédié sécurisé au CNR FHV ou à un laboratoire habilité. La liste des laboratoires habilités évolue en fonction de la mise en place des capacités diagnostiques de MVE au sein des ESRH. Dans l’attente du résultat du test diagnostique, seules les analyses biologiques indispensables peuvent être réalisées, au sein d’un laboratoire de niveau de sécurité P3, dans un poste de sécurité microbiologique de niveau III (PSM-III) 11,12. Si le diagnostic de MVE est infirmé biologiquement, le cas est exclu et réintègre la filière de soins habituelle. Si le diagnostic de MVE est confirmé biologiquement, le patient reste pris en charge dans l’ESRH et un suivi des personnes-contacts recensées depuis le début des symptômes est mis en œuvre.

Lorsque le classement du cas ne permet pas de l’exclure avec certitude, notamment si l’évaluation des expositions à risque est difficile, et pour tout cas possible, une concertation multidisciplinaire est organisée sans délai. Elle associe, lors d’une conférence téléphonique, le médecin en charge du malade au moment de l’appel, le Samu, l’infectiologue de l’ESRH susceptible d’accueillir le malade, l’ARS, la Cire/InVS et, si nécessaire, le CNR FHV et le laboratoire habilité. Cette concertation permet un classement collégial du cas. Si un doute raisonnable persiste sur d’éventuelles expositions au virus Ebola, le principe de précaution est appliqué et le patient est classé en « cas possible ».

Recherche et suivi des personnes-contacts

La recherche des personnes-contacts fait partie intégrante de la stratégie de prévention de la MVE. Seules les personnes ayant été en contact avec le malade après le début de ses symptômes sont à risque de transmission. Leur recensement repose sur une enquête détaillée visant à identifier toutes les personnes ayant été en contact avec le malade. Il est initié dès le classement en « cas possible », afin d’assurer un suivi immédiat en cas de confirmation biologique. Pour chaque personne-contact recensée, une évaluation du niveau de risque est réalisée en fonction du type de contact (tableau 2).

Tableau 2 : Niveaux de risque de maladie à virus Ebola en fonction du type d’exposition
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Le suivi des personnes-contacts a pour objectif la détection précoce de symptômes évocateurs de MVE, afin d’initier une prise en charge rapide et d’éviter l’installation d’une chaîne de transmission. Le dispositif de suivi des personnes-contacts repose sur les recommandations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) 13, ainsi que sur le protocole et les outils élaborés par l’InVS en lien avec le ministère en charge de la Santé. En cas de confirmation biologique du cas, seules les personnes-contacts à risque faible ou élevé sont concernées par le suivi. Ce suivi est coordonné par une cellule de suivi régionale (CSR) composée de représentants de l’ARS et de la Cire 14. Il consiste en une automesure ambulatoire biquotidienne de la température et en un suivi téléphonique actif des personnes-contacts pendant une durée de 21 jours après leur dernier contact avec le cas. Pour les personnes-contacts en milieu communautaire, le suivi est assuré par la CSR. Pour les personnes-contacts en milieu hospitalier, le suivi est assuré par une « cellule opérationnelle de suivi des personnes-contacts », sous l’autorité du directeur de l’établissement de santé concerné, qui rend compte quotidiennement des informations obtenues à la CSR.

Ce dispositif s’applique également à toute personne en provenance de la zone à risque, professionnel de santé ou non, ayant présenté une exposition potentielle au virus Ebola. Il lui permet de se signaler et de bénéficier d’une évaluation individuelle, par un infectiologue, du niveau de risque en fonction du type d’exposition. Le cas échéant, un suivi actif est mis en place jusqu’au 21e jour suivant le dernier contact à risque.

Bilan des signalements

Entre le 23 mars et le 8 décembre 2014, 655 signalements ont été traités par l’InVS et les partenaires régionaux du dispositif de surveillance (figure 1). Parmi ces signalements, 367 (58%) correspondaient à des patients ne répondant pas à la définition d’un cas suspect et ont été exclus d’emblée : absence de séjour en zone épidémique (n=232), température inférieure au seuil de la définition de cas (n=189) ou retour de la zone épidémique depuis plus de 21 jours (n=25) (1). Deux cent soixante-cinq (40%) signalements répondant à la définition de cas suspects ont abouti à l’exclusion des cas du fait de l’absence d’exposition à risque dans la zone épidémique (figure 2).

Figure 1 : Nombre de signalements relatifs à la maladie à virus Ebola et leur classement, par semaine, du 23 mars au 8 décembre 2014 en France
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Figure 2 : Bilan global des signalements relatifs à la maladie à virus Ebola en France du 23 mars au 8 décembre 2014
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Sur l’ensemble des signalements, 247 (38%) concernaient des personnes revenant de Guinée Conakry, 71 (11%) de la République démocratique du Congo (incluse dans la zone à risque du 25 août au 24 novembre 2014), 17 (3%) de Sierra Leone, 12 (2%) du Liberia et 50 (8%) du district de Bamako (inclus dans la zone à risque depuis le 14 novembre 2014) (1). Cinquante-sept signalements (9%) correspondaient à des personnes de retour du Nigeria (inclus dans la zone à risque du 8 août au 20 octobre 2014).

Les signalements concernaient des personnes âgées de moins d’un an à 95 ans (médiane : 29 ans). Le sexe-ratio H/F était de 1,4. Le nombre de signalements était très variable d’une région à l’autre, allant de 2 à 295. Le plus grand nombre de signalements a été reçu par la Cire Île-de-France/Champagne-Ardenne (n=295), suivie par la Cire Nord/Picardie (n=72), la Cire Pays de la Loire (n=44) et la Cire Rhône-Alpes (n=37).

Cas possibles

Les 655 signalements traités par l’InVS ont donné lieu à 21 classements en « cas possible », dont un professionnel de santé ayant participé à la prise en charge du 1er cas confirmé importé de MVE pris en charge à l’Hôpital d’instruction des armées (HIA) Bégin (Saint-Mandé, France) suite à un rapatriement sanitaire. La répartition des cas possibles était très variable d’une région à l’autre : 13 en Île-de-France, 2 en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2 en région Nord-Pas-de-Calais, et 1 cas dans quatre autres régions. Il s’agissait de 12 hommes et 9 femmes, âgés de moins d’un an à 95 ans, dont 3 enfants. La majorité (76%) d’entre eux revenaient de Guinée Conakry ; 1 patient avait séjourné au Liberia, 1 au Nigeria, 1 à Bamako et 1 en Sierra Leone. Hormis le cas possible exposé en France, 6 cas possibles étaient des travailleurs humanitaires intervenant dans la zone à risque, dont 2 professionnels de santé. Les 21 cas possibles ont tous été exclus suite aux résultats des analyses biologiques (tableau 3).

Tableau 3 : Caractéristiques des cas possibles de maladie à virus Ebola selon leur exposition (n=21)
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Cas confirmés

Au 1er décembre, 2 cas confirmés avaient été pris en charge sur le territoire français. Il s’agissait de professionnels de santé dont la MVE avait été confirmée au Liberia et en Sierra Leone et qui ont été transférés vers la France et pris en charge à l’HIA Bégin. Tous deux ont guéri et ont quitté l’hôpital. Le suivi des personnes-contacts de ces cas confirmés, assuré conjointement par l’HIA Bégin et l’InVS, a permis d’identifier un cas possible, secondairement exclu.

Discussion

Près de 10 mois après sa mise en place, le dispositif de surveillance renforcée de la MVE en France a montré sa capacité à identifier précocement les personnes présentant des symptômes compatibles avec une MVE et ayant eu des expositions à risque, du fait d’un voyage en zone épidémique ou de la prise en charge d’un cas confirmé de MVE sur le territoire national. Ce dispositif a permis, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, de procéder au classement de l’ensemble des cas signalés, dont la majorité ont été exclus d’emblée. Il a également permis de proposer une prise en charge adaptée aux patients tout en limitant le nombre d’hospitalisations au sein d’ESRH, contribuant ainsi à prévenir l’engorgement d’une filière de soins hautement spécialisée.

La forte sensibilisation des professionnels de santé par le ministère chargé de la Santé via des actions de formation et de communication spécifiques (http://ebola.sante.gouv.fr/) contribue à l’efficacité du dispositif et à expliquer le nombre important de signalements reçus. La proportion importante (58%) de signalements ne correspondant pas à la définition de cas suspects traduit une relative méconnaissance de la définition de cas de la part de certains professionnels de santé. Les craintes face à une pathologie contagieuse grave et pour laquelle aucun traitement n’a, à ce jour, montré son efficacité peuvent aussi l’expliquer. La faible proportion (3%) de cas possibles reflète l’efficience du dispositif mis en place, conformément à ses objectifs.

Le principe de précaution, qui conduit à classer comme « cas possible » un patient suspect lorsque d’éventuelles expositions à risque ne peuvent être écartées, n’est pas dénué d’inconvénients. Les délais nécessaires à l’organisation de la concertation pluridisciplinaire, au transfert du patient vers un ESRH afin de pratiquer un test diagnostique et à l’attente du résultat biologique peuvent être préjudiciables à la prise en charge rapide d’une éventuelle autre pathologie évolutive sous-jacente, notamment infectieuse. Ces aspects mériteraient d’être évalués.

La majorité des cas possibles correspondaient à des personnes en provenance des pays francophones d’Afrique (Guinée Conakry, République démocratique du Congo, Mali). Cette situation reflète les relations privilégiées entre ces pays et la France. La région Île-de-France enregistre près de la moitié des signalements et des cas possibles, probablement en lien avec l’importance de la population originaire d’Afrique de l’Ouest qui y réside ; d’après l’Insee, 60% des immigrés natifs d’Afrique subsaharienne résident en Île-de-France 15. L’importance des échanges aériens entre la France et le Mali (136 458 passagers en 2013 16) fait craindre une augmentation importante du nombre de signalements depuis l’inclusion du district de Bamako dans la définition de cas. Bien que le nombre de signalements de patients en provenance de Bamako ait été important depuis le 14 novembre 2014 (50 signalements), leur gestion n’a pas surchargé le système de surveillance.

Si le nombre de signalements suit l’évolution de l’épidémie en Afrique de l’Ouest, d’autres éléments peuvent aussi l’influencer. La forte médiatisation d’évènements nationaux (prises en charge de cas confirmés ou transferts médiatisés de cas possibles vers un ESRH) ou internationaux (premiers cas autochtones en Espagne ou aux États-Unis) a des impacts immédiats sur le nombre de signalements. Le relais de ces informations via les réseaux sociaux amplifie également ce phénomène 17. Avec l’arrivée de la grippe saisonnière, l’augmentation du nombre de personnes fébriles parmi les voyageurs arrivant de la zone à risque pourrait se traduire par une augmentation du nombre de signalements.

La mise en œuvre des mesures de contrôles de température à l’arrivée des vols en provenance de la zone à risque (entry screening) s’est traduite par une augmentation transitoire du nombre de signalements. Le nombre de cas suspects détectés aux aéroports est toutefois en décroissance depuis plusieurs semaines. Parallèlement, des mesures de contrôle de température au départ des pays affectés (exit screening) ont été mises en œuvre par les autorités sanitaires de ces pays. Sur le plan scientifique, les mesures de contrôle de température à l’arrivée n’ont pas fait la preuve de leur efficacité pour lutter contre la diffusion des maladies infectieuses pour lesquelles elles ont été mises en place. Le Centre européen de surveillance et de contrôle des maladies infectieuses (European Centre for Disease Prevention and Control, ECDC) considère toutefois qu’en l’absence d’évaluation de l’efficacité des mesures d’exit screening, un contrôle à l’entrée est une option à envisager pour les vols directs en provenance des pays affectés 18. Pour sa part, l’OMS recommande uniquement la mise en place de mesures d’exit screening 19.

Les prévisions basées sur des modèles prenant en compte différents facteurs spécifiques à l’épidémie d’Ebola et les échanges entre les pays placent la France comme le pays de l’Union européenne le plus à risque d’introduction de cas importés de MVE 20. Si cette possibilité d’importation ne peut être écartée et justifie la surveillance actuelle, la possibilité qu’un résident européen voyageant en Afrique de l’Ouest soit exposé à des personnes atteintes de MVE dans un cadre communautaire est considérée comme faible par l’ECDC si les recommandations habituelles sont appliquées 13.

Actuellement, le risque d’importation concerne surtout les personnes exposées dans les établissements de santé des pays affectés et dépend de la qualité des règles d’hygiène hospitalière qui y sont appliquées. Alors que la réponse internationale à l’épidémie s’intensifie, impliquant notamment des personnels de santé français déployés sur place en appui aux gouvernements locaux, l’ECDC considère que la probabilité d’importation d’un cas de MVE par du personnel international de retour de la zone d’endémie pourrait augmenter. Malgré les mesures très strictes de protection des soignants impliqués localement dans la lutte contre l’extension de l’épidémie, 19 personnes ont été évacuées à ce jour vers l’Europe (dont 2 en France) suite à une contamination au virus Ebola dans le cadre de leur mission. L’ECDC considère que le risque de développement d’une chaîne de transmission à partir de ces cas est très faible 18. À ce jour, le seul cas de transmission autochtone du virus Ebola dans un pays de l’Union européenne a concerné une personne qui avait participé aux soins d’un cas confirmé rapatrié en Espagne 21. La prise en charge des 2 cas confirmés évacués vers la France, qui n’a donné lieu à aucune transmission secondaire, est cohérente avec l’avis de l’ECDC. Toutefois, pour limiter encore plus ce risque, le ministère en charge de la Santé a prévu de mettre en place un recensement des personnels des organisations non gouvernementales impliqués localement dans la réponse à l’épidémie afin d’organiser leur suivi lors de leur retour en France 13.

À l’heure actuelle, si un cas de MVE venait à être diagnostiqué en France, la prise en charge rapide du malade dans un ESRH et la mise en œuvre rapide des mesures de recensement et de suivi des personnes-contacts devrait permettre de prévenir l’installation d’une chaîne de transmission autochtone. Les situations récentes de transmission autochtone rapportées aux États-Unis 22 et en Espagne ont montré que le contrôle de la maladie dans ces pays était possible avec un dispositif efficace de surveillance, de prise en charge des cas et de suivi des personnes-contacts. C’est tout l’enjeu du dispositif des CSR mises en place au sein des ARS et avec le soutien des Cires.

Conclusion

Au 8 décembre 2014, la surveillance renforcée de la MVE mise en place en France a montré sa capacité à traiter l’ensemble des signalements notifiés et à orienter correctement les patients suspects afin de leur prodiguer des soins adaptés. Les prévisions indiquent que l’épidémie actuelle en Afrique de l’Ouest va se poursuivre, mais sa durée et son ampleur dépendront de la capacité de ces pays et de la réponse internationale à y faire face. Le dispositif de surveillance en France s’inscrit donc dans la durée, soulignant l’importance d’en évaluer régulièrement l’efficacité afin de l’adapter et de renforcer la coordination entre l’ensemble des intervenants, pour en optimiser l’efficience.

Remerciements

Nous remercions les Agences régionales de santé, la Direction générale de la santé, les médecins et régulateurs des Samu/SMUR, les équipes des ESRH qui contribuent au classement et à la prise en charge des cas et les infectiologues qui ont contribué à l’élaboration du dispositif de surveillance renforcée, ainsi que les épidémiologistes des Cires/InVS pour leur mobilisation.

Références

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9 Déclaration obligatoire des fièvres hémorragiques africaines. Disponible sur : https://www.formulaires.modernisation.gouv.fr/gf/cerfa_12200.do (consulté le 9 décembre 2014).
10 Liste des établissements de santé de référence habilités (ESRH) pour la prise en charge des patients cas possibles ou confirmés de maladie à virus Ebola (actualisée au 25 septembre 2014). Disponible sur : http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/2014_09_25_-_ListingESR_MAJ_modifIDFertA-2.pdf (consulté le 9 décembre 2014).
11 Avis du Haut Conseil de la santé publique relatif à la conduite à tenir autour des cas suspects de maladie Ebola. 10 avril 2014. Paris: HCSP; 2014. 18 p. http://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapports
12 Avis du Haut Conseil de la santé publique relatif à une demande de précisions sur l'avis du HCSP concernant la conduite à tenir autour des cas suspects de maladie à virus Ebola du 10 avril 2014. 10 septembre 2014. Paris: HCSP; 2014. 14 p. http://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapports
13 Avis du Haut Conseil de la santé publique relatif à la conduite à tenir concernant l'identification et le suivi des personnes contacts d'un cas possible ou confirmé de maladie à virus Ebola et l'identification des professionnels de santé exposés à un cas confirmé de maladie à virus Ebola du 24 octobre 2014. Paris: HCSP; 2014. 4 p. http://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapports
14 Instruction N° DGS/CORRUSS/2014/326 du 21 novembre 2014 relative à la mise en place opérationnelle du suivi des personnes contacts ou exposées d'un cas confirmé de maladie à virus Ebola (MVE). 21-11-2014.
15 Enquêtes annuelles de recensement 2004 et 2005. Insee Première. 2006:(1098):1-4. http://www.insee.fr/fr/mobile/etudes/document.asp?reg_id=0&ref_id=ip1098&page=graph
16 Ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, Direction générale de l'aviation civile. Bulletin statistique. Trafic aérien commercial - année 2013. Paris: DGAC; 2014. 26 p. http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Bulletin_Stat_2013_20140527.pdf
17 Rodriguez-Morales AJ. What makes people talk about Ebola on social media? A retrospective analysis of twitter use. Travel Med Infect Dis. 2014 Nov 20 (Sous presse).
18 European Centre for Disease Prevention and Control. Outbreak of Ebola virus disease in West Africa. Eighth update. Stockholm: ECDC; 2014. 24 p. http://www.ecdc.europa.eu/en/publications/Publications/Risk-assessment-Ebola-haemorrhagic-fever-Zaire-ebolavirus-Sierra-Leone-Liberia-Guinea-Spain-United-States.pdf
19 World Health Organization. Travel and transport risk assessment: Interim guidance for public health authorities and the transport sector. Geneva: WHO; 2014. 13 p; http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/132168/1/WHO_EVD_Guidance_TravelTransportRisk_14.1_eng.pdf
20 Gomes MFC, Pastore y Piontti A, Rossi L, Chao D, Longini I, Halloran ME, et al. Assessing the international spreading risk associated with the 2014 West African Ebola outbreak. PLOS Currents Outbreaks; 2014;doi:10.1371/currents.outbreaks.cd818f63d40e24aef769dda7df9e0da5
21 Briand S, Bertherat E, Cox P, Formenty P, Kieny MP, Myhre JK. The international Ebola emergency. N Engl J Med. 2014;371(13):1180-3.
22 McCarty CL, Basler C, Karwowski M, Erme M, Nixon G, Kippes C, et al. Response to importation of a case of Ebola virus disease - Ohio, october 2014. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2014;63(46):1089-91.

Citer cet article

Bruyand M, Tourdjman M, Noël H, Mailles A, Vaux S, Lucas E, et al. Maladie à virus Ebola : dispositif de surveillance renforcée en France et caractéristiques des signalements reçus, mars-décembre 2014. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(36):584-91. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/36/2014_36_1.html

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