Approche socio-anthropologique de la littératie en santé des personnes atteintes de diabète de type 2 à La Réunion
// A socio-anthropological approach to health literacy among people with type 2 diabetes in Reunion Island
Résumé
Introduction –
En 2021, 13,6% de la population réunionnaise de 15 ans et plus déclare être diabétique. Maladie sociale en pleine expansion, le diabète de type 2 exige des recours aux soins fréquents, ainsi qu’une attention quotidienne, pour combiner la prévention des complications et la vie familiale, sociale et professionnelle. La recherche présentée dans cet article, développée à La Réunion, s’intéresse à la littératie en santé en tant que concept multidimensionnel dynamique qui questionne les interactions entre les pratiques individuelles, sociales, professionnelles et organisationnelles.
Méthodes –
De 2020 à 2022, des entretiens semi-directifs ont été menés avec 24 personnes atteintes d’un diabète rencontrées, dans la plupart des cas, à domicile.
Résultats –
L’analyse des accès des individus à l’information en santé, à leur compréhension et à la prise de décisions montre la diversité et la complexité de la gestion de la maladie en contexte ordinaire. En fonction des dimensions considérées (alimentation, activité physique, traitement, suivi de la maladie…), cette gestion ordinaire est plus ou moins anxiogène ou sereine. L’expert de la pathologie, le diabétologue, apparaît comme le « parent pauvre » des recours aux professionnels de santé.
Discussion et perspectives –
La recherche met en lumière des « personnes diabétiques plurielles » qui font au mieux de leurs possibilités, dans les contextes qui sont les leurs. Elle ouvre sur plusieurs préoccupations à faire valoir : « accueillir en soins » la personne atteinte de maladie chronique en l’écoutant, à travers ses mots (et ses maux) ; éveiller l’attention des soignants au langage en jeu lors des interactions ; repenser nos organisations en santé pour que les personnes souffrant de maladies chroniques puissent mieux s’y référer.
Abstract
Introduction –
In 2021, 13.6% of individuals aged 15 and above in Reunion Island reported having diabetes. A fast-growing social disease, type 2 diabetes requires frequent treatment as well as daily management to balance the prevention of complications amid family, social and professional commitments. Developed in Reunion island, the research presented in this article focuses on health literacy as a dynamic, multidimensional concept that questions the interactions between individual, social, professional and organisational practices.
Methods –
From 2020 to 2022, semi-structured interviews were conducted with 24 diabetics, most of whom were seen at their homes.
Results –
The analysis of individuals’ access to and understanding of health information, as well as their decision-making, highlights the diversity and complexity of illness management in ordinary contexts. Depending on the variables considered (diet, physical activity, treatment, disease monitoring, etc.), this routine management is more or less anxiety-provoking or relaxed for patients. The medical expert, namely the diabetologist, appears to be the “poor relation” in terms of recourse to healthcare professionals.
Discussion and perspectives –
This research sheds light on the experiences of “plural diabetics” who manage their diabetes as best as they can given their specific circumstances. It highlights various areas for improvement: the idea of “welcoming” the chronically ill person into care by listening to them express their experiences and difficulties in their own words; raising awareness among caregivers about how the language used can affect interactions; rethinking our healthcare organisations so that chronically ill people get better access to them.
Introduction
Département français depuis 1946, l’île de La Réunion accueille une population très métissée qui s’est développée à partir de migrations successives, de provenances diverses (Madagascar, pays d’Afrique, Inde, Chine, Europe, Comores). En 2020, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 1 recense 863 100 habitants qui résident pour une large part dans les villes en forte croissance (Saint-Denis, Saint-Pierre, Le Tampon…). Depuis les 50 dernières années, la population est confrontée à des mutations économiques, technologiques, sociales et culturelles très importantes qui touchent tous les domaines de la vie quotidienne des individus 2.
La santé n’échappe pas à ces transformations et la survenue de pathologies dites de civilisation est fortement liée à ces changements profonds et massifs des modes de vie 3. De nombreux indicateurs montrent que la transition nutritionnelle réunionnaise est avancée : recul de la consommation de féculents, montée des protéines animales, des glucides rapides et des aliments nouveaux (fast-food, plats préparés) 4. En 2021, à La Réunion, 13,6% de la population de 15 ans et plus déclare être diabétique 5, ce qui est nettement supérieur à ce qui s’observe dans la population française dans son ensemble (départements et régions d’outre-mer –DROM– compris) dans laquelle la prévalence du diabète traité pharmacologiquement est estimée à 5% 6. Maladie chronique emblématique des enjeux liés à la transition épidémiologique (qui tout en se traduisant par une évolution de la nature des causes des décès, s’inscrit dans des mutations économiques, sociales et culturelles) et aux inégalités sociales de santé (ISS), le diabète est le plus souvent « pris en charge » par le corps médical : le médecin transmet des informations et recommandations aux patients, mais parfois sans beaucoup de résultats. La densité de médecins spécialistes reste plus faible à La Réunion et les professionnels sont inégalement répartis sur l’île, même si la densité de médecins généralistes a désormais dépassé celle de l’Hexagone (142 généralistes pour 100 000 habitants contre 133 en France métropolitaine) 7,8. Environ 26% des Réunionnais ont déjà renoncé à un besoin médical dans l’année écoulée, le principal frein étant le délai trop long pour obtenir un rendez-vous.
Dans ce contexte général, nous avons mobilisé le concept de littératie en santé, polysémique et multidimensionnel, pour questionner l’accès à l’information, à la compréhension et à la prise de décisions dans des situations d’interaction et de communication 9. Sans perspective de hiérarchisation des données entre elles, le projet consiste à analyser les variations des « rapports » des individus aux différentes dimensions de la gestion de la maladie en contexte ordinaire 9 : c’est la relation que chaque individu entretient à l’objet en question (l’alimentation, la maladie, le traitement, l’auto-surveillance…) qui nous intéresse dans cet article. En recueillant ce que les personnes atteintes d’un diabète disent de leurs pratiques diversifiées en santé, nous cherchons à identifier ce qui leur a permis de trouver des informations adaptées, de les comprendre et de s’en servir en tenant compte de leur contexte ordinaire 10.
Terrain et méthodes
En complément des données quantitatives issues de la 3e édition de l’étude Entred (Échantillon national témoin représentatif des personnes diabétiques, lancée en 2019), le projet vise à esquisser les besoins diversifiés des personnes atteintes d’un diabète pour développer la littératie en santé sur les plans individuel et collectif, aux plans national et régional 10,11,12. Entred 3 est basée sur le tirage au sort aléatoire d’un échantillon de personnes traitées pharmacologiquement pour un diabète : 13 000 personnes diabétiques ont été sélectionnées en France – 4 000 dans les DROM, dont 850 à La Réunion – à partir d’indicateurs de ressources individuelles et de leur environnement : le sexe, l’âge, le niveau socio-économique, la zone géographique de résidence, l’ancienneté du diabète, le type de diabète. Parmi les personnes ayant répondu au questionnaire détaillé et n’ayant pas refusé d’être recontactées pour d’autres études, un panel diversifié de 84 personnes volontaires pour un entretien (dont 24 Réunionnais) a été constitué. La rencontre avec les 24 personnes ayant accepté de participer à l’enquête qualitative Diab-quali Réunion s’est réalisée de mars 2020 à août 2022. Elles ont été contactées par téléphone et par écrit (via un courrier adressé avant l’appel), ce qui a permis les prises de rendez-vous. Menés par deux enquêtrices, les entretiens (d’une durée moyenne de 30 minutes) se sont déroulés à domicile dans la plupart des cas (16/24). La saturation des données a été atteinte au bout d’une quinzaine d’entretiens (ce qui n’a pas empêché de réaliser les autres entretiens, puisque les personnes contactées avaient donné leur accord pour la rencontre). En raison de l’épidémie de Covid-19 (2020-2022), une partie des échanges a été menée à distance, par téléphone (8/24). Tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement. Pour mener les 24 entretiens, nous avons pris appui sur la grille Diabète, littératie, santé (DLS), issue de la recherche Ermiès-ethnosocio (annexe) 10. Cette grille DLS met en lumière l’existence de huit variables constitutives de la gestion du diabète de type 2 en contexte ordinaire, réparties en trois pôles (tableau 1).
Ces variables, et les trois pôles auxquels elles se rattachent, ont été identifiées à partir des discours des personnes diabétiques sur leurs pratiques en santé, mais aussi à partir de l’observation, à domicile, de ces pratiques elles-mêmes 9,10. Les rapports à ces huit variables sont donc tout autant le reflet des pratiques individuelles, sociales, professionnelles et organisationnelles passées qu’un puissant révélateur des possibles leviers de développement de la littératie en santé.
En choisissant de réaliser une analyse de contenu des discours 13, nous mettons en valeur les éléments communs saillants, ainsi que les variations inter- et/ou intra-individuelles observées. Deux principales étapes ont été travaillées pour l’analyse : d’une part, le repérage des idées et unités significatives de chaque entretien (une unité correspondant à un message que la personne souhaite transmettre), d’autre part leur catégorisation en thèmes et sous-thèmes. Les lectures indépendantes des deux chercheurs ont été croisées afin de vérifier la pertinence des découpages, regroupements d’items et catégorisations. Les analyses mettent ainsi en exergue le sens que les personnes donnent à leurs pratiques, de même que les sens diversifiés que l’ensemble des individus interviewés attribuent à la maladie et à sa gestion en contexte ordinaire.
Résultats
Sur les 24 participants, 14 sont des hommes, ce qui est proche de la répartition globale, puisque parmi les 83 400 Réunionnais pris en charge pour un diabète en 2020, 54% sont des femmes contre 45% en France 14. La majorité des personnes interrogées (18/24) se situe en-dessous de 65 ans, ce qui reflète la survenue plus précoce que dans l’Hexagone avec 53% des personnes réunionnaises atteintes d’un diabète âgées de moins de 65 ans 14. La grande majorité des personnes vit en ville et du côté de l’activité professionnelle, les personnes se répartissent en trois parts à peu près égales : profession intermédiaire (9/24), pas d’activité professionnelle (8/24) et situation de retraité (7/24). Treize personnes sur 24 déclarent avoir des difficultés financières. Sur l’ensemble du groupe, 2 personnes vivent seules. La majorité a fréquenté le collège et/ou le lycée.
Dans le pôle « gestion de la maladie », l’analyse des rapports à l’alimentation et à l’activité physique montre que les personnes enquêtées composent assez aisément avec les contraintes liées à la présence de la maladie : « Maintenant, ça a été dur, mais on va dire que j’arrive quand même à me contrôler. » (Diane (1)). Les changements se traduisent par des suppressions ou remplacements d’aliments (le sucre, les produits gras), des diminutions ou augmentations des quantités (de riz, de chocolat), des modifications des modes de préparation ou de cuisson. Du côté de l’activité physique, la marche est la principale activité commune : « Je maintiens quand même la marche, hein, j’essaie de faire au mieux. Alors, soit c’est une demi-heure, soit c’est une heure. » (Raïssa). Tout comme pour l’alimentation, les rapports à l’activité physique ne font pas vraiment l’objet de conflits entre la personne malade et le corps soignant.
Les traitements liés au diabète sont généralement acceptés et leurs effets sur la maladie sont reconnus, ce qui n’empêche pas quelques irrégularités dans la prise des comprimés. 15 personnes prennent uniquement des anti-diabétiques oraux (ADO), 8 personnes combinent les ADO et l’insuline et une seule personne est traitée par insuline uniquement. Les personnes interviewées sont relativement autonomes, d’où le peu de cas de venues régulières d’un infirmier à domicile. L’auto-surveillance glycémique reste anxiogène, ce qui se traduit parfois par un sur-contrôle (plusieurs fois par jour) ou une absence totale, la surveillance étant alors, le plus souvent, réalisée par le médecin traitant : « Mais comme i pique mon doigt, ben on dirait i stresse à moin aussi. » (2) (Isabelle). La mesure de l’hémoglobine glyquée est de plus en plus connue des personnes malades, qui en font souvent une « boussole de vie » structurante et apaisante pour la gestion globale du diabète. Le traitement par différentes plantes (jamblon (3), verveine, citronnelle, safran, cannelle, artichaut…), est cité par plusieurs personnes, ce qui rend compte de l’intérêt porté à la recherche de solutions à la maladie, y compris à travers la pluralité des recours aux soins. La période de confinement a été l’occasion de quelques ruptures de soins et de traitements, mais dans la plupart des cas, les personnes ont su développer des stratégies d’adaptation aux différents temps de la pandémie et à ses contraintes : « Moi j’ai la pétoche parce que je suis sujet à risques et donc j’évite, je ne suis pas sortie pendant le confinement. Mes enfants ont fait les courses. » (Pauline).
D’un point de vue étiologique, un continuum des savoirs en santé se dessine à partir des discours : de la cause liée à un seul facteur extérieur (sucre, riz…) à une constellation de causes (l’alimentation, la famille, l’environnement…), en passant par la mauvaise alchimie entre un facteur défavorable et un terrain prédisposant. Les personnes construisent chacune leur façon de comprendre la maladie : « Comme on a déjà dans notre corps les infos du diabète, donc ben en abusant, il s’est développé, quoi. » (Louis). Si les causes du diabète font l’objet de nombreuses interprétations, elles répondent néanmoins à des exigences de rationalité qui permettent aux personnes de comprendre ce qui leur arrive, en lien avec les éléments de leur vie et de leurs environnements : « Si par exemple, vous restez allongé toute la journée et tout ça, ben le sucre stagne en bas, voilà. Je prends ça à peu près, ben, comme une bouteille de jus qui a du sucre qui reste en bas. » (Olivier). Les complications du diabète sont souvent identifiées (sur le cœur, le pancréas, le rein, les yeux, le sang, les organes génitaux…), mais connues de façon partielle. Les connaissances sont le plus souvent construites dans un rapport instrumental à la pathologie : la personne malade suit les conseils qui lui sont donnés par les personnes de référence, ce qui lui permet de se centrer plus sur la gestion au quotidien du diabète que sur la pathologie elle-même. L’accès aux savoirs reste majoritairement lié aux professionnels de santé de référence.
Sur le plan relationnel, les personnes diabétiques tissent des liens très étroits avec leur médecin traitant, ce qui n’empêche en rien que ces liens se traduisent par des ressentis diversifiés : confiance, respect, méfiance… : « Docteur, quand li voit, li gagne seulement le truc que li dit a ou lé pas, et pis donne a ou médicament. Plus trop le temps aussi, li ! » (4) (Ulrich). Deux personnes seulement citent le diabétologue en tant qu’expert de référence pour la gestion du diabète : paradoxalement, l’expert de la pathologie, le diabétologue, est donc le parent pauvre des recours aux professionnels de santé. Parmi les 24 personnes interviewées, 6 mentionnent la télévision ou la radio, 8 citent les livres, revues ou magazines et 7 évoquent l’accompagnement par l’Assurance maladie (avec le programme Sofia destiné aux personnes atteintes d’un diabète). Les relations avec les médecins spécialistes (quelle que soit la spécialité) apparaissent bien plus tendues que celles qui lient la personne malade à son médecin généraliste habituel : le manque d’empathie est souvent reproché, de même que le temps trop court de la consultation. La famille (notamment les parents) et le médecin généraliste sont les référents les plus cités en matière de soutien social.
Discussion
La recherche Diab-quali Réunion fait suite à deux principales recherches socio-anthropologiques menées antérieurement : la première en 2003-2005 auprès de 42 patients atteints de diabète de type 2 15 et la suivante en 2012-2015, qui a permis de réaliser une quarantaine d’entretiens semi-directifs, à 2 ans d’intervalle, soit un peu plus de 80 entretiens en tout 9,10,16. La recherche qualitative Diab-quali s’inscrit ainsi dans un sillon socio-anthropologique d’une vingtaine d’années de recherches et d’interventions 9,17, ce qui nourrit les réflexions sur les transformations observées chez les personnes diabétiques de type 2. Selon une approche contrastive qui permet de mettre en exergue les logiques internes qui animent les individus (sans les comparer entre elles), mais aussi de « réveiller » la recherche Rédia-Prev2 menée en 2003-2005, la recherche Diab-quali Réunion apporte de nouveaux éléments : d’une part, elle confirme l’important travail réalisé par toutes les personnes atteintes de diabète de type 2 en faveur de leur santé et de l’évitement des complications de la maladie 9,10 ; d’autre part, elle met en avant de nouvelles variations, notamment du côté de l’alimentation, des savoirs et du suivi de la maladie.
L’analyse des 24 entretiens montre ainsi que les personnes déclarent gérer plutôt aisément leur alimentation en tenant compte des contraintes qui leur sont imposées et dans l’ensemble, les pratiques alimentaires apparaissent plutôt détendues : en 2003-2005 de nombreuses tensions étaient soulignées entre les personnes malades et le corps médical et l’alimentation représentait l’espace privilégié de cristallisation de ces tensions 15. Du point de vue des inégalités sociales de santé, la recherche met en évidence la complexité de la gestion de la maladie, ce qui permet de sortir de l’image réductrice d’une influence dominante des déterminants socio-économiques. Ce qui s’observe chez chacun, c’est un ensemble de savoirs, savoir-faire et savoir-être qui se sont pétris à travers une histoire singulière, où entrent en jeu des héritages, des rapports sociaux, des représentations, des expériences de soins, des réussites et des échecs, des manques et des excès. À travers les différents entretiens, ce sont des visages pluriels de personnes réunionnaises atteintes de diabète de type 2 qui se dévoilent et au final, aucun portrait ne correspond en totalité aux exigences et attendus du monde médical. De nombreuses pratiques sociales en santé sont développées par toutes les personnes malades chroniques, ce qui conforte l’idée d’un réel travail réalisé au quotidien par la personne malade 18, avec une adaptation effective aux contextes de chacun 9,10. L’accès aux savoirs reste majoritairement lié au professionnel de santé de référence, ce qui doit encourager à soutenir les soignants dans la mission éducative et formative qui fait partie de leurs attributions 19.
Contrairement aux études précédentes, la recherche Diab-quali n’a pas permis d’accéder aux pratiques in situ des individus à différents moments, ce qui, du point de vue des variations à observer, constitue l’une des principales limites de cette recherche. En prenant appui sur l’ensemble des résultats 20, l’étude suggère néanmoins de porter une attention particulière aux interactions langagières, présentes et à venir, car elles sont en capacité de faire évoluer les accès aux informations des personnes malades, leur compréhension des objets en jeu et leur possibilité de prendre des décisions adaptées à leurs contextes et projets de vie. Un déplacement doit s’opérer en délaissant la focale trop souvent centrée sur les personnes malades pour s’intéresser aussi aux professionnels de santé et aux organisations de santé. Développer la littératie en santé, c’est accepter de travailler de concert sur la formation des soignants, l’accueil bienveillant de toutes les personnes malades et la restructuration de nos organisations de santé, afin qu’elles soient en mesure d’offrir des espaces consacrés aux pathologies chroniques et aux dimensions sociales et culturelles qui leur sont étroitement liées. L’écoute des origines du diabète, telles qu’elles sont dites par les personnes malades, serait précieuse à intégrer dans la relation entre le soignant et la personne malade, y compris pour renouveler les approches de prévention, de protection, d’éducation et de formation des personnes touchées (ou non) par un diabète et/ou une autre pathologie chronique.
Conclusion
À La Réunion, l’analyse des discours des 24 personnes atteintes de diabète de type 2 incluses dans l’étude Entred 3 montre que la gestion de la maladie apparaît tout aussi anxiogène que sereine. Les pôles alimentation et activité physique sont ceux dans lesquels les personnes interrogées se retrouvent le plus en sérénité alors que le suivi du diabète – notamment avec les mesures de glycémie –, est souvent une source d’inquiétudes, en lien avec la crainte des résultats (parfois aussi, la crainte de la réaction du soignant de référence). La mise en lumière de cette recherche avec nos travaux socio-anthropologiques antérieurs souligne des évolutions signifiantes des pratiques sociales en santé : les relations dissymétriques de départ entre le corps soignant et les personnes malades semblent s’atténuer, on observe une connaissance accrue de la mesure de l’hémoglobine glyquée, une autonomie plus affirmée dans l’autosurveillance et un recours plus fréquent aux différents spécialistes (cardiologue, ophtalmologue…), sauf pour le diabétologue (résultat qui reste à confirmer par les analyses des données d’Entred 3).
En matière de littératie en santé, l’analyse des « rapports à » de chaque individu à la maladie (ou au traitement, à l’alimentation…) n’est pas à penser en termes hiérarchiques, ni en objectifs à atteindre : le projet consiste bien plus à accueillir en soins la personne malade chronique, à l’écouter, la comprendre, l’encourager. Les « rapports à » sont fonction d’un ensemble complexe d’héritages divers (histoire, culture, religion…), de relations aux professionnels de santé, à l’entourage familial et social et à l’environnement, d’où une alchimie singulière qui se tisse progressivement et qui évolue. Nos analyses mettent ainsi en lumière ces personnes diabétiques plurielles qui au-delà de l’anxiété générée par le suivi du diabète font au mieux de leurs possibilités, dans les contextes qui sont les leurs, en tenant compte des interactions structurantes dont elles ont (ou non) bénéficié.
Remerciements
Nos remerciements vont en premier lieu aux personnes atteintes d’un diabète qui ont accueilli, à leur domicile, Jessica Caroupin et Delphine Ballet, enquêtrices qui sont tout autant remerciées ici. Ils s’adressent ensuite à l’ARS Réunion qui, en lien avec Santé Publique France, a soutenu et financé cette étude. Ils s’adressent également à Sandrine Fosse-Edorh (Santé publique France), Delphine Ballet (Université de La Réunion), Cécile Fournier (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes)), Dr. Xavier Debussche (National Health Literacy Development Projects network, OMS) et Pr. Richard Osborne (Center for Global Health and Equity, Melbourne) pour leur soutien et leurs précieuses relectures. Enfin, que soient remerciés les acteurs des institutions qui ont permis de développer cette recherche : Santé publique France, l’ARS La Réunion, l’Irdes, l’Université de La Réunion et le laboratoire Icare.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
Citer cet article
Grille Diabète, littératie, santé
Pour rappel, informations à recueillir :
D’une part, parmi les ressources personnelles : on s’intéressera aux niveaux socio-économiques, aux scores de littératie en santé, à l’âge et à l’ancienneté du diabète, au sexe, à la situation familiale, etc.
D’autre part, parmi les ressources disponibles dans l’environnement ou à distance : on s’intéressera aux séances d’éducation thérapeutique du patient (ETP individuelles ou collectives) apportées par un professionnel (médecin, infirmière, infirmière Asalée, diététicien, éducateur médico-sportif, podologue, psychologue, etc.) ou programme d’ETP collectif, à l’accompagnement téléphonique (Sophia) ou par des services numériques, à la fréquentation d’une maison du diabète, ou encore d’une permanence d’association de patients...
I – Présentation de l’étude
Bonjour,
Dans le cadre de la recherche Entred à laquelle vous avez participé en 2019, nous souhaitons revoir les personnes interrogées afin de comprendre leurs pratiques pour gérer au mieux la maladie chronique.
II – Présentation du déroulement de l’entrevue
Pour cela, nous allons échanger ensemble pendant à peu près 1 heure. Cela vous convient ?
Notre échange porte sur vos pratiques en santé, c’est-à-dire tout ce qui se rapporte à la gestion de votre diabète au quotidien (Que faites-vous au quotidien pour gérer votre diabète ?).
Nous avons presque fini.
J’ai juste besoin de recueillir quelques informations.