Cas publiés de salmonelloses chez les jeunes enfants secondaires à une exposition aux reptiles : revue bibliographique 1993-2013
// A bibliographic review of published salmonellosis in young children secondary to reptile exposure: 1993-2013
Résumé
Le contact avec des animaux, notamment avec les reptiles, est une source connue de transmission de Salmonella. Des cas d’infections à Salmonella transmises par des reptiles domestiques ont été décrits dans la littérature dès les années 1960.
Une revue de la littérature scientifique des cas publiés de salmonellose chez les jeunes enfants secondaires à une exposition aux reptiles depuis 1993 a été réalisée en janvier 2013 afin de documenter les formes cliniques les plus fréquentes, les sérotypes de Salmonella impliqués ainsi que le mode de transmission des Salmonella.
Les 66 articles retenus concernaient 43 études de cas isolés, 14 investigations d’épidémies, 5 études cas/témoins et 4 études rétrospectives descriptives.
Les cas isolés rapportés étaient majoritairement des cas de gastro-entérites (69%) et 31% étaient des cas d’infections autres que digestives. Les sérotypes des souches de Salmonella étaient en majorité de la sous-espèce enterica (I). Les reptiles le plus fréquemment impliqués étaient des tortues.
Abstract
Contact with animals including reptiles is a known source for Salmonella transmission. Cases of Salmonella infections transmitted by domestic reptiles have been described in the literature since the 1960s.
A review of published cases of salmonellosis in young children secondary to reptiles’ exposure since 1993 was carried out in January 2013 in order to identify the most frequent clinical forms, the Salmonella serotypes involved, and the transmission of Salmonella.
The 66 selected articles were 43 case-reports, 14 outbreak investigations, 5 case-control studies and 4 retrospective studies.
Isolated cases reported were mostly cases of gastroenteritis (69%), and 31% were infections other than digestive. Serotypes of Salmonella strains were mostly enterica subspecies (I). Turtles were the reptiles the most frequently involved.
Introduction
Les salmonelloses sont l’une des principales causes de gastro-entérites bactériennes chez l’homme 1. Elles peuvent aussi occasionner des infections invasives chez certains groupes de population à risque : jeunes enfants, personnes âgées et personnes immunodéprimées 2.
Le mode de transmission est le plus souvent la consommation d’aliments contaminés (charcuterie, œufs…), mais l’exposition environnementale, notamment le contact avec des animaux, reste une source de contamination non négligeable.
Les reptiles sont des réservoirs connus de Salmonella : 50 à 90% d’entre eux sont porteurs de Salmonella au niveau de leur tube digestif 3 et, après excrétion dans l’environnement, ces bactéries peuvent survivre plusieurs jours, voire plusieurs semaines si les conditions de température et d’humidité sont favorables 4. Il s’ensuit un risque de transmission à l’homme par voie orale.
Des cas d’infections à Salmonella transmises par des reptiles domestiques ont été décrits dans la littérature dès les années 1960 5. Depuis, de nombreux cas isolés ou des épidémies liés à une exposition aux reptiles ont été rapportés, affectant principalement des enfants 6,7,8.
Une revue de la littérature scientifique a été réalisée en janvier 2013, en sélectionnant les publications rapportant des cas de salmonelloses transmises par des reptiles à des enfants au cours des 20 dernières années.
L’objectif de cette revue était d’identifier :
- les formes cliniques les plus fréquentes et leur évolution ;
- les sérotypes des Salmonella concernés ;
- les principaux reptiles impliqués ;
- le mode de transmission des Salmonella.
Méthode
La base de données bibliographiques PubMed a été interrogée en janvier 2013 avec l’équation suivante : “(Salmonella OR salmonellosis) AND (turtle(s) OR iguana(s) OR snake(s) OR lizard(s) OR pogona OR reptile(s) OR dragon(s)) AND (child OR children OR baby OR babies OR neonate(s))”. Seuls les articles publiés après 1993 ont été retenus, soit 102 articles.
Après lecture du résumé, 66 articles ont été sélectionnés pour la revue bibliographique, car ils décrivaient des cas d’infections à Salmonella chez des enfants exposés à des reptiles.
Résultats
Les 66 articles retenus étaient :
- 43 études de cas ;
- 14 investigations d’épidémies, dont 3 suivies d’enquêtes cas/témoin ;
- 5 enquêtes cas/témoin ;
- 4 études rétrospectives descriptives.
Études de cas
Parmi les 43 publications sélectionnées, plus de la moitié (n=23) étaient européennes, 16 américaines et 4 provenaient d’autres pays (Japon, Inde, Australie). Elles décrivaient 77 infections chez des enfants, dont 49 (64%) chez des enfants de moins de un an.
Tableau clinique et évolution
Cinquante-trois infections décrites (69%) étaient des gastro-entérites à Salmonella, dont 51 ont été d’évolution favorable et 2 ont été suivies du décès de l’enfant.
Les 24 autres infections décrites (31%) avaient des localisations autres que digestives, dont 11 cas de méningites. Toutes les méningites étaient survenues chez des enfants de moins de six mois ne présentant aucune comorbidité ; 8 ont évolué favorablement, 2 ont eu pour conséquence un retard de développement de l’enfant et 1 enfant est décédé.
Le tableau 1 détaille les publications rapportant des cas d’infections non digestives à Salmonella transmises par des reptiles à des enfants.
Sérotypes des souches de Salmonella
Les souches de Salmonella responsables des infections étaient très variées puisque, pour les 77 infections, plus de 35 sérotypes différents de Salmonella étaient impliqués.
Pour 60 infections, les sérotypes appartenaient à la sous-espèce enterica (I). Pour les autres, les sérotypes appartenaient à la sous-espèce houtenae (IV, 8 infections), à la sous-espèce arizonae (IIIa, 7 infections) ou à la sous-espèce diarizonae (IIIb, 2 infections).
Certains étaient rarement retrouvés chez l’homme (S. Schleissheim, S. IIIb.47:k:z35...), d’autres plus fréquemment (S. Enteritidis, S. Typhimurium…).
Les sérotypes impliqués dans le plus grand nombre d’infections étaient :
- Poona : 7 infections
- IV.44:z4,z23:- : 6 infections
- IV.48:g,z51 : 5 infections
- Paratyphi B variété Java : 5 infections
Reptiles et type de contact
La majorité des reptiles à l’origine des infections des enfants étaient des iguanes ou des tortues : 24 cas avaient été exposés à un iguane, 23 cas avaient été exposés à des tortues.
Les autres reptiles à l’origine des salmonelloses étaient des serpents (16 cas) ou des lézards autres que des iguanes (13 cas).
Un cas avait été exposé à plusieurs types de reptiles.
Un contact direct entre l’animal et l’enfant a été rapporté pour 21% des patients.
Trois enfants ont présenté une rechute de la maladie après ré-exposition au reptile.
Prélèvements
Des prélèvements des animaux ou de leur environnement ont été effectués pour 29 cas. Ils ont permis d’isoler :
- une Salmonella du même sérotype que la souche clinique (n=21) ;
- plusieurs sérotypes de Salmonella, dont celui de la souche clinique (n=5) ;
- une souche de Salmonella d’un autre sérotype que la souche clinique (n=2) ;
- pas de Salmonella isolée (n=1).
Une comparaison des PFGE (électrophorèse en champ pulsé) des souches humaines et animales de même sérotype a été réalisée pour 16 cas. Pour 15 d’entre eux, les souches avaient un profil PFGE identique, confirmant le lien entre la maladie de l’enfant et l’exposition à l’animal.
Publications rapportant des investigations d’épidémies
Parmi les 14 publications sélectionnées, 10 étaient américaines. Ces 14 publications rapportaient 21 épidémies de salmonelloses liées à des expositions aux reptiles (tableau 2) avec en médiane 19 cas par épidémie.
Mode de contamination / lien épidémiologique entre les cas
Pour 3 épidémies, le mode de contamination était la consommation par les patients de nourriture contaminée lors d’un même repas ou dans le même restaurant : viande de tortue (Japon et Australie) ou repas peu cuit préparé par un propriétaire de lézards Pogona.
Pour les 18 autres épidémies, les enfants avaient été exposés à un reptile domestique.
Le lien épidémiologique entre les différents cas de salmonellose n’a pas été retrouvé pour 15 de ces 18 épidémies. Pour 2 épidémies, le lien entre les cas était le même fournisseur de rongeurs congelés servant à nourrir les reptiles. Pour une épidémie, les cas avaient tous acheté leur reptile dans la même animalerie.
Sérotypes des souches de Salmonella
Douze sérotypes différents de Salmonella étaient responsables des 21 épidémies, dont 11 de la sous-espèce enterica (I).
Les sérotypes impliqués le plus fréquemment étaient :
- Pomona : 4 épidémies
- Typhimurium : 4 épidémies
- Variant monophasique de Typhimurium 1,4,[5],12:i:- : 3 épidémies
Prélèvements
Des prélèvements chez l’animal ont identifié une Salmonella du même sérotype que la souche clinique dans 71% des épidémies (15/21). Des comparaisons des profils par PFGE ont été réalisées pour 13 épidémies et ont mis en évidence des profils identiques dans 100% des cas.
Pour une épidémie, les prélèvements de l’animal étaient négatifs ; pour 5 épidémies il n’y avait pas eu de prélèvement chez l’animal.
Études cas/témoins (tableau 3)
Parmi les 8 études cas/témoins sélectionnées, 5 étaient des publications américaines et 3 étaient européennes.
La moitié des études cas/témoins (4/8) avaient été mises en place à la suite d’une épidémie de salmonellose transmise par des reptiles, dont une épidémie survenue à la suite d’une visite dans un zoo.
Les témoins étaient des personnes asymptomatiques pendant la période d’étude pour 4 publications. Pour les 4 autres études, les témoins étaient des patients présentant une autre infection digestive pendant la période d’étude, avec prélèvement positif à :
- Rotavirus
- Salmonella d’un autre sérotype,
- Campylobacter
- Shigella.
Six études mettaient en évidence un lien statistique entre la survenue d’une infection à Salmonella et la présence d’un reptile à domicile ou tout autre type de contact avec des reptiles.
Deux publications identifiaient plus particulièrement l’exposition à un reptile en particulier comme source de contamination : tortues et serpents.
Études rétrospectives (tableau 4)
Parmi les 4 études rétrospectives sélectionnées, 3 investiguaient rétrospectivement des cas de salmonelloses afin de documenter l’exposition aux reptiles chez les patients :
- une première étude s’intéressait aux infections à S. Paratyphi B var. Java suite à l’augmentation de l’incidence des cas dans le pays 50 ;
- une autre étude avait pour objectif de chiffrer l’incidence des salmonelloses transmises par les reptiles chez les enfants de moins de 5 ans 51 ;
- la troisième étude avait pour but d’identifier les comportements à risque chez des cas de salmonellose à S. Marina, sérotype fréquemment associé à des transmissions par des reptiles 52.
La quatrième étude descriptive était une étude suédoise qui investiguait des cas de salmonelloses en lien avec une exposition aux reptiles sur 10 ans, afin de caractériser l’évolution du nombre de cas avant et après une mesure de santé publique et de décrire les patients et les souches de Salmonella impliquées 53.
Discussion
Cette revue de la bibliographie sur une période de 20 ans a permis d’identifier 871 cas décrits de salmonelloses liées à une exposition aux reptiles : 77 cas isolés et 794 cas épidémiques. Ces infections à Salmonella sont parfois graves, notamment chez les enfants de moins d’un an, avec une létalité non négligeable (4 décès rapportés sur 871 cas) 6,25,38,54. L’exposition aux reptiles est donc à déconseiller chez les jeunes enfants par mesure de précaution, afin de prévenir des cas de salmonellose.
Les formes cliniques autres que digestives représentaient 31% (24/77) des cas isolés décrits. Cependant, les formes cliniques atypiques ou avec un sérotype rare de Salmonella sont plus souvent investiguées et font plus souvent l’objet de publications que les salmonelloses digestives, ce qui peut conduire à leur sur-représentation dans ce type de revue bibliographique.
Plusieurs types de reptiles domestiques étaient à l’origine des infections dans les articles étudiés : tortues, lézards, serpents. Cependant, dans la majorité des publications, il s’agissait de tortues. Ces animaux, le plus souvent de petite taille, sont perçus comme peu dangereux et sont donc plus susceptibles que d’autres reptiles d’être donnés à des enfants comme animal de compagnie 25. Les enfants peuvent les porter directement à la bouche pour jouer 55. Au début des années 1970, les tortues domestiques étaient ainsi tenues pour responsables de 18% des cas de salmonelloses d’enfants de 1 à 9 ans aux États-Unis 56 ; elles ont été interdites à la vente en 1975 57.
Dans les publications étudiées, un contact direct entre l’enfant et l’animal était rarement rapporté. La transmission de Salmonella se faisait le plus souvent de manière indirecte entre l’animal et l’enfant via les mains des parents ou l’environnement. Les reptiles excrètent les Salmonella dans le milieu extérieur à partir de leurs déjections. Du fait de la capacité de survie des Salmonella dans le milieu extérieur, l’environnement de l’animal (eau de l’aquarium, sable du terrarium) est contaminé et devient lui-même réservoir de Salmonella. Lors de l’élaboration de recommandations destinées aux propriétaires de reptiles, cette information serait à prendre en compte : une absence de contact avec l’animal ne suffit pas à éviter la transmission de Salmonella.
Aucun sérotype de Salmonella n’est spécifique aux seuls reptiles. Cependant, les sous-espèces II, IIIa, IIIb, et IV sont le plus souvent isolées chez les reptiles alors qu’elles sont rarement isolées chez les animaux à sang chaud. La sous-espèce I est plus fréquemment retrouvée chez les animaux à sang chaud, mais elle peut également être retrouvée en portage chez les reptiles 58. Les sérotypes de Salmonella impliqués dans les cas d’infections rapportés dans cette revue bibliographique étaient très variés, mais la majorité appartenait à la sous-espèce enterica (I). Chez un patient infecté par une Salmonella de sous-espèce I, on ne peut donc pas exclure une transmission par un reptile.
Dans 43 articles, des prélèvements environnementaux avaient été réalisés ; ils avaient permis d’isoler une Salmonella de même sérotype que la souche clinique dans 39 articles (91%). Dans certains cas, la souche clinique peut ne pas être retrouvée dans l’environnement, ce qui n’exclut pas pour autant le lien entre la survenue de l’infection chez l’enfant et le contact avec le reptile.
Le risque de transmission de Salmonella par les reptiles aux enfants est donc un risque clairement identifié dans la littérature. Une étude a été menée en France métropolitaine en 2012 afin de documenter de telles infections chez les jeunes enfants (voir l’article de M. Colomb-Cotinat et coll. dans le même numéro).