Premier bilan épidémiologique du dispositif national de surveillance des épidémies de gastro-entérites aiguës d’origine hydrique en France entre 2010 et 2022
// First epidemiological report on results from the national surveillance system for waterborne disease outbreaks in France between 2010 and 2022
Résumé
Un dispositif de détection rétrospective des cas groupés de gastro-entérites aiguës médicalisées (GEAm) liés à une origine hydrique plausible est déployé dans toutes les régions de France depuis 2019. Ce dispositif national s’appuie sur les données de l’Assurance maladie pour identifier les cas de GEAm depuis 2010 et sur la base de données Sise-Eaux (Système d’information en santé-environnement sur les eaux d’alimentation) pour caractériser l’exposition à l’eau du robinet. Les principaux objectifs du système sont d’identifier les réseaux d’eau à risque de contamination microbiologique et d’améliorer la connaissance de l’impact des épidémies de maladies d’origine hydrique et des facteurs de risque associés. Sur la période 2010-2022, 145 foyers de GEA hydriques ont été enregistrés en France, dont 124 nouvellement détectés par ce système par rapport au système déclaratif. Les réseaux d’eau potable concernés desservent 790 000 personnes, et les circonstances de la contamination ont permis d’identifier des vulnérabilités au niveau des ressources en eau, du traitement et de la distribution. Une plus grande adhésion au système permettrait d’améliorer la protection des consommateurs d’eau du robinet en ce qui concerne le risque microbiologique.
Abstract
A system for the detection of clustered cases of acute medicalized gastroenteritis (AmG) linked to a plausible waterborne origin has been deployed in all regions of France since 2019. This system uses data from the national health insurance system (Assurance Maladie) to identify cases of AmG and the SISE-Eaux database to characterize exposure through tap water. The main objectives of the system are to identify water networks at risk of microbiological contamination, and to improve knowledge of the impact of waterborne disease outbreaks and associated risk factors. Over the period 2010–2022, 145 waterborne disease outbreaks were recorded in France, including 124 newly detected by this system compared to the declarative system. The drinking water networks involved serve 790,000 people, and the circumstances of contamination identified vulnerabilities in water resources, treatment and distribution. Greater adherence to the system would further enhance consumer protection regarding the microbiological risks of tap water.
Introduction
Les épidémies de gastro-entérites aiguës (GEA) liées à la consommation d’eau du robinet (ou « GEA d’origine hydrique ») constituent un enjeu de santé publique dans le monde entier, y compris dans les pays développés 1,2,3,4. Ces épidémies sont généralement liées à une pollution accidentelle de l’eau distribuée et les investigations tendent à mettre en évidence des facteurs de risque connus tels qu’une vulnérabilité de la ressource associée à des incidents au niveau du traitement (panne de chloration) ou de la distribution de l’eau (rupture de canalisation, refoulement des eaux usées vers le réseau d’eau potable) 5. Des facteurs extérieurs aggravants peuvent également s’ajouter comme de fortes pluies entraînant un lessivage du bassin versant et une concentration des contaminants au niveau de la ressource en eau 6.
Pour autant, le nombre d’épidémies d’origine hydrique signalées en France ou à l’étranger auprès des autorités sanitaires ou organismes de santé publique est probablement sous-estimé en l’absence de système de surveillance dédié. Ainsi, on dénombre moins d’une trentaine d’épidémies hydriques signalées à Santé publique France (Institut de veille sanitaire jusqu’en mai 2016) et documentées au cours des 10 dernières années 7. Ces épidémies ont été identifiées par les autorités sanitaires par le biais de déclarations volontaires de médecins généralistes ou à la suite de résultats non conformes du contrôle sanitaire de l’eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Le nombre d’épidémies hydriques identifiées par le système de déclaration obligatoire (DO) des toxi-infections alimentaires collectives (Tiac) reste anecdotique. Les agents pathogènes impliqués dans ces épidémies sont multiples (virus entériques type norovirus/rotavirus, virus de l’hépatite E, campylobacter, salmonella, cryptosporidium, giardia, etc.) et les taux d’attaque estimés dans les études de cohortes se situent entre 20 et 50% de la population desservie par l’eau du réseau contaminée.
Afin d’améliorer la détection et la surveillance des épidémies de GEA d’origine hydrique, Santé publique France, avec le soutien du ministère de la Santé et en collaboration avec les agences régionales de santé (ARS), a déployé en 2019 un système national de surveillance des épidémies de GEA d’origine hydrique (nommé EpiGEH) dans toutes les régions 7,8. Ce système repose sur l’exploitation des données du Système national des données de santé (SNDS) de l’Assurance maladie qui permet d’identifier les cas possibles de GEA « médicalisés » (GEAm) rétrospectivement depuis 2010 9. La mise en œuvre de ce dispositif s’est accompagnée en février 2019 d’une instruction ministérielle 10.
Les objectifs principaux de ce dispositif sont d’identifier des unités de distribution d’eau (UDI) (1) à risque de contamination microbiologique (objectif d’appui à la gestion) ; et d’améliorer la connaissance de l’impact sanitaire des épidémies hydriques et des facteurs de risques associés (objectif de prévention). Cet article dresse le premier bilan épidémiologique des épidémies de GEA d’origine hydrique identifiées par le dispositif de surveillance rétrospective EpiGEH entre 2010 et 2022.
Matériel et méthode
Structuration et animation du dispositif de surveillance EpiGEH
Le dispositif de surveillance EpiGEH s’appuie sur la détection automatisée de cas groupés de GEAm desservis par une même UDI sur l’ensemble du territoire national. Il est animé par Santé publique France avec l’appui de la Direction générale de la santé (DGS) et des ARS en charge de l’application du contrôle sanitaire de l’EDCH. La détection automatisée des cas groupés de GEAm est actualisée tous les quatre mois par Santé publique France. Les signaux détectés sont mis à disposition des ARS pour leur permettre la réalisation des investigations via un système d’information dédié développé par Santé publique France dénommé « SI-EpiGEH » (figure 1)
Méthode de détection des signaux de cas groupés de GEAm avec une origine hydrique plausible
La détection des cas groupés de GEAm avec une origine hydrique plausible repose sur l’utilisation d’une méthode écologique de détection spatio-temporelle 11 tenant compte du contour des UDI.
L’indicateur de santé utilisé dans la détection est un cas possible de GEAm comme proxi d’une personne atteinte de GEA et ayant acheté des médicaments remboursés sur prescription médicale pour traiter les symptômes. Les cas sont comptabilisés à partir des données du SNDS grâce à un algorithme spécifique et agrégés par jour et par commune de résidence 9. Compte tenu des délais de consolidation des données au niveau du SNDS, la détection des cas groupés de GEAm se fait de façon rétrospective avec un décalage d’environ quatre mois après la date d’achat des médicaments prescrits.
L’unité écologique d’exposition à l’eau du robinet est définie par la ou les communes desservies par une même UDI. Un algorithme utilisant les données de la base nationale Sise-Eaux permet de définir ces regroupements de communes 12.
Chaque signal de cas groupés détecté par ce dispositif est ensuite caractérisé par une p-value, un excès de cas (EC=différence entre le nombre de cas observés et attendus), un rapport de risque (RR=rapport nombre de cas observés/nombre de cas attendus) et une durée de signal. Les critères retenus pour la sélection des signaux (p<0,05 ; EC≥5 ; RR≥1,5 ; durée≥3 jours) ont été déterminés au regard des caractéristiques des épidémies d’origine hydrique connues et grâce à des travaux de simulation en choisissant un compromis entre une sensibilité suffisante (>70%) et un seuil de faux positifs acceptables (<10%) 13,14.
Les traitements de données sont réalisés grâce à l’outil R® (version 4.1.3) et les résultats des signalements retenus sont restitués grâce à l’application SI-EpiGEH.
Période et zone d’étude retenues
Le bilan présenté dans cet article porte sur la détection rétrospective de signaux survenus en France incluant les départements et régions d’outre-mer (DROM), entre janvier 2010 (première année de disponibilité de l’indicateur GEAm) et décembre 2022.
Vue d’ensemble du dispositif
Les signaux retenus nécessitent la réalisation d’investigations sanitaires et environnementales pour conforter l’origine hydrique et comprendre les circonstances de survenue (figure 2). Les investigations sanitaires sont réalisées en croisant les signaux EpiGEH avec les données du Système d’information de veille et sécurité sanitaire (SI-VSS) des ARS et des DO Tiac pour identifier les signaux correspondant à des situations déjà connues et dont le mode de contamination n’est pas l’eau du robinet (c’est-à-dire origine alimentaire, contamination inter-personnes, autres). D’après une étude pilote et les travaux de simulation, la valeur prédictive positive du dispositif EpiGEH de détection des signaux d’origine hydrique se situe respectivement entre 50% et 90% 13,15. Les signaux restants, considérés comme possiblement d’origine hydrique, sont éligibles à des investigations environnementales. Un questionnaire standardisé est alors utilisé pour détailler le système d’adduction en eau potable alimentant la/les communes où résident les cas groupés de GEAm et décrire les circonstances de contamination possibles au moment du signal (pannes de désinfection, incident de traitement, pollution de captage, événements pluvieux importants, etc.). Les signaux investigués dont l’origine hydrique est confortée (2) sont ensuite classés en trois niveaux de preuve à l’aide d’un algorithme décisionnel complété du jugement des acteurs de terrain (Santé publique France, ARS) : « possible », « probable » ou « fort » 15.
En amont du déploiement du dispositif, des investigations rétrospectives des signaux ont été réalisées pour une étude pilote mise en place en 2016 qui concernait des signaux de 2014-2015 et impliquait sept ARS 15. À partir de 2019, l’ensemble des ARS étaient invitées à investiguer les signaux les plus récents (i.e. depuis 2018), mais certaines d’entre elles ont également investigué des signaux plus anciens, en particulier lorsqu’ils concernaient des réseaux d’eau impliqués dans des signaux répétés.
Résultats
Description des signaux investigués et des épidémies hydriques détectées
Le dispositif de surveillance EpiGEH a détecté rétrospectivement entre 2010 et 2022, sur l’ensemble du territoire, 10 405 signaux de cas groupés de GEAm (étape 1) pouvant correspondre à des épidémies de GEAm avec une origine hydrique plausible (800 signaux en moyenne chaque année ; min=170 en 2020 ; max=1 225 en 2016). Parmi ces signaux, 1% (n=104) correspondaient à des cas groupés de GEA d’origine non hydrique déjà connus et investigués par les ARS (étape 2). Ils ont été exclus de l’analyse. Sur les signaux restants et candidats aux investigations environnementales (n=10 301), le nombre et la proportion de signaux investigués (étape 3) sur l’ensemble de la période sont faibles (n=211 ; 2%) avec des disparités en fonction des années (figure 3). Le nombre maximal de signaux investigués est observé en 2019 (n=44 ; 6,3%), année de diffusion de l’instruction de la DGS. La majorité des signaux investigués (n=117, soit 55% des signaux investigués à l’étape 3) l’ont été entre 2019 et 2022. Les deux pics observés en 2014 et 2015 correspondent à l’étude pilote réalisée dans sept régions 15.
Parmi les 211 signaux investigués, 145 épidémies de GEAm d’origine hydrique en France ont été confortées par les enquêtes environnementales, soit 69% des signaux investigués en moyenne. Parmi elles, 21 (14%) avaient été signalées à Santé publique France au moment de leur survenue. Le système EpiGEH a donc permis de détecter 124 épidémies supplémentaires parmi les signaux investigués. On distingue les années pendant lesquelles la totalité des signaux investigués correspondent à des épidémies hydriques déjà connues (2010, 2011, 2013, 2016, 2017) ; et les années d’application de la surveillance EpiGEH pendant lesquelles seule une partie des signaux sont confortés en épidémies hydriques (2014 et 2015 étude pilote, puis 2018-2022 déploiement de la surveillance) (figure 3).
Pour ces années, le ratio épidémies hydriques/signaux investigués (≈valeur prédictive positive) est d’environ 63%.
Au niveau du territoire, au moins une investigation environnementale d’un signal issu d’EpiGEH a été réalisée dans 12 régions sur 13 de France métropolitaine, et dans un DROM sur 5. Au moins une épidémie d’origine hydrique a été caractérisée dans 11 régions métropolitaines sur 13 et dans un DROM sur 5 (figure 4, tableau 1). Il existe de fortes disparités régionales. Les régions comptabilisant le plus grand nombre d’épidémies de GEAm hydriques confortées sont également celles qui ont investigué le plus de signaux issus de SI-EpiGEH (Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur avec respectivement 42, 36 et 28 épidémies de GEA hydriques confortées sur la période).
Les signaux correspondant aux épidémies de GEAm hydriques identifiés par le dispositif EpiGEH se caractérisent par une durée médiane de huit jours, un rapport de risque moyen de 4,5 (min=1,6 ; max=19,2) et un nombre moyen de 46,2 cas de GEAm par épidémie (maximum de 717 cas de GEAm en Provence-Alpes-Côte d’Azur pour une épidémie à Cryptosporidium survenue dans le bassin de Grasse en 2019) (tableau 1).
On dénombre 219 UDI impliquées dans des épidémies hydriques investiguées. La population desservie par ces UDI représente plus de 790 000 habitants. Plus d’un tiers des UDI identifiées (82 UDI, 37%) étaient impliquées de façon répétée dans plusieurs épidémies. La moitié des UDI impliquées desservent moins de 5 000 habitants.
Exploitation des questionnaires d’enquête environnementale
Les enquêtes environnementales des réseaux d’eau impactés mettent en évidence des vulnérabilités qui étaient déjà connues au niveau de la ressource (pour 31% des épidémies investiguées), du système de traitement (20%) et de la distribution (35%) (tableau 2).
Les principaux points de vulnérabilité identifiés au niveau de la ressource étaient associés à une dégradation possible de la qualité de l’eau à la suite de fortes précipitations (25%) alors que l’absence de périmètre de protection était identifiée dans 8% des cas. Au niveau du traitement, une sécurisation insuffisante des équipements ressort comme le principal facteur associé à une vulnérabilité (13%). Au niveau de la distribution, une mauvaise maîtrise de la chloration avec l’existence de zones sans résiduel de chlore, était identifiée dans 20% des épidémies et des zones avec de longs temps de séjour sans rechloration dans 11% des cas.
Lors des semaines précédant la survenue des épidémies investiguées, un dysfonctionnement au niveau de la ressource, du traitement ou de la distribution a été identifié dans 24% des cas, principalement associé à un défaut de désinfection : panne de désinfection au niveau du traitement (11%), défaut de rechloration dans le réseau d’eau (8%). Ces dysfonctionnements se sont également traduits par des plaintes de particuliers dans 4% des cas, par une non-conformité microbiologique dans 22% des cas ou par une variation anormale d’un paramètre mesuré en routine dans 17% des cas (principalement le chlore et la turbidité). Ces variations anormales étaient majoritairement observées au niveau des réseaux de distribution. Enfin, plusieurs facteurs extérieurs aggravants ont été révélés dans les semaines précédant les épidémies, notamment la survenue de fortes précipitations (15% des épidémies investiguées) et des incidents dans le réseau de distribution (19%).
Le niveau de plausibilité de l’origine hydrique a été considéré comme fort pour 34% des épidémies investiguées, probable pour 26% et possible pour 40% à l’issue des enquêtes environnementales.
Discussion
Principaux résultats
Sur la période 2010-2022, plus de 10 000 signaux correspondant à des cas groupés de GEAm dont 99% avec une origine hydrique plausible ont été détectés de façon rétrospective par le système de surveillance EpiGEH en France. Des investigations environnementales pour conforter l’origine hydrique de ces 10 301 signaux ont été menées principalement en 2014-2015 (étude pilote) puis à partir de 2018, année précédant le déploiement du dispositif dans les régions.
Malgré le faible nombre d’investigations environnementales réalisées pour conforter l’origine hydrique des signaux (211 signaux investigués sur 10 301, dans 12 régions sur 13 en métropole et dans un DROM), 145 épidémies hydriques ont été détectées par le dispositif, soit une valeur prédictive positive de 69%. Parmi ces épidémies, 124 (86%) étaient passées inaperçues au moment de leur survenue, soit une augmentation de 600% de la sensibilité de détection par rapport au système déclaratif aux ARS. Les investigations environnementales ont montré que 219 réseaux d’eau étaient concernés dans ces épidémies desservant une population cumulée de plus de 790 000 personnes dont plus d’un tiers de façon récurrente.
Les investigations environnementales ont mis en évidence que dans plus d’un tiers des épidémies, les systèmes d’adduction en eau potable impliqués avaient des vulnérabilités déjà identifiées, majoritairement au niveau des ressources et de la distribution. Des dysfonctionnements ponctuels ont également été mis en évidence les jours précédant les épidémies, majoritairement en lien avec la désinfection (panne de désinfection, défaut de rechloration, zones sans chlore résiduel…). Enfin, plusieurs marqueurs d’une dégradation de la qualité de l’eau étaient parfois présents les jours précédant la survenue des cas (indicateurs de contamination fécale, turbidité, chlore). En termes de facteurs externes, la survenue de fortes pluies ou d’incidents sur les réseaux d’eau était régulièrement associée aux épidémies.
Ces résultats constituent le premier bilan épidémiologique national issu du dispositif EpiGEH. Dans la mesure où ce dispositif repose sur les données du SNDS, système spécifique à la France, la comparaison avec d’autres dispositifs au niveau international doit se faire avec prudence. À titre d’exemple, les bilans réalisés aux États-Unis par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), comptabilisent une quarantaine d’épidémies liées à l’eau sur une année en incluant les infections à légionellose non prises en compte dans notre dispositif 16. En Europe, les pays nordiques ont recensé 175 épidémies entre 1998 et 2012 par leurs systèmes de surveillance 4.
En termes de facteurs de risque ou de cause de contamination des UDI, les résultats de ce bilan sont cohérents avec les épidémies connues et investiguées en France ou dans les pays nordiques 4,5,17. L’effet des fortes pluies est également documenté 18,19,20.
Limites du dispositif
Plusieurs paramètres peuvent influencer les performances du dispositif de surveillance :
–seules les personnes ayant consulté un médecin et acheté les médicaments prescrits sont prises en compte dans la détection, soit 33% [27-40] selon une étude nationale 21. Ce pourcentage peut varier dans un contexte d’épidémie hydrique entre 20% et 50% 5 ;
–seuls les cas « résidents » sont utilisés dans le processus de détection. Ce choix est justifié en raison de l’absence de données pour estimer le dénominateur de la population réellement exposée à une période donnée et, en particulier, les touristes. La conséquence est de réduire la possibilité de détecter des épidémies dans des contextes majoritairement touristiques (stations de ski l’hiver ou balnéaires l’été par exemple) ;
–les performances de l’algorithme de détection dépendent de la taille de la population desservie ou de la taille de l’épidémie (nombre de cas). Sa sensibilité et sa spécificité sont en effet moins bonnes pour les UDI desservant moins de 500 habitants ou les épidémies inférieures à 10 cas de GEA médicalisés en excès 13,14.
Ces trois limites induisent une sous-estimation de la mesure du nombre de cas de GEA réellement impliqués dans des épidémies hydriques au niveau du territoire et du nombre d’épidémies de GEA que le dispositif est en capacité de détecter de manière significative (limite de puissance) et par voie de conséquence limitent le nombre d’UDI investiguées.
Concernant les investigations environnementales, la collecte d’informations à distance de l’événement (délai de plusieurs mois entre la survenue de l’épidémie et la détection rétrospective) est parfois difficile, chronophage et requiert le contact des exploitants de réseaux, ce qui peut expliquer en partie la faible adhésion au dispositif. Ceci entraine une forte sous-estimation de l’impact réel des épidémies hydriques et de l’identification des réseaux d’eau à risque. Par ailleurs, des critères de priorisation des signaux à investiguer (signaux avec un couple RR-excès de cas maximisé, répétition de signaux, etc.) peuvent entrainer des biais de sélection et impacter les caractéristiques des épidémies d’origine hydrique décrites ici. À titre d’illustration, si le pourcentage d’investigation de signaux avec un RR>1,5 et un excès de cas>5 est globalement de 2,0% sur l’ensemble de la période, il est de 1,3% pour les signaux avec un RR compris entre 1,5 et 3 et un excès de cas compris entre 5 et 10 et de 3,0% pour les signaux avec un RR≥3 et un excès de cas≥10. Ce biais influence sensiblement la valeur prédictive positive des signaux investigués (respectivement 68,7%, 68,6% et 70,0% en considérant les trois classes de signaux précédentes et 72,7% si on considère les signaux RR≥3 et excès de cas≥10 avec des répétitions). L’impact sur le bilan des enquêtes environnementales ne modifie pas les principaux facteurs de risques identifiés.
Intérêt du dispositif
Le dispositif EpiGEH complète le suivi de la qualité de l’EDCH en particulier pour les UDI de petite à moyenne taille (<5 000 habitants) pour lesquelles le contrôle sanitaire impose un nombre moindre d’analyses annuelles en application de la réglementation européenne 22. Il apporte également des données épidémiologiques sur la santé du consommateur, ciblées à l’échelle de réseaux d’eau et sur une période précise, qui permettent de rechercher les causes éventuelles d’une contamination des réseaux d’eau. Les causes identifiées permettent à leur tour d’envisager des solutions pour sécuriser les réseaux d’eau, en particulier lorsque des vulnérabilités sont identifiées au niveau du captage, du traitement ou de la distribution, susceptibles d’entrainer des épisodes de GEAm de façon répétées. En effet, la mise en évidence de signaux de cas groupés de GEAm impliquant de façon répétée certaines UDI permet d’identifier celles susceptibles d’exposer le consommateur d’eau du robinet à un risque infectieux, et ce y compris en l’absence de non-conformité du contrôle sanitaire de l’EDCH. La liste des UDI prioritaires pour la mise en place des plans de gestion de sécurité sanitaires des eaux (PGSSE) peut ainsi s’appuyer sur les données du dispositif EpiGEH.
Ce bilan renforce la nécessité de prioriser les efforts de sécurisation des réseaux d’adduction d’eau, alors que pour nombre d’entre eux, leur vulnérabilité est connue, au niveau des ressources en eau, en particulier pour pouvoir faire face à des événements pluviaux importants, de la distribution et de la chloration tout au long du réseau. La nécessité de sécuriser les points de vulnérabilité vis-à-vis du risque infectieux est d’autant plus importante dans un contexte de changement climatique qui aura pour conséquence d’accentuer les événements météorologiques extrêmes (fortes pluies, canicules, sécheresses) 23,24.
Pistes d’amélioration et perspectives
Le dispositif a montré son utilité sur les signaux intégralement investigués. Pour autant, le contexte de la crise Covid-19 n’a pas permis la montée en charge programmée et l’adhésion reste hétérogène selon les régions et les départements (les régions/départements qui sont plus régulièrement confrontées à des épidémies hydriques ou des pollutions microbiologiques ont une meilleure adhésion au dispositif). La réalisation des investigations environnementales est à encourager afin d’identifier et sécuriser les réseaux d’eau ayant engendré des épidémies d’origine hydrique. Une évaluation du dispositif auprès des ARS est également en cours et permettra d’identifier des pistes d’amélioration en termes d’adhésion et d’utilisation du dispositif.
Remerciements
Nous souhaitons remercier l’ensemble des acteurs qui contribuent à la surveillance et aux investigations des épidémies d’infections d’origine hydrique : la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), Frédéric Bounoure (Faculté de pharmacie de Rouen), Marie Guichard et Lionel Petit du Pôle d’administration pour les données sur l’eau (Padse), le bureau de la qualité des eaux à la Direction générale de la santé, les agences régionales de santé, le CNR des virus entériques, le Centre national de référence (CNR) des virus des gastro-entérites, le CNR cryptosporidioses microsporidies et autres protozooses digestives, le CNR des E. coli, Shigella et Salmonella, le laboratoire d’hydrologie de Nancy (Anses) – laboratoire national de référence pour les eaux destinées à la consommation humaine.