Les bases de données médico-administratives : un nouveau souffle pour la surveillance en santé publique ?

// Health administrative databases: a new breath for public health surveillance?

Denis A. Roy1 & Jean-Claude Desenclos2

1 Vice-président aux affaires scientifiques, Institut national de santé publique du Québec, Québec, Canada
2 Directeur scientifique adjoint, Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France

Ce numéro spécial du BEH vient marquer un pas important dans l’avancement des pratiques de surveillance en santé publique. En s’appuyant sur des travaux de pointe réalisés en France et au Québec dans deux contextes informationnels et socio-sanitaires distincts, ce recueil de textes établit une preuve de concept attendue, particulièrement opportune à ce moment-ci de l’évolution des méthodes et des métiers de la surveillance.

La première avancée a trait à la validité des banques de données médico-administratives (BDMA) à des fins de surveillance. Recueillies pour des fins de gestion et de paiement des prestations médicales, les données médico-administratives apportent-elles un éclairage adéquat et non-biaisé sur les objets de la surveillance ? Les analyses présentées soutiennent globalement une réponse affirmative. La couverture populationnelle des BDMA est quasi-exhaustive. Sans être parfaites, la sensibilité et la spécificité des indicateurs issus des BDMA satisfont, pour des phénomènes de santé bien choisis, les critères scientifiques en usage. Le chaînage des données permet de plus l’adoption d’une perspective longitudinale, qu’autrement seules les coûteuses analyses de cohortes peuvent permettre. L’appariement des BDMA avec d’autres bases, notamment les enquêtes ou les fichiers de données sociales et professionnelles, étendent d’autant plus la portée et la granularité des observations. Les analyses présentées suggèrent cependant que l’utilisation des BDMA pour la surveillance du cancer impose une approche rigoureuse faite d’étapes successives d’analyse, d’appariement et de validation dont la qualité dépend du site du cancer considéré. Dans ce champ, les registres du cancer constituent l’étalon et des travaux de validation des systèmes multi-sources en référence à ce dernier sont indispensables.

Une deuxième avancée importante réside dans la capacité des BDMA à apporter un éclairage inédit à la politique de santé. Divers exemples viennent confirmer leur contribution informationnelle en appui à la décision des politiques globales de santé. Plusieurs d’entre eux illustrent comment les BDMA procurent une assise empirique pouvant éclairer trois grandes finalités du système de santé : la santé, l’expérience de soins et l’optimisation des ressources consenties. C’est par la prise en compte simultanée et la mise en tension de ces trois finalités qu’on arrivera à accroître la valeur des politiques et programmes de santé. L’intégration d’informations complémentaires est dès lors essentielle, celles sur la santé et ses déterminants, celles sur le rapport des personnes avec le système de soins et celles relatives aux coûts. Les BDMA seules ou appariées entre elles sont en mesure d’éclairer chacune de ces dimensions.

La mise en place de nouveaux mécanismes et processus liant les acteurs de l’information aux acteurs de la décision constitue une troisième avancée, attendue et essentielle. Les échanges continus avec les décideurs, sur la base d’objectifs convenus avec eux, et de données probantes de qualité en lien direct avec l’action des systèmes de santé représentent un levier puissant et une condition nécessaire pour l’amélioration continue des pratiques. Les processus décrits dans ce numéro confirment que nous sommes en mesure d’engager les acteurs de la surveillance à faire évoluer leur pratique dans cette direction.

Mais pour réaliser le plein potentiel de ce rapprochement de la surveillance avec la prise de décision publique, il nous faudra encore mieux maîtriser les dimensions territoriales et socio-environnementales des analyses de la surveillance. Les facteurs liés aux populations, au temps et au milieu de vie sont les paramètres fondamentaux de l’épidémiologie. Les prochaines étapes du développement des outils de surveillance et de recherche issus des BDMA devront conjuguer ces trois grandes dimensions et mieux les documenter, en lien avec les contextes de la décision publique au palier régional et local. C’est ainsi que nous pourrons éclairer plus justement les acteurs de la scène régionale et locale, en appui à la décentralisation ou à la déconcentration de la décision publique.

Si les possibilités offertes par les BDMA sont prometteuses, leur exploitation est devenue un métier spécifique de l’épidémiologie, que ce soit dans une finalité de recherche, de surveillance, d’évaluation, de pharmaco-épidémiologie... Cette évolution, dont ce numéro du BEH atteste la légitimité et la pertinence, n’en correspond pas moins à un changement de paradigme dont il faut avoir conscience : « plutôt que collecter des données de novo en fonction des objectifs, la surveillance doit s’adapter aux données disponibles ». Les données que recèlent les BDMA sont certes exhaustives et riches, mais d’une grande complexité, et surtout ne se prêtent pas à l’usage épidémiologique sans de nombreux traitements et recodages. Elles ne sont pas collectées dans une finalité épidémiologique et sont tributaires, au-delà des phénomènes de santé qu’elles sont censées refléter, de nombreuses conditions liées, notamment, à la production et la gestion des soins. Leur utilisation en santé publique implique donc, outre des mécanismes transparents d’accès, un partage d’expérience à organiser et un investissement conjoint des organismes de surveillance et de recherche en santé publique. La validation des indicateurs épidémiologiques qui sont produits à partir des BDMA est donc essentielle. Et, malgré leur grande utilité, les BDMA ne permettront pas de répondre à tout dans le champ de la surveillance.

En concluant, il importe de rappeler que l’exhaustivité et la nature des informations contenues dans les BDMA leur donnent un caractère potentiellement identifiant vis-à-vis des citoyens. L’utilisation de ces immenses recueils de données individuelles pour des finalités collectives ne doit donc pas remettre en cause le droit des personnes en matière de vie privée. Un récent rapport français sur l’utilisation des BDMA remis à la Ministre des Affaires sociales et de la Santé 1 propose des principes fondamentaux pour leur utilisation large pour le bien public tout en insistant très justement sur le fait que « Sans confiance des citoyens dans la protection des données confidentielles, il ne peut exister de système d’information viable ». Dans la mesure où nos pratiques professionnelles et organisationnelles nous permettront de mériter cette confiance, les BDMA rendront possibles des avancées majeures dans notre domaine. Bonne lecture.

Référence

[1] Bras PL, Loth A. Rapport sur la gouvernance et l’utilisation des données de santé. Paris: Ministère de la Santé et des Affaires sociales;2013. 128 p. http://www.drees.sante.gouv.fr/rapport-sur-la-gouvernance-et-l-utilisation-des-donnees-de,11202.html

Citer cet article

Roy DA, Desenclos JC. Les bases de données médico-administratives : un nouveau souffle pour la surveillance en la santé publique ? Bull Epidémiol Hebd. 2013;(Hors-Série):2-3.