« Le 190 », un centre de santé sexuelle à Paris pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes

// « Le 190 », a sexual health centre in Paris (France) for men who have sex with men

Soraya Belgherbi, France Lert (france.lert@inserm.fr)
Inserm, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, UMR 1018, Villejuif, France
Mots-clés : Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes | Santé sexuelle | Offre de soins
Keywords: Men who have sex with men | Sexual health | Health care provision

La création de centres de santé sexuelle figure dans le Plan gouvernemental 2010-2014 de lutte contre le VIH/sida et les infections sexuellement transmissibles (IST) 1, mais peu ont encore vu le jour, la dénomination santé sexuelle restant encore à investir de contenus concrets.

« Le 190 » a été créé par l’association Sida Info Service en 2010 à Paris pour proposer une réponse en termes de santé sexuelle aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH). Il revendique une approche communautaire de la prévention et du soin centrée sur les besoins actuels des HSH, mais se veut aussi ouvert à tous ceux et celles qui souhaitent aborder librement le sujet de leur sexualité. Prenant acte des formes actuelles de la sexualité entre hommes, du haut niveau d’exposition aux IST, de l’érosion des comportements préventifs 2,3 et de la persistance d’une incidence élevée des nouvelles infections par le VIH, la démarche exploite les potentialités du répertoire médical pour concrétiser « une prévention par le soin ». Fin 2013, « Le 190 » comptait huit médecins, dont un dermatologue et un psychiatre, un psychologue, trois infirmiers et deux secrétaires.

Un exercice exploratoire d’évaluation, visant à apporter des éléments descriptifs de l’activité du « 190 » et à dessiner des pistes pour son évolution, a été initié. Il s’agissait notamment d’apprécier si l’activité du centre correspond à son programme et de préciser le contenu concret et spécifique de la notion de centre de santé sexuelle s’adressant spécifiquement aux HSH. Les principaux résultats en sont présentés ici 4.

Une activité équilibrée entre soins VIH et prévention-dépistage des IST

Depuis l’ouverture, l’activité s’est déployée avec une augmentation des nouveaux consultants alimentée par un flux constant de personnes séropositives (environ 200 par an) et par un flux croissant de personnes séronégatives, dont le nombre a augmenté de 464 à 621 nouveaux usagers entre 2010 et 2012 (figure).

Figure : Nouveaux usagers et nombre d'actes du centre « Le 190 » à Paris (France), selon le statut sérologique des usagers et l'année
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Un dossier médical informatisé, unique et exhaustif pour chaque usager, a été mis en place à la création du centre. Il est renseigné pendant les soins. Les informations saisies, textuelles ou codifiées, permettent le suivi individuel et une information systématique sur l’activité. Pour homogénéiser et exploiter les informations, une révision détaillée des dossiers a été réalisée sur un échantillon. Celui-ci était composé des consultants venus pendant le mois d’octobre 2012. Les données utilisées comportaient les caractéristiques démographiques des usagers, l’historique de leurs soins au centre, leurs comportements et pratiques sexuelles, les actes réalisés (consultations médicales, actes infirmiers, conseil, prise en charge psychologique), les motifs de recours et diagnostics associés codés en CIM-10 (Classification internationale des maladies – 10e révision). Les usagers ont été informés par affichage de la réalisation de l’étude et de leur possibilité de s’y opposer. La base de données a été anonymisée.

L’échantillon comportait 288 usagers : 122 séronégatifs et 166 séropositifs pour le VIH. La moitié avait fréquenté « Le 190 » avant 2012 et 8 venaient pour la première fois en octobre 2012. Ces usagers étaient jeunes (âge médian : 33 ans pour les séronégatifs et 38,5 ans pour les séropositifs) et majoritairement des hommes (6,1% de femmes, 1,8% de personnes transgenres). Ils avaient été orientés vers « Le 190 » par les associations (26%), des proches (26%), les services de santé (17%) ou suite à une recherche sur Internet (17%) ; 14% des dossiers n’étaient pas renseignés sur ce point. Lors du premier contact, la demande de dépistage IST ou VIH et la consultation pour une maladie liée au VIH représentaient chacune 29,9% des motifs spontanément déclarés, tandis que 16,7% consultaient pour des symptômes et 4,9% recherchaient des conseils sur la sexualité (16,7% de dossiers non renseignés).

Depuis leur première venue, tous les usagers ont eu des consultations médicales, 84% ont bénéficié d’actes infirmiers, 25% ont consulté le dermatologue et 19% ont consulté le psychologue. Parmi les usagers séropositifs, 77% (128/166) étaient suivis pour leur infection à VIH au centre et 90 y recevaient un traitement antirétroviral, initiés au centre pour 42.

Un « check-up sexuel », consistant en un dépistage systématique des IST par des prélèvements de sang, d’urine ou au niveau de muqueuses (bouche et anus) afin de dépister au mieux les infections asymptomatiques, est au cœur du programme de « prévention par le soin » mis en avant par l’équipe du « 190 ». Parmi les usagers non infectés, 44% ont eu au moins un check-up sexuel et 10% parmi les usagers séropositifs. Le taux d’IST découvertes lors de ce check-up (acte de dépistage) est logiquement plus bas que pour les consultations IST (acte de diagnostic) : respectivement 6,5% et 28,0% chez les usagers séronégatifs et 15,6% et 33,3% chez les usagers séropositifs.

Une réponse rapide aux personnes nouvellement diagnostiquées

Pour évaluer la capacité du centre à prendre en charge rapidement les personnes nouvellement diagnostiquées, une enquête rapide a été mise en place en août et septembre 2013. En effet, les personnes non diagnostiquées, en particulier en stade de primo-infection, sont considérées comme un des vecteurs majeur de la dissémination de l’infection VIH, notamment dans la population HSH, en raison d’un mode de vie marqué par un nombre élevé de partenaires et des relations concomitantes 5,6,7. Les médecins ont documenté des fiches individuelles pour les personnes avec un nouveau diagnostic d’infection VIH, diagnostic fait sur place ou première visite médicale après un diagnostic réalisé ailleurs. Au cours de cette période de deux mois, 18 hommes ont consulté suite à un test positif pour le VIH et 1 pour le VHC. Ils avaient de 22 à 55 ans (âge médian : 30 ans).

À l’exception du diagnostic d’hépatite C, ces hommes n’avaient pas fréquenté antérieurement le centre. Leur traitement a débuté dans un délai médian de 4 jours après leur première venue.

Le sujet présentant une infection VHC au stade aigu était suivi en addictologie au centre, régulièrement testé en raison d’une pratique d’injection (slam). La séroconversion VHC a été suivie un mois plus tard par une primo-infection VIH.

Le point de vue des usagers

Une petite enquête qualitative par entretiens a été menée en juillet 2013 auprès de 12 hommes de 18 à 50 ans, répartis de façon équilibrée entre usagers séropositifs et séronégatifs et entre moins et plus de 35 ans, pour appréhender leur perception de l’offre de soins du « 190 ».

Les usagers interrogés mettaient en avant la liberté de parole sur la sexualité, l’attitude de non jugement, la compétence professionnelle de l’équipe et la qualité de l’accueil. Pour les hommes séropositifs, la petite structure du « 190 » accordait davantage d’attention aux besoins individuels, par rapport à l’hôpital.

L’offre d’un dépistage complet et sa répétition régulière étaient appréciées très positivement et concrétisaient une dimension préventive nouvelle et globale que les usagers se sont bien appropriée, notamment les hommes séronégatifs. L’offre du « 190 » a été jugée comme étant à la fois plus complète, plus experte et plus personnalisée que celle des autres services médicaux existants ou que celle des offres associatives, plus limitées. Enfin, si la plupart disaient bien connaître les risques, les échanges au cours des consultations étaient pour eux l’occasion d’« éclaircissements », de précisions liées au caractère particulier de certaines pratiques, parfois de remises en question.

Discussion - perspectives

Les résultats présentés appellent certaines précautions d’interprétation. En effet, l’information utilisée porte sur les usagers du centre et, logiquement, sur ceux qui y viennent régulièrement parce qu’ils y trouvent une réponse adaptée à leurs besoins, ce qui est constitutif d’un biais « favorable ». Seule une large étude comparant les clientèles des structures parisiennes entre elles permettrait de caractériser les profils des usagers fréquentant chacune d’elles et de faire apparaître ainsi le profil et les attentes spécifiques de ceux du « 190 ».

La montée en charge rapide et soutenue de l’activité et la distribution équilibrée entre personnes infectées ou non par le VIH indiquent que le centre a réussi son implantation dans le paysage de prise en charge des IST en région parisienne.

L’approche médicalisée de la prévention reposant sur le dépistage et le traitement des IST par le « check-up sexuel » rencontre la demande des hommes non infectés par le VIH.

Le discours des usagers positionne « Le 190 » comme un service de médecine pour les HSH se différenciant à la fois de l’existant associatif, qui n’offre généralement qu’un service médical limité à certains actes, et de la médecine courante, jugée trop éloignée des pratiques pour être efficace, et parfois moralisatrice. Les entretiens soulignent avant tout le besoin d’une médecine spécifiquement compétente sur les questions de santé des HSH en matière de sexualité.

À l’issue de ces travaux exploratoires, certaines pistes d’amélioration se dessinent pour « Le 190 » :

  • conserver une équipe de masse critique suffisante, basée sur la complémentarité et la multidisciplinarité des services offerts, mais sans en étendre beaucoup plus la taille afin de maintenir, d’une part, la cohésion de l’équipe autour d’une approche commune de la santé sexuelle et, d’autre part, la flexibilité du mode de fonctionnement et l’attention aux usagers ;
  • mettre en place un dispositif invitant à une répétition systématique du check-up sexuel, par exemple par messagerie ou SMS, tant pour les hommes séropositifs, qui ont une fréquentation régulière du centre mais restent moins sollicités pour le dépistage des IST, que pour les hommes non infectés ;
  • utiliser le dossier médical informatisé comme source d’informations pour l’évaluation, en systématisant sa documentation de façon plus rigoureuse, mais sur un champ plus réduit, afin de ne pas empiéter sur le temps dédié au consultant ;
  • réaliser une étude d’incidence de la population des usagers par la mise en place d’une cohorte suivie pendant un an et confronter l’incidence observée aux résultats des études de surveillance menées par l’Institut de veille sanitaire (InVS).

Remerciements

Les auteurs remercient l’équipe du « 190 » pour son accueil et sa disponibilité.

Références

1 Plan national de lutte contre le VIH et les IST 2010-2014. Paris: Ministère de la Santé et des Sports; 2010. 266 p. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_national_lutte_contre_le_VIH-SIDA_et_les_IST_2010-2014.pdf
2 Janiec J, Haar K, Spiteri G, Likatavicius G, Van de Laar M, Amato-Gauci AJ. Surveillance of human immunodeficiency virus suggests that younger men who have sex with men are at higher risk of infection, European Union, 2003 to 2012. Euro Surveill. 2013;18(48):20644. http://www.eurosurveillance.org/ViewArticle.aspx?ArticleId=20644
3 Velter A, Saboni L, Bouyssou A, Semaille C. Comportements sexuels entre hommes à l’ère de la prévention combinée. Résultats de l’Enquête presse gays et lesbiennes 2011. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(39-40):510-6. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=11833
4 Belgherbi S, Lert F. Le 190. Un centre de santé sexuelle pour les hommes séropositifs et séronégatifs pour le VIH ayant des rapports sexuels entre hommes. Une approche évaluative : usagers, activités, résultats. Villejuif: Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, Inserm U1018, 2013. 87 p.
5 Brenner BG, Roger M, Routy JP, Moisi D, Ntemgwa M, Matte C, et al; Quebec Primary HIV Infection Study Group. High rates of forward transmission events after acute/early HIV-1 infection. J Infect Dis. 2007;195(7):951-9.
6 Wilson DP, Hoare A, Regan DG, Law MG. Importance of promoting HIV testing for preventing secondary transmissions: modelling the Australian HIV epidemic among men who have sex with men. Sex Health. 2009;6(1):19-33.
7 Frange P, Meyer L, Deveau C, Tran L, Goujard C, Ghosn J, et al; French ANRS CO6 PRIMO Cohort Study Group. Recent HIV-1 infection contributes to the viral diffusion over the French territory with a recent increasing frequency. PLoS One. 2012;7(2):e31695.

Citer cet article

Belgherbi S, Lert F. « Le 190 », un centre de santé sexuelle à Paris pour les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(32-33):554-6. http://www.invs.sante.fr/beh/2014/32-33/2014_32-33_4.html