Suivi de la mise en place régionale du dispositif VigilanS et facteurs associés à la réitération suicidaire en Auvergne-Rhône-Alpes, 2017-2021
// Monitoring regional implementation of VigilanS and factors associated with suicidal relapse in Auvergne-Rhône-Alpes, 2017–2021
Résumé
Introduction –
VigilanS est un dispositif national de recontact des patients hospitalisés pour tentative de suicide (TS), visant à réduire le risque de réitération suicidaire et décliné en 2020 en Auvergne-Rhône-Alpes (ARA). L’objectif principal est d’évaluer l’évolution du taux de réitération suicidaire à six mois en ARA en lien avec l’ouverture des centres VigilanS, entre 2017 et 2021 et d’identifier les facteurs associés à la réitération.
Matériel et méthodes –
Une étude épidémiologique quasi-expérimentale avant-après avec deux groupes intervention (établissements partenaires de VigilanS dès 2020 et 2021) et un groupe contrôle a été mise en place. Les données utilisées ont été extraites du Système national des données de santé (SNDS) et comprennent les patients hospitalisés dans les établissements MCO (médecine-chirurgie-obstétrique) pour tentative de suicide entre 2017-2021 en ARA. Les tendances du taux de réitération à six mois ont été analysées avec un modèle binomial négatif en comparant le taux de réitération avant (S1-2017 à S1-2020) et après (S2-2020, S1-2021) la mise en place de VigilanS, dans les trois groupes. Les facteurs associés à la réitération ont été étudiés avec une régression de Cox multivariée.
Résultats –
Parmi les 30 141 patients ayant été hospitalisés pour TS dans la région sur l’ensemble de la période, 2 847 ont été hospitalisés de nouveau pour réitération suicidaire durant les six mois, soit un taux de réitération de 9,4% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [9,1-9,7]). Une diminution significative de -40,7% [-59,2 ; -15,1] du taux de réitération à six mois a été montrée dans le groupe d’établissements partenaires de VigilanS (groupe intervention) par rapport à la période précédant VigilanS, diminution non retrouvée dans le groupe contrôle. Cependant, une tendance globale à la baisse a été observée dans la région sur la période étudiée. Plusieurs facteurs ont été associés significativement à la réitération : l’âge entre 30-39 ans (vs 40-49 ans, risque relatif ajusté, RRa=1,15 ; p=0,04), résider en milieu urbain (1,10 ; p=0,02 ; référence milieu rural) et dans une commune favorisée (1,14 ; p=0,01).
Conclusion –
Ces résultats sont encourageants concernant l’intérêt de VigilanS pour prévenir la réitération suicidaire. L’analyse des facteurs associés indique qu’il n’est pas nécessaire d’adapter le protocole en fonction du sexe mais qu’il y aurait un intérêt à l’adapter à l’âge.
Abstract
Introduction –
VigilanS is a French program for recontacting patients hospitalized after a suicide attempt in order to reduce the risk of repeat attempts. The program was implemented in 2020 in the French region of Auvergne-Rhône-Alpes (ARA). The main objective of the present study was to evaluate changes in the rate of repeat suicide attempts at 6 months in ARA between 2017 and 2021 in relation to the opening of VigilanS centers, and to identify the factors associated with repeat attempts within this population.
Material and methods –
A quasi-experimental epidemiological study was conducted with two intervention groups (hospitals participating in VigilanS in 2020 and 2021) and one control group. The data were extracted from the National Health Data System (SNDS) and included patients hospitalized after a suicide attempt in the ARA region between 2017 and 2021. Trends in the rate of repeat attempts were analyzed by group using a negative binomial model to compare reattempt rate before (W1-2017 to W1-2020) and after (W2-2020, W1-2021) the implementation of VigilanS. Factors associated with repeat suicide attempts in ARA were analyzed with a multivariate Cox regression model.
Results –
Among the 30,141 patients who were hospitalized in the region after a suicide attempt, 2,847 reattempted suicide within 6 months, giving a repeat-attempt rate of 9.4% (95% confidence interval [95%CI]: 9.1–9.7). A significant decrease of 40.7% (-59.2; –15.1%) in the repeat-attempt rate was observed for the intervention group compared with before VigilanS, a decrease not observed in the control group. However, a global downward trend was observed in the control group. Several factors were significantly associated with repeat suicide attempt: being aged 30–39 years old (adjusted hazard ratio [aHR]=1.15; P=0.04; reference 40–49 years old), living in an urban area (1.10; P=0.02; reference rural) and living in a privileged area (1.14; P=0.01; reference middle score).
Conclusion –
These results are encouraging in terms of the impact of VigilanS. The analysis of associated factors indicates that there is no need for gender adaptations in the protocol but that adaptations for patient age could prove effective.
Introduction
Le suicide est un problème majeur de santé publique en France avec près de 9 000 décès et 89 000 hospitalisations pour tentative de suicide (TS) par an 1. Si les hommes sont les plus touchés par la mortalité par suicide, 64% des séjours hospitaliers en MCO (médecine-chirurgie-obstétrique) pour TS concernent les femmes. Les catégories d’âge les plus à risque de TS sont les 15-24 ans, suivis des 45-54 ans. Le principal mode opératoire utilisé pour les gestes suicidaires est l’absorption de substances médicamenteuses 2. Durant la crise suicidaire, le risque de réitérer au décours d’une première TS est élevé, estimé en 2008-2009 à 12,4% en France dans l’année suivant la première TS 3. Les principaux facteurs de risque de réitération suicidaire sont le nombre de TS précédentes, la présence de troubles liés à l’usage de substances (alcool, tabac) ou de maladies psychiatriques, un faible niveau d’éducation et un âge inférieur à 25 ans 4.
Différentes approches peuvent permettre de réduire le risque de réitération dont le dispositif de prévention tertiaire VigilanS. VigilanS est un dispositif de veille et de prévention du suicide du type Brief Contact Intervention, qui consiste à recontacter les patients ayant réalisé une TS afin de prévenir une réitération du geste. Ce dispositif, expérimenté dans le Nord-Pas-de-Calais dès 2015, a montré une diminution significative de 10% du nombre de TS dans les établissements participants 5. Depuis 2018, ce dispositif a été déployé progressivement dans l’ensemble des régions françaises dont l’Auvergne-Rhône-Alpes (ARA) mi-2020. Pour chaque personne entrée dans VigilanS en ARA à la suite d’un passage aux urgences ou une hospitalisation pour TS dans un établissement partenaire, un suivi prospectif de six mois est réalisé selon un protocole standard de recontact téléphonique ou par cartes postales par l’équipe VigilanS. Un des objectifs spécifiques à la région est la réduction des inégalités sociales liées au suicide 2. Le suivi dans la région se fait par une des quatre équipes pluridisciplinaires (Clermont-Ferrand, Saint-Étienne, Lyon, Grenoble) composées d’infirmiers, psychologues, psychiatres et chargés de missions qui contactent les patients et réceptionnent leurs appels. Ces équipes évaluent le risque suicidaire, orientent les patients vers les recours disponibles et réalisent le suivi, ainsi que la coordination et le partenariat avec les services d’urgences.
L’objectif principal de cette étude est d’évaluer l’évolution du taux de réitération suicidaire à six mois en ARA en lien avec l’ouverture des centres VigilanS, entre 2017 et 2021, en comparant les tendances temporelles dans les établissements partenaires ou non de VigilanS. L’objectif secondaire était d’identifier certains facteurs individuels et liés à la commune de résidence associés aux variations du taux de réitération à six mois, dans notre population âgée de 10 ans et plus.
Matériel et méthodes
Population et source de données
Les données utilisées ont été extraites du Système national des données de santé (SNDS) et correspondent à l’ensemble des patients, âgés de 10 ans et plus, hospitalisés pour TS dans les établissements hospitaliers MCO d’Auvergne-Rhône-Alpes, entre le 1er janvier 2017 et le 30 juin 2021 avec un suivi des réitérations suicidaires jusqu’au 31 décembre 2021. Les hospitalisations pour TS ont été recherchées avec les codes de diagnostic principal ou associé CIM-10 X60-X84 (« lésions auto-infligées »). Ces codes comprennent les auto-intoxications médicamenteuses et par d’autres produits, les lésions auto-infligées et les moyens non précisés. Pour tous les patients, les informations suivantes ont été obtenues : sexe, âge, dates d’entrées et sorties de chaque séjour pour TS, décès et date de décès (toute cause confondue), commune de résidence. Un fichier de suivi du nombre mensuel d’entrées dans VigilanS pour chaque établissement de la région est complété prospectivement depuis le début de VigilanS dans la région afin de permettre un suivi plus fin de chaque centre.
La réitération suicidaire est définie comme telle : patient avec au moins une seconde hospitalisation pour TS dans les six mois suivant la 1re hospitalisation pour TS, dans un délai ≥2 jours après la sortie du séjour pour la 1re TS. Si le patient est rentré à domicile à l’issue de sa première TS, la réitération peut avoir lieu immédiatement après sa sortie. Le critère de jugement principal est le taux de réitération suicidaire à six mois après la première hospitalisation pour TS. En l’absence de réhospitalisation pour TS, une censure a été effectuée à la date de décès (si <6 mois), après, ou à six mois. L’ensemble des séjours hospitaliers pour TS ont été chaînés dans une base de données unique anonymisée, permettant d’identifier individuellement si une personne ayant été hospitalisée une première fois pour TS était ré-hospitalisée dans les six mois pour un même motif.
Tendance des taux de réitération suicidaire dans les établissements participant à VigilanS
Une évaluation de l’évolution du taux de réitération suicidaire à six mois a été réalisée en ARA, par une étude écologique quasi-expérimentale (avant-après) multicentrique avec deux groupes intervention et un groupe contrôle, en lien avec l’ouverture des centres VigilanS. Les établissements de la région inclus sont les hôpitaux ayant un service d’urgence participant à VigilanS (reliés à un des quatre centres de coordination régionale), ainsi que les établissements non participants à VigilanS et qui remplissent les critères suivants : 1) avoir au moins un service d’urgences adultes et coder au moins 10 passages aux urgences pour TS par an et 2) coder des hospitalisations en MCO dans le Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Les hôpitaux pédiatriques et psychiatriques ont été exclus (actes codés dans le Recueil d’informations médicalisé pour la psychiatrie, RIM-P). Trois groupes d’établissements ont été définis :
–le groupe 1, composé des établissements partenaires du dispositif VigilanS depuis 2020 ;
–le groupe 2, composé des établissements partenaires du dispositif depuis 2021 ;
–le groupe 3, composé des établissements non encore partenaires (groupe contrôle).
Le temps a été séparé en deux périodes, selon la date de première TS :
–période « avant » : précédant l’ouverture des centres VigilanS dans la région, correspondant aux premières hospitalisations pour TS entre le 1er janvier 2017 et le 30 juin 2020 ;
–période « après » : à partir du début de VigilanS dans la région, correspondant aux premières hospitalisations pour TS entre le 1er juillet 2020 et le 30 juin 2021.
Les analyses de la partie évaluation portent sur la population de plus de 18 ans car VigilanS a concerné quasi-exclusivement des adultes au moment de sa mise en place dans la région. Une première partie d’analyses descriptives porte sur les caractéristiques des patients et du lieu de résidence. L’analyse des tendances du taux de réitération entre les périodes avant et après l’ouverture des centres VigilanS a été réalisée avec un modèle de régression binomial négatif. La tendance a été étudiée en analyses univariée et multivariée avec un ajustement sur le sexe, l’âge, le département, l’établissement hospitalier (EH) et l’indice de défavorisation sociale (FDep). L’offset était le nombre de patients-jours de suivi suivant la première hospitalisation pour TS et la variable expliquée le nombre de réitérations.
Évaluation des facteurs associés à la réitération
L’analyse des facteurs associés à la réitération a été effectuée sur l’ensemble des personnes âgées de plus de 10 ans hospitalisées pour TS en MCO dans la région ARA entre le 1er janvier 2017 et le 30 juin 2021 dans les EH inclus. En plus des données individuelles (sexe, âge, zone de résidence, type d’établissement), les données de contexte suivantes, liées à la commune de résidence, ont été récoltées auprès des bases de données en libre accès (Institut national de la statistique et des études économiques – Insee – et Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – Drees) : le quintile du FDep 2015 6, l’indice d’accessibilité potentielle localisée (APL, décrivant le nombre moyen de consultations annuelles chez le généraliste, sous forme de densité standardisée par habitant) 7, le type de commune (urbaine ou rurale), la distance entre la commune de résidence et de l’EH le plus proche.
L’analyse des facteurs associés à la réitération a été réalisée avec un modèle semi-paramétrique de Cox. La proportionnalité des taux a été analysée graphiquement (courbes log-log). Les variables ont été étudiées en analyse bivariée, ajustées sur le semestre de 1re TS, puis en analyse multivariée en conservant les variables avec un seuil de significativité de 10%. Les variables âge et sexe ont été forcées et le modèle final a été construit avec la méthode de pas à pas descendant, en comparant les modèles emboités à l’aide du test de Wald. Les analyses ont été réalisées sous Stata V14 (StataCorp®). Tous les tests étaient bilatéraux et un p<0,05 était considéré significatif.
Résultats
Descriptif de la population et estimation du taux de réitération suicidaire à 6 mois
Au total, 30 141 patients de 10 ans et plus ayant été hospitalisés pour tentative de suicide (TS) dans un des établissements hospitalier MCO d’Auvergne-Rhône-Alpes entre le 1er janvier 2017 et le 30 juin 2021 ont été inclus dans l’étude, dont 60,7% (n=18 293) étaient des femmes. Parmi eux, 2 847 ont été hospitalisés pour réitération suicidaire durant les six mois suivant leur première TS, soit un taux de réitération de 9,4% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [9,1-9,7]). Les patients ont en moyenne été hospitalisés 3,7 jours (écart-type, ET=8,8) lors de leur première TS. Parmi l’ensemble de la population, la catégorie d’âge la plus représentée était les 50 ans et plus (n=9 829, 32,2%), suivie des 18-29 ans (n=6 369, 20,9%). Au total, 835 (2,8%) patients sont décédés au cours du suivi ; parmi eux, 770 sont décédés sans ré-hospitalisation pour TS.
Le tableau 1 décrit les effectifs et taux de réitération suicidaire selon les caractéristiques. Près de la moitié des réitérants ont été hospitalisés en centre hospitalier universitaire (CHU, 49,6%, n=1 412). La majorité des réitérants résidaient en milieu urbain (58,7%, n=1 534) et un tiers à 2 km ou moins d’un établissement hospitalier (33,7%, n=915). Les taux de réitération étaient significativement supérieurs chez les personnes hospitalisées en CHU (p<0,01), les personnes habitant dans des communes favorisées (p=0,01), en milieu urbain (p<0,01), à proximité d’un EH (p<0,01) et dans des communes avec un indice APL élevé (p=0,02).
Évolution du taux de réitération suicidaire dans les établissements partenaires ou non de VigilanS en Auvergne-Rhône-Alpes
Parmi 114 établissements ayant pris en charge des patients de 18 ans et plus pour TS, 83 établissements (EH) de la région disposent d’un service d’urgence, 42 ont été exclus de l’étude (psychiatrie, n=3 ; pédiatrie, n=4 ; défaut de qualité, n=28 ; Fichier national des établissements sanitaires et sociaux (Finess) identique, n=7). Au total, 41 EH ont été inclus dont 5 EH dans le groupe 1 (les 4 CHU de la région et le CH Annecy-Genevois), 6 EH dans le groupe 2 (CH de Privas, Bourgoin-Jallieu, Vienne, CH Métropole-Savoie, CH Alpes Léman, CH de Thonon-les-Bains) et 30 dans le groupe 3 (témoin). Entre 2020 et fin juin 2021, 2 662 patients ont été inclus dans VigilanS en ARA, dont 2 540 dans le groupe 1, 107 dans le groupe 2 et 15 dans le groupe 3 (du fait de quelques patients référés directement par des praticiens de services de soins ne participant pas officiellement au dispositif).
Le taux de réitération suicidaire à six mois a été estimé pour chaque semestre et groupes entre 2017 et le premier semestre 2021 ; la figure montre qu’il était plus élevé dans le groupe 1 sur l’ensemble de la période (10,4% pour le groupe 1 ; 8,4% pour le groupe 2 ; 8,6% pour le groupe 3 ; p<0,01). Une tendance générale à la baisse a été observée entre le 1er semestre 2017 et le 1er semestre 2021 dans les trois groupes. Cependant, une diminution un peu plus prononcée est observée dans le groupe 1 après la mise en place de VigilanS, tendance non observée dans le groupe contrôle sur la même période.
Après analyse univariée (tableau 2), une baisse significative de -46% [-62 ; -22] du taux de réitération suicidaire a été retrouvée dans le groupe 1 entre les périodes avant/après. Une tendance à la diminution non significative de -19% [-50 ; +34] a eu lieu dans le groupe 3 (contrôle), ce qui reflète un contexte général de baisse du taux de réitération. Après analyse multivariée ajustée sur le sexe, l’âge, l’établissement hospitalier, le département de résidence et le FDep, une diminution significative de -41% [-59 ; -15] du taux de réitération à six mois, par rapport à avant VigilanS, a été mise en évidence pour le groupe 1. On retrouve également une tendance à la baisse (non significative) de -28% [-56 ; +17] pour le groupe témoin.
Au 1er semestre 2021, le groupe 1 avait un taux de participation, défini comme le rapport entre le nombre d’entrées dans VigilanS et le nombre d’hospitalisations pour TS dans l’établissement, de 59,4%, le groupe 2 de 18,7%, témoignant d’une forte participation à VigilanS dans les hôpitaux partenaires du dispositif à partir de 2020. On peut observer que dans les établissements du groupe 1 avec taux de participation supérieur à 60% au 1er semestre 2021, le taux de réitération à six mois diminue significativement alors que cela n’est pas le cas dans ceux avec un taux de participation moindre (données détaillées non publiées). Ceci suggère une relation entre les entrées dans VigilanS et l’impact sur la baisse de la réitération suicidaire.
Analyse des facteurs associés à la réitération suicidaire en ARA
L’analyse bivariée ajustée sur le semestre de 1re TS a mis en évidence une association significative entre le taux de réitération et l’âge, le type d’établissement, l’APL, le FDep, le type de commune et la distance à l’EH (tableau 3).
Après régression multivariée (tableau 3), les facteurs indépendamment associés à un risque supérieur de réitération suicidaire sont un âge compris entre 30 et 39 ans (vs 40-49 ans ; risque relatif ajusté, RRa=1,15 [1,01-1,31], p=0,04), le fait de résider dans une commune favorisée (1,14 [1,03-1,27], p=0,01) et urbaine (1,10 [0,99-1,22], p=0,02). Le sexe, le type d’établissement, l’APL, et la distance à l’EH le plus proche ne sont pas indépendamment associés au risque de réitération suicidaire.
Discussion
L’objectif principal de cette étude est d’évaluer l’évolution du taux de réitération suicidaire à six mois en ARA en lien avec l’ouverture des centres VigilanS, entre 2017 et 2021, en comparant les tendances temporelles dans les établissements partenaires ou non de VigilanS. Nous avons trouvé un taux régional de réitération à six mois de 9,4%, ce qui est comparable avec celui de Vuagnat et coll. 3 en 2019 de 9,3%. Lors de l’analyse des tendances du taux de réitération à six mois, une diminution significative est retrouvée dans le groupe 1 après la mise en place de VigilanS, par rapport à avant le début de VigilanS. Cependant, on observe également une diminution, certes moins importante et non significative, dans le groupe contrôle qui s’inscrit dans un contexte général de diminution du nombre de suicides et de TS au niveau régional et national. D’autre part, le groupe 1 étant composé des quatre CHU de la région, il est probable que d’autres dispositifs de prévention du suicide déployés en même temps que VigilanS aient pu participer à la baisse du taux de réitération. En effet, notre évaluation est réalisée au niveau écologique (de l’établissement) et non individuel. Dans la région ARA, VigilanS a été déployé en premier dans les quatre CHU qui correspondent aux centres de coordination de VigilanS et prennent en charge aussi une part importante de personnes suicidantes, le déploiement progressif dans les autres établissements s’est poursuivi par la suite.
Lors de l’évaluation de VigilanS dans le Nord-Pas-de-Calais, le taux de participation du dispositif s’était révélé être un facteur crucial dans la baisse du nombre de TS de l’établissement. Nous avons trouvé un impact sur le taux de réitération à six mois dans les établissements ayant un taux de participation élevé. Cependant, il est encore tôt pour étudier finement cette relation en ARA. En effet, la crise liée à la Covid-19 a fortement impacté les hospitalisations pour TS, donc les entrées dans VigilanS 8. Dans une étude de cohorte réalisée par Santé publique France en 2023 9, une réduction du risque de réitération à 12 mois entre 2015-2017 de 38% a été retrouvée chez les patients bénéficiant de ce dispositif. VigilanS a donc un impact positif sur le risque de réitération chez les patients suivis, ce qui est encourageant quant à l’impact potentiel dans la région et en France.
L’analyse des facteurs contributifs à la réitération à six mois dans notre population a montré un risque de réitérer supérieur chez les 30-39 ans par rapport aux 40-49 ans, ce qui diffère légèrement par rapport au risque de premier épisode suicidaire dans la région où les 45-49 ans sont les plus à risque, après les 15-19 ans. Un risque de réitération significativement inférieur de -12% chez les personnes de plus de 50 ans est retrouvé, concordant avec les données de littérature qui ont montré que le nombre de réitérations et de TS diminue à partir de 60 ans 10. Nos résultats n’indiquent pas de différence de risque entre les sexes bien qu’une étude ait retrouvé que les femmes avaient un risque plus important de réitérer que les hommes 10. De plus, les personnes hospitalisées en CHU lors de leur première TS ont un risque significativement plus élevé de réitération. Ceci peut s’expliquer par le fait que les cas les plus graves sont hospitalisés en CHU.
Enfin, on retrouve un sur-risque de réitération dans les communes urbaines et favorisées, indépendamment des autres caractéristiques, contrairement à ce qui a été retrouvé pour le risque de TS au Québec 11. Il est possible qu’un meilleur accès aux soins fasse que les TS soient davantage prises en charge par un EH que dans des communes moins favorisées, en particulier lors de situations peu graves. Les facteurs associés au premier épisode de TS ainsi qu’à la réitération devraient être comparés afin d’avoir des conclusions plus solides pour mettre en place des actions ciblées. Enfin, l’étude exploratoire de la distance du domicile du patient à l’EH n’a pas donné de résultats significatifs, mais on observe un gradient (plus la commune est proche d’un EH, plus le risque de réitérer est élevé). Plusieurs études ont montré, pour différentes pathologies, qu’il y avait un sur-risque significatif de décès chez les personnes habitant loin d’un EH, ce qui pourrait être le cas pour le suicide ; pour analyser ceci, une étude des décès par suicide devrait être réalisée 12. Ainsi, le risque de réitération est retrouvé dans les communes urbaines et favorisées, indépendamment de l’âge, du sexe, du type d’établissement et de la distance domicile-EH. Cela suggère que d’autres facteurs non étudiés expliquent ce risque accru 13.
Notre étude comporte plusieurs forces et limites. D’abord, il existe peu d’études en France sur la réitération suicidaire. Ensuite, les données extraites du SNDS sont de bonne qualité puisqu’elles sont exhaustives en MCO sur l’ensemble de la période. De plus, le design choisi avec un groupe contrôle et une analyse multivariée est le design recommandé pour les études quasi-expérimentales 14. Enfin, ce suivi de la mise en place des centres VigilanS est l’un des premiers réalisés à l’échelle régionale et malgré la précocité de l’analyse par rapport au début du dispositif, les résultats sont encourageants. Cependant, il existe des limites, et en particulier le manque d’informations sur les décès par suicide qu’il aurait été intéressant d’étudier conjointement à la réitération. Une analyse du critère composite « réitération ou décès toute cause » a cependant montré des résultats comparables, en faveur d’une réduction du risque de réitération (résultats non montrés). De plus, l’étude ne portait que sur les données d’hospitalisations pour TS, elle ne prenait donc pas en compte les passages aux urgences seuls. Enfin, le contexte de la Covid-19 était particulier et aurait pu modifier certains résultats. Afin de bénéficier aux patients, il avait cependant été décidé de ne pas repousser la mise en place de VigilanS dans la région malgré la pandémie. L’étude ayant un groupe contrôle, il était possible d’évaluer les tendances temporelles des taux de réitération suicidaire avec ou sans VigilanS, sachant que tous les établissements ont été concernés par la pandémie de Covid-19.
Conclusion
L’étude de l’évolution du taux de réitération suicidaire entre 2017 et 2021 en Auvergne-Rhône-Alpes a montré une baisse significative du taux de réitération suicidaire à six mois dans les établissements ayant été partenaires du dispositif dès 2020 dans un contexte régional de diminution du taux de réitération, ceci alors que les établissements non partenaires de VigilanS ne connaissent pas de baisse significative. De plus, l’analyse des facteurs associés à la réitération à six mois dans la région a montré un sur-risque significatif chez les personnes de 30-39 ans ainsi que celles résidant en milieu urbain et dans une commune favorisée. Ces résultats sont en faveur de l’intérêt du dispositif VigilanS dans la prévention de la réitération suicidaire et devraient inciter l’ensemble des EH de la région à devenir partenaires du dispositif. Ils encouragent à suivre régulièrement les taux de réitération suicidaire au niveau régional ou infrarégional et à aller plus loin pour mieux comprendre les facteurs de risque associés afin d’adapter l’intervention au contexte territorial.
Remerciements
Nous remercions l’ensemble des « Vigilanseurs » et soignants impliqués dans ce dispositif en Auvergne-Rhône-Alpes. Les acteurs
de l’instance régionale de prévention du suicide sont remerciés : B. Ferroud-Plattet, S. Escard, G. Bidet, S. Gaoua, V. Suisse,
J Villon, E. Guichard, R. Robiolle (Agence régionale de santé ARA), L. Vaissade, S. Maquinghen (Observatoire régional de la
santé ARA), Dr E. Leaune, M. Vieux, Dr E. Wawer (CH Vinatier, Bron), Pr E. Poulet (Hospices civils de Lyon, Lyon), Dr C. Coudrot,
Pr C. Massoubre (CHU de Saint-Étienne), Dr M. Dubuc (CHU de Grenoble-Alpes), J. Heros, Dr J. Geneste-Saelens (CHU de Clermont-Ferrand).
Le Dr Chantal Mannoni (Pôle national numéro national de prévention du suicide) ainsi que les membres du groupe « VigilanS »
à Santé publique France (S. Tessier, M. Faisant, AC Paty, M. Martel, L. Meurice, JL Chappert, L. Simac, E. Daudens-Vaysse),
de la Direction de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France (S. Broussouloux, E. Du Roscoät)
et de la Direction appui, traitement, analyse des données (Y. Gallien) sont remerciés.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.