Enquête santé 2010 en Polynésie française : surveillance des facteurs de risque des maladies non transmissibles

// Health survey 2010 in French Polynesia: surveillance of risk factors for non-communicable diseases

Solène Bertrand1 (bertrand.solene@sante.gov.pf), Anne-Laure Berry2

1 Département des programmes de prévention, Direction de la santé, Tahiti, Polynésie française
2 Bureau de veille sanitaire, Direction de la santé, Tahiti, Polynésie française
Soumis le 08.01.2013 / Date of submission: 01.08.2013
Mots-clés : Maladies non transmissibles | Facteurs de risque | Surveillance | Prévalence | Polynésie française
Keywords: Non communicable diseases | Risk factors | Surveillance | Prevalence | French Polynesia

Résumé

Introduction -

L’objectif de cette étude était de décrire, au sein de la population résidant en Polynésie française, les facteurs de risque (tabagisme, consommation excessive d’alcool, alimentation déséquilibrée, manque d’activité physique) des maladies non transmissibles telles que l’obésité et l’hypertension artérielle.

Méthode -

Cette enquête transversale descriptive a été réalisée en 2010 selon le modèle STEPwise proposé par l’Organisation mondiale de la santé, auprès d’un échantillon représentatif de la population polynésienne de 3 469 personnes âgées de 18 à 64 ans, réparties sur l’ensemble des archipels. Les données sociodémographiques et comportementales des participants ont été recueillies par un questionnaire administré à leur domicile. Des mesures physiques (poids, taille, périmètre abdominal, pression artérielle) ont complété le recueil.

Résultats -

Les résultats de l’enquête permettent d’estimer la prévalence des facteurs de risque des maladies non transmissibles en Polynésie française : 41,0% de fumeurs, 40,4% de personnes obèses et 26,7% de personnes souffrant d’hypertension artérielle. La quantité d’alcool consommée en une seule occasion correspond en moyenne à 10,8 verres standards, et seuls 12,7% de la population consomment au moins cinq fruits et légumes par jour.

Conclusion -

Les résultats de cette enquête suggèrent que la Polynésie française comporte un nombre important de personnes à risque élevé de maladies non transmissibles. En conséquence, les programmes de prévention en place devraient être renforcés et une surveillance régulière des facteurs de risque de ces maladies devrait être mise en place par le biais d’enquêtes du même type répétées tous les dix ans.

Abstract

Introduction -

The objective of this investigation was to study the risk factors (smoking, excessive alcohol consumption, unbalanced diet, lack of physical activity) of non-communicable diseases such as obesity and hypertension, within the population living in French Polynesia.

Method -

This descriptive transversal survey was conducted in 2010 according to the STEPwise model proposed by the World Health Organization from a representative sample of the Polynesian population of 3,469 people, aged 18 to 64 years, and spread over all archipelagos. The socio-demographic and behavioral characteristics of participants were collected through a questionnaire administered at home. Physical measurements (weight, height, waist circumference, blood pressure) and biological measurements (blood sugar, cholesterol) completed the collection.

Results -

The results of the survey are used to estimate the prevalence of risk factors for non-communicable diseases in French Polynesia: 41.0% smoking, 40.4% obesity and 26.7% hypertension. The amount of alcohol consumed on one occasion corresponds to an average of 10.8 standard drinks and only 12.7% of the population consume at least five fruits and vegetables per day.

Conclusion -

The results of this study suggest that French Polynesia has a large number of individuals at high risk of non-communicable diseases. Prevention programs in place should be strengthened, partnerships between different actors optimized and regular monitoring of risk factors for these diseases should be implemented through the same type of survey repeated every ten years.

Introduction

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 63% des décès survenus à l’échelle mondiale en 2008 étaient dus à des maladies non transmissibles (MNT) telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète, les cancers et les affections respiratoires chroniques 1. Cependant, une grande proportion de ces maladies pourrait être évitée en réduisant leurs quatre principaux facteurs de risque : tabagisme, sédentarité, consommation nocive d’alcool et alimentation déséquilibrée. Des facteurs de risque associés à ces pathologies ont également été identifiés et doivent faire l’objet d’une attention particulière : la surcharge pondérale et l’obésité, l’hypertension artérielle (HTA), l’hyperglycémie et l’hypercholestérolémie. Avec la transition rapide des modes de vie et des pratiques alimentaires survenue ces dernières années en Polynésie française (Pf), nous assistons à un développement inquiétant des pathologies dites de surcharge et des affections liées au mode de vie.

La dernière enquête, réalisée en 1995 2, estimait la prévalence du surpoids dans la population à 71% environ (37% au stade d’obésité), celle du tabagisme à 36%, de la consommation excessive d’alcool à 30%, du diabète à 16% et de l’HTA à 17% (au sein de la population adulte). Par ailleurs, les maladies cardiovasculaires représentaient 26% de l’ensemble des causes de décès certifiés en Pf en 2005, et 10% des décès survenus sur la période 1994-1998 étaient liés au tabac (cancers broncho-pulmonaires, bronchites chroniques, cardiopathies ischémiques) 3.

Face à ces constats, de nombreuses actions ont été mises en œuvre depuis une dizaine d’années par le biais de programmes de santé publique locaux. Ainsi, en 1999, est né le programme « Vie saine et poids santé », qui vise à promouvoir des comportements alimentaires sains et la pratique régulière d’une activité physique. De même, un programme de lutte contre le tabac existe depuis 2003 et, récemment, le programme polynésien de lutte contre l’alcool et la toxicomanie a été élaboré. Cependant, la mise en place d’un système de surveillance des MNT s’avère aujourd’hui indispensable pour suivre l’évolution de ces pathologies et piloter les programmes de prévention associés. La Pf a choisi d’adopter la méthodologie STEPwise proposée par l’OMS pour actualiser ses données de prévalence et réaliser sa première étude ciblant les facteurs de risque des MNT 4.

L’objectif de cet article est de présenter les résultats obtenus concernant les facteurs de risque des MNT (tabac, alcool, consommation de fruits et légumes et niveau d’activité physique), ainsi que les prévalences de l’excès de poids, de l’obésité et de l’HTA au sein de la population polynésienne, en les mettant en perspective avec les dernières données de prévalence issues de l’enquête réalisée en 1995.

Matériel et méthodes

Échantillon

L’étude s’est déroulée du 16 août au 15 octobre 2010. Il s’agit d’une étude transversale portant sur un échantillon représentatif de la population polynésienne adulte de 3 660 personnes âgées de 18 à 64 ans et résidant depuis plus de six mois sur le territoire dans un logement d’habitation déjà existant au dernier recensement de la population (2007).

L’échantillonnage a été déterminé par l’OMS, par la méthode des grappes à deux niveaux et par stratification géographique. Trois strates ont été retenues : « Îles du vent », « Îles sous-le-vent » et « autres archipels » (composée des îles Marquises, Australes et Tuamotu-Gambier). Au sein de chaque strate, un tirage au sort d’une grappe de communes a été réalisé. Pour chaque commune, des districts et des logements ont été tirés au sort (20 logements par district, défini proportionnellement à la taille de la population). Ces logements étaient identifiés sur des cartes fournies par l’Institut de la statistique de Polynésie française. Une seule personne était interrogée par logement. Cette personne était sélectionnée en respectant les critères d’inclusion de l’enquête et en utilisant la méthode Kish 5.

Recueil des données

Le recueil des données a été effectué en deux temps :

  • des enquêteurs, recrutés localement, formés par une consultante de l’OMS, se sont rendus aux domiciles tirés au sort et ont administré en face-à-face, à la personne sélectionnée, un questionnaire standardisé élaboré par l’OMS. Le questionnaire bilingue (français/tahitien) portait sur des données sociodémographiques, comportementales (consommation de tabac, d’alcool, de cannabis, hygiène alimentaire, niveau d’activité physique) et sur les antécédents d’HTA et de diabète (données déclaratives).
    Des questions supplémentaires, propres au contexte polynésien, ont été ajoutées par le comité de travail de la Direction de la santé. Les données ont été saisies sur un Personnal digital assistant (PDA). Les enquêteurs avaient à leur disposition un imagier illustrant les quantités d’alcool, le tabac, les fruits et légumes, et des exemples d’activité physique pour faciliter l’administration du questionnaire.
    La taille, le poids et le périmètre abdominal ont été mesurés à domicile, avec du matériel standardisé (balance Seca® 813, toise portable Seca® 214 et ruban de mesure Seca® 203) ;
  • la personne interrogée était ensuite orientée vers le centre de santé de son lieu de résidence pour réaliser des mesures de la tension artérielle, de la glycémie et de la cholestérolémie. La tension artérielle était mesurée à trois reprises à l’aide de tensiomètres automatiques Omron® M6. Les chiffres recueillis pour la glycémie et la cholestérolémie ne sont pas présentés dans le présent article car jugés non fiables en raison d’un dysfonctionnement des appareils de mesure.

L’ensemble du matériel nécessaire au recueil des données (matériel médical et PDA) a été mis à disposition par l’OMS.

Les définitions suivantes ont été utilisées ; elles ont été établies par l’OMS pour l’analyse des données des enquêtes STEPwise :

Alcool

  • 1 verre = 10 g d’alcool pur
  • Norme OMS : 4 verres pour les hommes / 3 verres pour les femmes
  • Usage régulier : entre 1 à 4 jours/semaine et 5 à 6 jours/semaine
  • Usage occasionnel : entre 1 à 3 jours/mois et moins d’une fois/mois

Fruits et légumes

  • 1 portion = 60 g de fruits ou légumes
  • Une consommation suffisante de fruits et légumes correspond à 5 portions de fruits ou légumes par jour

Activité physique

L’activité physique est estimée à l’aide d’un indicateur continu, tel que les équivalents métaboliques MET-minutes par semaine ou le temps consacré aux activités physiques. Les MET, couramment employés pour exprimer l’intensité des activités physiques, ont été utilisés pour analyser les données recueillies.

Les trois niveaux d’activité physique proposés pour classer les populations sont :

  • élevé : activité physique intense au moins 3 jours par semaine entraînant une dépense énergétique d’au moins 1 500 MET-minutes/semaine OU activité physique modérée ou intense au moins 7 jours par semaine entraînant un minimum de 3 000 MET-minutes par semaine ;
  • moyen : au moins 20 minutes d’activité physique intense par jour pendant 3 jours ou plus par semaine OU au moins 30 minutes d’activité physique modérée ou de marche à pied par jour pendant 5 jours ou plus par semaine OU au moins 5 jours de marche à pied et d’activité physique modérée ou intense, entraînant un minimum de 600 MET-minutes par semaine ;
  • limité : sont classées dans cette catégorie les personnes qui ne correspondent à aucun des critères mentionnés ci-dessus.

HTA

La pression artérielle a été mesurée sur le bras gauche à trois reprises, espacées d’au moins 3 minutes et après un temps de repos de 15 minutes. L’HTA est définie par une pression artérielle systolique ≥140 mm Hg et/ou une pression artérielle diastolique ≥90 mm Hg ou par la prise actuelle d’un traitement médical pour tension artérielle élevée (donnée recueillie par la question suivante : « Recevez-vous actuellement un traitement prescrit par un professionnel de santé pour une tension artérielle élevée ? »).

Corpulence

La corpulence a été déterminée à l’aide de l’indice de masse corporelle (IMC), calculé selon la formule : poids (en kg) divisé par taille (en m) au carré. Les mesures ont été réalisées pieds nus et tête nue. Les intervalles utilisés sont les suivants :

  • Maigreur : IMC<18,5 kg/m2
  • Corpulence normale : IMC=[18,5-25,0[
  • Excès de poids : IMC=[25,0-30,0[
  • Obésité : IMC>30,0 kg/m2

Obésité abdominale

L’obésité abdominale est évaluée à partir du périmètre abdominal, mesure prise à mi-distance entre la base inférieure de la dernière côte et la crête iliaque. Selon les seuils de l’OMS, l’obésité abdominale est atteinte à partir de 102 cm chez l’homme et 88 cm chez la femme.

Facteurs de risque combinés

D’après l’OMS, huit facteurs de risque favorisent la survenue de la majorité des MNT : tabac, alcool, nutrition, inactivité physique, obésité, tension artérielle/glycémie/lipidémie élevées. La combinaison de ces risques (trois ou plus) constitue un risque élevé de survenue de MNT pour une population.

Analyses statistiques

Toutes les données recueillies à domicile et dans les centres de santé ont été saisies puis concaténées à partir d’un numéro d’identifiant. La base de données anonymisée a ensuite été envoyée à l’OMS pour analyse statistique descriptive. Le logiciel Epi Info® version 3.5.3. (2011) a été utilisé pour réaliser des analyses statistiques complémentaires.

À l’exception des données sociodémographiques, l’ensemble des résultats a été pondéré selon la probabilité de chaque participant d’avoir été tiré au sort (probabilité à chaque degré de sélection), puis standardisé sur l’âge et le sexe selon la structure de la population au dernier recensement (2007).

Des tests du Chi2 ou des analyses de variance ont été réalisés sur Epi Info® version 6.04d et version 3.5.3, avec un risque d’erreur alpha égal à 5%.

Résultats

Au total, 3 469 personnes ont été incluses dans l’enquête (1 508 hommes et 1 961 femmes), soit un taux de réponse de 94,8%.

Consommation de tabac

Parmi les personnes interrogées, 41,0% déclarent fumer actuellement, et 34,1% quotidiennement. Les femmes fument significativement plus que les hommes (43,6% versus 38,5%), et les jeunes (18-24 ans) plus que leurs aînés (tableau 1). Parmi les 1 353 fumeurs interrogés, 67,8% souhaitent arrêter de fumer.

Consommation d’alcool

66,8% des personnes interrogées déclarent avoir consommé de l’alcool au cours des 12 derniers mois. Parmi elles, la répartition selon la fréquence de consommation montre : 4,1% de consommateurs quotidiens, 22,9% de consommateurs réguliers et 73,0% de consommateurs occasionnels (tableau 1).

La quantité moyenne d’alcool consommée par occasion au cours des 30 derniers jours est de 10,8 verres standards, soit 110 grammes d’alcool. Elle est plus élevée chez les hommes que chez les femmes (12,2 verres versus 8,7 verres par occasion, p<0,05). Quel que soit le sexe, la quantité moyenne d’alcool consommé par occasion diminue avec l’âge (p<0,05).

Tableau 1 : Prévalence du tabagisme et de la consommation d’alcool par tranche d’âge. Enquête santé 2010, Polynésie française
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Consommation de fruits et légumes

Les personnes interrogées consomment en moyenne 2,6 portions de fruits et légumes par jour (1,1 portion de fruits et 1,5 portion de légumes). Seuls 12,7% de la population consomment au moins 5 portions de fruits et légumes par jour, et il n’y a pas de différence de consommation entre les hommes et les femmes (tableau 2).

Dans 34,5% des cas, les répondants considèrent que leur consommation en fruits est suffisante. Les principaux freins à la consommation sont le prix (26,3%) et les difficultés d’approvisionnement (19,2%).

En ce qui concerne la consommation de légumes, 46,6% de la population estiment en consommer suffisamment. Le prix et les difficultés d’approvisionnement sont également les principales causes de non-consommation citées.

La crainte de la présence de pesticides dans les légumes n’est soulevée que par 2,9% des personnes, et dans les fruits, par 1,5%.

Activité physique

58,9% de la population interrogée ont un niveau élevé d’activité physique, et 21,6% ont un niveau jugé limité (tableau 2). Les femmes sont significativement moins actives que les hommes (27,4% des femmes ont un niveau d’activité physique limité versus 16,1% des hommes, p<0,05). Les principales raisons citées concernant cette faible pratique de l’activité physique sont, par ordre d’importance : le manque de temps (34,7%), le fait que le niveau d’activité physique soit jugé suffisant (28,1%), le manque de motivation (19,9%), la contrainte médicale (7,1%).

Tableau 2 : Consommation de fruits et légumes et activité physique totale. Enquête santé 2010, Polynésie française
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Indice de masse corporelle

L’IMC moyen de la population est de 29,3 kg/m2, sans différence significative entre les hommes et les femmes. La prévalence de l’excès de poids est de 69,9% et celle de l’obésité de 40,4%. Seuls 28,7% des individus évalués présentent des valeurs d’IMC correspondant à une corpulence normale (figure 1).

Figure 1 : Indice de masse corporelle selon le sexe. Enquête santé 2010, Polynésie française
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Périmètre abdominal

Le tour de taille moyen mesuré est de 97,7 cm chez les hommes et 93,9 cm chez les femmes. 37,0% des hommes souffrent d’obésité abdominale contre 62,2% des femmes. Au total, 49,2% de la population présentent une obésité abdominale.

Antécédents connus d’HTA et mesure de la pression artérielle

10,0% des personnes interrogées ont déclaré souffrir d’HTA. Cependant, la mesure de la pression artérielle réalisée lors de cette étude met en évidence l’existence d’une HTA chez 26,7% de la population. Cette HTA concerne davantage les hommes que les femmes (31,1% versus 22,2%), et elle augmente significativement avec l’âge (8,9% des 18-24 ans, 23,8% des 25-44 ans et 49,5% des 45-65 ans, p<0,05). Par ailleurs, 74,2% des personnes hypertendues ne sont pas traitées.

Antécédents connus de diabète

74,9% des personnes interrogées déclarent avoir déjà bénéficié d’une mesure de la glycémie par un professionnel de santé ; 10,0% déclarent être diabétiques (5,8% chez les 18-24 ans ; 6,9% chez les 25-44 ans et 18,9% chez les 45-64 ans). Deux tiers des diabétiques connus (68,3%) déclarent prendre un traitement antidiabétique (par voie orale pour 60,3% et par insuline pour 20,0%).

Facteurs de risque combinés

45,0% de la population a un risque majoré de MNT (combinaison d’au moins 3 facteurs de risque) ; ils sont 58,8% chez les 45-64 ans et 39,9% chez les 18-44 ans. Seulement 1,7% de la population ne présente aucun facteur de risque (figure 2).

Figure 2 : Présence d’un risque majoré de maladie non transmissible (au moins 3 facteurs de risque associés) par tranche d’âge et par sexe. Enquête santé 2010, Polynésie française
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Discussion

La méthodologie standardisée mise en œuvre dans cette étude ayant pour objectif de permettre des comparaisons entre les pays, le protocole créé et validé par l’OMS a été appliqué rigoureusement et l’analyse des données a été faite par l’équipe STEPS de l’OMS basée à Genève. D’importantes mesures ont été mises en place dans le cadre de cette enquête afin de garantir la fiabilité des résultats. En effet, les enquêteurs, tous bilingues français/tahitien, ont été formés par un représentant de l’OMS, et le questionnaire a été traduit en tahitien. Les structures de santé publique, des infirmiers libéraux et les référents santé des communes, ont été mobilisés pour garantir le bon déroulement de l’enquête. Une campagne d’information via les médias et des affichages dans les communes sélectionnées ont été mis en place de façon à informer la population et favoriser ainsi un taux de participation élevé.

La prévalence du diabète n’a pu être estimée que sur la base des données déclaratives, car les données biologiques recueillies n’étaient pas exploitables ; de la même façon, les données sur la cholestérolémie ne sont pas disponibles (défaillance du matériel).

La prévalence du tabagisme a augmenté depuis 1995, passant de 36,2% à 41,0% en 2010. La prévalence du tabagisme féminin est passée de 36,5% en 1995 à 43,6% en 2010. Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’une étude réalisée en 2009 montre que les jeunes fument de plus en plus tôt 6.

Bien que le niveau de consommation d’alcool en Pf se situe à un niveau moyen par rapport au reste du monde, il se distingue par son caractère toxicomaniaque 7. Il s’agit en effet de phénomènes d’alcoolisation massive, comme en témoigne la consommation moyenne par occasion relevée dans cette étude (10,8 verres standards). La précédente enquête sur l’alcoolisme en Pf, réalisée en 2006 7, s’était attachée aux perceptions de la consommation d’alcool par la population polynésienne. Une consommation de 20 à 30 verres standards en une même occasion étant qualifiée de consommation « normale », tandis qu’un abus d’alcool était défini par la consommation d’une caisse de bière (24 canettes de 33 cl). Face à de telles représentations, les leviers disponibles pour promouvoir une consommation plus raisonnable semblent être la famille et la religion. Il apparaît ainsi nécessaire de renforcer en ce sens les actions du « Programme polynésien de lutte contre l’alcool et la toxicomanie » élaboré en 2009.

Concernant les habitudes alimentaires, la population polynésienne est loin de suivre les recommandations internationales de cinq fruits et légumes par jour. Près de la moitié des personnes interrogées pense que sa consommation de fruits et légumes est suffisante ; il semble donc primordial de communiquer à la population des repères de consommation. Une précédente étude socio-anthropologique sur les pratiques alimentaires en Pf a mis en évidence que les féculents (riz, pain, taro, etc.) arrivent en première place des aliments considérés comme essentiels par la population 8. Il faut cependant noter que le contexte géographique du territoire (119 îles réparties sur une surface grande comme l’Europe) rend parfois l’accessibilité aux fruits et légumes difficile, notamment sur les atolls des Tuamotu, où les conditions géologiques ne permettent pas de développer des productions maraîchères. Par ailleurs, en dépit de certains dispositifs fiscaux destinés à rendre les fruits et légumes plus abordables (exonération de TVA, marge réglementée), ces denrées restent à un prix élevé (notamment en comparaison avec le riz). Le programme « Vie saine et poids santé » encourage la création de potagers familiaux et le retour à l’autoconsommation afin de pallier à ces difficultés.

Les prévalences de l’obésité et du surpoids sont stables depuis 1995, bien que demeurant élevées pour les deux sexes. La méthodologie d’enquête standardisée utilisée pour cette étude a pour objectif de permettre des comparaisons plus efficaces entre les différents pays de la zone Pacifique, qui doivent faire face aux mêmes enjeux sanitaires. Avec 40% de sa population atteinte d’obésité, la Pf se situe en dessous de la moyenne régionale (Vanuatu : 18,8% ; Nauru : 58,1% ; Îles Cook : 61,4% ; Samoa américaines : 74,6% d’obèses 9), mais cependant bien au-dessus des 17% d’obèses relevés en France métropolitaine dans l’étude ENNS 2006-2007.

La proportion importante (58,9%) de personnes pratiquant une activité physique élevée correspond au constat des professionnels de santé qui notent une augmentation du nombre d’individus qui « bougent ». Ceci est en partie dû à l’installation récente de quelques zones propices à la pratique et accessibles à tous (parcs, stades et chemins aménagés). Cependant, ces initiatives restent marginales et doivent être renforcées puisque le niveau d’activité physique moyen au sein de la population demeure insuffisant, surtout chez les femmes.

Le niveau élevé de la prévalence de l’HTA (26,7%) est particulièrement inquiétant (cette prévalence était estimée à 17,9% en 1995). La méconnaissance de la maladie génère un retard dans sa prise en charge thérapeutique, qui semble d’ailleurs peu efficace lorsqu’elle existe puisqu'une partie des personnes qui déclarent prendre un traitement contre l’hypertension artérielle avait des chiffres tensionnels élevés lors de la mesure. La combinaison de mesures hygiéno-diététiques, couplées à une prise en charge médicale et un traitement médicamenteux bien conduit, est la clé d’une amélioration réelle et durable des chiffres tensionnels. Dans ce cadre, une campagne d’information sur les dangers d’une consommation excessive de sel a été lancée en octobre 2012 par la Direction de la santé de Polynésie française.

Au final, et sur l’ensemble des facteurs de risque, l’enquête montre que près de la moitié de la population (45,0%) présente un risque majeur de développer une MNT.

Conclusion

Les résultats obtenus grâce à cette enquête ont permis d’actualiser les données existantes concernant les MNT (qui dataient de 1995) afin d’adapter au mieux les stratégies de prévention et de mettre en place un système de surveillance de ces pathologies.

Avec 45% des Polynésiens présentant un risque majoré de MNT, l’impact sur les coûts de santé prévisibles sera considérable pour la prise en charge de ces personnes. Les facteurs de risque modifiables tels que le tabagisme, la consommation nocive d’alcool, la sédentarité et une consommation insuffisante de fruits et légumes, associés à une tension artérielle élevée et un diabète, constituent autant d’enjeux de santé publique à prévenir, modifier et prendre en charge, afin de réduire la morbidité et la mortalité liées à ces pathologies.

La mise en place d’un comité plurisectoriel chargé de la prévention primaire et de la lutte contre les facteurs de risque des MNT est préconisée. La surveillance des MNT en Polynésie française doit être renforcée et intégrée dans le système d’information sanitaire national existant.

L’accompagnement des individus vers un mode de vie sain constitue un enjeu de société essentiel, qui requiert des mesures politiques courageuses et responsables, même si elles sont parfois impopulaires, car il en va de l’avenir de la santé de la population dans son ensemble.

Références

[1] Rapport sur la situation mondiale des maladies non transmissibles 2010. Résumé d’orientation. Genève : Organisation mondiale de la santé; 2010. 20 p. http://www.who.int/nmh/publications/ncd_report2010/fr/
[2] Enquête sur les maladies non transmissibles en Polynésie française, septembre-novembre 1995. Papeete : Direction de la santé. Bulletin d’informations sanitaires, épidémiologiques et statistiques. 1997, n° 4.
[3] La santé observée en Polynésie française. Papeete : Direction de la santé; 2002.
[4] Bonita R, de Courten M, Dwyer T, Jamrozik K, Winkelmann R. Surveillance of risk factors for noncommunicable diseases: The WHO STEPwise approach. Summary. Geneva: World Health Organization; 2001. 11 p.
[5] Le Manuel de surveillance STEPS de l’OMS : L’approche STEPwise de l’OMS pour la surveillance des facteurs de risque des maladies chroniques. Méthode Kish. Partie 2-2-18. Genève : Organisation mondiale de la santé; 2005.
[6] Beck F, Brugiroux MF, Cerf N (dir.). Les conduites addictives des adolescents polynésiens. Enquête Ecaap 2009. Saint-Denis : Institut national de prévention et d’éducation pour la santé ; 2010. 200 p. http://www.inpes.sante.fr/CFESBases/catalogue/detaildoc.asp?numfiche=1341
[7] Étude sur l’alcoolisme en Polynésie française. Papeete : Direction de la santé ; 2006. 91 p.
[8] Mou Y, Cerf N, Beck F. Alimentation et corpulence en Polynésie française, Bull Épidémiol Hebd. 2009;(48-49-50):515-20. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=909
Le rapport complet de l’étude est disponible sur le site de l’OMS : http://www.who.int/chp/steps/french_polynesia/en/index.html

Citer cet article

Bertrand S, Berry AL. Enquête santé 2010 en Polynésie française : surveillance des facteurs de risque des maladies non transmissibles. Bull Épidémiol Hebd. 2013;(28-29):326-32.