Exposition au plomb en lien avec la pratique du tir sportif dans deux clubs du Doubs

// Exposure to lead in relation to recreational shooting practice in two clubs in Doubs, France

François Clinard (francois.clinard@santepubliquefrance.fr), Sonia Chêne, Sabrina Tessier, Élodie Terrien, Olivier Retel
Santé publique France – Bourgogne-Franche-Comté, Dijon
Soumis le 28.04.2025 // Date of submission: 04.28.2025
Mots-clés : Plomb | Saturnisme | Tir sportif | Arme à feu | Environnement
Keywords: Lead | Lead poisoning | Sport shooting | Firearms | Environment

Résumé

Introduction –

Une étude transversale a été réalisée auprès des pratiquants adultes de deux sociétés de tir sportif, avec pour objectif d’évaluer leur exposition au plomb. Ces personnes ont été invitées à se faire prescrire une plombémie et à compléter un questionnaire individuel en ligne, afin de recueillir le(s) résultat(s) de plombémie, leur pratique du tir et d’autres possibles expositions au plomb.

Résultats –

Au terme de l’enquête en février 2020, 41 tireurs de la société A (15% des 269 adultes adhérents en 2018-2019) et 92 tireurs adultes de la société B (32% des 289 adultes adhérents en 2018-2019) ont rempli un questionnaire individuel en ligne et ont effectué au moins une plombémie.

Respectivement 60% et 40% des tireurs des sociétés A et B présentaient des plombémies supérieures au seuil de 70 µg/L, retenu comme seuil de surexposition pour un adulte. Les tireurs exposés étaient majoritairement de sexe masculin. L’imprégnation au plomb augmentait avec la fréquentation des stands de tir. Certaines pratiques comme « participer au nettoyage des stands » ou « manger sur place » étaient associées à des plombémies élevées.

Discussion-Conclusion –

La mise en évidence de plomb dans les stands de tir n’est pas une découverte récente. Les tireurs professionnels bénéficient déjà d’un suivi médical renforcé. Toutefois, ce risque d’exposition au plomb tend à être sous-estimé lorsqu’il se déroule en club associatif, les pratiquants sportifs ne faisant l’objet d’aucune surveillance spécifique. La prise de conscience du problème passe d’abord par une bonne information et sensibilisation des tireurs, encadrants et entraîneurs. Mais, convaincre les pratiquants de prendre des mesures pouvant être vécues comme contraignantes pour eux-mêmes et/ou onéreuses pour les clubs est difficile, alors même que les effets du plomb restent souvent peu visibles à l’échelle individuelle. Une réflexion devrait être engagée pour évaluer le bénéfice d’une surveillance biologique régulière des tireurs sportifs et de loisir, seule à même de révéler les expositions individuelles excessives au plomb.

Abstract

Introduction –

A cross-sectional study of biological exposure was carried out among adult members of two shooting societies. Shooters were invited to be prescribed a blood lead test and to complete an individual online questionnaire in order to collect their blood lead level results(s), information about their shooting activities, and other possible exposures to lead.

Results –

At the end of the survey in February 2020, 41 adult shooters from the club A (15% of the 269 adult members in 2018-19) and 92 adult shooters from the club B (32% of the 289 adult members in 2018-19) completed the survey and performed at least one blood lead test.

Respectively 60% and 40% of shooters from clubs A and B had blood lead levels above the threshold of 70 µg/L used as overexposure threshold for an adult. The exposed shooters were mostly adult males. Lead impregnation increased with attendance at shooting ranges. Some practices such as "to participate in the cleaning of the stands" or "to eat on the spot" were associated with high blood lead levels.

Discussion/Conclusion –

The highlighting of lead in shooting ranges is not a recent discovery, not any more than the impregnation of professional shooters (professionals already benefit from medical monitoring). But this risk of exposure to lead tends to be underestimated when it takes place exclusively in an associative and leisure context, this population is not the subject of any blood lead surveillance. It will remain difficult to convince practitioners to take measures that may be experienced as restrictive for themselves and/or costly for clubs, even though the effects of lead remain frequently barely visible on an individual scale. The usefulness of a regular biological monitoring of recreational shooters, only way of detecting excessive exposure to lead, should be considered.

Introduction

Le plomb est un élément chimique naturel qui n’a aucun rôle physiologique : il ne présente donc aucun bénéfice pour la santé humaine. Son action se manifeste, au contraire, par des effets toxiques dès les plus faibles doses. Les principales cibles sont le système nerveux en développement, le système cardiovasculaire, le rein, le sang, et l’appareil reproducteur 1. Le Centre international de recherche sur le cancer de l’organisation mondiale de la santé (CIRC-OMS) classe le plomb comme un agent probablement cancérogène pour l’homme (groupe 2A). À faible dose, pour des plombémies inférieures à 100 µg/L, les effets du plomb sur la santé sont peu symptomatiques. Sur le long terme, y compris à faible dose, le plomb augmente la tension artérielle et altère la fonction rénale chez l’adulte et le développement cognitif et la croissance chez l’enfant 2. Les populations les plus sensibles aux dangers du plomb sont les enfants de moins de 7 ans et les femmes de 18 à 44 ans en âge de procréer 3,4.

L'exposition au plomb lors de la pratique du tir a été identifiée dans le milieu des années 1980 aux États-Unis 5. Les balles des armes à feu et leur amorce sont souvent fabriquées à partir de plomb. Les particules de plomb émises lors du tir résultent de l’action de gaz chauds produits par l’explosion de la charge de poudre sur la balle, ainsi que le frottement de celle-ci sur le canon de l’arme. Il s’y ajoute une émission de poussières de plomb lors de l’impact de la balle sur la cible et le dispositif pare-balles. Les tireurs s’exposent donc au plomb lors du tir lui-même, mais également au contact des poussières de plomb présentes sur le stand de tir, ainsi que dans certaines activités annexes parfois réalisées à domicile (confection de munitions, nettoyage des armes). La contamination se fait par voie respiratoire lors de l’inhalation de fines particules de tir, ou par voie orale lors de l’ingestion de poussières. En France, les services de médecine du travail et l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) ont publié des articles 6,7 confirmant la réalité de l'exposition environnementale dans les stands de tir et ses conséquences sur certains groupes professionnels (services de police, forces armées).

Le Code du travail fixe pour le plomb et ses composés une valeur limite d'exposition professionnelle (VLEP) réglementaire contraignante de 100 µg/m3, à ne pas dépasser en moyenne sur huit heures dans l’atmosphère des lieux de travail (article R. 4412-149). Le respect de cette valeur limite d’exposition professionnelle doit être considéré comme un objectif minimal de prévention. L’exposition des travailleurs doit être réduite au niveau le plus bas techniquement possible. Les valeurs limites biologiques (VLB) réglementaires contraignantes correspondant aux plombémies à ne pas dépasser sont fixées à 400 µg de plomb par litre de sang pour les hommes et à 300 µg/L de sang pour les femmes (article R. 4412-152). L’article R4412-160 du Code du travail indique qu’une surveillance médicale renforcée de ces travailleurs est nécessaire si la concentration dans l’air est supérieure à 50 µg/m3, en moyenne pondérée sur huit heures, ou si la plombémie est supérieure à 200 µg/L chez les hommes ou à 100 µg/L, chez les femmes. Le contrôle du respect des valeurs limites réglementaires (VLEP et VLB) du plomb doit être réalisé par des laboratoires accrédités (selon les modalités prévues par deux arrêtés du 15 décembre 2009). Par ailleurs, des mesures de lutte contre le saturnisme ont été aussi prévues dans le Code de la santé publique. Celles-ci s’inscrivent dans une démarche générale visant notamment à améliorer le dépistage des populations à risque et leur prise en charge, à prévenir l’apparition du saturnisme, et en particulier à stopper le processus d’intoxication des enfants.

Ces seuils sont en cours de révision dans le cadre d’une transposition en droit français d’une directive européenne 8,9,10 qui devrait conduire à une VLEP de 30 µg/m3 et une VLB de 150 µg/L (pour les deux sexes), accompagnées de seuils de surveillance médicale à 15 µg/m3 et à 90 µg/L (plombémie). De plus, le plomb présente un risque à la fois pour la reproduction et pour le développement du fœtus ou des descendants des femmes exposées, entraînant principalement une perte de quotient intellectuel. Afin de protéger les personnes concernées et d’aider les employeurs à gérer les risques, il sera proposé une valeur biologique de référence indiquant que la plombémie des femmes en âge de procréer ne devrait pas dépasser les valeurs de référence de la population générale qui n’est pas exposée professionnellement au plomb dans l’État membre concerné de l’Union européenne. La valeur de 45 µg/L, établie en 2019 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), pourrait être retenue pour la France. Le Comité d’experts spécialisés (CES) « Expertise en vue de la fixation de valeurs limites à des agents chimiques en milieu professionnel » de l’Anses a recommandé, pour le plomb et ses composés inorganiques, les valeurs de plombémie suivantes :

une valeur limite biologique basée sur les effets neurocomportementaux de 180 μg/L ;

une valeur biologique de référence pour les hommes de 85 μg/L ;

une valeur biologique de référence pour les femmes de 60 μg/L ;

une valeur biologique de référence pour les femmes susceptibles de procréer de 45 μg/L 11.

L’Anses souligne que, dans la mesure où il n’est pas possible d’identifier un seuil sans effet sur la reproduction, la valeur limite biologique n’assure pas de protection contre les effets sur la reproduction et recommande, de ne pas dépasser, pour les femmes susceptibles de procréer, la valeur biologique de référence de 45 μg/L. Elle rappelle également que les valeurs biologiques de référence ici recommandées, élaborées à partir des niveaux d’imprégnation mesurés en population générale, n’ont pas pour objectif de pouvoir apporter un niveau de protection défini vis-à-vis d’effets sanitaires, mais permettent de mettre à disposition une aide à l’interprétation des niveaux d’exposition des travailleurs (au regard du 95e percentile des valeurs observées dans une population générale d’adultes).

En l’absence de seuil d’innocuité, c’est le dépassement du 98e percentile de la distribution de la plombémie dans la population générale qui définit la surexposition au plomb. Sur cette base méthodologique, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a retenu en 2020 les seuils suivants :

50 µg/L pour les enfants de moins de 7 ans ;

30 µg/L pour les enfants de 7 à 17 ans ;

70 µg/L pour les adultes ;

50 µg/L pour les femmes enceintes de plus de 17 ans ;

30 µg/L pour les femmes enceintes de moins de 17 ans.

Des propositions de mesures correctives et préventives ont été formulées par les services de médecine du travail et l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) : améliorer la ventilation et l’organisation des locaux (vestiaires), adopter des règles d’hygiène simples (porter des vêtements dédiés à la pratique, ne pas boire ni manger sur les pas de tir, se laver les mains après une séance de tir, etc.) 6,7.

Au cours du premier semestre de l’année 2019, deux clubs de tir de loisir du Doubs (25) d’approximativement 300 adhérents chacun, ont informé l’Agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté que plusieurs adhérents présentaient des concentrations anormalement élevées de plomb dans le sang. Un médecin généraliste avait prescrit une plombémie chez un tireur assidu, anémié et très fatigué. Le bouche-à-oreille avait alors conduit d’autres tireurs à solliciter leurs médecins dans le même sens. Les clubs avaient connaissance de plombémies de 22 tireurs dont la moyenne (arithmétique) atteignait 256 µg/L. Six plombémies dépassaient 400 µg/L.

Devant ces résultats et de leur propre initiative, les deux clubs de tir ont suspendu leur activité, en mars 2019 pour le club A et mai 2019 pour le club B, incité leurs adhérents à faire réaliser des plombémies et engagés des mesurages environnementaux : les analyses d’air réalisées en mai 2019 dans un des stands du club A, interdit d’accès aux tireurs depuis février 2019, rapportaient des concentrations comprises entre 1,5 et 4 µg/m3. Dans un autre stand (club B), la présence de poussières de plomb a été détectée sur les surfaces du pas de tir (20 000 à 100 000 µg/m2) comme sur le mobilier (200 à 2 000 µg/m2) et le sol (5 000 µg/m2) des espaces de vie. Pour rappel, dans les logements français, la concentration surfacique moyenne en poussières de plomb est inférieure à 10 µg/m2 12.

Cette étude avait pour objectif principal d’évaluer l’exposition au plomb des adhérents des deux clubs de tir, à partir des mesures de plombémies réalisées entre mars 2019 (date de fermeture du stand de tir du club A) ou mai 2019 (date de fermeture du stand de tir du club B), et février 2020 (date de fin d’accès du questionnaire sur Internet). Un objectif secondaire de l’étude était de rechercher des facteurs favorisants d’exposition au plomb au sein des deux clubs.

Matériels et méthodes

Une étude transversale d’exposition biologique a été réalisée auprès des pratiquants adultes de deux sociétés de tir du Doubs, à partir de questionnaires en ligne remplis par eux-mêmes, afin de recueillir le(s) résultat(s) de plombémie, leur pratique du tir et d’éventuelles autres expositions au plomb. Les variables du questionnaire ont été choisies après une recherche bibliographique des facteurs de risque d’exposition au plomb, en particulier dans les stands de tir. Les plombémies ont été prescrites par les médecins généralistes des tireurs s’ils le jugeaient nécessaire et réalisées par les laboratoires d’analyses médicales de proximité. Les questionnaires, accessibles sur Internet entre octobre 2019 et février 2020, portaient sur les pratiques de tir réalisées de septembre 2018 à la date de suspension d’activité des clubs (mars et mai 2019) : fréquence de venue au stand de tir, types d’armes et nombre de munitions utilisées, règles d’hygiène adoptées, autres expositions au plomb (professionnelles ou de loisir). Le détail du questionnaire complet est consultable dans un rapport de Santé publique France 13.

Analyses statistiques

Les variables du questionnaire susceptibles d’expliquer les différences de primo plombémies ont été exploitées avec des tests de comparaison de moyennes (tests de Student), après transformation logarithmique des valeurs de plombémies. Les variables issues de tests présentant un degré de signification statistique inférieur à 20% ont été retenues comme candidates à un modèle de régression linéaire multivarié, en plus de l’âge et du délai séparant le premier jour de fermeture du club de tir avec le jour de réalisation de la plombémie.

Des modèles de régression linéaire expliquant la première plombémie (après transformation logarithmique) ont été construits avec des procédures de sélection de variables itératives pas à pas ascendante et descendante au seuil statistique de 5%. Les variables sélectionnées par ces procédures n’étaient pas exactement les mêmes pour le club A et le club B. Celles qui différeraient ont été imposées dans le modèle final, afin de faciliter la comparaison des résultats sur les deux clubs de tir. Un ajustement sur le délai (en jours) de réalisation de la première plombémie avec la date de fermeture des clubs de tir a été introduit systématiquement dans ces modèles.

Les calculs statistiques ont été réalisés avec le logiciel R (R Core Team (2022)).

Aspects éthiques et autorisations réglementaires

Cette investigation a été menée conformément aux dispositions de l'autorisation n°341194V42 délivrée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) à Santé publique France afin de mener en urgence les investigations épidémiologiques nécessaires pour prévenir ou maîtriser un phénomène épidémique.

Résultats

Participation à l’étude

Au terme de l’enquête en février 2020, 41 tireurs de la société A (15% des 269 adhérents en 2018-2019) et 92 tireurs de la société B (32% des 289 adhérents) ont rempli le questionnaire individuel en ligne et ont effectué au moins une plombémie. Les âges moyens des tireurs qui ont participé à l’enquête étaient proches : 52,8 ans pour la société A et de 50,9 ans pour la société B, majoritairement des hommes (respectivement 88% et 77%).

Plombémies

La moyenne arithmétique des 133 primo plombémies des deux sociétés de tir était égale à 111,9 µg/L et la moyenne géométrique à 78,2 µg/L. La médiane était à 81,0 µg/L. Les profils des deux distributions étaient assez proches avec une moyenne géométrique à 66,0 µg/L pour la société A et à 84,8 µg/L pour la société B. Pour la société A, les plombémies de 24 (58%) tireurs sur 41 dépassaient 70 µg/L correspondant au 98e percentile de la distribution des plombémies des adultes, dans l’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban), conduite en 2014-2016 dans un échantillon représentatif de la population résidant en France métropolitaine 14. Pour la société B, les plombémies de 36 (39%) tireurs sur 92 dépassaient cette valeur. Quelle que soit la classe d’âge considérée, les plombémies de ces tireurs sportifs et de loisir étaient nettement supérieures à celles des plombémies en population générale de l’étude Esteban (figure 1).

Figure 1 : Comparaison des plombémies des tireurs adultes des deux sociétés et par classe d’âge avec les plombémies du programme national de biosurveillance de la population française (étude Esteban,
2014-2016)
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Recherche de facteurs favorisant les plombémies élevées

Société de tir A

Les variables « Mange régulièrement dans les locaux du club, après le tir », « Participe au nettoyage des stands de tir » et « Tire au stand T [plus de 2 fois par mois] » présentaient des moyennes significativement plus élevées que leurs modalités de référence (tableau 1).

Les plombémies augmentaient avec la fréquentation du stand T. La plombémie moyenne (arithmétique) des tireurs qui ne pratiquaient pas dans ce stand était égale à 52,6 µg/L. Elle s’élevait à 87,4 puis 190,6 et 235,8 µg/L, pour respectivement une séance par mois ou moins, 2 à 3 séances par mois et au moins 4 séances par mois. Cette tendance était un peu moins nette avec les moyennes géométriques (tableau 1).

Tableau 1 : Moyennes arithmétique et géométrique* des plombémies en fonction des caractéristiques des tireurs adultes de la société A
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Les facteurs indépendants les uns des autres qui sont associés avec les plombémies élevées sont présentés dans la figure 2. Les plombémies étaient 100% plus élevées que les plombémies moyennes pour les personnes qui participent régulièrement au nettoyage des stands de tir et 50% plus élevées pour ceux et celles qui mangent sur place après une séance de tir. Toutes choses égales par ailleurs, la fréquentation du stand T n’était plus significativement associée aux plombémies élevées comme constaté dans le tableau 1.

Figure 2 : Facteurs indépendants expliquant les plombémies des tireurs adultes de la société de tir A par un modèle de régression linéaire multiple
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Société de tir B

Les tireurs masculins présentaient des plombémies moyennes plus élevées que les femmes (tableau 2). « Fabriquer ses munitions », « Nettoyer des armes du club » ou « des armes [personnelles] à la maison » étaient également associés à une plombémie moyenne plus élevée. Les plombémies des « ouvreurs », personnes responsables d’une séance de tir, comme celles des « personnes qui participent au nettoyage des stands de tir » étaient en moyenne plus élevées que les autres. Enfin, « Manger régulièrement dans les locaux du club, après le tir » était associé à des plombémies moyennes plus élevées.

Tableau 2 : Moyennes arithmétique et géométrique* des plombémies en fonction des caractéristiques des tireurs adultes de la société B
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Dans le modèle statistique multivarié (figure 3), les plombémies étaient plus élevées pour les tireurs qui participaient régulièrement au nettoyage des stands de tir et pour ceux qui pratiquaient au moins 4 fois par semaine du tir à balles à 20 m. La manipulation de plomb pour d’autres usages que le tir est apparue comme un facteur de risque de plombémie élevée statistiquement significatif dans certains modèles intermédiaires (non présentés), mais ne l’était plus dans le modèle final.

Figure 3 : Facteurs indépendants expliquant les plombémies des tireurs adultes de la société de tir B par un modèle de régression linéaire multiple
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Discussion

Cette étude a permis de mettre en évidence une nette imprégnation au plomb des tireurs de loisir dans deux sociétés de tir différentes : 40% à 60% des tireurs présentaient des plombémies supérieures au seuil de 70 µg/L définissant la surexposition au plomb pour un adulte selon le HCSP 15. Certaines pratiques comme « manger sur place » ou « participer au nettoyage des stands » étaient associées à des plombémies élevées. L’imprégnation au plomb tendait à augmenter avec la fréquentation des stands de tir.

Les poussières de plomb provenant des munitions se déposent sur les surfaces (sols, tables et autres mobiliers) 5,16. Les tireurs peuvent transporter des particules de plomb sur leurs mains et leurs vêtements, après avoir pratiqué le tir ou manipulé des armes à feu. Consommer des aliments sur place, sans mesures d’hygiène préalables, favorise donc l’ingestion directe ou indirecte de particules contaminantes. Les poussières déposées sur les mains, les ustensiles, les emballages ou les surfaces de contact peuvent facilement migrer vers la bouche, ce qui constitue une voie d’exposition non négligeable. Plusieurs études observationnelles 5,17,18 ont mis en évidence une association entre la consommation d’aliments sur les lieux de tir et des niveaux de plombémie significativement plus élevés chez les usagers réguliers. Cette exposition orale, bien que passive, peut s’additionner aux autres voies (inhalation, contact cutané indirect) et contribuer au dépassement des seuils biologiques de référence, en particulier chez les individus ne respectant pas les gestes barrières d’hygiène (lavage des mains, changement de vêtements, séparation des espaces propres et sales).

La participation au nettoyage des stands de tir constitue une activité particulièrement à risque en matière d’exposition au plomb. Lors des opérations de balayage, de ramassage des douilles ou de dépoussiérage des surfaces, les particules de plomb déposées au sol ou sur les équipements sont facilement remises en suspension dans l’air ambiant, augmentant l’exposition par inhalation et contact cutané. Plusieurs études ont mis en évidence une élévation significative de la plombémie chez les personnes impliquées régulièrement dans ces tâches. Par exemple, la revue systématique de Laidlaw et coll. 5 rapporte des concentrations moyennes de plomb sanguin jusqu’à 400 µg/L chez des employés de stands ayant participé aux opérations de nettoyage sans équipements adaptés. D’autres rapports des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) 17 et National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) 19, aux États-Unis, confirment que l'absence de protocoles spécifiques (ventilation, nettoyage humide, protection respiratoire) expose les nettoyeurs à des niveaux de plomb supérieurs aux seuils admissibles, y compris dans des contextes non professionnels. L’utilisation d’aspirateurs sans filtres HEPA ou de méthodes de balayage à sec est notamment identifiée comme un facteur majeur de contamination. Ces données soulignent la nécessité de restreindre cette activité aux personnels formés, équipés et informés des risques, y compris dans les stands à usage récréatif.

Dans notre étude, les plombémies augmentaient avec le degré de fréquentation du stand de tir pour la société B, mais cette tendance est plus difficile à retrouver pour la société A, où le signalement initial concernait plus particulièrement le stand fermé (« indoor ») T, géographiquement isolé des locaux principaux de la société de tir, mais fréquenté par peu d’adhérents. L’étude manque probablement de puissance pour mettre en évidence, sur le stand T, cet effet retrouvé dans d’autres études 5,20. Par ailleurs, le stand R, également en intérieur mais exclusivement dédié au tir à air comprimé — une pratique potentiellement moins contaminante 18 — ainsi que le stand C, qui combine des postes de tir en intérieur et en extérieur, ne montrent pas de corrélation claire entre la plombémie et la fréquentation.

Cette étude a été construite dans un cadre de réponse à une alerte sanitaire. Elle présente donc un certain nombre de limites. Ainsi, la participation des tireurs des deux sociétés de tir concernées peut sembler faible (15 à 30%), mais il convient de garder en mémoire que 20% des tireurs de la société de tir B réalisaient 80% des présences au stand. Nous pensons que plus les tireurs étaient assidus au stand de tir, plus ils ont participé à l’étude et été nombreux à réaliser une plombémie. En effet, si seulement 8% des tireurs les moins assidus (moins de 5 séances de tir en 9 mois) nous ont fait connaître leur(s) plombémie(s), plus de 50% des plus assidus nous les ont communiquées.

Les résultats concernant les facteurs de risque associés à une première plombémie élevée chez les adultes doivent être interprétés avec prudence. Certains d’entre eux peuvent ne pas être mis en évidence par l’étude statistique par manque de puissance et/ou imprécision des données collectées, ou parce que les données sont trop corrélées entre elles (elles contiennent des informations proches). Par exemple, les « ouvreurs » sont aussi des personnes qui participent facilement au nettoyage des pas de tir et qui mangent souvent dans les locaux de la société de tir. Il faut alors faire le choix d’introduire l’une et d’exclure l’autre dans les modèles statistiques. Une étude de plus grande envergure, avec un plus grand nombre de répondants et possiblement avec d’autres pratiques de tir pourrait donner des résultats différents. Le modèle statistique retenu dans ce rapport est le résultat d’un compromis dans le choix des variables, réalisé en associant celles toujours significatives dans les modèles testés (âge, nettoyage des stands) et celles retrouvées dans les modèles initiaux, par société de tir (fréquence des sessions de tir, consommations prises sur place, autres expositions au plomb).

Par ailleurs, le questionnaire en ligne volontairement succinct, ne permettait pas toujours de recueillir les informations avec la précision nécessaire (locaux fréquentés, durée des séances de tir, etc.).

La collecte des données en 2020 a dû faire appel à la mémoire de tireurs pour renseigner leur pratique habituelle au cours de la saison 2018-2019, ce qui peut engendrer des imprécisions (ex : estimation de la fréquence de venue au stand de tir), voire des biais (ex : tendance naturelle des personnes les plus exposées à rechercher de manière plus approfondie que les autres tireurs les causes possibles de leur plombémie élevée, donc de rapporter plus fréquemment des possibilités d’exposition au plomb que les autres tireurs).

Conclusion

La découverte de plomb dans les stands de tir n’est pas une découverte récente. Les tireurs pratiquant dans un cadre professionnel bénéficient déjà d’un suivi professionnel renforcé. Mais ce risque d’exposition au plomb tend à être sous-estimé lorsqu’il se déroule exclusivement dans un cadre associatif et de loisir, en l’absence de suivi pour cette population. Les stands de tir abrités dans des locaux fermés semblent plus particulièrement concernés 5. Plusieurs alertes ont été, dans le passé, portées à la connaissance des centres antipoisons et de toxicovigilance 21, de Santé publique France et des agences régionales de santé, le plus souvent vues par le prisme du saturnisme infantile qui fait l’objet d’une déclaration obligatoire 22 et possède un circuit de signalement dédié.

Cette étude montre que l’adulte n’est pas épargné par l’exposition au plomb. L’imprégnation globale des tireurs adultes de loisir est nettement supérieure à la moyenne de la population française et, pour certains, les plombémies sont très supérieures aux valeurs tolérées chez des professionnels exposés à qui s’impose un suivi médical régulier.

La prise de conscience du problème passe d’abord par une bonne information et sensibilisation des tireurs, des encadrants et des entraîneurs. Le ministère de la Santé, Santé publique France et la Fédération française de tir ont élaboré conjointement des brochures et affiches distribuées dans toutes les sociétés de tir de France pour limiter l’exposition au plomb lors de la pratique du tir de loisir en conseillant des gestes simples de prévention comparables au milieu professionnel : utiliser une tenue réservée au tir, s’abstenir de boire ou manger sur les pas de tir, se doucher ou a minima se laver les mains en fin de séance, être particulièrement vigilant lors du nettoyage des armes (plutôt au stand de tir qu’à domicile) et des locaux (serpillère pour un nettoyage humide, port de protections individuelles).

La licence de tir sportif est assujettie à une visite médicale obligatoire annuelle. Les médecins généralistes en ville doivent être aussi sensibilisés, afin d’évoquer le risque d’exposition au plomb et proposer un dosage au moindre doute.

Remerciements

Les auteurs remercient chaleureusement les deux sociétés de tir, leurs présidents, comités directeurs et adhérents pour leur accueil et leur confiance. Cette étude a bénéficié du soutien technique du service Santé Environnement de l’Agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté (Sandrine Allaire, Didier Rollet et Éric Lalaurie) et du Centre antipoison et de toxicovigilance (CAPTV ) de Nancy (Emmanuel Puskarczyk, Christine Tournoud et Jacques Manel). Le manuscrit a été enrichi par des réflexions échangées avec Robert Garnier (CAPTV de Paris), Emmanuelle Vaissière (Santé publique France), Aurore Czerwiec (CAPTV de Lyon) et deux relecteurs anonymes que nous remercions.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

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2 Gonzalez-Villalva A, Marcela RL, Nelly LV, Patricia BN, Guadalupe MR, Brenda CT, et al. Lead systemic toxicity: A persistent problem for health. Toxicology. 2025;515:154163.
3 Larsen B, Sánchez-Triana E. Global health burden and cost of lead exposure in children and adults: A health impact and economic modelling analysis. Lancet Planet Health. 2023;7(10):e831-40.
4 Swaringen BF, Gawlik E, Kamenov GD, McTigue NE, Cornwell DA, Bonzongo JC. Children’s exposure to environmental lead: A review of potential sources, blood levels, and methods used to reduce exposure. Environ Res. 2022;204(Pt B):112025.
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9 Union européenne. Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 98/24/CE du Conseil et la directive 2004/37/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les valeurs limites pour le plomb, ses composés inorganiques et les diisocyanates. https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/12745-Sante-et-securite-au-travail-protection-des-travailleurs-contre-lexposition-a-des-substances-chimiques-plomb-et-diisocyanates-_fr
10 The Advisory Committee on Safety and Health at Work. Opinion on an EU Binding Occupational Exposure Limit Value (BOEL) and Binding Biological Limit Value (BLV) for Lead and its inorganic compounds under the chemical agents directive 98/24/EC. https://circabc.europa.eu/ui/group/cb9293be-4563-4f19-89cf-4c4588bd6541/library/
60b206e1-ee10-40c2-9540-fb6510c11a0c/details
11 Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Document relatif à l’expertise en vue de la fixation de valeurs limites d’exposition à des agents chimiques en milieu professionnel – Évaluation des effets sur la santé et des méthodes de mesure des niveaux d’exposition sur le lieu de travail pour le plomb et ses composés inorganiques. (Saisine 2013-SA-0042). Maisons-Alfort: Anses; 2022. 180 p. https://www.anses.fr/fr/system/files/VSR2013SA0042-1Ra.pdf
12 Lucas JP, Le Bot B, Glorennec P, Etchevers A, Bretin P, Douay F, et al. Lead contamination in French children’s homes and environment. Environ Res. 2012;116:58-65.
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exposition-au-plomb-en-lien-avec-la-pratique-du-tir-sportif-dans-deux-societes-de-tir-du-doubs-25
14 Oleko A, Fillol C, Balicco A, Bidondo M, Gane J, Saoudi A, et al. Imprégnation de la population française par le plomb. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016. Saint-maurice: Santé publique France; 2020. 53 p. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/impregnation-de-la-population-francaise-par-le-plomb.-programme-national-de-biosurveillance-esteban-2014-2016
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Citer cet article

Clinard F, Chêne S, Tessier S, Terrien É, Retel O. Exposition au plomb en lien avec la pratique du tir sportif dans deux clubs du Doubs. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(16):300-10. https://beh.santepubliquefrance.fr/
beh/2025/16/2025_16_2.html