2014, année de la première épidémie d’Ebola de portée internationale

// 2014, the first Ebola outbreak of international concern

Jean-Claude Desenclos & François Bourdillon
Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France

La maladie à virus Ebola est apparue pour la première fois en 1976, lors de deux épidémies simultanées à Nzara (Soudan) et Yambuku (République démocratique du Congo). Elle doit son nom à la rivière Ebola située à proximité de la ville de Yambuku. Depuis cette date et jusqu’en 2014, le virus Ebola a ré-émergé chez l’homme une trentaine de fois dans des zones tropicales reculées d’Afrique centrale, à partir de son réservoir animal sauvage, donnant lieu à chaque fois à des épidémies sévères avec une létalité variant de 25 à 90%. Ces foyers ont toujours pu être circonscrits sans diffusion à distance. En l’absence d’infectiosité avant le début des symptômes, la lutte contre les épidémies repose sur l’isolement et la prise en charge la plus précoce possible des cas, la surveillance et la recherche active de leurs contacts pour les isoler le plus tôt possible par rapport au début des symptômes si la maladie survient, l’inhumation sécurisée des personnes décédées et la protection des soignants par des équipements empêchant le contact avec les fluides corporels des malades. La mobilisation sociale et la participation de la communauté sont essentielles pour juguler les foyers d’Ebola.

En mars dernier et contre toute attente, le virus Ebola est détecté en Afrique de l’Ouest suite à l’identification de plusieurs dizaines de cas dans trois districts du sud-est de la Guinée (Guékédou, Macenta et Kissidougou). On s’apercevra alors que la maladie avait fait irruption dans des villages de Guinée forestière en décembre 2013, indiquant qu’au moment de sa reconnaissance formelle elle avait déjà fait de nombreuses victimes et diffusé pendant plusieurs mois dans la communauté par transmission de personne à personne. Très rapidement, la Sierra Leone et le Liberia voisins sont touchés. Le Nigeria, le Sénégal et le Mali ont ensuite connu chacun une ou plusieurs chaînes de transmission par l’intermédiaire de voyageurs par voie aérienne (Nigeria) et terrestre (Sénégal et Mali). Ces 3 épisodes secondaires, détectés précocement et gérés de manière très réactive selon les principes mentionnés ci-dessus, ont été rapidement maîtrisés (Nigeria et Sénégal) ou sont en voie de l’être au Mali.

Si les connaissances acquises sur cette épidémie d’Afrique de l’Ouest n’indiquent rien de bien particulier en termes de virologie, de clinique, de modes de transmission et de paramètres épidémiologiques, l’épidémie qui sévit en Afrique de l’Ouest est en rupture totale par rapport aux épisodes survenus auparavant. Née en Guinée, elle a traversé les frontières terrestres pour atteindre la Sierra Leone et le Liberia et a diffusé, par la circulation des personnes infectées, à de nombreuses provinces dans chacun des trois pays et surtout aux zones urbaines des trois capitales, en particulier leurs quartiers les plus déshérités et surpeuplés. Avec une multitude de foyers et une atteinte diffuse des zones urbaines et péri-urbaines, dans un contexte de systèmes et infrastructures de santé désorganisés et fragiles, et sortant tout juste de longues périodes de conflits et d’instabilité, ces trois pays n’ont pu faire face. Malgré une mobilisation très précoce de Médecins sans frontières dans les trois pays, la mobilisation internationale via l’Organisation mondiale de la santé a tardé. Il faudra attendre le 8 août pour que son Directeur général déclare cette épidémie comme une Urgence de santé publique de portée internationale. Alors que la nouvelle année approche, l’épidémie dure depuis plus de 10 mois et totalise officiellement près de 18 000 cas et 6 400 décès, sachant qu’une proportion importante de cas n’est pas diagnostiquée ou rapportée (1 cas identifié pour environ 2,5 cas selon les Centers for Disease Control and Prevention).

La mobilisation internationale est maintenant forte, avec un rôle très actif de la France en Guinée. Quelques cas ont aussi diffusé hors du continent africain via les vols internationaux ou suite au rapatriement sécurisé de soignants occidentaux malades. Ces rares épisodes de transmission dans les pays occidentaux, toujours rapidement maîtrisés, ont été médiatisés de manière massive, traduisant une anxiété sociale et politique très forte face à la redécouverte subite que les maladies infectieuses les plus graves sont transmissibles chez nous comme sur le continent africain. En ont suivi des situations de tension, voire de crise, mettant en cause les systèmes de réponse et l’état de préparation de plusieurs pays occidentaux, notamment les États-Unis et l’Espagne. Des mesures excessives ne reposant pas sur les faits probants ont même été proposées par les autorités de plusieurs pays, nous rappelant que, face à la « contagion », l’irrationalité n’est jamais bien loin, ce que les historiens des épidémies ont bien documenté.

Le bilan des cas suspects d’infection Ebola en France rapporté dans ce numéro du BEH indique une montée en charge progressive des signalements depuis mars, avec le développement de l’épidémie en Afrique. Les signalements se sont accélérés en septembre et plus particulièrement au moment de la médiatisation des épisodes en Espagne et aux États-Unis, montrant ainsi l’influence de la pression sociale. Ce dispositif, actif 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 qui mobilise via l’Institut de veille sanitaire une expertise clinique, épidémiologique et virologique en lien étroit avec les Établissement de soins de référence habilités (ESRH), les Agences régionales de santé et le ministère de la Santé, permet un classement de l’ensemble des cas signalés dans les meilleurs délais, la majorité étant exclus d’emblée. Tout en étant évolutif en fonction de l’épidémiologie en Afrique de l’Ouest, il permet une prise en charge au cas par cas (21 cas possibles, tous testés négativement, sur 655 signalements), tout en limitant le nombre d’hospitalisations au sein des ESRH, contribuant ainsi à prévenir l’engorgement d’une filière de soins hautement spécialisée.

En Afrique de l’Ouest, l’épidémie reste très active, même si un ralentissement de la transmission s’est fait jour ces dernières semaines au Liberia. De nombreuses projections de l’épidémie ont été réalisées au niveau des trois pays sans prendre en compte suffisamment le fait que l’épidémie est faite de multitudes de flambées locales en lien les unes avec les autres. L’épisode récent du Mali indique l’importance de la coordination entre les dispositifs de chaque pays, incluant les pays voisins et les mouvements de population. Le Mali et la Côte d’Ivoire sont particulièrement exposés au risque, d’où l’importance du renforcement des capacités de surveillance et de prise en charge qui y sont mis en œuvre. La réponse doit être adaptée aux réalités du et des terrains. La clé réside dans le dépistage précoce des cas dans la communauté et leur isolement et prise en charge sans délai dans les centres de traitement. La prise en charge dans des centres de traitement, la surveillance, la recherche des cas et le suivi des contacts avec la sensibilisation communautaire en matière d’hygiène doivent être organisés de manière intégrée et au plus près des foyers épidémiques. Enfin, il s’agit de transporter les malades dans les conditions d’hygiène les plus rigoureuses et d’inhumer les personnes décédées de la maladie Ebola à la fois de manière sécurisée et digne pour les familles. Depuis les premières épidémies de 1976 il a été bien montré que la réduction du délai de diagnostic et d’isolement par rapport au début de la maladie pour la majorité des cas est la condition indispensable pour que la transmission puisse être maîtrisée et que l’épidémie s’éteigne.

Citer cet article

Desenclos JC & Bourdillon F. 2014, année de la première épidémie d’Ebola de portée internationale. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(36):582-3. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/36/2014_36_0.html