Prise en charge en détention des personnes diabétiques insulino-requérantes en France en 2012
// Insulin Therapy Management - an assessment of the treatment offered to prisoners in France in 2012
Résumé
Objectif –
Réaliser un état des lieux de la prise en charge des personnes diabétiques insulino-requérantes en détention en 2012 en France.
Méthodes –
De novembre à décembre 2012, un questionnaire a été envoyé aux unités sanitaires (US) des établissements pénitentiaires. Il visait à évaluer le nombre de patients traités par insuline, la disponibilité du matériel en cellule, les incidents secondaires à la mise en cellule et la prise en charge médicale proposée (suivi, éducation thérapeutique).
Résultats –
Au total, 54,8% des US interrogées ont répondu, représentant 55,5% de la population carcérale française au 1er décembre 2012. La prévalence observée du diabète insulino-requérant en détention était de 0,77%. Le matériel d’injection d’insuline était autorisé en cellule dans près de 88% des établissements et le matériel d’autocontrôle dans 90% des cas. Peu d’incidents (tentatives de suicide, détournement d’aiguilles …) ont été rapportés, et aucune agression.
Conclusion –
En 1999, dans plus de 60% des cas, le matériel de soin n’était pas autorisé en cellule ; les injections d’insuline étaient réalisées dans 90% des cas par les infirmiers, ce qui ne favorisait pas l’autonomie du patient vis-à-vis de sa maladie. En 2012, on note une amélioration de l’accès aux soins permettant de maintenir l'autonomie du patient, sans majoration du nombre d’incidents.
Abstract
Objectives –
To draw up an inventory of the management of patients treated by insulin in detention in 2012, in France.
Methods –
From November to December 2012, a questionnaire was sent out to French prison health units. It aimed to assess the number of patients receiving insulin therapy, the availability of material in cells, the impact of in-cell availability and the medical support proposed (follow-up, therapeutic education etc.).
Results –
In total 54.8% of health units replied, representing 55.5% of the total prison population in France on 1st December 2012. The observed prevalence of insulin-requiring diabetes was 0.77%. Equipment for insulin injections was allowed in about 88% of establishments and self-monitoring material in 90% of cases. Very few incidents (suicide attempts, needle diversion) and zero aggression were reported.
Conclusion –
In 1999, in more than 60% of cases, the necessary medical equipment was not allowed in cell and insulin injections were performed by nurses in 90% of cases, decreasing patients’ autonomy. In 2012, we noticed an improvement in the access to care, allowing to maintain patients’ autonomy with no increase in the number of related incidents.
Introduction
La prise en charge des patients diabétiques en milieu carcéral nécessite de prendre en compte non seulement les caractéristiques propres de la maladie, mais aussi celles de la détention 1. Certaines spécificités de cet environnement peuvent en effet avoir un impact direct sur l’équilibre de la maladie : le stress engendré par l’incarcération, les problèmes de disponibilité des traitements - selon les unités sanitaires (US), l’accès aux médicaments non inscrits au livret thérapeutique hospitalier de l’hôpital de référence est plus ou moins difficile 2 -, les difficultés d’accès au sport, aux douches, au régime diabétique prescrit, etc.
Contrairement au Royaume-Uni ou aux États-Unis 3,4, il n’existe pas en France de recommandations spécifiques concernant la prise en charge du diabète en milieu carcéral et l’accessibilité du matériel de soins en cellule. Il n’y a pas de données publiées en France, hormis une étude nationale menée en 1999 5 sur le diabète insulino-requérant en détention. Elle a mis en exergue une baisse de l’autonomie des diabétiques incarcérés, du fait de difficultés d’accès aux soins et de la restriction de fourniture en cellule du matériel de contrôle glycémique et d’injection d’insuline.
En 2012, un nouvel état des lieux national de cette prise en charge a été réalisé. Cette étude visait à estimer la prévalence du diabète insulino-requérant, l’accès aux soins, la disponibilité du matériel en cellule et les incidents éventuels ainsi que les propositions de suivi et d’éducation thérapeutique.
Matériel et méthode
L’étude a été menée de novembre à décembre 2012. Un questionnaire accompagné d’une lettre de présentation de l’étude ont été envoyés par courriel aux responsables de toutes les US de France métropolitaine. Le questionnaire a été construit sur le modèle de celui de 1999 5, complété de questions d’ordre plus général. Il comportait deux fiches (A et B), à compléter par le personnel soignant.
La fiche A recueillait des données générales à renseigner par toutes les US, indépendamment du nombre de patients pris en charge. Étaient décrits le nombre de personnes incarcérées et de diabétiques recevant une insulinothérapie, l’accessibilité en cellule au matériel d’autocontrôle et d’injection, les modalités de mise en cellule et de récupération des consommables, les propositions d’éducation thérapeutique, l’accès aux consultations spécialisées, les évènements indésirables en lien avec le matériel en cellule et le nombre d’extractions pour acidocétose ou hypoglycémie au cours des douze derniers mois.
La fiche B était une fiche-patient anonymisée renseignant sur l’âge des patients et leurs pratiques de l’autocontrôle et des injections d’insuline (nombre par jour, lieu et modalités de réalisation).
Les pourcentages ont été calculés par rapport aux répondants à chaque question et non pas aux répondants au questionnaire.
Résultats
Données générales
Au total, sur les 168 questionnaires envoyés, 92 US ont répondu, soit 54,8%. Au 1er décembre 2012, 67 674 personnes étaient détenues en France. L’étude a concerné 37 327 personnes incarcérées, soit 55,2% du total de la population carcérale. Le nombre de détenus par établissement variait de 31 à 3 852.
Parmi les 92 US ayant répondu, 65 (70,7%) prenaient en charge au moins un diabétique traité par insuline, le nombre maximum étant de 19 au sein d’un établissement pénitentiaire. Au total, 286 patients diabétiques traités par insuline ont été recensés, avec une moyenne d’âge de 47 ans [19-48]. Les données de la fiche B ont été recueillies pour 242 diabétiques, 8 des 65 US concernés n’ayant pas complété ce questionnaire. La prévalence observée du diabète insulino-requérant en milieu carcéral en France était de 0,77%.
Disponibilité du matériel en cellule et gestion du traitement
Parmi les 90 US ayant répondu, 81 (90%) autorisaient la présence en cellule du matériel de contrôle. Les contrôles glycémiques étaient réalisés dans 93% des cas par les patients eux-mêmes (225/242). Dans 73,5% des cas, les contrôles étaient réalisés 3 fois par jour ou plus (tableau 1).
Dans 79 établissements (87,8%), la présence du matériel d’injection était autorisée en cellule. Les injections d’insuline étaient pratiquées par 90,9% des patients (220/242). Pour 127 des 232 patients pour lesquels l’information était disponible (54,7%), le schéma comportait au moins 3 injections par jour.
La mise en cellule du matériel était effective après une période d’observation dans 2 cas sur 3 (n=45 ; 72 répondants), et dès l’arrivée en détention dans un tiers des US.
Au sein des établissements autorisant la présence du matériel en cellule, des récupérateurs Dasri (déchets d’activité de soins à risques infectieux) ou autres containers hermétiques étaient fournis dans 98,7% des cas (n=78 ; 79 répondants). Dans un établissement, les patients ramenaient les consommables directement à l’US. Le comptage des aiguilles était réalisé dans 8 US (10,1%).
Le tableau 2 rapporte les modalités d’information de l’administration pénitentiaire par les US avant la mise en cellule du matériel. Un tiers des US ne lui fournissaient pas d’information.
Incidents / Accidents
Au sein des établissements autorisant la mise à disposition en cellule du matériel d’autocontrôle et d’injection, 66 US n’ont rapporté aucun évènement indésirable au cours des douze derniers mois (78 répondants). Les évènements rapportés par les autres US étaient : 7 tentatives de suicide à l’insuline, 2 « chantages » à l’insuline (interruption du traitement pour faire lever les mesures de placement en quartier disciplinaire), 3 détournements d’aiguilles, 2 vols de lecteur glycémique et 1 trafic de sucrettes.
Complications ayant nécessité des extractions vers un centre hospitalier
En 2012, 36 extractions en urgence ont eu lieu : 15 pour acidocétoses et 21 pour hypoglycémies. Un seul et même patient était concerné par 5 extractions (4 acidocétoses et 1 hypoglycémie) ; de même, 10 des 21 extractions pour hypoglycémie ont été réalisées pour un unique patient.
Suivi médical et éducation thérapeutique
Des consultations spécialisées de diabétologie étaient organisées dans 19 US. L’éducation thérapeutique était réalisée dans 85 US (95,5% ; 89 répondants) lors d’entretiens individuels. Des séances de groupe de 5 à 10 patients étaient proposées dans 13 US (15,3% ; 85 répondants) et abordaient les thèmes suivants : le traitement et les complications, l’alimentation, la nutrition, l’hygiène et la surveillance des pieds, l’activité physique, la surcharge pondérale, la pratique de l’autocontrôle. L’animation des groupes était réalisée par les infirmiers, y associant selon les lieux : un endocrinologue, des associations de patients, l’Irsa (Institut inter-régional pour la santé), un pharmacien ou un diététicien.
Discussion
La prévalence observée des patients traités par insulinothérapie en 2012 était de 0,77%, quasiment le double de celle mesurée en 1999 (0,40%). Sa croissance s’est faite en parallèle de celle observée dans la population générale, évaluée à 0,94%, en extrapolant les résultats publiés en 2010 par l’Institut de veille sanitaire (InVS) 6. Cette augmentation en milieu pénitentiaire peut s’expliquer en partie par le vieillissement de la population carcérale, dont la moyenne d’âge est passée de 30,1 ans en 1980 à 34,4 ans en 2011 7, ainsi que par les facteurs favorisants, comme en population générale : modifications des habitudes alimentaires, augmentation de la sédentarité. Toutefois, elle reste inférieure à la prévalence en population générale. Cela peut s’expliquer par deux éléments : les caractéristiques de la population carcérale, globalement plus jeune que la population générale, et par une probable sous-estimation du nombre de diabétiques insulino-requérants dans ce public souvent précaire, ayant moins accès à la prévention et aux soins.
La consultation arrivant, prévue par les textes, joue un rôle décisif pour dépister et adapter la prise en charge de ces patients. Selon une étude réalisée à Lille en 2009, un dépistage systématique par réalisation d’une glycémie capillaire aux patients présentant un ou plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire pourrait être pertinent pour une prise en charge plus précoce limitant la morbi-mortalité de cette pathologie 8.
En 2012, près de 90% des établissements autorisaient la mise à disposition en cellule du matériel de contrôle glycémique et d’injection d’insuline, contre près de 40% en 1999. Le tableau 3 souligne cette augmentation, bénéfique pour l’autonomisation des patients (90% d’entre eux gèrent leur traitement seuls) et l’accès aux schémas thérapeutiques recommandés.
Dans 62,5% des cas, la mise en cellule se faisait en fonction de l’autonomie du patient et de son degré de compréhension. Les pratiques d’information de l’administration pénitentiaire à l'échelle nationale étaient hétérogènes. Le guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire conseille de remettre un certificat mentionnant les matériels médicaux nécessaires à la vie quotidienne du patient et incite à établir une convention pour permettre un accompagnement spécifique de la personne le temps de l’incarcération 9. Certains établissements (moins de 10%) n’autorisaient pas la mise à disposition du matériel en cellule, du fait d’un refus de l’administration pénitentiaire ou de réticences de l’équipe soignante. Cette mise à disposition peut être perçue par le personnel médical comme : « un échappement » du détenu à la surveillance médicale dont il se sent responsable » 1. D’autres éléments expliquent ces refus, comme la crainte des tentatives de suicide, d’une mauvaise observance du traitement, de l’utilisation des aiguilles pour l’injection de produits intraveineux, facteurs de transmission de maladies… Les résultats ne corroborent pas ces craintes. Le nombre d’extractions pour acidocétoses ou hypoglycémies reste faible, 34 en 1999 et 36 en 2012. Les autres incidents restent anecdotiques. Le patient diabétique traité par insuline connaît sa maladie, son traitement et par conséquent « sait provoquer des hyper- et hypoglycémies » 1 et ainsi des extractions médicales, que son traitement soit disponible en cellule ou non. Certains sont en effet capables, à proximité des soignants, d’injecter leur insuline dans leurs vêtements afin d’être extraits 10. Ceci souligne la nécessité d’une prise en charge globale pluridisciplinaire de ces patients, prenant en compte le diabète ainsi que les pathologies psychiatriques éventuelles associées, le milieu carcéral et le souhait d’extraction.
Le plan d’actions stratégiques 2010-2014 11 vise à développer l’éducation thérapeutique en milieu carcéral. Celle-ci est réalisée dans la majorité des US en séances individuelles, et en groupe dans 13 US, avec des associations de patients, des pharmaciens, des endocrinologues. La mise en place d’actions avec les services hospitaliers spécialisés est primordiale pour une prise en charge et une éducation optimale des patients, malgré les contraintes du milieu carcéral 12. Ces partenariats faciliteront l'autorisation des programmes d’éducation thérapeutique par les Agences régionales de santé.
Cette étude comporte des limites. Elle prend en compte les personnes insulino-requérantes et non l’ensemble des personnes diabétiques, ne permettant pas d’obtenir la prévalence du diabète en détention. Le taux de non-réponse s’explique en partie par le mode d’envoi des questionnaires (coordonnées non valides, responsable n’exerçant pas à l’US). Par ailleurs, certains médecins ont expliqué leur absence de réponse par un manque de temps. Le taux de réponses, bien qu'important (54,8%) dans ce contexte, n'autorise pas à considérer les résultats comme étant représentatifs de l’ensemble de la population carcérale. Notre étude apporte toutefois des pistes de réflexion sur un domaine de santé publique peu exploré. Afin d’homogénéiser et de faciliter la prise en charge de ces patients, il pourrait être pertinent d’élaborer des recommandations spécifiques sur la prise en charge matérielle de cette pathologie en détention, telles que celles proposées au Royaume-Uni et aux États-Unis. Ces recommandations concernant par exemple l’accessibilité au matériel en cellule, sa délivrance, l’accès au sport, au régime diabétique, à l’hygiène, viendraient compléter les recommandations thérapeutiques de la Haute Autorité de santé.