Effet des canicules sur les passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë, décompensation cardiaque et ischémie myocardique en Auvergne-Rhône-Alpes, 2015-2022

// Effect of heatwaves on emergency room visits for acute renal failure, heart decompensation and myocardial ischemia in Auvergne-Rhône-Alpes, 2015–2022

Noémie Rossello1,2, Mathilde Pascal3, Robin Lagarrigue3, Delphine Casamatta1, Karine Laaidi3, Thomas Bénet (thomas.benet@santepubliquefrance.fr)1
1 Santé publique France – Auvergne-Rhône-Alpes, Lyon
2 Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon
3 Santé publique France, Saint-Maurice
Soumis le 10.09.2024 // Date of submission: 09.10.2024
Mots-clés : Chaleur | Canicule | Urgences | Morbidité | Insuffisance rénale aiguë | Surveillance
Keywords: Heat | Heatwave | Emergency room | Morbidity | Acute renal failure | Surveillance

Résumé

Introduction –

Les périodes de canicule induisent une surmortalité et augmentent l’impact de certaines comorbidités. Cependant, il existe un manque de recul sur l’influence sur les passages aux urgences en dehors de quelques pathologies très spécifiques de la chaleur. L’objectif de l’étude est d’étudier l’impact de la chaleur sur les passages aux urgences pour trois syndromes morbides actuellement non surveillés en routine en France : l’insuffisance rénale aiguë, la décompensation cardiaque et l’ischémie myocardique.

Méthodes –

La période d’étude couvre les étés (1er juin au 15 septembre) 2015 à 2022 pour les 12 départements de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Les données sanitaires ont été extraites du système de surveillance syndromique SurSaUD® (Surveillance sanitaire des urgences et des décès). Une analyse multivariée des nombres moyens de passages quotidiens en fonction des périodes de dépassement effectif de seuil canicule et des périodes de vigilance a été réalisée par régression binomiale négative.

Résultats –

Un total de 14 060 passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë, 29 841 pour décompensation cardiaque et 17 749 pour ischémie myocardique sont survenus entre 2015 et 2022 durant les périodes d’étude en Auvergne-Rhône-Alpes. Le risque de passage aux urgences pour insuffisance rénale aiguë augmente de +47% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [39-56]) lorsque les températures dépassent les seuils d’alerte météorologiques, indépendamment du sexe, de l’âge, du département, du jour et du mois, ou en cas de température maximale >24°C, avec un risque croissant en cas de température très élevée. Ces effets ne sont pas mis en évidence pour les passages aux urgences pour décompensation cardiaque et pour ischémie myocardique.

Conclusion –

Le risque de passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë augmente pendant les canicules et devrait inciter à mettre en place des mesures spécifiques de prévention de cette pathologie en période estivale.

Abstract

Introduction –

Heatwave periods induce excess mortality and worsen certain comorbidities. However, except for certain specific heat-related conditions, the influence on emergency room visits is not clear. The objective of this study was to analyse the impact of heat on emergency room visits for three morbid syndromes not currently included in routine monitoring in France: acute renal failure, cardiac decompensation and myocardial ischemia.

Methods –

The study period covers the summers (1st June to 15th September) of 2015 to 2022 for the 12 geographical departments of the Auvergne-Rhône-Alpes region (southeast France). Health data were extracted from the SurSaUD® syndromic surveillance system. A multivariate analysis of the average number of daily visits was carried out using negative binomial regression applied to periods that effectively exceeded the heatwave threshold, as well as periods concerned by heat warnings.

Results –

A total of 14,060 emergency room visits for acute renal failure, 29,841 for cardiac decompensation and 17,749 for myocardial ischemia occurred in Auvergne-Rhône-Alpes during the periods studied between 2015 and 2022. The risk of emergency room visit for acute renal failure (14,060 visits studied) increased by +47% (95% confidence interval [95%CI]: 39–56) when temperatures exceeded the meteorological alert thresholds (independently of sex, age, geographical department, day and month) or when the maximum temperature was >24°C, with an increasing risk in the event of very high temperatures. These effects were not identified in relation to emergency room visits for cardiac decompensations or myocardial ischemia.

Conclusion –

The risk of emergency room visits for acute renal failure increases during heatwaves. This supports the implementation of specific prevention measures during the summer period.

Introduction

Depuis quelques années, les étés sont marqués en France par un décalage de la distribution des températures vers des valeurs plus élevées. La chaleur induit une surmortalité 1 et un sur-risque de certaines maladies notamment cardiaques, respiratoires et rénales 2. Ces effets sont particulièrement importants lors des vagues de chaleur ou canicules, lorsque les températures demeurent élevées plusieurs jours d’affilée 3. De plus, sous l’effet du changement climatique, les canicules sont désormais plus fréquentes, plus longues et plus intenses. Les vagues de chaleur sont des événements extrêmes associés à un impact important quant aux décès en France hexagonale. Entre 2014 et 2022, plus de 32 000 décès sont attribuables à la chaleur durant tout l’été, dont plus de 9 000 pendant les vagues de chaleur. Par ailleurs, l’impact sur le recours aux soins est important 4 : pendant l’été 2022, plus de 20 000 passages aux urgences ont été observés pour des causes spécifiques de la chaleur (hyperthermie, déshydratation, hyponatrémie) 5.

Chaque année, du 1er juin au 15 septembre, Santé publique France surveille les données sanitaires de recours aux soins d’urgence et de mortalité, afin d’évaluer l’impact de ces épisodes caniculaires et d’appuyer la mise en place de mesures d’adaptation. La surveillance des recours aux soins d’urgence s’effectue notamment par l’indicateur iCanicule regroupant les diagnostics d’hyperthermie, de déshydratation et d’hyponatrémie 6,7. Durant l’été, et particulièrement pendant les canicules, le nombre de passages aux urgences pour ces diagnostics augmente et aboutit à une hospitalisation dans plus de 50% des cas en Auvergne-Rhône-Alpes 5. Cette surveillance est activée durant les périodes de vigilance canicule orange ou rouge déclenchée par Météo-France 8, afin de mettre en place des mesures rapides de prévention et de gestion de l’événement.

Au niveau national et régional, seul cet indicateur iCanicule est surveillé en routine car il est à la fois spécifique de la chaleur, sensible, et réactif. Cependant, dans la littérature, il a été montré que d’autres pathologies morbides augmentent avec la chaleur 2. Il s’agit notamment de l’insuffisance rénale aiguë, pour laquelle une augmentation des passages aux urgences a été constatée durant les canicules aux États-Unis 9,10,11. Cette pathologie pourrait être pertinente à surveiller à des fins d’alerte, du fait du risque de lésions rénales provoquées par le stress thermique 12, d’entrée par la suite en maladie rénale chronique et d’hospitalisations 13. Le risque de décès pour pathologies cardiovasculaires serait également impacté par la chaleur 14. Cependant, concernant le lien entre chaleur et passages aux urgences pour maladies cardiovasculaires, les résultats des études diffèrent. Certaines études ont montré un risque d’hospitalisation plus faible 10, tandis que d’autres montraient une légère augmentation chez les plus âgés 15. En France, une étude sur l’influence de la chaleur sur les recours aux soins d’urgence a été effectuée pour les étés 2015 à 2017, mais les indicateurs précédents (insuffisance rénale ou atteinte cardiaque aiguë) que nous souhaitions étudier n’étaient pas mentionnés 16.

L’objectif principal est d’analyser, sur la période 2015-2022 en Auvergne-Rhône-Alpes, l’impact des dépassements des seuils canicule sur les passages aux urgences pour les trois syndromes morbides suivants : insuffisance rénale aiguë, décompensation cardiaque et ischémie myocardique. L’objectif secondaire est d’étudier l’association entre les niveaux de vigilance canicule et les passages aux urgences pour ces mêmes syndromes.

Matériel et méthodes

Source de données, population

Une étude observationnelle a été menée à partir des données prospectivement collectées par le système de surveillance syndromique SurSaUD® (Surveillance sanitaire des urgences et des décès), sur la période du 1er juin au 15 septembre des années 2015 à 2022. Le territoire étudié correspondait à la région Auvergne-Rhône-Alpes (ARA). L’analyse a été déclinée pour les 12 départements de la région. Les données sanitaires quotidiennes des passages aux urgences ont été extraites du système SurSaUD® 17. En ARA, en 2022, SurSaUD® couvre la totalité des 84 structures d’urgences de la région (1) avec plus de 2,3 millions de passages aux urgences codés par an.

Les données individuelles des passages avec diagnostics codés ont été extraites par année, puis agrégées par jour, département, sexe et classe d’âge (pour analyse multivariée : <60 ans, 60-69 ans, 70-79 ans, 80-89 ans, ≥90 ans, pour analyses stratifiées : <65 ans, ≥65 ans) ; tous les passages ont été comptés, sans dédoublonnage par patient. Les effectifs de population issus du recensement de 2020 par département, classe d’âge et sexe ont été obtenus auprès de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Définition des syndromes

L’ensemble des codes de la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10) d’insuffisance rénale aiguë (N17, N19) ont été sélectionnés suite à une analyse de la littérature et une analyse de la CIM-10 11. L’insuffisance rénale aiguë étant définie selon les KDIGO (Kidney Disease Improving Global Outcome) comme une augmentation de la créatinine ou une diminution de la diurèse 18. Les codes de décompensation cardiaque (I50, J81) et ischémie myocardique (I20-I25) correspondaient aux codes listés dans les regroupements syndromiques préexistants dans le système SurSaUD®, et déjà validés par ailleurs 19.

Données météorologiques

Les données météorologiques ont été obtenues auprès des services de Météo-France. Elles correspondaient aux températures minimales et maximales quotidiennes en degrés Celsius (°C) observées dans les stations de référence de chaque département, aux périodes effectives de dépassement de seuil canicule pour les étés 2015 à 2022, ainsi qu’aux périodes de vigilance annoncées pour les étés 2019 à 2022 (période de disponibilité de ces données à l’époque). Des catégories de température maximale ont été créées pour analyser l’effet de la température selon la répartition des températures maximales (25e, 50e, 75e et 90e percentile). Le dépassement effectif de seuil canicule était défini par département à partir des indicateurs biométéorologiques (IBM) du système d’alerte canicule et santé (Sacs) 20. Un seuil avait été défini pour chaque département en étudiant – sur 30 ans de données précédant le début du système d’alerte – la surmortalité par rapport aux IBM minimaux et maximaux, correspondant à la moyenne sur trois jours des températures minimales ou maximales, selon une méthodologie décrite par ailleurs 8. Ce seuil correspond à un doublement de la mortalité, en l’absence des mesures de prévention ou de gestion. Le classement de chaque jour en vigilance canicule (gravité croissante des niveaux vert, jaune, orange ou rouge selon les prévisions météorologiques) a également été obtenu auprès de Météo-France 6. En appliquant les critères du système d’alerte canicule et santé aux températures minimales et maximales observées (confrontation des moyennes glissantes sur trois jours à des seuils départementaux), les périodes effectives de canicule ont été identifiées.

Ceci permet d’analyser trois indicateurs différents et complémentaires :

l’exposition à la température maximale, sans notion de durée (catégories de Tmax) ;

l’exposition à une chaleur très intense et durant au moins trois jours et trois nuits (indicateurs canicules) ;

l’exposition à une chaleur a priori très intense à travers l’indicateur de niveau de vigilance.

Analyses statistiques

Les variables continues ont été décrites selon leur moyenne et écart-type. Le critère de jugement principal était le nombre quotidien de passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë, décompensation cardiaque et ischémie myocardique par département, selon la période en lien avec la canicule. Les périodes étudiées étaient définies selon :

1) le dépassement effectif des seuils de canicule (période 2015-2022 : pas de dépassement des seuils [référence], période stricte de dépassement des seuils, 3 jours suivant la fin de dépassement de seuil) ;

2) la température maximale quotidienne en °C (période 2015-2022 : <24, 24-28, 28-31, 31-34, >34°C ; définis selon les valeurs estivales observées, afin de discrétiser au mieux la température) ;

3) le niveau de vigilance annoncé (période 2019-2022 : pas de vigilance canicule, vigilance jaune, vigilance orange, J+3 post-vigilance orange).

Pour l’analyse du critère de jugement principal, les ratios d’incidence ont été calculés en utilisant une régression binomiale négative, les données étant surdispersées. Un modèle univarié a été réalisé ainsi qu’un modèle multivarié ajusté sur le sexe, l’âge, le jour de la semaine et le mois. Pour les deux modèles, la population départementale a été ajoutée en offset. Tous les tests étaient bilatéraux, le seuil de significativité retenu était de 0,05. Les analyses ont été effectuées via le logiciel Stata® version 16.0 (Stata corp LP).

Toutes les analyses étant issues de données de routine d’une base de données autorisée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil ; délibération n° 2014-439 du 23 octobre 2014) et agrégées, aucune autorisation éthique complémentaire n’était nécessaire.

Résultats

Description des températures et périodes de canicule

Entre 2015 et 2022, les départements d’ARA ont été concernés par de nombreuses vigilances canicule jaune ou orange et dépassements effectifs de seuil d’alerte, sans vigilance canicule rouge sur la période. Le nombre maximal de jours en vigilance orange est observé en 2022, notamment pour les départements de la Drôme, de l’Ardèche et de l’Isère (respectivement 26, 25 et 19 jours). Les nombres les plus importants de jours de dépassement effectif des seuils étaient observés en 2022 pour les départements de l’Isère et de la Drôme (respectivement 34 et 26 jours) et en 2015 pour le département du Rhône (25 jours). Durant l’ensemble de l’étude, la température maximale quotidienne moyenne (Tmax) était de 27,7°C (minimum : 12,0°C ; maximum 41,4°C). Durant les périodes de dépassement de seuil canicule, la Tmax moyenne était de 35,0°C (minimum : 25,2°C ; maximum 41,1°C). Durant les vigilances oranges la Tmax moyenne était de 35,1°C (minimum : 26,7°C ; maximum 41,4°C). À titre d’illustration, la figure 1 présente les températures minimales et maximales quotidiennes, périodes de dépassement de seuil canicule et de vigilance pour les trois départements de la Drôme, de l’Isère et du Rhône.

Figure 1 : Températures minimales et maximales, périodes de dépassements de seuil canicule et de vigilance jaune et orange, étés 2019 à 2022, départements de la Drôme, de l’Isère et du Rhône
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Description des passages aux urgences pour les pathologies retenues

Sur la période d’étude, 14 060 passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë, 29 841 pour décompensation cardiaque et 17 749 pour ischémie myocardique ont été notifiés. Hors période de vigilance canicule et hors dépassement des seuils, les nombres moyens quotidiens de passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë et pour ischémie myocardique par département étaient respectivement de 1,42 et 1,29 (taux moyen quotidien de 0,21 et 0,24 passages quotidiens pour 100 000 habitants, respectivement).

La moyenne quotidienne par département des passages pour insuffisance rénale aiguë dépasse 2 lorsque la vigilance jaune ou orange est activée ou lorsque les seuils sont effectivement dépassés (taux moyen de passages compris entre 0,29 et 0,32 pour 100 000 habitants). Le nombre moyen de passages pour insuffisance rénale aiguë augmente avec la température maximale quotidienne (tableau 1). Cette tendance n’est pas observée pour les passages pour décompensation cardiaque ou ischémie myocardique.

Tableau 1 : Description des passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë, décompensation cardiaque et ischémie myocardique en fonction du dépassement effectif du seuil des indices biométéorologiques et des températures maximales (2015-2022), et du niveau de vigilance annoncé (2019-2022), Auvergne-Rhône-Alpes
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Chaleur et passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë

Après analyse univariée, une augmentation du risque de passage aux urgences pour insuffisance rénale aiguë est retrouvée lorsque les seuils de vigilance sont dépassés ou la température maximale augmente (tableau 2). Après analyse multivariée, ces associations sont retrouvées, indépendamment du sexe, de l’âge, du département, du jour et du mois.

Cette augmentation significative du risque est retrouvée également en période de vigilance jaune avec une augmentation du risque de +33% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [22-45]), en vigilance orange avec une augmentation du risque de +42% [32-53] et dans les 3 jours suivant la fin de vigilance orange (J+3) avec une augmentation du risque de +32% [20-46]. Un effet dose lié à la température est observé, pour tous les niveaux étudiés. Le sur-risque est plus marqué pour les personnes de 65 ans et plus par rapport à celles de moins de 65 ans (figure 2).

Tableau 2 : Modélisation du sur-risque de passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë, décompensation cardiaque et ischémie myocardique en fonction du dépassement effectif du seuil canicule et des températures maximales (2015-2022), et du niveau de vigilance annoncé (2019-2022), Auvergne-Rhône-Alpes
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Figure 2 : Modélisation du sur-risque de passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë, par catégorie d’âge, en fonction du dépassement effectif du seuil canicule et des températures maximales (2015-2022), et du niveau de vigilance annoncé (2019-2022), tous âges, pour les moins de 65 ans et 65 ans ou plus, Auvergne-Rhône-Alpes
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Passages aux urgences pour décompensation cardiaque et ischémie myocardique

Après analyse multivariée, le risque de passage aux urgences pour décompensation cardiaque diminue marginalement en cas de dépassement de seuil canicule, de -8% [-12 ; -3] (tableau 2). Lorsque la température dépasse la température maximale de 24°C, le risque de passages aux urgences pour décompensation cardiaque augmente marginalement, de +7 à +8%. Aucune association n’est retrouvée pour le niveau de vigilance. Après analyse multivariée, le risque de passage aux urgences pour ischémie myocardique diminue marginalement, de -9% [-15 ; -4] lorsque les températures dépassent les seuils effectifs d’alerte. Lorsque le niveau de vigilance est orange, le risque diminue également de 9%. Aucun effet n’est retrouvé pour la température maximale.

Discussion

L’objectif de cette étude est d’analyser, sur la période 2015-2022 en Auvergne-Rhône-Alpes, l’impact des canicules sur les passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë, décompensation cardiaque et ischémie myocardique. Il est retrouvé que le risque de passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë augmente en cas de température maximale élevée (avec un effet dose) et de dépassement de seuil canicule. Ces augmentations se retrouvent également pendant les jours de vigilance jaune et orange. Concernant le lien entre chaleur et insuffisance rénale aiguë, des éléments de causalité sont mis en évidence dans la littérature, avec une association positive 11. Nos résultats sont cohérents avec ceux-ci. De plus, une relation exposition-risque entre augmentation de la température et risque de passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë est retrouvée. Il existe une plausibilité biologique avec une explication physiologique au phénomène observée par le biais de la déshydratation et de l’hypovolémie 12.

À l’inverse, le lien entre chaleur et passages aux urgences pour maladies cardiovasculaires n’est pas mis en évidence 21. Ce phénomène pourrait s’expliquer par l’effet de la prévention, mais ces résultats restent à valider et interpréter avec prudence car les patients peuvent aussi décéder avant leur passage aux urgences. Dans la littérature, les données sont également discordantes, ou non concluantes, sur l’association entre chaleur et maladies cardiovasculaires 10,15.

Les forces de cette étude sont une analyse sur une période étendue, des données exhaustives provenant d’un outil de surveillance validé et analysant des pathologies sévères nécessitant fréquemment un passage aux urgences, ainsi qu’une utilisation à la fois des vigilances annoncées et des températures effectives. Les effectifs de chaque pathologie sont conséquents, ce qui renforce la représentativité des résultats. Néanmoins, cela suppose un codage exhaustif et précis, là ou des erreurs pourraient exister notamment entre les ischémies myocardiques et la décompensation cardiaque 22. De plus, une sous-estimation de l’association entre chaleur et ischémie myocardique ou insuffisance cardiaque est possible si les recours sont préférentiellement en dehors des services d’urgence (biais de classement non différentiel de la maladie). Cependant, nos résultats sont concordants avec des études menées dans d’autres pays sur les mêmes syndromes 11. De plus, la répartition du mode de prise en charge (urgences vs unités de soins intensifs cardiologiques) est a priori assez stable au cours du temps, notamment sur des intervalles de temps courts. Aussi, une comparaison des effets court terme expose à des biais de classification stables au cours des périodes, limitant le risque de conclure à tort.

L’étude basée sur la région Auvergne-Rhône-Alpes permet une certaine représentativité à l’échelon national : la région est la deuxième en France en termes de population et le territoire est varié, avec à la fois une large part de population urbaine et de nombreux territoires ruraux. La variété de reliefs, incluant des massifs montagneux ainsi que des plaines, offre une mosaïque de climats représentant les spécificités retrouvées à l’échelon national 23. Elle est marquée par des périodes de canicule intenses et fréquentes. Ainsi, les départements de l’Isère et de la Drôme représentaient les deux départements les plus impactés en France hexagonale par des dépassements des seuils de température.

Une limite de cette étude peut être le fait de présenter les taux pour 100 000 habitants et non les taux pour 1 000 passages aux urgences. Cependant, l’analyse a aussi été effectuée en utilisant les taux de passages aux urgences et cela ne modifiait pas les conclusions (résultats non montrés). Les années 2020 et 2021, impactées par la crise sanitaire liée à la Covid-19, n’ont pas été exclues de l’analyse. Néanmoins, le nombre de passages total et pour les pathologies sélectionnées ne variaient pas particulièrement sur la période sélectionnée. Enfin, notre étude n’a pas exploré la dynamique (délai) du processus physiologique lié à la chaleur en fonction du syndrome, alors qu’il peut y avoir un délai entre l’exposition à la chaleur et certains symptômes 24. Cependant, l’ajout d’une période de 3 jours suivant la fin de dépassement de seuil ou d’alerte peut approcher l’impact de ce délai. Par ailleurs, d’autres phénomènes environnementaux non pris en compte peuvent influencer le recours aux soins d’urgence pour certaines pathologies, notamment la pollution à l’ozone qui favoriserait les événements cardiovasculaires 25.

En conclusion, une augmentation marquée des passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë pendant les périodes de canicule est retrouvée en Auvergne-Rhône-Alpes. En raison des limites inhérentes à l’étude, il est difficile de conclure à l’absence d’impact de ces épisodes sur une augmentation des passages aux urgences pour décompensation cardiaque et ischémie myocardique. Ceci pourrait inciter à tester une extension de la surveillance épidémiologique de l’impact de la chaleur aux passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë à des fins d’alerte 26, ainsi qu’à mener une étude spécifique sur les pathologies cardiaques incluant l’ensemble des filières de prise en charge urgente.

Remerciements

Nous remercions Guillaume Boulanger (Direction Santé Environnement Travail, Santé publique France), Didier Che et Guillaume Spaccaferri (Direction des régions, Santé publique France) pour leur relecture du manuscrit.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Rossello N, Pascal M, Lagarrigue R, Casamatta D, Laaidi K, Bénet T. Effet des canicules sur les passages aux urgences pour insuffisance rénale aiguë, décompensation cardiaque et ischémie myocardique en Auvergne-Rhône-Alpes, 2015-2022. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(7):101-9. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2025/7/2025_7_3.html