Facteurs de risque de gravité en cas de noyade accidentelle et caractéristiques des victimes : analyse des données des enquêtes NOYADES 2018 et 2021 en France
// Risk factors for severity in accidental drowning and characteristics of victims: Analysis of data from the 2018 and 2021 NOYADES surveys in France
Résumé // Abstract
Introduction –
Chaque année, les noyades accidentelles causent environ 1 000 décès en France. Cet article présente une analyse, à partir des données des enquêtes NOYADES 2018 et 2021, des facteurs de risque de gravité en cas de noyade et les caractéristiques des victimes, dont une meilleure connaissance pourrait améliorer la prévention.
Méthode –
Les enquêtes NOYADES 2018 et 2021 ont permis de recueillir, via un questionnaire standardisé, des données sur les noyades prises en charge en France par des services de secours durant l’été. La variable « niveau de gravité » de la noyade a été construite à partir, notamment, du stade de gravité en quatre niveaux, complété par les services de secours, le quatrième niveau étant défini comme noyade grave. Les facteurs de risque et les surrisques de gravité en cas de noyade ont été établis à partir d’une régression de Poisson à variance robuste.
Résultats –
Parmi les 2 866 noyades analysées, les noyades graves concernaient davantage les hommes et les adultes (la proportion de noyades graves augmentant avec l’âge). Parmi les variables incluses dans le modèle multivarié, le principal facteur de risque de gravité en cas de noyade était l’âge, les personnes de 65 ans et plus ayant trois fois plus de risque que leur noyade soit grave par rapport aux 0-5 ans. Les autres facteurs de risque étaient le fait d’être un homme, le fait de résider à l’étranger, lorsque la noyade a eu lieu en piscine privée familiale ou en cours d’eau/plan d’eau plutôt qu’en mer, lorsqu’elle a eu lieu dans les régions du Sud-Ouest, du Nord-Ouest, de l’intérieur et en outre-mer plutôt que dans le Sud-Est, lorsque les secours étaient intervenus le matin et en cas de survenue d’un malaise (incidence rate ratio – IRR – compris entre 1,14 et 1,77). Après stratification sur l’âge, la consommation d’alcool était également un facteur de risque de gravité en cas de noyade chez les adultes.
Discussion –
Cette étude permet d’identifier pour la première fois des facteurs de risque de gravité en cas de noyade en France, pour tous âges et par classe d’âge. Elle définit des populations cibles prioritaires pour la prévention.
Introduction –
Each year, accidental drownings cause around 1,000 deaths in France. This article presents an analysis, based on data from the 2018 and 2021 NOYADES surveys, of the risk factors for severity in cases of drowning and characteristics of the victims, a better understanding of which could enhance prevention efforts.
Methods –
The 2018 and 2021 NOYADES surveys collected data on drownings managed by emergency services in France during the summer, using a standardized questionnaire. We primarily constructed the variable “severity level” of the drowning based on a four-level severity scale completed by emergency responders, with the fourth level defined as severe drowning. We identified risk factors and excess risks for severity in the event of drowning using Poisson regression with robust variance.
Results –
We analysed 2,866 drownings. Severe drownings were more frequent among males and adults, with the proportion of severe drownings increasing with age. In the multivariable model, age was the primary risk factor for severity in cases of drowning: individuals aged 65 and older had a threefold higher risk of experiencing a severe drowning compared to children aged 0–5 years. Other risk factors (incidence rate ratio – IRR – between 1.14 and 1.77) included being male, residing abroad, drowning occurring in a private family swimming pool or in a river/lake rather than in the sea, emergency intervention in the morning, and the occurrence of a faintness preceding the drowning. Geographic region also played a role, with higher risk factors observed in the South-West, North-West, inland France, and overseas regions compared to the South-East. After stratification by age, we also found alcohol consumption to be a risk factor for severity in cases of drowning among adults.
Discussion –
This study is the first to identify risk factors for severity in cases of drowning in France, both across all age groups and within specific age categories. The findings highlight key target populations for evidence-based prevention strategies.
Introduction
Dans son dernier rapport global publié en 2024 sur les noyades, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a évalué à 300 000 le nombre de décès par noyade accidentelle dans le monde en 2021 1. En France, chaque année, les noyades accidentelles sont à l’origine d’environ 1 000 décès et concernent tous les âges 2. En 2016, chez les moins de 25 ans, elles représentaient 23% des décès par accident de la vie courante. Pour l’ensemble des noyades accidentelles, 42% des décès concernaient les 25-64 ans et 44% les 65 ans et plus 2. Outre le décès, la noyade peut provoquer des séquelles parfois graves chez la victime, notamment neurologiques, avec un impact potentiellement important sur la qualité de vie et sur le nombre d’années de vie vécues avec incapacité 3,4,5. Décrire les caractéristiques des noyades accidentelles selon le niveau de gravité et analyser les facteurs de risque de la gravité en cas de noyade peut apporter de précieux enseignements pour améliorer la prévention.
Entre 2002 et 2021, Santé publique France avait mis en place durant l’été des enquêtes NOYADES pour recenser le nombre de noyades et décrire les caractéristiques des victimes et les circonstances de survenue des noyades en France. Les 8e et 9e éditions de l’enquête NOYADES ont eu lieu en 2018 et en 2021 en collaboration avec la Direction générale de la Santé, les ministères de l’Intérieur, des Sports et de la Transition écologique. Les résultats complets de ces enquêtes NOYADES ont fait l’objet d’un rapport 6,7.
Cet article présente les facteurs de risque de gravité en cas de noyade accidentelle et les caractéristiques des victimes, à partir des données des deux dernières enquêtes NOYADES 2018 et 2021 en France.
Matériel et méthodes
Le dispositif et le questionnaire des enquêtes Noyades 2018 et 2021
Ces enquêtes, à méthodologie standardisée et comparable entre les éditions, ont été réalisées entre le 1er juin et le 30 septembre en France hexagonale et dans l’ensemble de l’outre-mer. Toutes les noyades prises en charge par les services de secours organisés (pompiers, Samu-Smur, police, gendarmerie, etc.) et suivies d’une prise en charge hospitalière (passage aux urgences, hospitalisation dans un service spécialisé) ou d’un décès ont été comptabilisées.
Les objectifs principaux étaient de :
–recenser le nombre de noyades accidentelles, suivies ou non de décès ;
–décrire les caractéristiques des victimes ;
–décrire les activités pratiquées et les circonstances lors de la survenue de ces noyades ;
–étudier l’évolution des circonstances de ces noyades entre les enquêtes.
Les données ont été recueillies via un questionnaire dédié, complété par la ou les personnes qui se sont occupées de la victime. Le questionnaire portait sur les principales caractéristiques sociodémographiques de la victime, la date et le lieu de la noyade, la sécurité du lieu de la noyade, les conditions de survenue (accident, suicide ou agression), le stade clinique de la noyade, les activités pratiquées lors de la noyade, les circonstances de la noyade et le devenir de la victime. En outre, les données de prise en charge hospitalière pour noyade ont été complétées grâce au croisement systématique des données des enquêtes NOYADES avec celles du système de surveillance du réseau Oscour® qui collecte les données issues des passages aux urgences de près de 700 services d’urgence de France (soit plus de 90% des passages totaux). La description de la méthodologie des enquêtes NOYADES 2018 et 2021 est détaillée dans les rapports ad hoc 6,7.
Construction des indicateurs, analyses statistiques et présentation des résultats
Pour la présente analyse, seules les données de noyades accidentelles ont été sélectionnées (hors noyades intentionnelles et d’intentionnalité non connue). Nous avons pris en compte les données des deux dernières enquêtes NOYADES de 2018 et 2021 pour gagner en puissance statistique. Les structures par sexe, âge et lieu de noyade étaient globalement identiques entre ces deux enquêtes.
La gravité d’un événement de santé est habituellement mesurée via l’occurrence de décès ou de conséquences cliniques plus spécifiques qu’il peut engendrer. Pour les noyades, la classification en six stades du docteur D. Szpilman à partir de données cliniques, développée en 1972, puis mise à jour en 1997 puis 2001, constitue la mesure de gravité de référence dans les études cliniques internationales, et permet de définir un taux prédictif de mortalité 8,9. Les six stades ont été établis à partir de critères cliniques (neurologique, respiratoire et cardiovasculaire) recueillis au moment de la prise en charge de la noyade à partir de l’étude de 2 304 cas survenus sur une période de 20 ans à Rio de Janeiro de 1972 à 1991. Ils s’échelonnent du stade 1 (auscultation pulmonaire normale, avec toux) avec un taux de mortalité de 0%, au stade 6 (arrêt cardio-respiratoire) avec un taux de mortalité de 93%. Les données nécessaires pour utiliser cette classification ne pouvant pas être systématiquement recueillies durant les enquêtes NOYADES, nous avons choisi d’utiliser une autre classification, plus simple et utilisable par des non cliniciens (notamment les pompiers), développée par Simcock en 1979, puis mise à jour en 2002 à partir d’une étude de cinq ans sur des victimes de noyade en Cornouailles au Royaume-Uni 10,11. Les victimes étaient réparties en quatre groupes de niveaux établis en fonction de leur état à l’arrivée à l’hôpital : dans le groupe 1, ceux sans indication d’inhalation liquidienne ; dans le groupe 2, ceux avec indication d’inhalation liquidienne mais avec une ventilation adéquate ; dans le groupe 3, ceux avec une ventilation inadéquate ; et dans le groupe 4, ceux sans ventilation ou en arrêt cardiaque.
Pour construire l’indicateur du niveau de gravité de la noyade, nous sommes partis de la variable « stade de la noyade ». Cette variable classe, dans l’ensemble des enquêtes NOYADES, les noyades en quatre stades cliniques de gravité comparables à la classification de Simcock et complétés par les services de secours et les structures de santé au démarrage de la prise en charge :
–stade 1 – aquastress : pas d’inhalation liquidienne, angoisse, hyperventilation, tachycardie, tremblements ;
–stade 2 – petite noyade : encombrement liquidien broncho-pulmonaire, cyanose des extrémités, hypothermie ;
–stade 3 – grande noyade : obnubilation ou coma, état de détresse respiratoire aiguë ;
–stade 4 – anoxie : arrêt cardio-respiratoire en cours d’installation ou avéré et coma aréactif.
Nous avons aussi pris en compte la durée totale de prise en charge de la victime qui correspond à la période entre la date d’intervention des secours et la date de sortie de l’hôpital lorsqu’elle avait été déclarée. La prise en charge couvrait tous les passages de la victime dans un service entre son arrivée et son départ de l’hôpital (services d’urgence, services spécialisés). Une durée approximée moyenne de prise en charge a été estimée en ajoutant une demi-journée à la borne inférieure du jour de prise en charge initiale (en faisant l’hypothèse d’uniformité à l’intérieur de la période) : par exemple, si la date de sortie de l’hôpital était la même que la date d’intervention, soit une durée de moins de 24 heures, la durée moyenne du séjour a été estimée à 0,5 jour, si la date de sortie de l’hôpital était le jour suivant la date d’intervention des secours organisés, l’estimation a été de 1,5 jour, etc.
L’indicateur du niveau de gravité de la noyade a été construit à partir du stade de la noyade quand celui-ci avait été renseigné, ou à partir de l’issue (décès) ou de la durée de prise en charge de la victime lorsque le stade de la noyade n’avait pas été renseigné :
–niveau 1 correspondant à un stade 1 (aquastress) ou si le stade n’avait pas été renseigné, à une durée de prise en charge d’un jour ou moins ;
–niveau 2 correspondant à un stade 2 (petite noyade) ou si le stade n’avait pas été renseigné, à une durée de prise en charge de deux jours ;
–niveau 3 correspondant à un stade 3 (grande noyade) ou si le stade n’avait pas été renseigné, à une durée de prise en charge comprise entre trois et cinq jours ;
–niveau 4 correspondant à un stade 4 (anoxie) ou si le stade n’avait pas été renseigné, au décès de la victime ou à une durée de prise en charge de six jours ou plus.
Nous avons défini comme graves les noyades en niveau 4, conformément aux résultats des analyses de 2002 de Simcock dans laquelle aucune des victimes de noyades des groupes 1, 2 et 3 ayant survécu n’avait eu de séquelle cérébrale, alors que les victimes du groupe 4 avaient eu un taux de survie de 25% et parmi celles qui avaient survécu, 21% avaient eu des séquelles neurologiques 10,11.
Dans cette étude, le nombre et le pourcentage de noyades accidentelles sont présentés selon le niveau de gravité de la noyade et comparés entre les modalités des variables d’intérêt (qualitatives à k classes) avec le test du Chi2. Les durées moyennes de prise en charge sont présentées et comparées entre les k classes des variables d’intérêt qualitatives avec le test d’Anova. Les comparaisons sont considérées statistiquement significatives au seuil de 5%. Un modèle de régression de Poisson à variance robuste a été construit afin d’identifier les facteurs de risque de gravité en cas de noyade pour l’ensemble des noyades analysées ou chaque sous-groupe de noyades étudié. Ce modèle est adapté pour estimer un risque relatif ajusté, mesuré par l’incidence rate ratio (IRR, rapport de taux d’incidence), et obtenir des estimations non biaisées quand l’événement étudié est fréquent, ce qui est le cas ici (proportion de noyades graves). Pour ce modèle, une variable binaire d’intérêt a été construite à partir du niveau de gravité de la noyade avec, d’une part le regroupement des noyades de niveau 1, 2 et 3, considérées comme « non graves », et d’autre part les noyades de niveau 4, considérées comme graves. Nous avons inclus dans les modèles tous âges et par classe d’âge toutes les variables disponibles pouvant influer sur le niveau de gravité de la noyade. Pour chaque modèle sont présentés les IRR et les intervalles de confiance à 95% correspondants. Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata®.
Résultats
En France, pour les périodes du 1er juin au 30 septembre 2018 et 2021, les enquêtes NOYADES avaient recensé respectivement 1 649 et 1 480 noyades accidentelles dont 25 et 27% suivies de décès (n=406 et 394), soit un total pour les deux périodes de 3 129 de noyades dont 26% suivies de décès (n=800) 6,7.
Parmi ces 3 129 noyades, le niveau de gravité a pu être codé pour 2 832 (91%) pour lesquelles le stade de la noyade était renseigné par les services de secours, et pour 34 (1%) autres dont le stade n’était pas renseigné, mais pour lesquelles des données étaient disponibles sur un décès, ou une durée de prise en charge. Ainsi, 12 sujets décédés ont été reclassés en niveau 4, 16 sujets avec une prise en charge d’un jour ou moins ont été reclassés en niveau 1, 3 sujets avec une prise en charge de 2 jours ont été reclassés en niveau 2, 1 sujet avec une prise en charge de 5 jours reclassé en niveau 3, et 2 sujets avec une prise en charge de 6 jours ou plus ont été reclassés en niveau 4. Le nombre total de noyades analysées a donc été de 2 866 (92%). Concernant les 263 noyades (8%) sans niveau de gravité, donc non prises en compte, leurs structures par sexe, âge et lieu de noyade étaient globalement similaires avec celles des 2 866 noyades conservées pour l’analyse.
Noyades accidentelles selon leur niveau de gravité
Parmi les 2 866 noyades accidentelles analysées au cours des étés 2018 et 2021, 662 victimes (23%) étaient décédées sur le lieu de noyade et 2 204 victimes (77%) avaient été transportées à l’hôpital. Parmi ces dernières : 861 noyades (30%) avaient été suivies d’une prise en charge d’un jour ou moins, 226 (8%) de deux jours ou plus et 138 (5%) étaient décédées après leur arrivée à l’hôpital. Pour 979 victimes (34%), la durée de prise en charge n’était pas connue.
Le niveau de gravité de la noyade correspondait pour 799 noyades (28%) au niveau 1, pour 773 (27%) au niveau 2, pour 247 (9%) au niveau 3 et pour 1 047 (37%) au niveau 4 le plus grave. La durée moyenne de prise en charge pour les noyades non suivies de décès était de 2,2 jours [minimum : 0,5 ; maximum : 93,5 jours]. Elle augmentait avec le niveau de gravité de la noyade (0,9 jours, 1,9 jours, 4,8 jours, et 6,4 jours, respectivement pour les niveaux 1,2,3 et 4). La proportion de victimes décédées était de 1%, 0,3%, 9% et 73%, respectivement pour les niveaux 1,2,3 et 4.
Analyses univariées des caractéristiques des victimes et des noyades selon le niveau de gravité de la noyade accidentelle
Les différences mises en évidence dans les analyses univariées présentées ci-dessous sont statistiquement significatives. Les chiffres détaillés sont présentés dans les tableaux 1 et 2.
Globalement (tableau 1), la proportion des noyades de niveau 4 augmentait avec l’âge, et était plus élevée chez les hommes, ainsi que chez les victimes résidant à l’étranger. Elle était plus élevée en cas de survenue concomitante de malaises, qui étaient plus souvent rapportés chez les personnes d’âges intermédiaires et élevés. Chez les 13 ans et plus, la proportion des noyades en niveau 4 était plus élevée en cas de consommation d’alcool rapportée. La durée moyenne de prise en charge variait selon l’âge : elle était de 1,5 jours chez les moins de 6 ans vs 4,9 jours chez les 65 ans et plus et entre 1,4 et 2,1 jours pour les autres classes d’âge. De même, la durée moyenne de prise en charge était plus importante pour les noyades avec survenue de malaise : respectivement 4,9 vs 1,8 jours.
8e et 9e éditions, Santé publique France
Agrandir l'imageLa proportion des noyades en niveau 4 était plus élevée pour les noyades survenues en cours d’eau/plan d’eau, dans les régions du Nord-Ouest, de l’intérieur et en outre-mer, pour les noyades avec intervention des services de secours le matin et la nuit, celles survenues en septembre, hors période de vacances ou hors week-end (tableau 2). Pour les noyades en milieu naturel (cours d’eau, plan d’eau et mer), la proportion des noyades en niveau 4 était plus élevée dans les zones non surveillées, les zones interdites et lorsqu’une activité hors baignade avait été renseignée. La durée moyenne de prise en charge variait selon l’heure d’intervention des services de secours : elle était de 3,7 jours pour les interventions le matin, de 3,2 jours entre 12h et 14h et de 3,1 dans la nuit, à mettre en rapport avec celles de l’après-midi et en soirée (respectivement 1,9 et 2,3 jours).
et lieux de la noyade, France, 1er juin au 30 septembre 2018 et 2021 (N=2 866), enquêtes NOYADES 2018
et 2021 – 8e et 9e éditions, Santé publique France
Agrandir l'imageAnalyse multivariée des facteurs de risque de gravité en cas de noyade accidentelle
En population générale, dans le modèle multivarié (après ajustement sur toutes les variables d’intérêt précédemment mentionnées), le risque de gravité (en niveau 4) en cas de noyade augmentait avec l’âge qui est le principal facteur de risque (tableau 3). Le risque était plus élevé chez les hommes, chez les personnes résidant à l’étranger, lorsque la noyade avait eu lieu en piscine privée familiale ou en cours d’eau/plan d’eau par rapport à la survenue en mer, dans les régions du Sud-Ouest, du Nord-Ouest, de l’intérieur et en outre-mer par rapport au Sud-Est, lorsque les secours étaient intervenus le matin par rapport au midi et à l’après-midi et en cas de survenue d’un malaise. Le moment de la survenue de la noyade (mois, vacances, week-end, période de vigilance canicule) n’a pas influé sur le risque de gravité en cas de noyade. Les facteurs de risque de gravité en cas de noyade étaient globalement similaires entre les hommes et les femmes.
Dans l’analyse des facteurs de risque par classe d’âge (la consommation rapportée d’alcool a été rajoutée dans le modèle à partir des 20 ans et plus), le risque de gravité en cas de noyade était plus élevé pour les noyades survenues :
–chez les 0-5 ans : en piscine privée familiale (vs en mer) et dans les régions de l’intérieur, en outre-mer (vs dans le Sud-Est) ;
–chez les 6-19 ans : en piscine privée familiale, dans les autres piscines, en cours d’eau/plan d’eau (risque près de six fois supérieur à la mer) et en outre-mer ;
–chez les 20-44 ans : chez les hommes, les personnes résidant à l’étranger, en piscine privée familiale, en cours d’eau/plan d’eau, le matin (vs le midi et l’après-midi) et lorsqu’une consommation d’alcool était rapportée ;
–chez les 45-64 ans : chez les hommes, en piscine privée familiale, en cours d’eau/plan d’eau, dans les régions du Nord-Ouest, lorsqu’un malaise a été rapporté et en juin par rapport à septembre ;
–chez les 65 ans et plus : en piscine privée familiale, dans les régions du Nord-Ouest, de l’intérieur et en outre-mer, le matin, en septembre, lorsqu’un malaise était rapporté et lorsqu’une consommation d’alcool était rapportée.
Dans l’analyse des facteurs de risque pour les seules noyades en milieu naturel (cours d’eau, plan d’eau et mer), nous avons ajouté dans le modèle le fait de s’être noyé dans une zone de baignade surveillée ou pas, et le fait de s’être noyé dans une zone de baignade interdite ou pas. Le risque de gravité en cas de noyade augmentait pour les noyades dans une zone de baignade non surveillée (par rapport à une zone surveillée) et pour les zones de baignade interdite (par rapport à une zone non interdite). Le risque de gravité en cas de noyade plus élevé pour les noyades dans une zone de baignade non surveillée était constaté quel que soit le sexe et chez les 6-19 ans, les 20-44 ans et les 65 ans et plus (par rapport à une zone surveillée).
Chez les 13 ans et plus, nous avons ajouté dans le modèle le fait d’avoir ou pas consommé de l’alcool au moment de la noyade. Le risque de gravité en cas de noyade augmentait pour les noyades avec consommation rapportée d’alcool. Par sexe, ce même risque en cas de consommation d’alcool n’existait que chez les hommes. Par âge, il existait chez les 20-44 ans et chez les 65 ans et plus.
Agrandir l'imageDiscussion
Synthèse des résultats
Notre analyse par niveau de gravité de la noyade a permis de décrire les caractéristiques de 2 866 victimes de noyades accidentelles représentant 92% de l’ensemble des noyades remontées par les services de secours en France hexagonale et en outre-mer dans les enquêtes Noyades 2018 et 2021. Plus d’un quart des noyades (28%) prises en charge par les services de secours ont été suivies d’un décès, soit directement sur le lieu de la noyade soit à l’hôpital. La durée moyenne de prise en charge pour les noyades non suivies de décès était de 2,2 jours.
Dans les analyses multivariées, le principal facteur de risque de gravité en cas de noyade était l’âge (jusqu’à trois fois plus de risque que la noyade soit grave chez les 65 ans et plus par rapport aux 0-5 ans). Les noyades étaient également plus graves quand elles survenaient chez les hommes, des individus résidants à l’étranger, en piscine privée familiale ou en cours d’eau/plan d’eau, dans les régions du Sud-Ouest, du Nord-Ouest, de l’intérieur et en outre-mer, quand les secours étaient intervenus le matin, en cas de survenue d’un malaise, et en cas de consommation d’alcool chez les adultes. Après stratification sur l’âge, chez les 6-19 ans, le risque de noyade grave était près de six fois plus élevé en cours d’eau/plan d’eau par rapport à la mer. Le moment de la survenue de la noyade (mois, vacances, week-end, période de vigilance canicule) n’influait pas le risque de gravité en cas de noyade.
Approche de la gravité en cas de noyades dans la littérature
Plusieurs études ont estimé la part des noyades accidentelles suivies de prises en charge hospitalière longues et/ou suivies de séquelles dans différents pays. Une étude américaine a estimé au niveau national à 25% la proportion de victimes pédiatriques de noyades arrivées aux urgences qui ont dû être orientées vers d’autres services plus adéquats ou vers une hospitalisation 12. Une étude suisse estimait qu’après une noyade, 10% des victimes âgées de 18 ans et moins emmenées à l’hôpital développaient des troubles neurologiques sévères 13. Cette même proportion était estimée à 7,5% dans une étude observationnelle espagnole 14. Une étude observationnelle sud-coréenne menée pendant 20 ans dans un hôpital de Séoul estimait que 23% des personnes âgées de 65 ans et plus arrivées dans un service d’urgence pour noyade étaient réorientées dans un autre service 15. Deux thèses de médecine concernant les prises en charge pour noyade survenues en France (Réunion et Mayotte entre 2015 et 2021 et Var entre 2019 et 2022), indiquaient que la durée moyenne de séjour hospitalier et la mortalité augmentaient avec les stades de la classification de Szpilman 16,17.
Hypothèses pour les risques et surrisques de gravité en cas de noyade identifiés dans notre étude
Notre analyse a permis d’identifier pour la première fois des facteurs de risque de gravité en cas de noyade, et de quantifier les surrisques associés, à partir des données des enquêtes NOYADES 2018 et 2021. Ces résultats apportent un éclairage nouveau en prenant en compte le niveau de gravité de la noyade, les précédentes analyses ayant été menées à partir du nombre total de noyades et de noyades suivies de décès 6,7.
Le risque plus élevé de gravité en cas de noyade chez les hommes par rapport aux femmes a été constaté dans toutes les études internationales 1. En France, le taux de mortalité standardisé par noyade accidentelle était trois fois plus important chez les hommes que chez les femmes (respectivement 2,1/100 000 vs 0,7/100 000) 2. Le surrisque de gravité en cas de noyade augmentait avec l’âge. Si les noyades accidentelles étaient nombreuses aux âges jeunes, les plus graves concernaient davantage les populations plus âgées, notamment du fait de la survenue de malaises dans l’eau. Les enfants sont globalement activement surveillés pendant la baignade ce qui n’est pas le cas chez les adultes, a fortiori les plus âgés. La réactivité des secours en cas de noyade est donc globalement moindre chez ces derniers, entraînant une gravité de la noyade plus importante.
Le risque de gravité en cas de noyade était plus important en piscine privée familiale pour l’ensemble des classes d’âge. Ces résultats montrent que les campagnes de prévention contre les noyades en piscine privée familiale devraient, en plus des jeunes enfants, cibler aussi les personnes plus âgées. Pour les noyades dans les autres piscines (piscines payantes ou piscines privées à usage collectif), le surrisque de gravité en cas de noyade chez les 6-19 ans uniquement pourrait provenir de comportements plus à risque en ces lieux. Le surrisque de gravité en cas de noyade en cours d’eau et plan d’eau concernait principalement les 6-19 ans (risque près de six fois plus important qu’en mer) et dans une moindre mesure, les adultes. Les noyades en cours d’eau et plan d’eau ont davantage lieu dans des zones non surveillées et interdites à la baignade qui rendent souvent plus difficile et plus longue l’arrivée des services de secours. En outre, la consommation d’alcool, lorsqu’elle est rapportée, était plus importante lors des noyades en cours d’eau et plan d’eau par rapport aux autres lieux de noyade 6,7.
Nous avons noté un risque de gravité en cas de noyade plus élevé chez les victimes résidant à l’étranger par rapport à celles résidant en France qui pourrait s’expliquer en partie par une mauvaise compréhension par les touristes étrangers de la signalétique de sécurité en France. Celle-ci ne reprend en effet ni les couleurs ni les formes de drapeaux de la norme internationale. Au vu de ces résultats, les travaux d’harmonisation de la signalétique française des baignades aux normes internationales et de traduction des messages de prévention dans les principales langues étrangères de provenance des touristes méritent d’être poursuivis. Une étude australienne avait évalué la proportion de voyageurs étrangers parmi les décès par noyade entre 4 et 5% 18.
Le risque de gravité en cas de noyade était moins important dans les régions côtières du Sud-Est, par rapport aux régions intérieures sans façade maritime et aux régions côtières du Nord et de l’Ouest. Les régions du Sud-Est, plus touristiques, présenteraient des lieux de baignades plus souvent surveillés, la perception du risque de noyade y serait potentiellement plus importante et les actions de prévention plus nombreuses que dans les autres régions. Les régions intérieures se caractérisent par de nombreux cours d’eau et plans d’eau, lieux de baignade davantage non surveillés. Concernant les noyades en outre-mer, peu d’études sont disponibles 16. Les circonstances des noyades dans les régions et territoires d’outre-mer sont différentes de celles en hexagone du fait, pour la plupart d’entre eux, de leur insularité en zone tropicale et en matière de contexte environnemental et réglementaire : présence de coraux et d’espèces animales dangereux (poisson-pierre, rascasse volante, corail de feu, oursin diadème des Antilles…), plages majoritairement non aménagées et non surveillées. En outre, une saisonnalité différente de baignade (étendant les périodes favorables) et une pratique plus fréquente d’activités à risque en mer (pêche et plongée en apnée, sports nautiques, plongée en bouteille…) par rapport à l’Hexagone pourrait augmenter la prise de risque individuelle, et ainsi le risque de gravité en cas de noyade. Une meilleure caractérisation de ces éléments par la mise en place d’études ad hoc sur ces territoires serait utile pour la mise en place de campagnes de prévention adaptées.
Concernant l’heure d’intervention des secours, nous avons identifié un surrisque de gravité en cas de noyade survenues le matin. Á cet horaire, le nombre de baigneurs est vraisemblablement moins important et leur profil différent (plus âgé). De plus, pour les lieux de baignade surveillés, la surveillance peut ne pas avoir commencé. Le surrisque pourrait être lié à une attention et une mise en pratique des recommandations de prévention et d’interdiction de baignade moins suivies, mais aussi à une découverte de la victime potentiellement plus tardive en l’absence d’autres personnes. Cette hypothèse de baignade en contexte de faible affluence pourrait aussi s’appliquer au surrisque de gravité en cas de noyade en septembre identifié chez les 65 ans et plus.
Si le nombre de noyades est globalement plus élevé en période de vacances, de week-end et durant les périodes de fortes chaleurs, le risque de gravité en cas de noyade durant ces périodes n’était pas plus élevé. Ce sont les périodes où la prévention contre les noyades est la plus diffusée dans les médias. La perception du risque, encouru par soi-même ou pour les enfants qu’on surveille, est peut-être aussi plus élevée pendant ces périodes, entraînant par exemple une surveillance plus rapprochée lors de la baignade des enfants. En Australie néanmoins, une étude dans le Queensland indique à l’inverse que le risque de noyades suivies de décès est plus important durant les périodes de fortes chaleurs 19.
Forces de l’étude
Il n’y a pas d’équivalent de l’enquête NOYADES dans le monde. La littérature scientifique sur les noyades s’appuie essentiellement sur des études rétrospectives, notamment cliniques, établies sur des bases de données préexistantes (mortalité, passages aux services d’urgence, hospitalisations, etc.) et des approches spécifiques : approche locale (par exemple sur une ville, région), approche populationnelle (principalement sur les enfants), par lieu de noyade (en piscine privée familiale, mer…). Les enquêtes NOYADES ont collecté l’ensemble des noyades du 1er juin au 30 septembre, avec un processus continu de vérification de la qualité des données recueillies pendant et après le terrain de l’enquête. Ces enquêtes ont décrit de manière détaillée et inédite les circonstances des noyades accidentelles, pour l’ensemble des noyades prises en charge par les services de secours, survenues pendant l’été en France. Elles ont été réalisées régulièrement jusqu’en 2021 avec une méthodologie standardisée produisant des résultats comparables. Elles ont ainsi permis de fournir des données relativement précises sur les lieux et les circonstances de ces noyades. Elles ont bénéficié de la mobilisation de nombreux acteurs institutionnels et de terrain.
La quasi-exhaustivité du nombre de noyades recensées dans les enquêtes NOYADES par rapport au nombre total de noyades survenant sur cette période assure une bonne représentativité des résultats. Nous avons comparé les décès par noyade accidentelle collectés par les enquêtes NOYADES du 1er juin au 30 septembre 2018 et 2021 avec les données, pour les mêmes périodes, issues de la base du Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc), source de référence pour les causes médicales de décès en France. En 2018, le nombre de décès collecté par l’enquête NOYADES représentait 87% du nombre provenant de la base du CépiDc (406/468). En 2021, cette même proportion était de 101% (394/391). De même, pour les prises en charge hospitalière pour noyade, le croisement systématique des données des enquêtes NOYADES avec celles du système de surveillance du réseau Oscour® a permis de garantir la bonne représentativité de ces données.
Limites de l’étude
Nous avons inclus dans le modèle toutes les variables disponibles pouvant influer sur le niveau de gravité de la noyade. D’autres variables non collectées auraient pu être utiles comme les variables sur le niveau social ou des pathologies préexistantes des victimes. Une étude américaine a démontré que la proportion de noyades suivies de décès parmi les victimes bénéficiaires de Medicaid (couverture médicale gratuite ou à faible coût réservée à des populations précaires) était beaucoup plus importante que parmi la population couverte par des assurances médicales classiques 20.
En particulier, d’autres données auraient été utiles pour améliorer la construction de l’indicateur de niveau de gravité en cas de noyade : par exemple, la durée de l’immersion, mais surtout les données cliniques détaillées (neurologique, respiratoire et cardiovasculaire), issues des dossiers patients, qui auraient permis de construire la classification en six stades de Szpilman, référence internationale pour mesurer la gravité d’une noyade. Il n’était pas possible, dans les enquêtes NOYADES, de collecter des données cliniques détaillées, cela aurait nécessité un changement du protocole de l’enquête et énormément de ressources supplémentaires (revue de chaque cas par un clinicien, accès aux données du dossier médical des victimes à l’hôpital). Cependant, l’indicateur de gravité proposé dans cette étude est essentiellement construit à partir de constatations cliniques des services de secours intervenus auprès des victimes. L’analyse de cet indicateur de gravité indique que la proportion de noyades suivies de décès augmente selon le niveau de gravité de 1% pour le niveau 1 à 9% pour le niveau 3 puis 73% pour le niveau 4. Ces résultats sont concordants avec une étude française récente qui a appliqué la classification de Szpilman sur 317 patients admis pour noyade sévère dans des hôpitaux de France et d’outre-mer 21. La proportion de noyades suivies de décès variait entre 0% pour le stade 2 et 2% pour le stade 5 puis 54% pour le stade 6, confirmant le pronostic très défavorable en cas d’arrêt cardio-respiratoire, comme c’est le cas pour l’indicateur du niveau de gravité de la noyade construit dans cette étude.
Pour l’indicateur de durée de prise en charge, nous ne disposions pas de la durée de prise en charge pour une partie importante des victimes emmenées à l’hôpital (40% des noyades accidentelles totales) et pour les noyades suivies de décès à l’hôpital (4%) ce qui a pu biaiser les analyses faites à partir de cet indicateur, sans toutefois impacter les analyses principales portant sur le niveau de gravité des noyades. Dans le questionnaire de l’enquête, il était demandé de préciser si la victime avait eu des séquelles à la suite de la noyade. Cette question, qui aurait été utile dans la construction de l’indicateur de niveau de gravité en cas de noyade, n’a été complétée que dans 1% des prises en charge. Cette faible proportion s’expliquait par la temporalité de l’enquête : la confirmation de séquelles pouvait prendre plusieurs mois et le recueil des données s’était achevé un mois après la fin de l’enquête. Il était difficile dans le temps imparti d’identifier et de joindre les services où les victimes avaient été transférées pour obtenir cette information. Cette variable n’a donc pas été retenue dans l’analyse. Enfin, les données analysées dans cette étude ne concernaient que les noyades estivales. Les caractéristiques des victimes et les circonstances des noyades accidentelles survenant le reste de l’année pourraient être vraisemblablement différentes.
En outre, la non disponibilité du nombre de baignades (par date, par lieu, etc.) n’a pas permis d’estimer le risque global de noyade (nombre de noyades sur le nombre de baignades), qui aurait été utile en complément pour encore mieux cibler les messages de prévention.
Pistes et rappel des conseils de prévention
Les noyades accidentelles, pour la plupart évitables, sont à l’origine de décès prématurés et, en cas de séquelles, d’années de vie vécues avec incapacité. Les résultats de cette étude incitent à décliner la prévention des noyades avec des messages ciblant l’ensemble des baigneurs d’une part mais aussi des dispositifs ciblés en fonction de groupes de population ou de territoires (par âge, par lieu de baignade, par région, etc.) d’autre part, pour tenir compte de leurs spécificités et mieux cibler les messages essentiels de prévention pour soi et ses proches. Ainsi, la prévention de la noyade chez les adultes et surtout les personnes âgées, en piscine privée familiale, en cours d’eau/plan d’eau et en outre-mer pourraient bénéficier de campagnes spécifiques, ces facteurs de risque de gravité en cas de noyade étant les plus élevés dans le modèle.
En termes de messages de prévention universelle, il est important de continuer à pousser les conseils de prévention habituellement prodigués par l’OMS 22,23. Il n’est jamais trop tard pour commencer à apprendre ou à réapprendre à nager, surtout après une longue période d’inactivité.
Chez les enfants de moins de 6 ans, le risque persistant de noyade en piscine privée familiale indique la nécessité de poursuivre les efforts de prévention. Lors du temps de baignade, les enfants doivent impérativement être surveillés de manière permanente et rapprochée par un seul adulte responsable.
Les adultes doivent tenir compte de leur état de forme et de santé, être attentif à leurs capacités (leur niveau de natation pouvant être surestimé notamment après une longue période d’inactivité) et ne pas consommer d’alcool avant la baignade. La survenue d’un malaise est un facteur de risque de gravité en cas de noyade et concerne principalement les personnes âgées. Ce résultat incite les personnes à la santé fragile, particulièrement celles souffrant de pathologies cardiovasculaires et neurologiques pouvant être la cause d’un malaise dans l’eau, à appliquer les conseils de prévention et à interroger leur médecin sur les risques liés à la nage par rapport à leur état. Globalement, la bonne estimation du surrisque individuel selon sa situation pourrait permettre à chacun de diminuer sa prise de risque face aux noyades. Certaines pathologies, dont l’incidence augmente avec l’âge et facteurs de risque de gravité en cas de noyade, pourraient constituer un tiers facteur. Identifier plus précisément ces pathologies permettrait de cibler des sous-populations plus à risque et de mieux cibler les messages de prévention.
En ce qui concerne les baignades en milieu naturel (cours d’eau, plan d’eau et mer), il est nécessaire de tenir compte de l’environnement général de la baignade, et de se baigner préférablement dans des zones aménagées et surveillées signalées par des drapeaux autorisant la baignade, là où en cas de besoin, l’intervention des équipes de secours est la plus rapide. En outre, il est indispensable de s’informer sur les conditions météorologiques et de respecter les consignes de sécurité (interdictions de baignade et de plongeon). Les neuf décès par noyade accidentelle survenus le mercredi 15 septembre 2021 sur la côte méditerranéenne alors que ce jour-là, de nombreuses plages avaient hissé le drapeau rouge interdisant la baignade, rappellent cet impératif.
Au vu du surrisque de gravité de la noyade associée à la baignade en piscine privée familiale, il semble important que le respect de la réglementation sur la sécurité des piscines continue à être contrôlé par les autorités. La loi relative à la sécurité des piscines a rendu obligatoire, à partir du 1er janvier 2006, l’équipement d’un dispositif de sécurité normalisé autour de toutes les piscines privées enterrées permettant ainsi de diminuer les accidents en dehors du temps de la baignade chez les enfants comme chez l’adulte. La baisse rapportée dans les enquêtes NOYADES entre les éditions 2018 et 2021 de la proportion des piscines privées familiales équipées d’un dispositif de sécurité devrait interroger sur une éventuelle baisse de vigilance des propriétaires 6,7. Une vigilance particulière devrait être apportée sur les piscines hors-sol où les dispositifs de sécurité ne sont pas obligatoires : il est important d’enlever l’échelle d’accès après le temps de baignade et de sécuriser au mieux l’accès avec une couverture mobile par exemple.
Les résultats de cette étude exhortent à un effort particulier d’actions de prévention et d’encadrement des lieux de baignade dans les régions de l’intérieur sans façade maritime et dans les régions côtières du Nord et de l’Ouest. S’il semble difficile d’interdire l’accès aux cours d’eau/plan d’eau le plus souvent non aménagés à la baignade et non surveillés et plus globalement aux endroits dangereux pour la baignade, cet enjeu important de santé publique devrait faire l’objet d’une concertation large impliquant élus locaux, autorités de l’État et chercheurs, cliniciens, épidémiologistes travaillant sur les noyades pour travailler sur les aspects réglementaires et de prévention. Il en est de même pour la problématique du risque de gravité en cas de noyade en outre-mer, où les spécificités sont nombreuses.
L’extension des périodes favorables à la baignade (en lien avec l’impact du changement climatique) plaide pour un élargissement des périodes de surveillance des lieux de baignade en milieux naturels les plus fréquentés en amont et en aval de la haute saison de fréquentation particulièrement lorsque les conditions climatiques sont favorables. Le port systématique d’équipements de protection individuelle homologués (gilet de sauvetage, bouée de sécurité, etc.) lors des activités pourrait aussi permettre d’éviter certaines noyades et devrait être encouragé.
Conclusion
Les enquêtes NOYADES ont permis pendant 20 ans de collecter des données exhaustives et uniques sur les caractéristiques des victimes de noyades. Les résultats de cette étude indiquent que l’âge est le principal facteur de risque de gravité en cas de noyade nécessitant une accentuation du ciblage des populations âgées dans les messages de prévention. D’autres groupes devraient aussi faire l’objet d’une attention accrue en termes de prévention (noyades en piscine privée familiale, noyades en cours d’eau/plan d’eau, noyades en outre-mer).
La surveillance épidémiologique des noyades est poursuivie à Santé publique France, avec la mise en place depuis l’été 2023 d’un nouveau système de surveillance annuel qui permet de suivre l’évolution du nombre de noyades et les principales caractéristiques des victimes.
Cette étude apporte des compléments utiles au corpus des analyses existantes sur l’épidémiologie des noyades accidentelles en France en produisant des facteurs de risque de gravité en cas de noyade, tous âges et par classe d’âge. Il serait cependant nécessaire d’approfondir les analyses pour identifier d’autres facteurs de risque et cibler plus précisément des populations plus à risque car il peut sembler complexe de conseiller des restrictions à un groupe large de population. Pour ce faire, d’autres variables explicatives, non disponibles dans les enquêtes NOYADES, seraient essentiels pour enrichir le modèle de régression, notamment :
–le niveau social de la victime, niveau du dernier diplôme obtenu par exemple ;
–la préexistence de pathologies notamment cardiovasculaires, en particulier l'hypertension artérielle ou l’insuffisance cardiaque, ou neurologiques ;
–la consommation de médicaments qui pour certains peuvent affecter les réflexes et la vigilance dans l'eau comme les anxiolytiques, somnifères et antidépresseurs ;
–le contexte et les circonstances précises précédant la noyade (heure, durée de la baignade, avoir été seul ou pas, le cas échéant niveau d’alcool consommé…).
Ces variables pourraient être collectées dans le cadre d’une étude clinique qui associerait des épidémiologistes, des chercheurs et des cliniciens sur un territoire donné (un ou plusieurs départements par exemple). De telles analyses permettraient de dégager de nouvelles pistes de recherche pour une amélioration de la prévention.
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des services de secours et des structures de santé qui ont contribué aux enquêtes NOYADES 2018 et 2021 ainsi qu’Ipsos en charge de la collecte des données. Nous remercions également Nathalie Beltzer et Arnaud Gautier qui ont participé à l’ensemble des étapes des enquêtes, Edouard Chatignoux et Christophe Bonaldi qui ont contribué aux choix des méthodes statistiques d’analyse de cet article.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.




