Évaluation du système de surveillance du virus West Nile en Guadeloupe à l’aide de la méthode Oasis

// Evaluation of the West Nile virus surveillance system in Guadeloupe using the Oasis method

Roxane Delacourt1,2,3, Joanna Cozier1,2, Jan Cherdieu4*, Véronique Chevalier2,5*, Stéphanie Desvaux6*, Paola Dvihally7*, Jolt Evva8*, Gaëlle Gonzalez9*, Gilda Grard10,11*, Cécile Herrmann-Storck12*, Aurélie Lebon13*, Agnès Leblond14*, Nolwenn Le Moal15*, Lucie Léon16*, Christel Marcillaud-Pitel17*, Nonito Pages1,2*, Marie-Claire Paty18*, Cédric Ramdini19*, François-Xavier de Resseguier20*, Anubis Vega Rua21*, Bruno Vion22*, Jennifer Pradel2#, Sylvie Lecollinet1,2# (sylvie.lecollinet@cirad.fr)
1 Unité mixte de recherche Astre, Centre de recherche et de veille sur les maladies vectorielles dans la Caraïbe,
Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), Inrae, Petit Bourg, Guadeloupe
2 Unité mixte de recherche Astre, Cirad, Inrae, Université de Montpellier, Montpellier
3 Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), Parme, Italie
4 Vétérinaire praticien, Association des Vétérinaires Praticiens Libéraux de Guadeloupe (AVPLG), Lamentin
5 Unité mixte de recherche Astre, Cirad, Inrae, Antananarivo, Madagascar
6 Office français de la biodiversité (OFB), Birieux
7 Zoo de Guadeloupe, Centre de soins SOS Faune sauvage, Bouillante, Guadeloupe
8 Vétérinaire praticien, Association des vétérinaires praticiens libéraux de Guadeloupe (AVPLG), Sainte-Rose, Guadeloupe
9 Unité mixte de recherche 1161 Virologie, Anses Laboratoire de santé animale, Laboratoire national de référence West Nile, Maisons-Alfort
10 Unité des virus émergents, Aix-Marseille Université, Università di Corsica, IRD 190, Inserm 1207, Irba, Marseille
11 Centre national de référence arbovirus, Inserm-Irba, Marseille
12 Centre hospitalier universitaire (CHU), Les Abymes, Guadeloupe
13 Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Daaf), Saint-Claude, Guadeloupe
14 Unité mixte de recherche EPIA, Inrae, VetAgro Sup, Marcy L’Étoile
15 Direction générale de l’alimentation, Paris
16 Santé publique France – Antilles, Gourbeyre, Guadeloupe
17 Réseau d’épidémio-surveillance en pathologie équine (Respe), Saint-Contest
18 Santé publique France, Saint-Maurice
19 Agence régionale de santé (ARS) Guadeloupe, Les Abymes, Guadeloupe
20 Office français de la biodiversité (OFB), Lamentin, Guadeloupe
21 Institut Pasteur de la Guadeloupe (IPG), Les Abymes, Guadeloupe
22 Direction générale de la santé (DGS), Paris


* Ces auteurs ont contribué de manière équivalente au travail.
# Ces deux auteurs ont contribué de manière équivalente au travail.
Date de soumission : 14.02.2025 // Date of submission: 02.14.2025
Mots clés : virus West Nile | Système de surveillance intégré | Évaluation Oasis | One Health | Guadeloupe
Keywords: West Nile virus | Integrated surveillance system | OASIS evaluation | One Health | Guadeloupe

Résumé

Introduction –

La surveillance du virus West Nile (WN) – zoonose vectorielle – en Guadeloupe a été mise en place après la première détection du virus en 2002 dans le but d’assurer une alerte précoce et de mettre en place rapidement des mesures de gestion adaptées. Pendant des années, elle s’est organisée de façon sectorielle avec des volets de surveillance humaine, animale et entomologique. Depuis 2020, les acteurs de ces volets ont développé une stratégie intégrée plus collaborative et transdisciplinaire, visant à améliorer le fonctionnement et la performance du dispositif, et ont recommandé de l’évaluer régulièrement.

Méthode –

En 2023, le système de surveillance du virus WN en Guadeloupe a été évalué avec la méthode Oasis (Outil d’analyse des systèmes d'information en santé) afin de repenser le dispositif avec ses acteurs. Des entretiens semi-directifs ont été menés en Guadeloupe et au niveau national. Une séance de notation collective a été organisée ; les résultats et les recommandations ont été transmis à l’ensemble des participants. Ils ont enfin été discutés lors d’un atelier pour définir collectivement un plan d’action.

Résultats –

Les principaux points forts du système (laboratoires de diagnostic, outils de surveillance, stabilité) et ses points faibles (animation, partage d’informations, spécificité) ont servi à formuler et hiérarchiser quatre recommandations : (i) éditer un nouveau guide interministériel de surveillance du virus WN, (ii) établir une structure de pilotage et d’animation du dispositif de surveillance en Guadeloupe, (iii) intensifier la sensibilisation des acteurs de terrain et (iv) créer un bulletin épidémiologique annuel.

Conclusion –

La mise en œuvre des recommandations prévue dès 2024 est suivie par les acteurs de la surveillance. Ce travail a permis de redynamiser le réseau et les liens entre les acteurs et pourrait être inspirant pour la surveillance d’autres maladies vectorielles ou zoonotiques d’intérêt comme la leptospirose.

Abstract

Introduction –

Epidemiological surveillance of the West Nile virus (WN) – vector-borne zoonosis – in Guadeloupe was established after its initial detection in 2002, with the aim of providing early warning and implementing adapted control measures. For years, it operated through a sectoral organization, encompassing animal, human and entomological components. Since 2020, stakeholders have adopted a more collaborative and transdisciplinary integrated strategy, aimed at improving the functionality and performance of the surveillance system, and recommended its regular evaluation.

Method –

In 2023, the WN virus surveillance system in Guadeloupe was evaluated using the OASIS method (Health Information Systems Analysis Tool) to reshape the system with its stakeholders. Semi-structured interviews were conducted in Guadeloupe and at the national level. A collective scoring session was organized, and the results and recommendations were shared with all participants. Finally, they were discussed during a workshop to collectively define an action plan.

Results –

The main strengths of the system (diagnostic laboratories, surveillance tools, stability) and main weaknesses (coordination, information sharing, specificity) were identified and used to formulate and prioritize four recommendations: (i) draft a new interministerial WN virus surveillance guide, (ii) establish a steering and coordination structure for the surveillance system in Guadeloupe, (iii) intensify awareness among field actors, and (iv) create an annual epidemiological bulletin.

Conclusion –

The implementation of the recommendations, scheduled for 2024, is being monitored by the surveillance stakeholders. This work has strengthened the links between stakeholders and could be inspiring for the surveillance of other vector-borne or zoonotic diseases of interest, such as leptospirosis.

Introduction

Le virus West Nile (WN), est le flavivirus le plus largement répandu dans le monde, infectant plus de 150 espèces animales dans tous les pays du monde, à l’exception des zones polaires. Il représente une préoccupation importante en termes de santé publique humaine et vétérinaire, et de conservation des espèces d’oiseaux dans les régions les plus impactées comme l’Europe et l’Amérique du Nord 1 où l’on estime qu’il a été responsable de 8,5 à 9,1 millions d'infections chez l’Homme et de plus de 35 000 cas neuro-invasifs entre 1999 et 2023 2.

Cycle épidémiologique et clinique

Le virus WN est transmis par des moustiques, majoritairement du genre Culex, à différentes espèces d’oiseaux qui participent au cycle naturel du virus en le transportant ou l’amplifiant (réservoir). À l’occasion de ce cycle, le virus peut être occasionnellement transmis aux humains et chevaux. Ces hôtes sont qualifiés de culs-de-sac épidémiologiques, en raison de leur virémie trop faible pour infecter des moustiques naïfs vis-à-vis du virus WN 3. L’existence de risques avérés de transmission interhumaine du virus via la transfusion sanguine et la transplantation d’organes 2,4,5 a conduit les autorités sanitaires et les centres de transfusion, notamment en Europe, à mettre en place des mesures spécifiques de sécurisation des produits sanguins qui sont activées sur la base des résultats de la surveillance épidémiologique 4,6.

Chez les oiseaux, l’infection est majoritairement asymptomatique, mais elle a été associée à d’importants épisodes de mortalité en Amérique du Nord. Environ 20% des infections humaines et équines sont symptomatiques (syndromes fébriles avec fatigue et céphalées). Respectivement moins de 1% et 10% des infections humaines et équines occasionnent des symptômes neurologiques, avec des taux de létalité d’environ 10% chez l’homme et 20% à 57% chez les équidés 3,7.

Diagnostic

La virémie courte et de faible intensité rend le diagnostic direct du virus WN difficile. Le diagnostic repose donc principalement, chez l’homme comme chez l’animal, sur la détection d’anticorps spécifiques à l’aide de tests sérologiques rapides tels que l’Elisa. Toutefois, en raison de leur spécificité limitée, le recours à des analyses de confirmation réalisées dans des laboratoires experts est nécessaire 8.

Historique de la surveillance en Guadeloupe

La Guadeloupe est située sur un corridor de migration emprunté par de nombreuses espèces d’oiseaux en provenance de zones endémiques pour le virus WN. Le virus WN en Guadeloupe a été détecté pour la première fois en 2002 par preuve sérologique chez des chevaux et volailles domestiques, avec des taux de prévalence atteignant en 2003 jusqu’à 50% des chevaux dans les centres équestres 9,10. Depuis, une surveillance sentinelle a été mise en place, reposant sur le suivi régulier d’animaux sensibles, mais qui ne participent pas activement au cycle de transmission du virus, tels que les poules et les chevaux, afin de détecter des séroconversions au fil du temps 11. Cela a permis de mettre en évidence deux autres épisodes de circulation du virus WN en Guadeloupe, de moindre intensité, en 2007-2008 et entre 2010 et 2012 9,12,13. Des cas humains et animaux ont été détectés pour la première fois en 2024 14, soit après la fin de la présente évaluation, achevée fin 2023. La surveillance s’est renforcée progressivement à travers différents volets déployés en fonction des ressources disponibles : équin, avifaune domestique, avifaune sauvage, humain et entomologique. Son objectif principal est de détecter précocement la circulation du virus WN sur le territoire et de transmettre rapidement l’information aux différents secteurs concernés, en vue de la mise en œuvre de mesures adaptées de prévention et de contrôle.

Les activités sont restées largement sectorisées, avec peu d’échanges entre les acteurs de différents secteurs, à l’exception des volets entomologique et avifaune domestique – interdépendants. Ces deux volets sont conduits par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui assure aussi l’analyse des échantillons équins, facilitant le partage d’informations 13,15.

L’absence de détection de cas cliniques humains ou animaux jusqu’en 2024, malgré plusieurs suspicions, la faible circulation virale détectée sur le territoire, et la survenue fréquente d’autres arboviroses humaines comme la dengue, le Zika ou le chikungunya ont longtemps déclassé le virus WN des priorités de santé publique localement, ce qui a entraîné une baisse progressive des activités de surveillance 13. La promotion de l’approche « One Health » au travers de programmes de recherche comme le projet Feder/Malin, qui comprenait un volet consacré à l’épidémiologie du virus WN en Guadeloupe, a permis de maintenir l’activité de surveillance et de renforcer la collaboration entre les différents acteurs. Ce programme a révélé une volonté forte et partagée de faire évoluer le dispositif de surveillance vers un système intégré, reconnaissant les limites d’une approche sectorielle après près de 20 ans d’existence. La surveillance intégrée correspond ici à une approche multi-acteurs, collaborative et transdisciplinaire visant à améliorer le fonctionnement et la performance du dispositif. Ce travail avait aussi mis en lumière le besoin d’évaluer régulièrement le système de surveillance 13.

Dans cet article, nous décrivons la première évaluation du système de surveillance du virus WN conduite par le Cirad en 2023, mobilisant les acteurs de diverses institutions et secteurs, en Guadeloupe et dans l’Hexagone. L’évaluation visait à analyser précisément le fonctionnement, la qualité et la collaboration intersectorielle du système de surveillance du virus WN en Guadeloupe, afin de formuler des recommandations concrètes pour tendre vers un dispositif intégré et plus efficace.

Matériels et méthodes

La méthodologie Oasis (Outil d’analyse des systèmes d'information en santé) a été choisie car elle permet d’analyser en détail le fonctionnement et la qualité d’un système de surveillance 16. Les critères « One Health », nouvellement intégrés à la méthodologie Oasis, permettent aussi de prendre en compte la dimension intersectorielle d’un dispositif.

L’évaluation Oasis comporte cinq étapes :

réalisation d’entretiens semi-directifs avec les acteurs du réseau par l’intermédiaire d’un guide détaillé permettant de collecter les informations nécessaires à une description précise du fonctionnement et des résultats opérationnels du système ;

notation collective de chaque section (dix) correspondant aux composantes du système – des objectifs de la surveillance (section 1) à son évaluation (section 10). Cette notation est effectuée sur la base du socle de connaissances constitué lors des entretiens, avec des notes allant de 0 à 3 selon le niveau de satisfaction ;

production de trois types de résultats graphiques calculés automatiquement à partir des notes, permettant de visualiser les principales forces et faiblesses du système : i) graphiques en secteur pour chaque section évaluée ; ii) histogramme avec notation des points critiques du dispositif ; et iii) diagramme radar avec les scores des attributs de la qualité d’un système de surveillance tels que définis par les CDC (Center for Disease Control and Prevention) et l’OMS (Organisation mondiale de la santé) 17 ;

formulation de recommandations et d’axes prioritaires d’intervention ;

restitution des résultats aux acteurs et hiérarchisation collective des recommandations selon leur faisabilité et l’impact attendu. Idéalement, un plan d’action définissant les premières actions à mener, les responsables et les délais, facilitera leur mise en œuvre.

Résultats

Description du système et acteurs du réseau

Le système de surveillance du virus WN en Guadeloupe repose sur une organisation multisectorielle, mobilisant différents acteurs des volets animaux, environnementaux et humains. Il repose à la fois sur des dispositifs de surveillance active (animaux sentinelles, moustiques) et événementielle (détection de cas cliniquement évocateurs chez l’Homme, les chevaux ou dans la faune sauvage). La surveillance animale et environnementale est coordonnée localement par la Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Daaf), en collaboration avec les vétérinaires sanitaires et le Cirad. Ce dernier assure des prélèvements sanguins réguliers d’animaux sentinelles (poules domestiques et/ou équidés), selon une fréquence actualisée chaque année. En 2023, seuls des prélèvements trimestriels sur des poules étaient réalisés dans des zones identifiées à risque. Une surveillance entomologique continue a été mise en place de 2015 à 2021 sur les sites sentinelles aviaires. Elle est désormais activée ponctuellement, en cas de confirmation de foyers de virus WN. Une surveillance événementielle fondée principalement sur la détection de cas cliniques équins complète le dispositif. Le suivi des mortalités anormales d’oiseaux sauvages par le Réseau de surveillance de la santé de la faune sauvage terrestre vertébrée (Sagir) a été renforcé à partir de 2022-2023. Les analyses sont réalisées par le Cirad en Guadeloupe, avec confirmation des cas positifs par le Laboratoire national de référence (Anses, Maisons-Alfort). Les résultats sont transmis au ministère de l’Agriculture et à la Daaf, qui en informe les vétérinaires ainsi que les détenteurs d’équidés. Les échanges avec le volet humain s’effectuent de manière informelle au niveau local et s’appuient sur des protocoles formalisés au niveau central. La surveillance humaine repose, quant à elle, sur une déclaration obligatoire des cas par les professionnels de santé de Guadeloupe. En cas de symptomatologie évocatrice, des prélèvements sont réalisés pour analyse au Centre hospitalier universitaire de Guadeloupe (CHUG) (PCR uniquement), et au Centre national de référence Inserm-Irba de Marseille (pour les sérologies). L’Agence régionale de santé centralise les signalements et active l’information des professionnels et les mesures de gestion (lutte antivectorielle).

L’ensemble des acteurs impliqués dans le système est représenté dans la figure 1.

Toutes les structures concernées ont pris part à l’évaluation du dispositif.

Figure 1 : Cartographie des acteurs du système de surveillance West Nile en Guadeloupe, 2023
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Déroulement de l’évaluation

L’évaluation a principalement été conduite en Guadeloupe en présentiel, hybride ou visioconférence selon la localisation des participants. Une première réunion d’information a été organisée le 15 février 2023. Quinze entretiens semi-directifs d’environ une heure chacun ont été conduits auprès de 20 personnes (10 individuels et 5 en binômes) et enregistrés et transcrits entre le 7 mars et le 13 avril 2023.

Deux sessions de notation collective de trois heures ont été organisées les 22 et 23 mai 2023 (8 personnes en hybride). En raison des contraintes de disponibilité, la notation collective s’est achevée à distance (par échange d’emails), permettant de corriger ou de valider les résultats. La réunion de restitution a eu lieu le 17 octobre 2023 en présence de 14 acteurs représentant tous les secteurs du réseau à l’échelle nationale et locale. Un compte-rendu a été largement diffusé auprès d’une cinquantaine d’acteurs du réseau pour validation et information.

Résultats de l’évaluation

Les principales difficultés du dispositif portent sur : i) l’absence de structure d’animation, pilotage et coordination (score de 46% pour l’organisation institutionnelle centrale, figure 2) avec un nombre insuffisant de réunions locales, impactant l’ensemble du dispositif et en particulier sa flexibilité (44%, figure 3) ; ii) le déficit de retour d’informations aux acteurs des différents volets impliqués localement ; et iii) des activités de surveillance cloisonnées avec une collaboration intersectorielle localement insuffisante. Des scores très faibles sont obtenus sur les sections « Formation » et « Évaluation » (17%, figure 2). En effet, aucune formation spécifique n’est proposée aux acteurs du dispositif, et aucune évaluation interne ou externe de ce dernier n’avait encore été réalisée.

La spécificité du dispositif (14%, figure 3) est altérée en raison de définitions de cas suspects peu discriminantes, de la faible spécificité des tests diagnostiques réalisés en première intention – compensée partiellement par la bonne spécificité des confirmations réalisées par les laboratoires de référence – mais aussi par le manque de formation des acteurs de terrain impliqués dans la surveillance événementielle. La représentativité (50%, figure 3) souffre d’une couverture incomplète du territoire par la surveillance événementielle et active, en particulier dans le secteur animal.

Le dispositif peut toutefois compter sur plusieurs points forts : la qualité du fonctionnement des laboratoires et la bonne gestion des données (respectivement 83% et 67%, figure 2), avec des outils appropriés, garantissant des résultats de qualité et respectant les délais de rendu de résultats au client. Cela contribue à la rapidité et à la fiabilité du dispositif (respectivement 78% et 65%, figure 3). Les ressources matérielles, financières et humaines sont jugées suffisantes dans les différents volets, excepté au niveau local dans le volet animal.

Figure 2 : Score attribué par les acteurs de surveillance sur les compartiments et les activités du dispositif de surveillance West Nile en Guadeloupe en 2023, selon la méthodologie Oasis
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Figure 3 : Évaluation des critères de qualité du système de surveillance West Nile en Guadeloupe en 2023
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Recommandations

Au total, six recommandations ont été formulées pour faire évoluer le réseau (tableau) et quatre ont été priorisées lors de l’atelier de restitution :

création d’un comité de pilotage et d’une structure d’animation, éventuellement élargis à d’autres zoonoses ;

édition d’un guide interministériel de procédures pour la surveillance du virus WN en France, tenant compte des spécificités des territoires d’outre-mer pour remplacer la circulaire interministérielle N°DGS/RI1/DGALN/DGAL 2012-360 ;

sensibilisation des acteurs de terrain à l’épidémiologie du virus WN en Guadeloupe, aux manifestations cliniques et au protocole à suivre en cas de suspicion (déclaration, diagnostic) ;

élaboration d’un bulletin d’information annuel et clarification des mécanismes d’alerte entre acteurs.

Tableau : Recommandations issues de l’évaluation Oasis pour améliorer le système de surveillance du virus West Nile en Guadeloupe et son articulation avec le niveau central national
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Mise en œuvre des recommandations

Les acteurs responsables de la mise en œuvre des deux premières recommandations sont Santé publique France, ainsi que les ministères chargés de la Santé, de l’Agriculture et de l’Écologie. Leur coordination permettrait de formaliser un protocole de surveillance basé sur le protocole national, mais adapté aux spécificités de la Guadeloupe, en prenant en compte son contexte tropical et insulaire. Celui-ci présente en effet des particularités épidémiologiques importantes, notamment des zones et périodes à risque spécifiques, ainsi que des espèces vectrices, amplificatrices ou sensibles distinctes qu’il convient de surveiller prioritairement. L’éloignement géographique vis-à-vis de l’hexagone pose des contraintes logistiques, notamment en termes de diagnostic avec des délais plus longs pour les confirmations. Enfin, la diversité des acteurs locaux impliqués dans les différents volets de la surveillance doit être prise en compte dans la gouvernance du système afin de garantir une mise en œuvre opérationnelle efficace.

Le Cirad en Guadeloupe et le Centre national de référence (CNR), qui centralisent actuellement les données de surveillance animale, entomologique (Cirad) et humaine (CNR) en Guadeloupe, ont été identifiés comme les organisations les plus pertinentes pour piloter les deux autres recommandations, en attendant la mise en place d’un comité de pilotage. L’élaboration du bulletin d’information devra cependant être collégiale et mobiliser tous les acteurs de la surveillance. Une première étape consistera à recenser l’ensemble des acteurs à informer de l’actualité de la surveillance. D’autres aspects restent à discuter, notamment l’articulation avec les dispositifs existants, tels que le bulletin de la plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale (Esa), afin d’assurer la complémentarité et la diffusion efficace des informations sanitaires. Les principaux freins identifiés sont la disponibilité des acteurs impliqués et la pérennité de l’initiative dans un contexte général de ressources humaines et financières limitées.

Discussion

Ce travail constitue la première évaluation du réseau de surveillance du virus WN en Guadeloupe. La méthodologie Oasis a permis d’appréhender en détail le système dans son ensemble y compris le lien avec le niveau national, et d’identifier les axes d’amélioration prioritaires : renforcer la communication interne transversale aux différents volets et définition d’une gouvernance et d’un protocole intégré. Déjà perçu comme clef par une poignée d’acteurs des différents volets en 2020 13, le travail réalisé à l’occasion de l’évaluation Oasis a permis d’impliquer l’ensemble des acteurs et d’améliorer la connaissance et la compréhension du dispositif, renforçant leur engagement et motivation à améliorer le dispositif. Surmonter les cloisonnements interministériels constitue néanmoins le principal défi à la mise en œuvre des recommandations. Bien que la surveillance du virus WN en Guadeloupe puisse être considérée comme un exemple concret d’approche « One Health », à l’instar du modèle développé en Nouvelle-Aquitaine 18, la question du financement et de la gouvernance de la surveillance animale devra être précisée lorsqu’il s’agit de maladies à impact majoritairement humain. Plusieurs initiatives nationales contribuent à cette réflexion, notamment les travaux du comité de pilotage de la plateforme Esa, qui a rédigé une note à destination du comité « zoonoses » et de la Task Force interministérielle One Health. Ces travaux visent à explorer les modalités d’organisation et de financement permettant de faciliter la surveillance des maladies zoonotiques dans les populations animales. Les avis émis par ces instances, notamment ceux du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars), ainsi que l’élaboration d’un protocole de surveillance adapté, seront essentiels pour assurer une articulation cohérente entre les niveaux local et national, ainsi qu’entre les secteurs. Les documents et protocoles actuels ne permettent pas encore de garantir cette cohérence intersectorielle.

Limites

La méthodologie Oasis a nécessité quelques adaptations. La disponibilité limitée de certains acteurs a représenté le principal frein, nécessitant une organisation souple des entretiens et, dans certains cas, une notation à distance. Par ailleurs, la complexité structurelle du dispositif, impliquant plusieurs volets de surveillance à des niveaux local et national, a conduit à évaluer chaque critère à partir de la moyenne des scores attribués pour chaque composante. Enfin, certains critères récemment intégrés à la méthode pour évaluer la dimension « One Health » relative à la collaboration intersectorielle ont été adaptés. Ainsi, dans la section 4 dédiée aux laboratoires, le critère « 4.14 Niveau de mutualisation des outils, équipements et personnels avec d'autres dispositifs de surveillance » a été reformulé en « 4.14 Harmonisation des outils, équipements et protocoles entre les différents volets de surveillance », afin de tenir compte des contraintes réglementaires et logistiques propres aux laboratoires de santé humaine et animale, qui limitent les possibilités de mutualisation en dehors de contextes sanitaires exceptionnels. Malgré ces ajustements, la méthodologie Oasis s’est montrée flexible et robuste, notamment grâce à la précision du guide de notation qui a permis une évaluation rigoureuse. De plus, tous les secteurs et tous les niveaux ont été représentés.

Perspectives et conclusions

L’évaluation du système de surveillance du virus WN vise à améliorer son fonctionnement pour un réseau plus coopératif, efficace, et, à terme, plus résilient en Guadeloupe. Une étude italienne a permis d’estimer que l’intégration des données de surveillance animale dans la politique de sécurisation des dons de sang permettait de réduire de manière substantielle le coût de la surveillance et d’éviter des formes sévères de WN par rapport à une surveillance uni-sectorielle (humaine) 6. Bien que ces résultats soient difficiles à extrapoler au contexte guadeloupéen où l’épidémiologie est très différente, cette étude illustre l’intérêt économique de la coopération intersectorielle.

En Guadeloupe, il pourrait également être intéressant de mutualiser les dispositifs de surveillance du virus WN avec celui d’autres flavivirus (virus de la dengue, Zika, etc.) ou zoonoses (leptospirose). En effet, ces maladies partagent une symptomatologie peu spécifique, en particulier dans leurs formes fébriles modérées, rendant le diagnostic différentiel difficile. Ils impliquent aussi des acteurs similaires. Une approche intégrée permettrait non seulement d’optimiser l’usage des ressources (mutualisation des outils, des prélèvements et des tests diagnostiques), mais également d’améliorer la sensibilité globale du dispositif. Toutefois, sa spécificité reste conditionnée à la capacité des laboratoires à confirmer les cas par des méthodes de référence coûteuses.

L’évaluation Oasis a permis d’avoir une vue d’ensemble du dispositif de surveillance du virus WN en Guadeloupe et d’en identifier les principales forces, faiblesses et axes d’amélioration. Elle montre que les objectifs de la surveillance sont partiellement atteints : si la surveillance animale permet une détection précoce de la circulation virale, la transmission de l’alerte aux autres volets, humain en particulier, n’est pas suffisamment réactive, limitant de ce fait la capacité du système à déclencher rapidement les mesures de prévention et de contrôle appropriées.

Elle met en lumière la nécessité de renforcer la collaboration intersectorielle pour coordonner mieux et plus rapidement la mise en œuvre de mesures de gestion adaptées. L’organisation de l’évaluation en elle-même a contribué à renforcer, voire créer, des liens entre les acteurs aux différents niveaux, renforçant leur volonté de construire collectivement un système intégré et mieux connecté à l’échelle nationale. Un protocole de surveillance adapté au contexte local et explicitant les mécanismes d’alerte et de partage de l’information entre acteurs devrait permettre au dispositif de répondre aux objectifs initiaux. Assurer la pérennité des actions est crucial pour l’évolution du dispositif. Cela nécessite la création d’un comité de pilotage et le développement au niveau national d’un cadre clair pour la gouvernance et le financement de tels dispositifs intégrés de surveillance. Sans ces fondations, l’opérationnalisation des collaborations intersectorielles reste fragile. Enfin, la création d’un système collaboratif efficace et doté d’outils adaptés pourrait servir de modèle pour d’autres réseaux de surveillance de maladies zoonotiques prioritaires en Guadeloupe comme la leptospirose.

Remerciements

Nous remercions Jean-Philippe Amat, Julie Rivière et Céline Dupuy de l’Anses/PF Esa pour leur appui sur l’évaluation Oasis. Le travail a été financé par le projet Horizon Europe BComing (projet 101059483).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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Citer cet article

Delacourt R, Cozier J, Cherdieu J, Chevalier V, Desvaux S, Dvihally P, et al. Évaluation du système de surveillance du virus West Nile en Guadeloupe à l’aide de la méthode Oasis. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(18):342-50. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2025/18/2025_18_2.html