État de santé des patients hospitalisés en psychiatrie au Vinatier à Bron : résultats descriptifs de l’étude transversale Liverspin, 2022-2023

// Health status of psychiatric inpatients of the Vinatier Hospital, Bron, France: Descriptive results of the LIVERSPIN cross-sectional study, 2022-2023

Benjamin Rolland1,2 (benjrolland@gmail.com), Marjorie Viallon3, Keira Larbi1, Sabrina Gentil1, Hikmat Ahamada-Boina3, Pierre Pradat3, Françoise Pillot-Meunier1, Marianne Maynard-Muet3, François Bailly4
1 Pôle Mopha, Hôpital Le Vinatier Psychiatrie universitaire Lyon Métropole, Bron
2 Service universitaire d’addictologie de Lyon (Sual), Hospices Civils de Lyon, Lyon
3 Centre de recherche clinique (CRC), Hôpital de la Croix-Rousse, Hospices Civils de Lyon, Lyon
4 Service d’hépatologie et d’addictologie, Hôpital de la Croix-Rousse, Hospices Civils de Lyon, Lyon
Soumis le : 08.04.2025 // Date of submission: 04.08.2025
Mots-clés : Hôpital psychiatrique | VHC | VHB | VIH | Obésité | Troubles métaboliques | stéatose
Keywords: Psychiatric hospital | HCV | HBV | HIV | Obesity | Metabolic disorders | Steatosis

Résumé

Introduction –

Les personnes atteintes de troubles mentaux ont un état de santé global de moins bonne qualité que la population générale. Parmi les différentes atteintes de santé globale retrouvées en population psychiatrique, les plus importantes sont les atteintes métaboliques, infectieuses, et hépatiques. En France, il existe peu de données sur l’état de santé global de populations hospitalisées en psychiatrie.

Méthodes –

L’étude Liverspin (Liver Status in Psychiatric Inpatients) a évalué l’état de santé hépatique et général des patients adultes hospitalisés au Vinatier, à Bron, entre le 2 avril 2022 et le 31 décembre 2023. Les variables collectées comprenaient des données sociodémographiques, psychiatriques (diagnostic principal, durée d’hospitalisation actuelle, séjours antérieurs, usages de substances), des données médicales générales, un bilan biologique large, une élastométrie hépatique, et l’exploration de comportements à risque infectieux. L’ensemble des données descriptives est présenté dans cet article.

Résultats –

Au total, 450 patients ont été inclus. Les prévalences des infections virales étudiées étaient respectivement de 0,7% (VIH), de 2,0% (sérologie VHC), 0,4% (ARN VHC), 1,3% (Ag HBs du VHB). L’estimation de prévalence de la stéatose hépatique définie à l’élastométrie par un score CAP>250 dB/m, était de 24,3%. Parmi les patients inclus, 44,9% étaient en surpoids ou en obésité, 24,6% d’entre eux avaient un taux de triglycérides anormal, et 9,2% avaient une hémoglobine glyquée HbA1c élevée.

Conclusion –

Si les taux d’infections virales retrouvés étaient plus faibles que ceux d’autres données françaises en psychiatrie, les atteintes métaboliques hépatiques et non hépatiques étaient extrêmement fréquentes chez les personnes hospitalisées en psychiatrie.

Abstract

Introduction –

People with mental disorders have a poorer global health status, compared to the general population. Among the different types of medical affections found in the psychiatric population, the most frequent ones are liver, infectious, and metabolic diseases. In France, few data are available regarding the global health of psychiatric inpatients.

Methods –

The LIVERSPIN (Liver Status in Psychiatric Inpatients) study assessed the health condition of all patients hospitalized in the Vinatier hospital, Bron, France, from 2 April 2022 to 31 December 2023. The variables collected included sociodemographic, psychiatric information (main diagnostic code, length of current stay, previous hospitalizations, and substance use patterns, respectively), general medical data, extensive laboratory tests, liver elastography, and assessment of behaviors associated with infectious risk. The complete descriptive data are reported in this article.

Results –

In total, 450 patients were included. The prevalence rates of viral infections were 0.7% (HIV), 2.0% (HCV antibodies), 0.4% (HCV RNA positive), and 1.3% (HBs Ag), respectively. The prevalence of steatosis, as estimated by a CAP score of 250 dB/m or more, was 24.3%. Of the participants, 44.9% met the criteria of overweight or obesity, while 24.6% had an elevated triglyceride blood concentration, and 9.2% had an elevated HBA1c level.

Conclusion –

While the prevalence rates of viral infections found in our study were lower than those found in other similar French studies, the proportions of inpatients with steatosis and/or metabolic disorders were extremely frequent.

Introduction

Les personnes atteintes de troubles mentaux présentent une surmorbidité et surmortalité globale, par comparaison à la population générale. Les atteintes extra-psychiatriques les plus fréquentes dans cette population sont les troubles nutritionnels et métaboliques, les maladies cardiovasculaires, les maladies virales, les maladies des voies respiratoires, les maladies musculosquelettiques, les dysfonctionnements sexuels, les complications de la grossesse, et les cancers 1. Les facteurs expliquant ces surprévalences sont multiples. Les personnes atteintes de troubles mentaux consomment davantage de substances psychoactives, en particulier alcool et tabac 2, lesquels sont les principaux facteurs de risque de mortalité évitable. Elles ont moins de comportements pro-santé, et moins facilement recours aux soins. Elles ont moins souvent un médecin traitant 3, et consultent moins le système de santé, à la fois parce qu’elles sont moins demandeuses de soins, mais aussi parce qu’elles peuvent être victimes de discrimination 4. Tout cela résulte, chez ces personnes, en une perte globale d’espérance de vie qui a été estimée entre 8 et 15 ans chez les hommes, et entre 10 et 17 ans chez les femmes 5.

En France, il existe très peu de données sur l’état de santé global des personnes atteintes de troubles mentaux, en particulier chez les personnes hospitalisées en psychiatrie. Il est pourtant important de disposer de données nationales, pour voir si les constatations sur l’état de santé des personnes atteintes de troubles mentaux sont similaires à celles faites dans d’autres pays, ou au contraire s’il existe des spécificités nationales. Ȧ Lyon, l’étude Liver Status in Psychiatric Inpatients (Liverspin) réalisée à l’hôpital du Vinatier, 2e hôpital psychiatrique de France par la taille, avait pour objectif principal de faire un état des lieux exhaustif de la situation hépatologique des patients adultes hospitalisés à l’hôpital psychiatrique, en particulier d’étudier la prévalence des perturbations de la biologie hépatique, des hépatites virales (virus de l’hépatite B – VHB –, et virus de l’hépatite C – VHC – ), mais aussi du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), ainsi que de la stéatopathie dysmétabolique (Metabolic Dysfunction-Associated Steatotic Liver Disease ou MASLD), et d’évaluer de façon non invasive le degré de fibrose hépatique en utilisant le score de FIB-4 et l’élastométrie impulsionnelle. Les objectifs secondaires de l’étude Liverspin étaient d’investiguer les comportements à risque de maladie hépatique, tels que les comportements sexuels à risque, les antécédents d’usage de substances par injection ou sniff, ou encore les consommations à risque d’alcool. Plus largement, Liverspin a permis la réalisation, au sein d’un hôpital psychiatrique de grande taille, d’un bilan biologique global de toutes les personnes hospitalisées, ce qui fournit un ensemble de données utiles sur l’état de santé global de ces patients.

Matériels et méthodes

Type d’étude

Liverspin est une étude monocentrique transversale menée à l’hôpital Le Vinatier, Psychiatrie universitaire Lyon Métropole, du 2 avril 2022 au 31 décembre 2023. Toutes les unités adultes de l’hôpital ont été successivement investiguées, ce qui représente en tout 570 lits.

Population

L’étude a été proposée à tous les patients adultes (>18 ans). En cas de tutelle, le consentement devait être validé par le tuteur. Il n’y avait pas de critère de non-inclusion absolu, en dehors du refus de participer. Toutefois, si l’état médical, en particulier psychiatrique, d’un patient éligible était jugé incompatible avec une inclusion par les investigateurs, la participation n’était pas proposée immédiatement et était reconsidérée lorsque l’état s’était amélioré, et si l’équipe de recherche était encore présente dans l’unité.

Données collectées

Les participants devaient compléter un auto- questionnaire, potentiellement aidés par l’équipe de l’étude si nécessaire, tandis que d’autres données étaient recueillies sur le dossier médical du patient. Enfin, les patients étaient prélevés pour les analyses biologiques sanguines et urinaires et étaient évalués par élastométrie impulsionnelle (Fibroscan®). Les mesures réalisées ont porté sur des données :

sociodémographiques : âge ; sexe ; Classification internationale standardisée du niveau d’éducation (CITE) (1) ; statut professionnel ; niveau de revenu mensuel moyen (en euros) ; statut marital ; nombre d’enfants ; histoire personnelle d’incarcération(s) (oui/non) et si oui, durée totale d’incarcération ;

psychiatriques (obtenues dans le dossier médical du patient): jusqu’aux trois principaux codes diagnostiques psychiatriques de la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10) de l’hospitalisation actuelle ; type d’unité psychiatrique (psychiatrie générale, c’est-à-dire, psychiatrie de « secteur », psychiatrie d’urgence, psychiatrie carcérale ou intensive, c’est-à-dire, unités pour malades difficiles ; psychogériatrie, ou autre) ; durée actuelle de l’hospitalisation en cours (en jours) ; nombre total d’hospitalisations en psychiatrie sur les cinq dernières années ; durée totale d’hospitalisation en psychiatrie temps-complet sur les cinq dernières années (en mois) ;

addictologiques (auto-questionnaires): score à l’Alcohol Use Disorder Identification Test (AUDIT) 6, dans sa version française validée 7 ; score au Cannabis Use Disorder Identification Test – Revised version (CUDIT-R) 8, dans sa version française validée 9 ; usage de tabac vie entière (oui/non), usage de tabac au cours des trois derniers mois (oui/non), fréquence d’usage de tabac et Fagerström Nicotine Dependence Test (FNTD) 10 ; pour les autres substances psychoactives, usage vie entière (oui/non) ;

hépatologiques déclaratives (auto-questionnaires) : infection actuelle ou passée déclarée par le participant de VHC, VHB, et VIH, et si applicable pour chacune, date de diagnostic, de guérison, et/ou de recontamination.

Les autres données médicales déclaratives étaient :

le poids, l’indice de masse corporelle ;

les traitements en cours : psychotropes et non- psychotropes (entrée libre) ;

les comportements à risques infectieux : comportements sexuels à risques vie entière (oui/non) et récent (oui/non/NSP) ; transfusion vie entière (oui/non/NSP) ; dans le passé, partenaires infectés par le VHC (oui/non/NSP), VHB (oui/non/NSP), VIH (oui/non/NSP) ; usage vie entière de drogues par injection ou usage intranasal (oui/non/NSP) , et si oui, période totale d’usage ; partage de matériels de toilette à risque, comme les brosses à dents, rasoirs, cure-dents, coupe-ongles (oui/non pour chaque) ;

l’élastométrie impulsionnelle (Fibroscan®) : élasticité médiane évaluant la fibrose et le score CAP (Continued Attenuation Parameter) évaluant la stéatose. Les données ont été recueillies à l’aide d’un appareil de type Fibroscan® 430 Mini, utilisé par une infirmière formée et certifiée ;

Les paramètres biologiques sanguins ou urinaires étaient : numération formule sanguine (NFS) ; ionogramme sanguin ; créatinine sérique ; taux de prothrombine (TP) ; aspartate aminotransférase (ASAT) ; alanine aminotransférase (ALAT) ; gamma-glutamyl transférase (GGT) ; bilirubine totale ;
HBA1c ; triglycéridémie ; cholestérol total ; HDL et LDL cholestérol ; albuminémie ; alpha-fœtoprotéine ; score FIB-4 11 ; NAFLD fibrosis score ; anticorps anti-VHC ; ARN viral C si anticorps anti VHC positif ; antigène HBs ; anticorps anti-HBs ; anticorps anti HBc, anticorps anti VIH1 et VIH2 ; ethylglucuronide (ETG) urinaire.

Statistiques

Les variables qualitatives sont décrites sous forme de nombre et pourcentage (n ; %). Les variables quantitatives sont décrites sous forme de médiane et intervalle interquartile (méd. [IIQ]). Lorsqu’il existe un ou plusieurs seuils de positivité ou d’anormalité d’un score, les variables quantitatives sont également catégorisées et décrites de manière qualitative.

Autorisations éthiques et réglementaires

Le Comité de protection des personnes Sud Méditerranée I (21.03856.000062) a émis un avis favorable à la mise en œuvre de la recherche Liverspin le 28 décembre 2021.

Résultats

Au total, 921 patients ont été présélectionnés pour participer à Liverspin, et 450 ont été inclus dans l’étude. 232 ont été jugés non-éligibles du fait de leur état psychiatrique, 207 ont refusé de participer, et 32 n’ont pas pu participer car ils sont sortis trop rapidement de l’hôpital. Parmi les 471 personnes non-incluses dans l’étude, les femmes étaient au nombre de 200 (43,5%), et l’âge médian était de 46,8 [33,1-59,8] ans.

Les variables sociodémographiques des personnes incluses dans l’étude sont rapportées dans le tableau 1. Sur les 450 participants, 207 (46,0%) étaient des femmes. L’âge médian des participants était de 42 [28-54] ans. La majorité des participants (n=388 ; 88,8%) était de nationalité française et d’origine caucasienne (n=274 ; 63,4%). Parmi les participants, 187 (43,7%) avaient un niveau inférieur au bac. Seuls 86 (20,0%) des personnes ayant participé à l’étude avaient un emploi. Concernant le séjour hospitalier actuel, la durée médiane de séjour des participants était de 14,0 [7,0-30,3] jours. Le nombre médian d’hospitalisations depuis 5 ans était de 5 [2-9] séjours. La durée cumulée d’hospitalisation en temps-complet depuis 5 ans était de 57 [21-170,5] jours. Concernant les usages de substances actuels, 233 (52,1%) participants déclaraient être fumeurs de tabac, tandis que 162 (36,0%) personnes rapportaient un usage de cannabis sur les 6 derniers mois, et 114 (25,5%) individus étaient en usage à risque ou dépendance probable à l’alcool, selon les résultats du questionnaire AUDIT. L’usage actuel de cocaïne (toute forme) était rapporté par 84 (19,6%) patients.

Tableau 1 : Résultats descriptifs des données sociodémographiques et usages de substances des patients inclus dans l’étude Liverspin (N=450)
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Les données biologiques de nature infectieuses, hépatiques, métaboliques, et liées à la consommation d’alcool, ainsi que les paramètres élastométriques et les conduites à risque infectieux sont rapportées dans le tableau 2. Sur l’ensemble des participants, 199 (44,9%) d’entre eux étaient en surpoids ou en obésité. Les prévalences des infections virales étudiées étaient respectivement de 0,7% (3 sujets) pour le VIH, de 2,0% (9 sujets) pour les anticorps anti VHC de 0,4% (2 sujets) pour l’ARN VHC, et de 1,3% (6 sujets) pour le VHB (Ag HBs). L’estimation de la prévalence de la stéatose (définie à l’élastométrie par un score CAP>250) était de 24,3% (100 sujets). Le reste des données biologiques sont rapportées de manière quantitative dans le tableau 3. Lorsque des seuils sont appliqués à ces données, 39 (9,2%) des patients ont une hémoglobine glyquée (HBA1c) supérieure à 6%, 109 (24,6%) des participants ont un taux de triglycérides supérieur à 1,70 g/L, et 178 (44,0%) d’entre eux ont un taux de LDL cholestérol supérieur à 3,0 g/L. Parmi les autres résultats marquants, 80 (18,0%) des patients avaient un taux d’hémoglobine bas (<13 g/dL pour les hommes, et 12 g/dL pour les hommes), et 33 (7,4%) des patients avaient une hyperkaliémie (kaliémie >4,5 mEq/L).

Tableau 2 : Données cliniques et biologiques du bilan hépatologique ou en lien avec le mésusage d’alcool, pour les patients inclus dans l’étude Liverspin (N=450), 2 avril 2022-31 décembre 2023
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Tableau 3 : Données biologiques complémentaires des patients inclus dans l’étude Liverspin (N=450),
2 avril 2022-31 décembre 2023
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Enfin, les diagnostics psychiatriques retrouvés dans le dossier médical du patient sont présentés dans le tableau 4. Sur les 450 patients inclus dans Liverspin, 1022 diagnostics psychiatriques ont été notés dans le dossier médical selon la CIM-10, avec principalement des troubles psychotiques (n=487 ; 47,7%), et des troubles névrotiques ou de l’humeur (n=328 ; 39,3%).

Tableau 4 : Résultats descriptifs des principaux diagnostics retrouvés dans les dossiers médicaux, sur la base
de la Classification internationale des maladies - 10e révision, étude Liverspin, 2 avril 2022-31 décembre 2023
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Discussion

L’objectif principal de l’étude Liverspin était de décrire différents paramètres évaluant l’état hépatique et la présence de facteurs de risque d’atteinte hépatique au sein de la population de patients adultes hospitalisés au Vinatier. Plus largement, Liverspin visait à fournir des données sur différents paramètres cliniques et biologiques de l’état de santé général des patients hospitalisés au sein de l’hôpital. Ȧ notre connaissance, il s’agit de la première étude prospective de ce type en population psychiatrique.

Concernant les pathologies infectieuses explorées dans notre étude, la séroprévalence du VHC retrouvée (2,0%) est presque similaire au chiffre de 2,1% obtenu dans une étude rétrospective également réalisée au Vinatier entre 2019 et 2021 12. En revanche, elle est relativement faible, comparativement aux chiffres récemment rapportés dans d’autres hôpitaux psychiatriques français, par exemple 2,8% sur la période 2019-2022 au GHU Paris 13, 2,8% également au CH de Thuir en 2019 14, ou surtout 4,2% sur l’année 2020 à Nancy 15. Cela illustre de probables disparités épidémiologiques en matière de prévalence du VHC dans le pays. Au niveau européen, une seule étude récente a été réalisée en psychiatrie en Espagne, avec un taux de séroprévalence de 3,8% 16. Quoi qu’il en soit, la séroprévalence du VHC en psychiatrie a manifestement diminué, puisqu’une méta-analyse retrouvait un taux de 4,9% en Europe en 2016 17. De la même façon, la prévalence de l’ARN viral C retrouvée dans notre étude (0,4%) était très faible comparée à celle de 2,2% rapportée à Nancy en 2020 15. Ȧ l’inverse, nous avons retrouvé une hépatite B active chez 1,3% des participants, alors qu’à Nancy, aucun patient ne présentait une infection au VHB sur 407 inclus. La prévalence du VIH dans notre étude (0,7%) était en revanche proche des résultats à Nancy (0,4%). Ȧ notre connaissance, aucune autre étude récente que celle réalisée à Nancy n’avait investigué les taux de prévalence du VHB et du VIH en psychiatrie hospitalière en France. La méta-analyse de Hughes en 2016 retrouvait pour l’Europe des taux plus élevés, c’est-à-dire, 2,7% 1,8-3,9] pour le VHB, et 1,9% [0,8-4,4] pour le VIH.

Concernant les autres paramètres hépatiques explorés, notre étude montre que la stéatose affecte quasiment un quart des patients hospitalisés, sur la base du score CAP au Fibroscan®. Cette fréquence est plus faible que dans la seule étude retrouvée évaluant la présence d’une stéatose par élastométrie en population psychiatrique 18, et qui retrouvait 48,7% de positivité, mais il s’agissait d’une étude chinoise, et le seuil choisi pour définir la stéatose était de 233 et non de 250 dB/m. Cette prévalence de stéatose est à mettre en parallèle avec l’IMC élevé des patients hospitalisés, puisque presque la moitié d’entre eux étaient en surpoids ou en obésité. Concernant l’évaluation de la fibrose hépatique, 13,8% des patients avaient un score FIB-4 intermédiaire ou élevé, ce qui est très proche de la seule étude ayant exploré la répartition du FIB-4 en population psychiatrique, une étude française qui retrouvait un taux de 11,9% de FIB-4 ne permettant pas d’exclure une fibrose hépatique significative 19. Par ailleurs, un peu moins de 5% des patients dans notre étude avaient un score d’élasticité en faveur d’une fibrose hépatique significative (>7,5 kPa). Ce chiffre reste relativement faible, lorsqu’on le compare aux études menées en France sur la population générale, au sein de laquelle la prévalence de la fibrose significative ou avancée définie par une élasticité médiane >8kPa varie entre 2,7 et 7,5% 19. Notre chiffre est également nettement plus faible que celui retrouvé dans l’étude chinoise mentionnée précédemment, où la prévalence de la fibrose significative était de 15,5%, même si le seuil utilisé était légèrement plus faible (>7kPa).

L’étude Liverspin présente un certain nombre de limites, en particulier son caractère monocentrique, lequel peut aboutir à des particularités locales dans les résultats, ce qui est probablement le cas au vu des taux de séroprévalence du VHC. Cependant, les 921 patients présélectionnés représentent l’ensemble des patients hospitalisés dans les unités au moment où l’équipe de recherche y était présente, suggérant ainsi l’absence de biais de sélection. Parmi ces 921 patients, 471 sujets présélectionnés n’ont pu être inclus dans l’étude, en grande partie en raison de leur état psychiatrique. Il est donc possible que l’état de santé des sujets les plus sévères n’ait pu être exploré qu’en partie, en raison d’un biais de sélection de sujets lié à leur sévérité psychiatrique. Ce biais est toutefois difficilement dépassable, dans la mesure où il est indispensable d’obtenir le consentement des participants à une telle étude. Enfin, nous n’avons pas présenté ici les traitements psychotropes des patients hospitalisés, qui n’ont pas encore fait l’objet d’un regroupement propice aux analyses statistiques.

Conclusion

L’étude Liverspin fournit un ensemble de données particulièrement riche et utile sur l’état de santé de la population psychiatrique hospitalisée dans le 2e établissement de France par la taille. Si les taux retrouvés d’infections virales étaient relativement bas par rapport à des études menées dans d’autres centres, ils restaient encore largement supérieurs à ceux de la population générale. D’autres paramètres en revanche, notamment les anomalies métaboliques et plus spécifiquement la stéatose, sont particulièrement élevés, du fait d’une vulnérabilité particulière de ces personnes et probablement aussi en raison d’un IMC élevé, de la consommation d’alcool et des traitements psychotropes qu’ils reçoivent. Les données de Liverspin ouvrent la voie à des analyses explicatives sur un certain nombre d’anomalies cliniques, biologiques, ou élastrométriques, afin de mieux comprendre les facteurs de vulnérabilité de certains patients. Les données de Liverspin soulignent la place majeure que la prévention et les soins généraux doivent occuper au sein des populations atteintes de troubles mentaux.

Remerciements

Les auteurs remercient Véronique Vial (DRCI du Vinatier) pour son implication majeure dans la promotion de l’étude, ainsi que la gouvernance de l’hôpital du Vinatier et les autres commanditaires de l’étude. Ils remercient également tous les personnels soignants du Vinatier qui ont accueilli l’équipe d’investigation à tour de rôle, avec une mention particulière pour les cadres de santé et les médecins généralistes au sein des services de psychiatrie, qui ont facilité le travail de l’équipe de recherche.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Benjamin Rolland a réalisé des interventions ou travaux d’expertise rémunérés pour les laboratoires Abbvie, Gilead, Camurus, Ethypharm, Recordati, Janssen-Cilag, PiLeJe, HAC Pharma, Biocodex, InfectoPharm, PolPharma, et Zentiva.
François Bailly a réalisé des interventions ou travaux d’expertise rémunérés, et a bénéficié d’invitations en congrès de la part de Abbvie et Gilead.

Financement

Le projet Liverspin a été financé par le Conseil scientifique du Vinatier (Subvention CSRN07) et par deux contributions de laboratoires pharmaceutiques, Abbvie et Gilead. Ces financements n’ont en aucun cas influencé la conception, la réalisation, l’analyse ou l’interprétation de l’étude, ni la rédaction du manuscrit.

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Rolland B, Viallon M, Larbi K, Gentil S, Ahamada-Boina H, Pradat P, et al. État de santé des patients hospitalisés en psychiatrie au Vinatier : résultats descriptifs de l’étude transversale Liverspin. Bull Epidemiol Hebd. 2025;(15):270-8. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2025/15/2025_15_1.html