Comportements sexuels des personnes vivant avec le VIH en France en 2011 : premiers résultats de l’enquête ANRS-Vespa2

// Sexual behaviours of people living with HIV in France in 2011: first results of the ANRS-VESPA2 study

Nicolas Lorente (nicolas.lorente@inserm.fr)1,2,3, Baptiste Demoulin1,2,3, Fabienne Marcellin1,2,3, Rosemary Dray-Spira4,5, Bruno Spire1,2,3,6 et le groupe Vespa2

1 Inserm, UMR912 (Sesstim), Marseille, France
2 Aix-Marseille Université, UMR_S912, IRD, Marseille, France
3 ORS Paca - Observatoire régional de la santé Provence-Alpes-Côte d'Azur, Marseille, France
4 Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, Inserm, U1018, Villejuif, France
5 Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, UMRS 1018, Villejuif, France
6 Aides, Pantin, France
Soumis le 15.04.2013 / Date of submission: 04.15.2013
Mots-clés : Personnes vivant avec le VIH | Comportements sexuels | Risque de transmission | Utilisation du préservatif | Hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes
Keywords: People living with HIV | Sexual behaviours | Risk of transmission | Condom use | Men who have sex with men

Résumé

L’objectif de cet article est de caractériser les comportements sexuels des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) en France en 2011, et en particulier d’évaluer la fréquence des comportements à risque de transmission du VIH.

Les données ont été collectées au cours d’entretiens en face-à-face dans le cadre de l’enquête ANRS-Vespa2 (VIH : Enquête sur les personnes atteintes) auprès d’un échantillon représentatif des PVVIH suivies à l’hôpital en France.

En 2011, 71% des PVVIH se déclarent sexuellement actives : 62,5% ont un partenaire principal, 32,5% au moins un partenaire occasionnel (au cours des 12 derniers mois). L’utilisation non-systématique du préservatif est significativement plus fréquente chez les femmes que chez les hommes, et plus fréquente dans les couples séroconcordants que dans les couples sérodiscordants : 76,4% versus 36,1% chez les femmes (p<0,0001) ; 54,7% versus 21,2% (p<0,0001) chez les hommes (hors hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes, HSH) ; et 46,4% versus 21,2% (p<0,0001) chez les HSH. Sur l’ensemble des PVVIH, 8,2% sont à risque de transmission du VIH du point de vue biomédical et rapportent au moins une pénétration non protégée dans l’année. L’utilisation du préservatif ne diffère pas entre ces PVVIH « à risque » et les autres.

Abstract

The objective of this article is to characterize sexual behaviours of people living with HIV (PLWH) in France, and particularly to assess the frequency of behaviours at risk of HIV-transmission.

Data were collected through face-to-face interviews during the ANRS-VESPA2 study in a representative sample of PLWH followed at hospital in France.

In 2011, 71% of PLWH reported to be sexually active: 62.5% had a steady partner, 32.5% had at least one casual partner (during the previous 12 months). Inconsistent condom use was significantly more frequent among women than among men, and more frequent in seroconcordant couples than in serodiscordant couples: 76.4% versus 36.1% among women (p<0.0001); 54.7% versus 21.2% (p<0.0001) among men (except men who have sex with men, MSM); and 46.4% versus 21.2% (p<0.0001) among MSM. Overall, 8.2% of PLWH were at-risk to transmit HIV according to the biomedical criteria and reported at least one unprotected intercourse within the previous year. Condom use did not differ between PLWH having the transmission biomedical criteria and those who had not.

Introduction

Les progrès thérapeutiques ont permis d’améliorer considérablement l’état de santé des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) 1 et ont également montré une certaine efficacité préventive du traitement vis-à-vis de la transmission sexuelle du VIH) 2,3. Bien que cette information n’ait pas circulé largement - beaucoup de PVVIH n’en ayant jamais entendu parler 4 - le débat s’est depuis cristallisé autour de la question du risque de transmission, du point de vue biomédical mais aussi comportemental avec la crainte d’une désinhibition des comportements préventifs, qui se traduirait par une augmentation des pratiques sexuelles à risque de transmission.

L’objectif de cet article est de décrire les principales caractéristiques des comportements sexuels des PVVIH en France en 2011 et d’évaluer la fréquence des comportements à risque de transmission du VIH, en fonction du genre, dans les groupes socio-épidémiologiques suivants : les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), les usagers de drogues par injection (UDI), les immigrés nés en Afrique subsaharienne et enfin les femmes et les hommes n’appartenant à aucun des groupes précités. Les données présentées reposent sur l’enquête ANRS-Vespa2 (VIH : Enquête sur les personnes atteintes).

Méthodes

Le module sexualité a été redéfini et développé par rapport à celui de la première enquête Vespa effectuée en 2003 5 et tenait une place plus importante dans le questionnaire administré en face-à-face dans Vespa2. Il a permis de recueillir des informations sur les pratiques sexuelles des PVVIH, l’utilisation du préservatif, le statut sérologique ainsi que son dévoilement, et les difficultés sur le plan de la prévention ou de la sexualité. Dans cet article, seules les variables liées au traitement antirétroviral et à la charge virale sont issues du questionnaire médical (voir le focus « Méthodologie générale de l’enquête ANRS-Vespa2 » dans ce même numéro), toutes les autres proviennent des réponses au questionnaire en face-à- face.

Le risque biomédical de transmission du VIH a été estimé à partir des critères retenus par la déclaration des experts suisses de 2008 6 : les PVVIH sous traitement, présentant une charge virale (CV) indétectable depuis au moins 12 mois et ne présentant aucune autre infection sexuellement transmissible (IST : syphilis, lymphogranulomatose vénérienne, gonorrhées, condylomes, autre) sur la même période, ont été considérées comme étant à faible risque de transmission du VIH. Les PVVIH ne répondant pas à ces critères ont été considérées comme étant à risque élevé de transmission du VIH du point de vue biomédical. Pour cette variable, 98 individus ont été exclus, car ils avaient été diagnostiqués depuis moins de 1 an, et 286 ont été exclus, car la date de la dernière CV détectable n’était pas renseignée.

Dans cet article, les couples stables correspondent aux individus ayant déclaré avoir un partenaire principal au moment de l’enquête. Les analyses descriptives concernant l’utilisation du préservatif dans les rapports avec pénétration tiennent compte du statut sérologique du partenaire principal (et/ou du dernier partenaire occasionnel lorsque les effectifs étaient suffisants). Si le statut sérologique est inconnu d’ego et/ou de son partenaire, ou si la donnée est manquante, le partenaire est considéré comme non-séropositif. La variable sur la connaissance de la séropositivité d’ego par son partenaire présentait entre 2,4% et 7,4% de données manquantes qui ont été exclues des analyses.

Les résultats présentés sont pondérés et redressés, fournissant ainsi des estimations extrapolables à l’ensemble des PVVIH diagnostiquées depuis au moins 6 mois et suivies à l’hôpital en France en 2011.

Résultats

Activité sexuelle et risque de transmission du VIH (tableau 1)

Parmi les 3 022 répondants de l’enquête Vespa2, 71% déclarent avoir eu une activité sexuelle au cours des 12 derniers mois. Les HSH sont les plus sexuellement actifs (79,2%) et les femmes sont moins sexuellement actives (de 58,6% à 64,6% selon le groupe) que les hommes non-HSH (de 68% à 74,9%). Parmi les PVVIH sexuellement inactives au moment de l’étude (29%), le dernier rapport sexuel date de 4,3 ans en médiane.

Deux PVVIH sur cinq (62,5%) sont en couple stable au moment de l’enquête et, parmi les HSH en couple stable, 86,9% sont en couple avec un homme, 11,6% avec une femme et 1,5% avec un homme et avec une femme simultanément. Par ailleurs, une personne sur trois (32,5%) déclare avoir eu au moins un partenaire occasionnel au cours des 12 derniers mois, avec une différence marquée entre les HSH (59,2%) et les autres groupes socio-épidémiologiques (de 10,8% à 28,9%). Parmi les HSH déclarant au moins un partenaire occasionnel dans l’année, 93,2% n’ont eu que des partenaires occasionnels masculins, 2,9% uniquement des partenaires occasionnelles féminines et 3,9% ont eu les deux. Dans la suite de l’article, pour les HSH ayant déclaré des partenaires des deux sexes (i.e. les HSH en couple avec un homme et avec une femme, et/ou ayant des partenaires occasionnels des deux sexes), seules les informations concernant le partenaire masculin seront retenues.

Risque biomédical de transmission du VIH et comportements sexuels à risque

Sur l’ensemble des PVVIH, 6,2% déclarent avoir eu au moins une IST au cours des 12 derniers mois. Les HSH sont plus souvent dans ce cas (10,7%) que les autres groupes socio-épidémiologiques (1,9% à 5,5%). La majorité (61,7%) est sous traitement avec une CV indétectable depuis plus de 12 mois. Ainsi, au total, 41,7% des PVVIH sont à risque élevé de transmission du VIH du point de vue biomédical et 58,3% sont à risque faible. La proportion d’individus déclarant au moins une pénétration non protégée au cours des 12 derniers mois (quel que soit le type de partenaire) ne diffère pas entre ces deux groupes, que ce soit globalement (19,8% chez les PVVIH à risque élevé, 20,8% chez les PVVIH à risque faible, p=0,59) ou au sein de chaque groupe socio-épidémiologique (valeurs de p comprises entre 0,14 et 0,59).

Globalement, 8,2% des PVVIH ont déclaré au moins une pénétration non protégée dans les 12 derniers mois tout en étant à risque élevé de transmission, avec une différence marquée entre les hommes immigrés d’Afrique subsaharienne (12%) et les autres groupes (de 3,9% à 9,4%).

Tableau 1 : Description des principales variables liées à la sexualité des personnes vivant avec le VIH en France en 2011 (n=3 022, % pondérés). Enquête ANRS-Vespa2
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Couples stables

Les couples stables durent depuis 9,3 ans en médiane, et plus de 6 sur 10 cohabitent (64,5%). Parmi les couples formés il y a plus de 12 mois, un sur 6 (16,3%) n’a pas eu de rapports sexuels au cours des 12 derniers mois. Les HSH déclarent plus souvent avoir eu au moins un partenaire extraconjugal au cours des 12 derniers mois (54,4%, contre 5,7% à 17,4% dans les autres groupes), avec en médiane 5 [intervalle interquartile 2-15] partenaires extraconjugaux dans les 12 derniers mois contre 2 [1-3] chez les non-HSH. La moyenne de partenaires extraconjugaux est anormalement élevée chez les femmes UDI (149) en raison d’une observation atypique : une femme UDI se déclarant travailleuse du sexe et rapportant 1 600 partenaires au cours des 12 derniers mois (tableau 1).

Au moment de l’enquête, la séropositivité d’ego est connue du partenaire principal dans 89,7% des couples ; elle est moins souvent connue chez les femmes et les hommes immigrés originaires d’Afrique subsaharienne (respectivement 79,2% et 87,8%) que dans les autres groupes (de 91,2% à 94,5%). Au début de la relation, 55,7% des PVVIH étaient déjà séropositives et 14,3% d’entre elles ne l’ont toujours pas révélée à ce partenaire au moment de l’enquête. Parmi les 44,3% de PVVIH qui n’étaient pas séropositives au début de la relation actuelle, seulement 5% n’ont pas révélé leur séropositivité à leur partenaire (tableau 1).

Les couples sérodiscordants sont majoritaires (72,2%), avec de grandes disparités entre les groupes : de 55,9% chez les immigrés originaires d’Afrique subsaharienne à plus de 80% chez les UDI et les hommes « autres » (tableau 1).

Utilisation du préservatif dans les couples stables

Dans les couples hétérosexuels formés il y a plus de 12 mois et sexuellement actifs sur cette période (84,8%, sans différence intergroupes), l’utilisation non systématique du préservatif lors de la pénétration vaginale et/ou anale dans les 12 derniers mois est rapportée plus fréquemment par les femmes que par les hommes (46,5% versus 29,5%, p<0,0001), et plus fréquemment dans les couples séroconcordants que dans les couples sérodiscordants (femmes : 76,4% versus 36,1%, hommes : 54,7% versus 21,2%, tableau 2).

Tableau 2 : Utilisation du préservatif avec le partenaire principal au cours des 12 derniers mois - hors hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (n=816 ; % pondérés). Enquête ANRS-Vespa2, France, 2011
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Dans les couples HSH formés il y a plus de 12 mois et sexuellement actifs sur cette période (81,6%), la tendance est identique (tableau 3) : l’utilisation non systématique du préservatif lors de la pénétration anale (active et/ou passive) est significativement plus fréquente dans les couples séroconcordants que dans les couples sérodiscordants (46,4% versus 20,7%). Néanmoins, 16,7% des HSH n’ont pas pratiqué la pénétration anale avec leur partenaire principal au cours des 12 derniers mois, alors que la sexualité sans pénétration est beaucoup plus rare dans les couples hétérosexuels (tableau 2). En conséquence, l’utilisation non systématique du préservatif, parmi les HSH qui ont pratiqué la pénétration anale, s’élève à 58,9% dans les couples sérocondordants contre 24% dans les couples sérodiscordants. L’utilisation non systématique du préservatif parmi les femmes et les hommes qui ont pratiqué la pénétration vaginale et/ou anale s’élève respectivement à 79,5% et 56,4% dans les couples séroconcordants contre 37,6% et 21,7% dans les couples sérodiscordants.

Tableau 3 : Utilisation du préservatif avec le partenaire principal masculin (12 derniers mois) et avec le dernier partenaire occasionnel masculin chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (% pondérés). Enquête ANRS-Vespa2, France, 2011
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Partenaires occasionnels

Parmi les PVVIH ayant eu au moins un partenaire occasionnel au cours des 12 derniers mois, les HSH en déclarent 6 [3-20] en médiane, contre 1 [1-1] à 2 [1-6] dans les autres groupes. Ils déclarent également plus de rapports sexuels avec ces partenaires au cours des quatre dernières semaines (tableau 1).

Dans une large majorité des cas (90,8%) le dernier partenaire occasionnel n’était pas identifié comme séropositif (dont 30,1% étaient identifiés comme séronégatifs). Parmi ces partenaires, seul un sur 3 (31,5%) a eu connaissance de la séropositivité d’ego, avec de larges disparités selon les groupes : respectivement 21,2% et 26,4% chez les hommes immigrés d’Afrique subsaharienne, contre 36,9% à 57,9% dans les autres groupes (tableau 1).

Utilisation du préservatif avec le dernier partenaire occasionnel (tableaux 3 et 4)

Parmi les femmes et les hommes hétérosexuels, la part des pénétrations non protégées lors du dernier rapport sexuel est de 12%, avec quelques différences intergroupes. Chez les HSH, les pénétrations anales non protégées représentent 13,3% des derniers rapports : 9,1% lorsque le dernier partenaire n’était pas séropositif, 46,9% lorsqu’il était identifié comme séropositif. Là encore, la part des rapports sans pénétration est de 25,8% chez les HSH et absente ou rare chez les hétérosexuels. En conséquence, les pénétrations non protégées s’élèvent à 17,9% parmi les HSH qui ont pratiqué la pénétration anale (12,4% avec un partenaire non séropositif, 58,6% avec un partenaire séropositif), contre 12,6% chez les hommes non-HSH, et 12,6% chez les femmes qui ont pratiqué la pénétration vaginale et/ou anale.

Tableau 4 : Utilisation du préservatif avec le dernier partenaire occasionnel – hors hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (n=278, % pondérés). Enquête ANRS-Vespa2, France, 2011
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Discussion

Dans les enquêtes Vespa, la part des personnes sexuellement actives a baissé entre 2003 5 et 2011, passant de 78% à 71% (p<0,0001). En 2003, les femmes UDI étaient les moins sexuellement actives (67%), et elles le sont toujours en 2011 (59%), de même que les femmes « autres » (59%) et en moindre mesure les femmes immigrées d’Afrique subsaharienne (65%). À titre de comparaison, le taux d’activité sexuelle est de 89% chez les femmes et 93% chez les hommes en population générale 7. Le phénomène émergent de vieillissement de la population séropositive (voir l’article de F. Lert et coll. dans ce numéro) peut expliquer en partie ce recul de l’activité sexuelle, mais une analyse plus approfondie sera nécessaire pour confirmer cette tendance et en découvrir les facteurs associés.

Dans tous les groupes (excepté chez les femmes UDI par manque d’effectif), la part des rapports non protégés est plus élevée dans les couples stables séroconcordants que dans les couples sérodiscordants. Au sein des couples sérodiscordants, l’utilisation non systématique du préservatif lors de la pénétration est plus fréquente chez les femmes (36,1%), puis chez les hommes (21,2%) et enfin chez les HSH (20,7%). Néanmoins, comme cela a été montré par ailleurs 8,9, une part non négligeable des HSH rapporte une sexualité sans pénétration. Si l’on ne considère que les couples ayant pratiqué la pénétration, ce taux s’élève à 24% chez les HSH, et à respectivement 38% et 22% chez les femmes et les hommes non-HSH. L’inégalité des femmes et des hommes vis-à-vis de la prévention au sein des couples stables, déjà mise en évidence en 2003, semble persister en 2011. Ceci pourrait témoigner de la difficulté qu’éprouvent les femmes séropositives à négocier l’utilisation du préservatif avec leurs partenaires, pourtant majoritairement séronégatifs et informés de leur séropositivité.

Dans la cohorte ANRS-Primo, l’indicateur de risque a doublé chez les hommes non-HSH entre 2006 et 2007. Entre 2000 et 2009, il a augmenté de façon non significative chez les femmes et de façon progressive et significative chez les HSH 10. Des analyses plus approfondies et ajustées sur un certain nombre de caractéristiques (durée du couple, âge, partenaires extraconjugaux, etc.) permettront de mettre en évidence d’éventuels changements dans les comportements préventifs entre les échantillons représentatifs de Vespa (2003) et de Vespa2 (2011).

Les données obtenues pour le dernier rapport sexuel avec un partenaire occasionnel donnent une image représentative des pratiques sexuelles à l’échelle d’un groupe 11. Ici, la proportion de derniers rapports non protégés parmi les PVVIH (hors HSH) ayant eu au moins un partenaire occasionnel dans l’année est quasiment identique à celle des HSH dans la même situation. Là encore, cette similarité dans les prises de risque masque une différence majeure dans les répertoires sexuels entre les HSH et les autres (plus de partenaires, moins de rapports avec pénétration). Lorsque l’on ne considère que les personnes ayant pratiqué la pénétration, la fréquence des pénétrations non protégées avec le dernier partenaire occasionnel reste proche de 12% chez les femmes et les hommes non-HSH, tandis qu’elle s’élève à près de 18% chez les HSH (sans différence significative entre ces trois groupes : p=0,31). Ce point méritera d’être investigué davantage pour comprendre les facteurs spécifiquement associés à ces indicateurs de risque chez les femmes, les hommes et les HSH.

Au total, 8,2% des PVVIH peuvent être considérées comme à risque élevé de transmission à la fois du point de vue biomédical et comportemental. Les analyses seront poursuivies pour mieux comprendre ce qui se joue dans ce sous-groupe à haut risque, et en particulier chez les immigrés d’Afrique subsaharienne qui sont les plus concernés par ce phénomène. Néanmoins, il faut souligner le fait qu’aucune différence n’a été constatée entre les PVVIH présentant les critères biomédicaux de non transmission et les autres vis-à-vis des pénétrations non protégées.

Dans la plupart des couples (90%), la séropositivité d’ego est connue du partenaire principal. Néanmoins, les personnes qui étaient déjà séropositives au début de leur relation sont plus nombreuses à ne l’avoir jamais révélé à leur partenaire principal comparées à celles qui ont découvert leur séropositivité au cours de la relation. En outre, la révélation de la séropositivité au dernier partenaire occasionnel ne concerne qu’un individu sur 3, ce qui montre qu’il est toujours difficile de partager son statut sérologique en 2011. Cette difficulté à révéler sa séropositivité au partenaire occasionnel est plus marquée chez les hommes immigrés d’Afrique subsaharienne, où le tabou lié à la séropositivité est peut-être plus important qu’ailleurs, ainsi que chez les HSH où la « sérophobie » semble gagner du terrain dans la communauté homosexuelle.

L’enquête Vespa2 nous donne, pour la première fois depuis 2003, des données représentatives sur les comportements sexuels des PVVIH en France, mais ces données doivent être interprétées à la lumière de quelques limites méthodologiques.

Les réponses liées aux comportements sexuels peuvent être affectées par un biais de désirabilité car, bien que relevant de la sphère intime, la sexualité reste soumise à un fort contrôle social. Chez les personnes séropositives, ce contrôle se manifeste par la norme d’utilisation systématique du préservatif afin de prévenir la transmission du VIH à son partenaire. Bien que le poids de cette norme diffère selon les individus 7, les données de la cohorte ANRS-Primo suggérent que la passation en face-à-face de ce genre de questions favorise la sous-déclaration des comportements à risque de transmission 10. Cependant, à la différence de cette étude, où les patients étaient interrogés par leur médecin, les patients de Vespa2 (tout comme en 2003) ont été interrogés par des enquêteurs indépendants dans un cadre strictement confidentiel. En outre, le fait d’avoir utilisé la même méthodologie entre Vespa et Vespa2 permettra d’analyser les données de 2011 en ayant pour référence celles de 2003.

L’administration des questionnaires par un enquêteur utilisant la méthode Capi (voir le focus « Méthodologie générale de l’enquête ANRS-Vespa2 » dans ce même numéro), dans laquelle la réponse à la question posée conditionne le passage à la question suivante, limite drastiquement la fréquence des valeurs manquantes. En outre, la stabilité de nos résultats semble justifier les choix effectués sur les recodages de certaines données présentées dans cet article.

En effet, concernant la variable risque de transmission, nous n’avons trouvé aucune différence entre les individus exclus et les autres au regard des critères suivants : groupe socio-épidémiologique, taux de CD4, niveau de CV, antécédent classant sida et utilisation du préservatif lors de la pénétration. En revanche, la fiabilité de la variable « IST au cours des 12 derniers mois » utilisée dans la construction de l’indicateur de risque biomédical de transmission peut être discutée (données déclaratives, manque de précision dans les modalités de réponse). Cependant, d’autres constructions ont été testées pour cet indicateur, y compris en supprimant le critère des IST, et nos résultats sont restés stables.

Enfin, le choix du recodage du statut sérologique des partenaires « séro-inconnus » avec les statuts séronégatifs et les valeurs manquantes est ici justifié par le fait qu’il s’agit d’évaluer le risque de transmission du VIH à des personnes dont le statut sérologique a été recueilli de façon indirecte et déclarative. Il était donc plus sûr de surestimer ce risque plutôt que de le sous-estimer. En outre, lorsque la comparaison était possible, aucune différence n’a été constatée vis-à-vis de l'utilisation du préservatif avec des partenaires séronégatifs versus avec des partenaires de statut inconnu, contrairement à ce qui a pu être montré par ailleurs 12.

En conclusion, l’utilisation du préservatif est logiquement plus fréquente dans les relations avec des partenaires non infectés ou dont le statut est inconnu qu’avec des partenaires séropositifs. Dans les couples stables, y compris sérodiscordants, la protection systématique de la pénétration est moins fréquente qu’avec les partenaires occasionnels, le couple stable demeurant, comme en 2003, le lieu privilégié des conduites à risque 5. Cette difficulté à maintenir l’utilisation systématique du préservatif dans les relations stables est particulièrement importante chez les femmes. En revanche, la protection dans les rapports occasionnels semble une norme plus uniforme entre les femmes, les hommes et les HSH malgré les différences de comportements entre ces derniers et les hétérosexuels (nombre de partenaires et de rapports sexuels plus élevés). Les comportements n’expliquent donc pas l’écart important entre l’incidence du VIH particulièrement élevée chez les HSH, et l’incidence du VIH chez les hétérosexuels en France 13. D’autres facteurs, comme le risque plus élevé de transmission lors de la pénétration anale 14, la fréquence plus élevée des rapports sexuels chez les HSH ou encore la forte proportion de HSH parmi les PVVIH non diagnostiquées 15 semblent davantage expliquer cette différence d'incidence que la seule utilisation du préservatif.

Enfin, l’absence de différence dans les comportements préventifs entre les personnes susceptibles de transmettre du point de vue biomédical et les autres ne soutient pas l’hypothèse de désinhibition des comportements liée à l’effet préventif du traitement 16 chez les PVVIH en France. En outre, les personnes susceptibles de transmettre du point de vue biomédical et rapportant au moins une pratique à risque de transmission dans l’année représentent moins de 10% des PVVIH en 2011.

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Citer cet article

Lorente N, Demoulin B, Marcellin F, Dray-Spira R, Spire B et le groupe Vespa2. Comportements sexuels des personnes vivant avec le VIH en France en 2011 : premiers résultats de l’enquête ANRS-Vespa2. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(26-27):307-14.