Vers une meilleure estimation des taux de participation au Programme national français de dépistage organisé du cancer colorectal
// Towards a better estimate of participation rates in France’s national organized screening programme for colorectal cancer
Résumé
Le Programme national de dépistage organisé du cancer colorectal (PNDOCCR) permet aux personnes de 50 à 74 ans d’effectuer, tous les deux ans, un test de recherche de sang occulte dans les selles, sur invitation. Certaines personnes en sont exclues, notamment celles ayant bénéficié d’une coloscopie précédemment. Chaque année, Santé publique France publie les taux d’exclusion et de participation au programme à partir des données des centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC). L’information recueillie sur les actes réalisés étant partielle, les taux d’exclusion sont sous-évalués et très variables d’un département à l’autre. L’objectif de cet article était de les estimer à partir des données du Système national des données de santé (SNDS) et d’évaluer l’impact de cette estimation sur les taux de participation. En 2018, le taux d’exclusion national d’après le SNDS atteignait 19,2% (de 10,8% à 24,7% selon les départements) et le taux de participation était de 39,8% (37,1% d’après les données CRCDC). Une meilleure estimation des taux d’exclusion permet d’augmenter mécaniquement les taux de participation. Mais même recalculés plus précisément, ils restent trop faibles en France, toujours en deçà du taux minimum recommandé par l’Union européenne (45%) et des disparités territoriales demeurent.
Abstract
France’s national organized colorectal cancer screening programme offers individuals aged 50 to 74 to carry out a fecal occult blood test every 2 years. Some people are excluded, particularly those who have already undergone a colonoscopy. Each year, Santé publique France calculates the programme’s exclusion and participation rates based on data from the regional cancer screening coordination centres (CRCDC). As the information collected on the colonoscopies carried out is partial, the exclusion rates are underestimated and vary greatly from one department to another. The objective of this article was to estimate these rates using data from the National Health Data System (SNDS) and to evaluate the impact of this estimation on participation rates. In 2018, the national SNDS exclusion rate reached 19.2% (from 10.8% to 24.7% depending on the department) and the participation rate was 39.8% (37.1% according to the CRCDC data). A better estimate of exclusion rates causes a mechanical increase in participation rates. Yet even when recalculated more precisely, participation rates remain too low in France, still below the minimum recommended by the European Union (45%), with persisting territorial disparities.
Introduction
En France, le cancer colorectal (CCR) est la deuxième cause de décès par cancer. Il représente chaque année plus de 47 000 nouveaux cas et plus de 17 000 décès 1. Il existe un Programme national de dépistage organisé du cancer colorectal (PNDOCCR), généralisé à l’ensemble du territoire en 2009, dont l’objectif principal est de diminuer la mortalité spécifique grâce à une détection et un traitement précoces des lésions. Il s’adresse aux femmes et aux hommes âgés de 50 à 74 ans, à risque moyen de développer un CCR, invités, tous les deux ans, à effectuer un test de recherche de sang occulte dans les selles, suivi d’une coloscopie si ce test est positif. Initialement effectuée par un test au guaïac, la recherche de sang occulte dans les selles est réalisée depuis 2015 par un test immunochimique fécal quantitatif (FIT) qui se distingue par une plus grande facilité d’utilisation et une meilleure sensibilité, pour une spécificité équivalente 2. La détection par FIT d’un grand nombre d’adénomes avancés permet aussi de réduire l’incidence du cancer colorectal et d’assurer une véritable prévention 3. Ce programme, encadré par un cahier des charges national 4, s’appuyant lui-même sur des recommandations européennes 5, est organisé à l’échelle régionale par les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC). Sont exclues définitivement de ce programme les personnes à risque élevé et très élevé de CCR : antécédents personnels ou familiaux d’adénome ou de CCR, de maladie inflammatoire chronique intestinale (MICI), polypose adénomateuse familiale ou CCR héréditaire non polyposique, qui relèvent d’un suivi spécifique. Les personnes ayant effectué une coloscopie totale sont exclues temporairement cinq ans. Santé publique France réalise chaque année, à partir des informations collectées et transmises par les CRCDC, une évaluation nationale de la performance de ce programme, comprenant notamment, le calcul des taux d’exclusion (définitive et temporaire) et de participation. Le taux d’exclusion national est compris entre 11% et 13% selon les années. Il est cependant très variable d’un département à l’autre, de 4% à 25% en 2018-2019 6. En l’absence de transmission systématique des actes de coloscopie aux CRCDC, le recueil des informations relatives aux exclusions repose sur les déclarations des personnes invitées et/ou sur une démarche active des CRCDC auprès des acteurs locaux du soin pour récupérer les actes de coloscopie réalisés. Ce recueil semble hétérogène d’un CRCDC à l’autre. Le nombre d’exclusions est donc probablement globalement sous-évalué.
L’objectif de ce travail était d’estimer les taux d’exclusion nationaux et départementaux à partir des données du Système national des données de santé (SNDS) et d’évaluer l’impact de cette estimation sur les taux de participation.
Définitions, matériel et méthodes
Population d’étude
La population-cible du PNDOCCR correspond à l’ensemble des hommes et des femmes de 50 à 74 ans à risque moyen de CCR résidant dans l’un des départements français (à l’exception de Mayotte). Nous avons utilisé les Estimations localisées de population (ELP) de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 7, fournies chaque année, par sexe, âge et département.
La population-éligible au PNDOCCR correspond à la population-cible de laquelle sont retirées les personnes exclues temporairement ou définitivement du programme. Nous avons estimé que la population-éligible d’une année correspondait à la moitié de la population-éligible globale puisque l’ensemble de cette population est invité à participer au programme de dépistage sur une période de deux ans.
Sources de données
Base nationale des données du PNDOCCR
Les CRCDC fournissent chaque année à Santé publique France des données agrégées relatives au PNDOCCR, par sexe, tranches d’âge quinquennal et département, dont :
–le nombre de personnes exclues temporairement ou définitivement ;
–le nombre de personnes ayant réalisé un test de dépistage.
À partir de ces données, Santé publique France produit des indicateurs de performance du programme, dont les taux d’exclusion et de participation 6.
Système national des données de santé (SNDS)
Le SNDS 8, géré par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) est un entrepôt de données médico-administratives anonymisées des bénéficiaires de l’Assurance maladie française et leurs ayants droits, fusion notamment de différentes bases de données :
–le Système national d’information inter régime de l’Assurance maladie (Sniiram) qui collige les informations relatives aux prestations de santé remboursées par les différents régimes d’assurance maladie ;
–le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), qui collecte les données d’hospitalisations des établissements de santé publics et privés ;
–les données de prise en charge au titre des affections de longue durée (ALD).
Chaque bénéficiaire est identifié par un numéro unique, permettant le chaînage des informations entre les différentes bases de données.
Identification des personnes à exclure du PNDOCCR dans le SNDS
Dans le SNDS, pour une année N, les personnes à exclure du PNDOCCR sont identifiées, parmi les personnes de 50 à 74 ans, parce qu’elles ont bénéficié, soit d’une prise en charge au titre d’une ALD excluante au cours des 10 années précédentes, soit d’un acte d’exploration du côlon excluant au cours de l’une des deux, cinq ou huit années précédentes.
La liste de codes (annexe) utilisée pour identifier les actes excluants a été élaborée par l’Institut national du cancer (INCa) 9. Elle contient des actes à visée diagnostique ou thérapeutique.
Analyse
Les effectifs de personnes à exclure obtenus à partir des données des CRCDC et du SNDS ont été comparés par le ratio effectif CRCDC/effectif SNDS.
La population à exclure a été décrite par sexe et classe d’âge. La répartition des codes d’actes d’exploration du côlon et des ALD excluants a également été décrite.
Les méthodes utilisées habituellement par Santé publique France pour le calcul des indicateurs ont été appliquées ici 10 :
–les taux annuels d’exclusion ont été estimés en rapportant le nombre de personnes exclues à la population-cible. Ils ont été calculés à partir des données d’exclusion des CRCDC d’une part et du SNDS d’autre part, pour l’ensemble de la population-cible, par sexe, tranches d’âge quinquennal et département. Dans la suite de l’article, ils ont été appelés respectivement « Taux d’exclusion CRCDC » et « Taux d’exclusion SNDS ».
–les taux annuels de participation au PNDOCCR ont été estimés, à partir des données des CRCDC, en rapportant le nombre de personnes ayant réalisé un FIT à la population-éligible. Ils ont été calculés pour une population-éligible obtenue en soustrayant de la population-cible les exclusions CRCDC d’une part et SNDS d’autre part, aux niveaux national et départemental. Dans la suite de l’article, ils ont été appelés respectivement « Taux de participation CRCDC » et « Taux de participation SNDS ».
Les taux d’exclusion (respectivement de participation) CRCDC et SNDS ont été exprimés pour 100 personnes éligibles et un ratio entre les deux a été calculé. Les taux d’exclusion et de participation standardisés sur l’âge et le sexe par rapport à la population française 2009 (projection Omphale Insee 2007-2042, scénario central) ont été calculés par département et pour la France entière. Afin de comparer l’étendue des taux départementaux CRCDC et SNDS, la médiane, les 5e et 95e percentiles (respectivement P5 et P95) ont été présentés. Les taux d’exclusion ont été présentés par tranche d’âge et par sexe.
Période d’étude
La période d’étude a couvert les années 2016 à 2021, 2016 correspondant à la première année avec présence du FIT dans la base SNDS. La description de la population à exclure à partir des données SNDS a été réalisée pour chacune des années de la période et présentée pour l’année 2018, située au milieu de notre période d’intérêt et exempte d’événement exogène pouvant perturber le déroulé du programme (passage au FIT en 2015-2016, problème organisationnel dans l’approvisionnement en kits de dépistage en 2017 et 2019 ou pandémie de Covid-19 en 2020-2021, par exemple). Les taux d’exclusion et de participation ont été calculés pour chacune des années de la période 2016-2021.
Résultats
Effectif et description de la population à exclure à partir des données du SNDS en 2018
La population-cible du dépistage du CCR en France, était d’environ 19 millions de personnes en 2018.
En 2018, près de 4 millions de personnes âgées de 50 à 74 ans (tableau 1) ont été identifiées comme à exclure du PNDOCCR à partir des données SNDS, dont 1,9 million d’hommes (47,9%) et 2,0 millions de femmes (52,1%). La répartition par tranches d’âge quinquennal était homogène entre les hommes et les femmes.
La quasi-totalité des personnes à exclure ont réalisé dans les cinq ans précédents au moins un acte excluant avec ou sans ALD associée (tableau 2). Ces résultats étaient comparables quel que soit le sexe ou la tranche d’âge.
Près de 80% des personnes à exclure pour acte ont bénéficié d’un seul acte excluant pendant les cinq ans précédents (non présenté), la plupart étant des coloscopies à visée diagnostique (69,8% chez les femmes, 55,7% chez les hommes) (tableau 3). La répartition des actes excluants variait selon l’âge avec une diminution de la part des coloscopies à visée diagnostique avec l’âge (surtout HHQE002), pour les hommes comme pour les femmes.
Plus de 99% de la population à exclure du programme pour ALD avait une seule ALD enregistrée (non présenté) dont une majorité d’ALD pour cancers du côlon (tableau 4). La répartition des codes ALD excluants variait selon la classe d’âge avec une augmentation de la part des cancers avec l’âge.
Ces résultats étaient similaires pour les autres années de la période (résultats non montrés).
Effectifs des personnes à exclure à partir des données du SNDS en 2018 au niveau départemental
En 2018, on estime d’après les données du SNDS, que 3,9 millions de personnes auraient dû être exclues du PNDOCCR, alors que 2,9 millions étaient exclues par les CRCDC (tableau 5), soit un ratio national exclusions CRCDC/exclusions SNDS de 0,73 qui était stable sur la période d’étude. Les départements dans lesquels ce ratio était le plus faible étaient Paris (0,28), la Guyane (0,38) et la Guadeloupe (0,41), et ceux dans lesquels il était le plus élevé étaient le Maine-et-Loire (1,09), les Vosges (1,11), le Haut-Rhin (1,14) et l’Indre-et-Loire (1,14).
Entre 2016 et 2021, le ratio national était stable, compris entre 0,70 en 2016 et 0,73 en 2021. Il était également stable pour la plupart des départements.
Taux d’exclusion
Au niveau national, en 2018, le taux d’exclusion CRCDC était de 13,5% (tableau 5), variant de 6,7% pour les 50-54 ans à 21,8% pour les 70-74 ans (tableau 6) et le taux d’exclusion SNDS de 19,2% (tableau 5), variant de 13,0% pour les 50-54 ans à 29,0% pour les 70-74 ans (tableau 6).
Au niveau départemental, les taux d’exclusion standardisés CRCDC étaient compris entre 4,3% et 23,6% (médiane=13,5, P5=9, P95=20), et les taux d’exclusion standardisés SNDS entre 10,8% et 24,7% (médiane=18,5, P5=14, P95=22). Les taux les plus élevés (≥22%) étaient observés dans les départements des Hautes-Alpes, des Alpes-Maritimes, de Corse, de Loire Atlantique, du Bas-Rhin et de Paris et les plus faibles (≤14%) dans les départements du Jura, de la Haute-Marne, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion (tableau 5). Entre 2016 et 2021, le taux d’exclusion SNDS national est resté stable, compris entre 18,4% en 2016 et 19,3% en 2021(non montré).
Taux de participation
En 2018, le taux de participation national standardisé CRCDC était de 37,1% (tableau 5). Si on applique dans ce calcul, les exclusions SNDS présentées précédemment, le taux de participation national SNDS était de 39,8%. Sur l’ensemble de la période 2016-2021, les taux nationaux de participation CRCDC oscillaient entre 39,8% en 2016 et 35,5% en 2021 avec un minimum à 23,9% en 2019, et les taux nationaux de participation SNDS entre 42,8% et 37,9% avec un minimum à 25,7% en 2019 (figure 1). Les taux de participation nationaux SNDS étaient toujours supérieurs aux taux de participation nationaux CRCDC.
Au niveau départemental, en 2018, le ratio entre les taux de participation CRCDC et SNDS variait entre 0,82 (Paris) et 1,05 (Indre-et-Loire – tableau 5) ; il était supérieur à 1,00 pour 11 départements.
Discussion
Notre étude a permis d’estimer, aux niveaux national et départemental, les taux d’exclusion du PNDOCCR à partir de la base de données médico-administrative du SNDS. Nous avons identifié les personnes avec antécédents personnels de CCR ou de maladie excluante et/ou des actes d’exploration du côlon excluants, à partir d’une liste de codes élaborée par l’INCa 9 : en 2018, le taux national d’exclusion SNDS atteignait 19% de la population-cible. La quasi-totalité des personnes exclues ont bénéficié d’une coloscopie dans les cinq ans précédents dont les deux tiers d’une coloscopie diagnostique. La prise en compte du nombre d’exclusions SNDS augmente mécaniquement le taux de participation puisque la population-éligible de l’année diminue. Ainsi, en 2018, le taux de participation SNDS était de 40% (37% pour le taux de participation CRCDC). Sur l’ensemble de la période 2016-2021, il oscillait entre 43% au plus haut en 2016 à 26% au plus bas en 2019. Les taux de participation annuels sont très fluctuants entre 2016 et 2020 pour différentes raisons (passage au FIT en 2015-2016, problème organisationnel dans l’approvisionnement en kits de dépistage en 2017 et 2019, pandémie de Covid-19 en 2020-2021, par exemple), entraînant des irrégularités dans l’envoi des invitations, générant aussi des irrégularités dans les taux de participation.
Les disparités départementales relevées dans les taux d’exclusion (de 11% à 25% pour les taux d’exclusion standardisés SNDS) et donc dans la pratique de la coloscopie pourraient refléter la densité variable des gastroentérologues sur le territoire, élevée en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) par exemple et plus faible dans les zones à moindre densité médicale. Elles pourraient aussi être dues à des populations différentes en termes de comorbidités. La différence observée entre les taux d’exclusion CRCDC et SNDS provient essentiellement de l’accès aux données sur les antécédents personnels et les actes excluants : ils sont enregistrés de façon quasi-exhaustive et homogène sur l’ensemble du territoire dans le SNDS. Les CRCDC ne disposent, quant à eux, que d’informations partielles car fondées sur des données déclaratives (réponse à la lettre d’invitation, historique de participation au programme, informations collectées auprès des professionnels de santé). Les taux d’exclusion et les taux de participation qui en découlent sont donc sous-estimés par les CRCDC. Malgré l’absence de transmission systématique des actes de coloscopie aux CRCDC, ceux-ci parviennent néanmoins à colliger les trois quarts des personnes considérées à exclure à partir des données du SNDS. Cependant, les variations départementales de ce ratio sont importantes (entre 0,3 et plus de 1), suggérant une collecte inégale. Dans certains départements, les taux d’exclusion CRCDC sont plus élevés que les taux d’exclusion SNDS car les CRCDC enregistrent non seulement les actes excluants, mais également les antécédents familiaux, voire pour certains CRCDC, les refus de participer. Par ailleurs, seuls les examens explorant l’intégralité du côlon ont été dans cette étude considérés comme excluants ; il est possible que certains déclarent aussi les coloscopies partielles comme excluants, ce qui pourrait également expliquer les taux d’exclusion plus élevés dans les CRCDC que dans le SNDS.
La répercussion de la prise en compte des exclusions à partir des données du SNDS sur les taux de participation est mécanique : sur l’ensemble de la période et du territoire, le ratio entre les taux de participation CRCDC et SNDS est de 0,93, représentant entre 2 et 3 points de différence entre les 2 taux selon les années, et jusqu’à 6 points dans certains départements.
Notre étude a utilisé la base de données médico-administrative du SNDS, quasi-exhaustive en termes d’actes, pour estimer les taux d’exclusion sur l’ensemble du territoire. Une de ses limites concerne des individus, considérés comme à exclure à partir des données SNDS, mais qui ont cependant réalisé un FIT enregistré dans le SNDS (5,3% des individus à exclure en 2018). Ces individus ont été conservés dans la population des personnes à exclure car ils ont été identifiés comme tels, et il est important de les considérer dans les calculs des taux d’exclusion. Ils ont également été conservés dans les effectifs des personnes dépistées. Ces données proviennent des CRCDC et il n’est pas possible, à ce stade, de relier individuellement le statut d’exclus-SNDS avec le statut de dépistés-CRCDC. Si ce travail devait être répété, il faudrait réfléchir à une meilleure prise en compte de ces individus.
Nous aurions pu également présenter les comparaisons entre les estimations CRCDC et SNDS sur une période de deux ans, au cours de laquelle l’intégralité de la population-éligible doit être invitée. Mais, cela nécessite des hypothèses plus contraignantes sur la durée d’exclusion des individus et notamment d’introduire (respectivement d’extraire) dans la population-éligible des personnes dont le statut d’exclusion est différent sur chacune des deux années de la période considérée.
Notre identification des cas d’exclusion à partir d’une base médico-administrative est comparable avec celles de la littérature. Le nombre de coloscopies réalisées dans les cinq ans précédant l’année 2018 pour les six départements de Paca 11 est très proche du nôtre (361 546 vs 363 263, soit entre 0,1 et 0,9 point de différence selon les départements). Nos résultats confirment aussi les taux d’exclusion observés dans les départements où les CRCDC recueillent les actes de façon très complète auprès des professionnels de santé (Maine-et-Loire, Ille-et-Vilaine, Saône-et-Loire, Bas-Rhin et Haut-Rhin entre autres). Dans une étude espagnole de 2017 12, le taux d’exclusion était estimé à 7% chez les personnes âgées de 60 à 69 ans sans qu’il soit précisé d’où provenait l’information concernant ces exclusions. Dans une étude italienne 13 chez les personnes âgées de 55 à 64 ans, le taux d’exclusion, fondé sur des données déclaratives (antécédents personnels ou familiaux de CCR, endoscopie ou test de recherche de sang occulte dans les selles) atteignait 12,3% de la population-cible, proche de celui qu’on observe, au niveau national, pour la même tranche d’âge, à partir des données des CRCDC. Bulliard et coll. 14 ont démontré que plus la participation était élevée, plus la prise en compte des exclusions avait un impact important sur les taux de participation. Ils indiquaient aussi qu’au niveau européen, la quantification des exclusions était peu documentée dans les programmes organisés mais que des études pilotes décrivaient des taux d’exclusion pouvant aller jusqu’à 15% selon les pays. Toutefois, de nombreux pays européens invitent toute la population-cible sans exclusion autre que les personnes ayant une néoplasie colorectale précédemment dépistée (Royaume-Uni et Pays-Bas par exemple 3,15). Calculer des taux de participation à partir des seules données de réalisation d’un FIT sans prendre en compte les exclusions permettrait de mieux refléter le cœur de métier des CRCDC : convaincre la population de se faire dépister pour le CCR.
Pour aller plus loin, Seitz et coll. 11 ont calculé, pour la région Paca et la France entière, le taux de personnes à jour de leur dépistage. En 2018, sur l’ensemble du territoire français, ce taux était estimé à 54,7%. Une autre étude européenne, à partir des données déclaratives de European Health Interview Survey (EHIS) sur la pratique d’un test de dépistage ou d’une coloscopie rapportait un taux d’utilisation global de 60% pour la France 16. Le taux de dépistage par FIT (51%), déclaratif, était néanmoins surestimé par rapport à la réalité ; il n’est pas exclu qu’il en soit de même pour la pratique de la coloscopie (23%). Calculer et publier le taux de couverture du dépistage du CCR prenant en compte à la fois la participation au PNDOCCR et aux différentes modalités d’exploration morphologique du côlon-rectum, à partir d’une base de données médico-administratives globale, viendrait compléter utilement les taux de participation au PNDOCCR actuellement publiés. Cela permettrait de caractériser un dépistage multimodal, qui a montré, en Californie, un effet important sur l’incidence et la mortalité par cancer colorectal 17. Ce calcul fera l’objet d’un travail ultérieur.
Depuis début janvier 2024, les invitations à participer au PNDOCCR ne sont plus envoyées par les CRCDC mais par l’Assurance maladie ; les personnes à exclure du programme sont donc identifiées à partir des données de la base médico-administrative du SNDS, ce qui semble être une opportunité de mieux cibler les invitations. Mais, il manquera au minimum les exclusions pour antécédents familiaux et comorbidités. Les taux d’exclusion devraient néanmoins augmenter et également les taux de participation, toutes choses égales par ailleurs. En revanche, si les conditions d’invitation devaient changer (dématérialisation des relances, absence des étiquettes d’identification permettant d’identifier automatiquement les individus, absence du questionnaire permettant à l’assuré de signaler des symptômes ou des antécédents familiaux, suppression de l’envoi postal du test avec la 2e relance, moindre qualité des fichiers Assurance maladie utilisés), les taux de participation et de tests analysables pourraient diminuer. De plus, il est actuellement démontré que certains critères d’exclusion du PNDOCCR, définis il y a 20 ans, devraient être actualisés 18 : par exemple, les personnes ayant des antécédents familiaux de CCR et d’adénomes pourraient être réintégrées dans le programme, puisqu’il est démontré qu’une majorité d’entre elles échappent au dépistage par coloscopie.
Conclusion
Ce travail montre qu’une meilleure estimation des taux d’exclusion, donc de la population éligible au PNDOCCR, permet d’augmenter mécaniquement et d’homogénéiser les taux de participation et d’en faire une estimation plus juste. Dès la mise en place du programme, une transmission aux CRCDC des informations sur les actes réalisés aurait permis une évaluation plus précise. Le fait que les invitations soient reprises par l’Assurance maladie va, de fait, le permettre. Mais ces taux de participation, même recalculés plus précisément, restent trop faibles en France, toujours en-deçà du taux minimum recommandé par l’Union européenne (45%) et des disparités territoriales demeurent. De plus, ils reflètent mal la proportion de Français effectivement dépistés pour le CCR. Le calcul du taux de couverture du dépistage du CCR, cumulant les dépistages par FIT dans le cadre du PNDOCCR et par endoscopie (coloscopie et recto-sigmoïdoscopie), permettrait une évaluation plus juste et des comparaisons plus fiables, tant spatiales que temporelles. Néanmoins, l’objectif d’augmenter la participation au PNDOCCR selon ses modalités actuelles reste une priorité. Les campagnes de communication, notamment à l’occasion de « Mars Bleu », devront donc continuer d’insister sur le rôle du FIT, afin d’améliorer la participation de la population et l’adhésion des médecins et pharmaciens en charge de la distribution du test.
Remerciements
Nous remercions Christine Piette, Catherine Exbrayat et Philippe Perrin pour la qualité de nos échanges lors des séances de travail dans le cadre du GT-Coloscopies, et l’ensemble des CRCDC pour la transmission de leurs données et leur collaboration.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
Citer cet article
–C18 : tumeur maligne du côlon
–C19 : tumeur maligne de la jonction recto-sigmoïde
–C20 : tumeur maligne du rectum
–K50 : maladie de Crohn
–K51 : rectocolite hémorragique