Les hospitalisations pour une pathologie cardiovasculaire attribuable au tabagisme en France métropolitaine en 2015*

// Hospitalizations for cardiovascular diseases attributable to tobacco smoking in France in 2015

Christophe Bonaldi1 (christophe.bonaldi@santepubliquefrance.fr), Anne Pasquereau1, Catherine Hill2, Daniel Thomas3, Elodie Moutengou1, Viêt Nguyen Thanh1, Valérie Olié1
1 Santé publique France, Saint-Maurice, France
2 Institut Gustave Roussy, Villejuif, France
3 Université Paris-VI-Sorbonne, AP-HP, Institut de Cardiologie, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris, France

* Cet article est une version française des résultats publiés par Bonaldi C, Pasquereau A, Hill C, et al. dans l’article “Hospitalizations for cardiovascular diseases attributable to tobacco smoking in France in 2015”, Eur J Prev Cardiol. 2019, avec une mise à jour des dernières statistiques du tabagisme en France.

Soumis le 19.03.2020 // Date of submission: 03.19.2020
Mots-clés : Tabagisme | Fraction attribuable | Pathologies cardiovasculaires | Séjours hospitaliers.
Keywords: Tobacco-smoking | Attributable fraction | Cardiovascular diseases | Hospital stays

Résumé

Objectif –

Le tabagisme est un facteur de risque pour de nombreuses pathologies cardiovasculaires. En France, le quart de la population fume quotidiennement, ce qui est l’une des proportions les plus élevées observées en Europe de l’Ouest. Les objectifs de cette étude étaient de donner une estimation pour l’année 2015 : 1) du nombre d’hospitalisations pour pathologies cardiovasculaires attribuables au tabagisme en France ; 2) du nombre de séjours qui auraient pu être évités s’il y avait 10% de fumeurs actifs en moins dans la population ou si la proportion de fumeurs était de seulement 20%.

Méthode –

Des fractions attribuables spécifiques par âge et par sexe ont été calculées en combinant les risques relatifs de pathologies cardiovasculaires liées au tabagisme et identifiés dans la littérature, avec les estimations de la fréquence du tabagisme en France provenant du Baromètre de Santé publique France 2014. Ces fractions ont ensuite été appliquées aux hospitalisations de 2015 dont le diagnostic principal du séjour était l’une de ces pathologies cardiovasculaires.

Résultats –

En 2015, il a été estimé qu’en France plus de 250 000 séjours hospitaliers (avec un intervalle d’incertitude à 95% entre 234 000 et 270 000) pour une maladie cardiovasculaire étaient attribuables au tabagisme. Ce nombre représente 21% de tous les séjours hospitaliers pour une pathologie cardiovasculaire enregistrés la même année. Les cardiopathies ischémiques étaient les pathologies les plus fréquemment associées à ces séjours hospitaliers attribuables au tabagisme (39%). Si le nombre de fumeurs actifs était de 10% plus faible ou si la proportion de fumeurs était de 20% dans la population, ce sont respectivement 6 000 et 26 000 séjours hospitaliers pour une maladie cardiovasculaire qui pourraient être évités annuellement.

Conclusions –

Un nombre important de séjours hospitaliers pour une pathologie cardiovasculaire est lié au tabagisme : une réduction de 10% du nombre de fumeurs permettrait d’éviter 6 000 de ces séjours chaque année et, si seulement 20% de la population française avait fumé, 26 000 séjours auraient été évités.

Abstract

Aims –

 Tobacco smoking is a major risk factor for many cardiovascular pathologies. In France, the daily smoking prevalence (25%) is among the highest in Western Europe. This study provides an estimate for the year 2015 of the number of hospitalizations in France for a cardiovascular disease attributable to smoking. The number of stays that could have been avoided if there were 10% fewer active smokers in the population or if the proportion of smokers in the population was only 20% was also estimated.

Methods –

 Age- and sex-specific attributable fractions were calculated by combining the relative risks of cardiovascular diseases whose risk increases with smoking and extracted from the literature with estimates of smoking prevalence from the 2014 Santé publique France Health Barometer, a national representative survey. These fractions were then applied to hospitalizations stays in 2015 where the main diagnosis was one of these cardiovascular pathologies.

Results –

 In France in 2015, more than 250,000 hospital stays (95% uncertainty interval between 234,000 and 270,000) related to a cardiovascular condition were estimated attributable to smoking. This number represents 21% of all stays for a cardiovascular condition recorded in the same year. Ischemic heart disease was the most common condition associated with these hospital stays due to smoking (39%). If the number of current smokers had been 10% lower or if the prevalence of smoking in the population had dropped to 20%, 6,000 stays and 26,000 stays for cardiovascular disease, respectively, could have been avoided.

Conclusions –

A significant number of hospital stays for cardiovascular disease in France is linked to tobacco smoking: a 10% reduction in smoking would make it possible to avoid nearly 6,000 of these stays each year, about 26,000 stays if only 20% of the French population smoked.

Introduction

La causalité du tabagisme est aujourd’hui établie sur l’accroissement du risque des maladies coronariennes, des maladies cérébrovasculaires, d’athérosclérose, des maladies artérielles périphériques et des anévrismes de l’aorte abdominale 1. Dans le monde, parmi les plus de 30 ans, le tabagisme serait responsable de 11% de tous les décès par maladies cardiovasculaires (MCV), ce qui représente une cause évitable majeure de mortalité cardiovasculaire 2.

La prévalence du tabagisme en France est l’une des plus élevées en Europe de l’Ouest 3. Sur une période récente, la proportion de fumeurs dans la population française a augmenté entre 2005 et 2010 avant de se stabiliser. Elle connait une diminution sensible depuis 2016, d’après les derniers Baromètres de Santé publique France 4. En 2019, ce sont tout de même 30,4% des 18-75 ans qui déclaraient fumer du tabac et 24,0% fumaient quotidiennement 4. En comparaison, en Grande-Bretagne, moins de 15% des 18 ans et plus étaient fumeurs en 2018 5. Étant donné le niveau élevé de consommation de tabac en France, le tabagisme contribue fortement au poids des maladies chroniques dans la population française. Il a été estimé que 75 000 décès étaient attribuables au tabagisme en France en 2015 (13% de l’ensemble des décès), dont plus de 16 500 décès d’une pathologie cardiovasculaire, ce qui correspond à environ 12% de tous les décès par MCV en 2015 6. Face à ce poids sanitaire, une nouvelle impulsion a été donnée à la lutte contre le tabagisme en 2014, avec l’adoption du premier Programme national de réduction du tabagisme (PNRT). Ce programme ciblait une réduction de 10% du nombre de fumeurs quotidiens entre 2014 et 2019, avec pour objectif une prévalence du tabagisme inférieure à 20% en 2024 7. Le premier objectif a été atteint avec une prévalence de fumeurs quotidien de 25% en 2019, soit une baisse de 11% par rapport à 2014 (28,5% de fumeurs quotidien). Ce programme a été renouvelé en 2018 (Programme national de lutte contre le tabac, PNLT 2018-2022) 8.

En France, comme à l’étranger, l’impact sanitaire du tabagisme est principalement mesuré par la mortalité. À l’exception des cancers 9, les études basées sur des indicateurs de morbidité sont plus rares, les données d’incidence nationale étant généralement manquantes pour nombre de pathologies dont le risque est accru par le tabagisme. Étant donné que les pathologies cardiovasculaires constituent un groupe important de maladies liées au tabac, disposer d’un indicateur de morbidité des MCV attribuables au tabac est un élément important pour compléter la mesure de l’impact sanitaire du tabagisme en France. Cet article se propose de rassembler les résultats de notre étude publiée récemment dans l’European Journal of Preventive Cardiology 10 qui répondait à cette problématique en produisant un indicateur basé sur l’activité hospitalière. Plus précisément, avaient été estimés, en France métropolitaine pour l’année 2015, le nombre de séjours hospitaliers pour une MCV attribuable au tabagisme actuel (tabagisme quotidien ou occasionnel), ainsi que le nombre de séjours qui auraient pu être évités si nous observions 10% de fumeurs actuels en moins ou si la fréquence du tabagisme actuel était de seulement 20%.

Méthodes

Pour évaluer l’impact du tabagisme sur les hospitalisations pour une pathologie cardiovasculaire, une méthode « indirecte » d’estimation basée sur une approche par fraction attribuable a été utilisée 10. En effet, les résumés des séjours hospitaliers ne comportent aucune information sur l’histoire du tabagisme chez les patients. La fraction (%) des pathologies cardiovasculaires dont le risque est augmenté par le tabagisme a été estimée en combinant des fréquences du tabagisme avec des risques relatifs (RR) de développer la maladie chez les fumeurs. Plus précisément, la fraction attribuable au tabagisme pour chaque cause, par sexe et classe d’âge (tranches de 5 années dans la population des 15 ans et plus), était dérivée de la formule suivante 11 :

RRi est le risque relatif de MCV comparant le risque des fumeurs et des non-fumeurs et Pi est la proportion de la population selon le statut de tabagisme i. Le statut de tabagisme était défini selon les catégories « ancien fumeur » (k=1) et « fumeur actuel » (k=2) ou, quand cette information était disponible pour le RR, selon le nombre de cigarettes fumées quotidiennement (en k classes de consommation, k> 2, cf. l’annexe de l’article princeps) 10. Le nombre de séjours hospitaliers attribuables au tabagisme pour une MCV donnée est ensuite obtenu en multipliant la fraction estimée par le nombre de séjours hospitaliers en lien avec la pathologie. Des intervalles d’incertitude des estimations, globalement, par sexe, par groupe d’âge et par pathologie, étaient calculés à partir de simulations de Monte-Carlo.

Maladies cardiovasculaires liées au tabagisme et risques relatifs

Toutes les MCV, dont le lien de causalité avec le tabagisme a été établi avec un niveau de preuve suffisant et qui sont référencées dans une monographie exhaustive des conséquences sanitaires du tabagisme publiée par le Service de santé publique des États-Unis 1, ont été incluses pour cette estimation (voir liste détaillée plus bas). Nous avons également ajouté d’autres pathologies cardiovasculaires avec un lien causal fortement suspecté, comme les arythmies cardiaques 12,13 et l’insuffisance cardiaque 14,15,16. Nous avons inclus les hypertensions pulmonaires secondaires, avec l’hypothèse qu’il s’agit majoritairement d’affections cardiopulmonaires faisant suite à de la bronchopneumopathie chronique obstructive 17 (BPCO) dont le tabagisme est le principal facteur de risque. À la lumière des résultats de méta-analyses récentes 18,19, nous avons enfin inclus les embolies pulmonaires et les thromboses veineuses, le risque lié au tabac étant plus faible que pour les autres pathologies.

Les risques relatifs de développer chacune de ces maladies chez les fumeurs (actifs ou anciens fumeurs) ont été obtenus à partir de méta-analyses ou de larges études de cohortes 2,20,21,22,23,24, avec une préférence pour des résultats récents, sur des populations européennes lorsqu’elles étaient disponibles. Les articles incluant ces RR ont été identifiés à travers une recherche sur la base de données PubMed en utilisant les termes “smoking”, “tobacco” et un mot-clé correspondant à chacune des pathologies cardiovasculaires incluses.

Les données de prévalence du tabagisme

La fréquence du tabagisme en France est mesurée à partir de séries d’enquêtes transversales en population générale depuis 1992, nommées Baromètre santé puis Baromètre de Santé publique France depuis 2016 25. Dans cette étude, le Baromètre santé 2014 26 a été utilisé pour estimer des prévalences au plus près de l’année d’enregistrement des séjours hospitaliers de l’année 2015, dernière année de données hospitalières disponibles au moment de l’estimation. Un total de 15 635 personnes de 15 à 75 ans vivant en France continentale avait été échantillonné aléatoirement selon un plan de sondage à deux degrés (tirage des foyers puis des individus). Les foyers étaient contactés à partir de génération aléatoire de numéros de téléphones fixes et mobiles.

Pour le calcul des fractions attribuables, les prévalences des fumeurs actuels (quotidiens ou occasionnels) et des anciens fumeurs ont été estimées, par tranches de 5 ans, entre 15 et 75 ans. La prévalence du tabagisme dans la population des 76 ans et plus a été extrapolée à partir de l’estimation dans la tranche d’âge la plus élevée des 70-75 ans. Les participants étaient interrogés sur leur statut tabagique : Jamais fumé / Ancien fumeur / Fumeur actuel, ainsi que sur la quantité de cigarettes fumées quotidiennement. Pour correspondre aux RR identifiés dans la littérature pour chaque MCV, nous avons estimé la proportion d’anciens fumeurs, de fumeurs et le nombre de cigarettes consommées quotidiennement lorsque cette information était disponible 10. Ces estimations ont été calculées en utilisant des poids de sondages appropriés pour obtenir des estimations valides au niveau de la population des 15-75 ans vivant en France métropolitaine.

Les données d’hospitalisation

Par sexe et par catégorie d’âge de 5 ans, le nombre de séjours hospitaliers pour chacune des MCV a été extrait des bases de données d’hospitalisations du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI-MCO, Médecine, chirurgie obstétrique). Pour notre étude, nous avons retenu les hospitalisations de plus de 24 heures des personnes de 15 ans et plus vivant en France métropolitaine. À partir du codage des diagnostics selon la classification internationale des maladies dans sa dixième version (CIM-10), nous avons compté tous les séjours hospitaliers dont le résumé de sortie comportait un diagnostic principal d’infarctus du myocarde (CIM-10 : I20-I25), d’insuffisance cardiaque (I50-I51), de maladie cérébrovasculaire (accident vasculaire cérébral hémorragique : I60-I62, ischémique : I63-I64 et autres maladies cérébrovasculaires : I65-I69), de maladie des artères (I70-I79), d’arythmie cardiaque (I47-I49), d’embolie pulmonaire (I26), de thrombose veineuse (I80-I82) ou d’hypertension pulmonaire secondaire (I27.2).

Scénario contrefactuel

Nous avons étudié le nombre de séjours qui auraient pu être évités en 2015 selon deux scénarios : un nombre de fumeurs actuels inférieur de 10% à la prévalence en 2014 (appelé scénario 1) ou une prévalence du tabagisme égale à 20% chez les personnes âgées de 15 à 75 ans (appelé scénario 2). Pour construire le premier scénario, les estimations de prévalence spécifique par âge et sexe du Baromètre Santé 2014 ont été appliquées à la population estimée par l’Insee 27 afin d’extrapoler le nombre de fumeurs actuels dans la population française. Ce nombre a ensuite été réduit de 10% et l’effectif correspondant à ces 10% a été ventilé entre anciens fumeurs et non-fumeurs selon la répartition observée dans le Baromètre Santé 2014. La répartition entre les catégories de consommation de cigarettes a également été supposée constante. Nous avons utilisé une approche similaire pour construire le second scénario.

Résultats

En France en 2015, 1 198 108 hospitalisations complètes enregistrées dans le PMSI comportaient un diagnostic principal de maladies cardiovasculaires. Parmi ces séjours, 250 813 (intervalle à 95%=234 869-269 807) étaient estimés être attribuables au tabagisme, représentant ainsi 21% de tous les séjours hospitaliers pour une MCV. Le nombre de séjours attribuables était 2,7 fois plus élevé chez les hommes avec 182 484 séjours (168 722-197 122) comparés aux 68 329 séjours (59 095-79 155) estimés chez les femmes. Ces nombres représentaient respectivement 26% et 14% de tous les séjours hospitaliers pour une MCV chez les hommes et les femmes. Un diagnostic principal d’infarctus du myocarde, d’insuffisance cardiaque, de maladies des artères ou d’arythmie cardiaque comptait pour 91% de ces séjours attribuables au tabagisme (tableau 1). La principale pathologie pour les séjours attribuables au tabagisme était l’infarctus du myocarde chez l’homme et l’insuffisance cardiaque ou des complications de cardiopathie chez la femme (figure 1).

Tableau 1 : Fractions et nombres de séjours hospitaliers pour une pathologie cardiovasculaire attribuable au tabagisme en France en 2015
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Figure 1 : Les nombres de séjours hospitaliers attribuables au tabagisme en France en 2015, selon la pathologie cardiovasculaire. Pour chaque pathologie, le premier nombre représente la fraction attribuable (en %), le second, le nombre estimé de séjour hospitaliers correspondant
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La fraction attribuable la plus importante était observée pour les hypertensions pulmonaire secondaire (51%, incertitude à 95%=49%-52%, mais sur un effectif total observé de seulement 2 348 séjours en 2015), suivie des maladies des artères (45% attribuable au tabagisme, incertitude à 95%=43%-46%), de l’infarctus aigu du myocarde (35% attribuable au tabagisme, incertitude à 95%=32%-38%) et de l’insuffisance cardiaque (26% attribuable au tabagisme, incertitude à 95%=21%-31%). Les fractions attribuables aux MCV selon le sexe sont données sur la figure 1.

Les séjours de patients âgés de plus de 50 ans représentaient plus de 89% de l’ensemble des séjours pour une MCV attribuable au tabagisme. Cependant, la part des hospitalisations attribuables diminuait avec l’âge. Ainsi, la part attribuable était la plus élevée dans la population des 35-64 ans, avec des fractions attribuables au tabagisme de 41% chez les 35-49 ans et 35% chez les 50-64 ans, à comparer à moins de 30% pour les autres âges (28%, 24% et 19% chez les 15-34 ans, 65-79 ans et 80 ans et plus respectivement). Cette différence selon l’âge des fractions attribuables était identique chez les hommes et les femmes (figure 2)

Figure 2 : Fraction des séjours hospitaliers pour une pathologie cardiovasculaire attribuable au tabagisme par âge et selon le sexe
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Quel que soit le sexe, la distribution des séjours attribuables au tabagisme selon la pathologie était très variable en fonction de l’âge (figure 3). Parmi les 15-34 ans, les séjours pour infarctus du myocarde représentaient la part la plus importante avec 24% des séjours et atteignaient plus de la moitié du nombre estimé des séjours (56%) entre 35 et 50 ans. Les séjours attribuables chez les 85 ans et plus étaient majoritairement liés à une insuffisance cardiaque ou à des complications de cardiopathie (46% des séjours attribuables).

Figure 3 : Distribution des séjours attribuables au tabagisme selon la pathologie cardiovasculaire chez les hommes et les femmes par catégorie d’âge en France en 2015
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Si le nombre de fumeurs était inférieur de 10% par rapport au nombre estimé à partir du Baromètre santé 2014, ce qui correspondrait à une prévalence de fumeurs actuels de 33% pour les hommes et 25% pour les femmes selon le scénario 1 défini, le nombre de séjours hospitaliers attribuables au tabagisme aurait été inférieur d’un peu moins de 6 000 séjours (tableau 2) soit une diminution de 2,3% de l’estimation des séjours pour MCV attribuables au tabac. D’après le second scénario, la prévalence des fumeurs actifs dans la population des 15-75 ans a été fixée à 20%. Dans ce cas, ce serait près de 26 000 séjours pour MCV qui auraient été évités, soit une baisse de plus de 10% (tableau 2).

Tableau 2 : Séjours hospitaliers pour une maladie cardiovasculaire qui auraient été évités en 2015 si le nombre de fumeurs avait été inférieur de 10% (scénario 1) ou si la prévalence du tabagisme avait été inférieure à 20% (scénario 2)
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Discussion

Nous avons estimé que plus de 250 000 séjours pour une MCV étaient attribuables au tabagisme en France en 2015, soit 21% de tous les séjours hospitaliers pour une maladie cardiovasculaire enregistrés dans le PMSI. Les infarctus du myocarde, les maladies des artères, l’insuffisance cardiaque et les arythmies représentaient plus de 90% des séjours attribuables au tabagisme. L’impact du tabagisme était notablement plus élevé chez les jeunes. Si le nombre de fumeurs avait été inférieur de 10% ou si seulement 20% des 15-75 ans avaient fumé, des diminutions d’un peu plus de 2% et 10% respectivement du nombre estimé de séjours pour une pathologie cardiovasculaire auraient été observées.

Bien que pour certaines MCV, le risque cardiovasculaire décroisse rapidement après l’arrêt du tabac, le risque d’infarctus du myocarde, de maladie des artères, de thrombose veineuse ou d’hypertension pulmonaire secondaire reste augmenté chez les anciens fumeurs comparés aux non-fumeurs. Pour réduire le fardeau du tabagisme en France, il est important de combiner des mesures de prévention contre l’entrée dans le tabagisme, particulièrement des plus jeunes, et des actions de santé publique pour favoriser l’arrêt du tabac. Le PNRT avait prévu des mesures de ce type et les dernières données sur la prévalence du tabagisme sont encourageantes 4,28 ; les efforts doivent cependant être poursuivis au regard du caractère encore très élevé de la prévalence du tabagisme en France.

À notre connaissance, cette étude est la première à fournir une estimation d’un indicateur de morbidité cardiovasculaire en lien avec le tabagisme en France. Le rapport 2019 sur les statistiques du tabagisme en Angleterre 5 montrait que, parmi les adultes de plus de 35 ans, 15% des admissions hospitalières pour une MCV étaient attribuables au tabagisme.

Cette proportion est inférieure à celle que nous avons estimée en France (21%). Cette différence pourrait, en partie, être liée au fait que nous avons inclus dans notre estimation un nombre plus large de pathologies en lien avec le tabac comme les arythmies cardiaques ou les thromboses veineuses, qui ne font pas partie de l’estimation anglaise, mais surtout à la différence très importante du niveau du tabagisme entre les deux pays : en Angleterre en 2019, moins de 15% de la population déclarait fumer quotidiennement 29, soit beaucoup moins que les 24% observés en France la même année 4. En Grèce, où la prévalence de fumeurs est considérablement plus élevée qu’en France et en Angleterre (41% en 2010) 30, une étude a ainsi évalué que 35% des MCV étaient liées au tabac 31. Avec une prévalence de 24% de fumeurs réguliers au Canada en 2002, une étude a trouvé que 20% des admissions pour MCV étaient attribuables au tabagisme 32 en se basant sur les mêmes groupes de pathologies que ceux considérés pour notre estimation. Si toutes ces estimations ont été réalisées avec une approche identique par fraction attribuable, la comparaison directe des résultats reste cependant délicate, ces différentes études prenant parfois en compte des groupes de pathologies distincts (en l’absence de consensus) et se basant sur différentes estimations de RR. De plus, les systèmes de soins hospitaliers comme les systèmes administratifs d’enregistrement des séjours hospitaliers sont souvent peu comparables d’un pays à l’autre. Malgré ces limites, nous constatons que tous les résultats évaluant l’impact du tabagisme sur la morbidité cardiovasculaire sont convergents.

Cette mesure de la morbidité cardiovasculaire attribuable au tabagisme uniquement par le biais des séjours hospitaliers ne fournit qu’une image très partielle de l’ensemble des conséquences du tabagisme sur la santé cardiovasculaire dans la population. Cette évaluation ne couvre pas les soins en dehors des structures hospitalières comme par exemple la médecine de ville. L’indicateur construit capture les événements de santé ayant nécessité une hospitalisation, et donc probablement les plus graves pour certaines pathologies comme les thromboses veineuses. Parce qu’un patient peut subir plusieurs hospitalisations la même année, le nombre de séjours hospitaliers surestime le nombre de patients traités pour une MCV attribuable au tabagisme. Néanmoins, cela reste une bonne approche pour évaluer l’impact du tabagisme sur le système de soin.

L’approche par fraction attribuable utilisée est une méthode indirecte pour évaluer l’impact du tabagisme sur les hospitalisations pour une MCV. Un grand nombre d’études ont utilisé ce même raisonnement pour estimer le poids sanitaire du tabagisme à travers le recours à un système de soins 31,32,33,34,35,36. Il faut cependant garder un œil critique sur les estimations dérivées des fractions attribuables qui sont contraintes par des limites méthodologiques. Les calculs des fractions intègrent des RR de maladies associées au tabagisme mesurés sur d’autres populations à partir d’études de cohorte ou de méta-analyses. Ces RR estimés peuvent être différents des RR que l’on observerait dans la population française. En particulier, la distribution des effets de confusion ou des interactions avec d’autres facteurs de risque peut être différente entre les populations sources et la population cible. Nous avons donc dû supposer que les RR pouvaient s’appliquer à la population française, une limite classique du calcul des fractions attribuables. Les calculs ont été stratifiés sur le sexe et l’âge, ce qui a permis d’obtenir des estimations ajustées sur ces deux facteurs 37. Cependant, nos calculs ne prennent pas en compte d’autres facteurs de confusion ou l’existence d’interactions avec d’autres facteurs de risque pour les MCV tels qu’une hypercholestérolémie, une hypertension, un diabète, une mauvaise alimentation, une activité physique insuffisante... Seules des études de cohorte incluant un très grand nombre de sujets permettraient d’obtenir des estimations suffisamment précises de RR ou de prévalence du tabagisme par âge, sexe et chaque niveau de facteurs de risque au niveau de la population. À notre connaissance, il n’existe pas aujourd’hui de données qui permettraient de prendre en compte, pour chacune des MCV incluses dans notre étude, ces facteurs de confusion ou ces interactions dans notre estimation. La prévalence du tabagisme utilisée dans cette étude est issue de l’enquête Baromètre santé 2014 qui permettait de disposer d’une estimation au niveau de la population française. En effet, une bonne représentativité était assurée par un échantillonnage aléatoire et la correction de la non-réponse de certains participants par un redressement de l’échantillon à partir des statistiques de l’enquête emploi 2012 de l’Insee sur les caractéristiques suivantes : la distribution hommes/femmes croisée avec les distributions d’âge, de taille d’agglomération, de région de résidence, du niveau de diplôme et du nombre d’habitants dans le foyer (un seul versus plusieurs).

Conclusion

Le tabagisme est aujourd’hui responsable d’une part considérable des hospitalisations pour une MCV en France, à laquelle il faut rajouter les conséquences sociales et financières, le coût des soins ambulatoires, les traitements et les autres coûts indirects (transport des patients par exemple). Depuis 2014, le Programme national de réduction du tabagisme puis de lutte contre le tabac a dynamisé tous les aspects de l’action de santé publique dans la lutte contre le tabac, notamment la mise en place d’emballages neutres depuis 2017, le lancement de plusieurs campagnes nationales d’incitation à l’arrêt du tabac dans les médias de masse, le remboursement des traitements de substitution nicotinique par l’assurance maladie et la création d’un fonds dédié à la lutte contre le tabac. Ces actions de santé publique ont été complétées par une taxation accrue des produits du tabac. Elles semblent être porteuses de premiers résultats prometteurs puisque le tabagisme quotidien a significativement diminué entre 2016 et 2019, pour atteindre 24% en 2019. Nous avons montré qu’annuellement près de 26 000 séjours hospitaliers pourraient être évités si la prévalence du tabagisme baissait de manière significative en France, pour atteindre 20% parmi les 15-75 ans. D’autres pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis ou l’Australie ont réussi à diminuer fortement leur prévalence du tabagisme, ce qui montre que des actions de santé publique appropriées peuvent être efficaces et invite résolument à poursuivre les efforts de prévention déployés en France depuis 2014.

Liens d’intérêt

C. Bonaldi, A. Pasquereau, C. Hill, E. Moutengou, V. Nguyen-Thanh et V. Olié ne déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
D. Thomas signale avoir perçu des honoraires personnels de Pfizer (activité de conseil et conférences) en dehors du travail soumis et déclare qu’il n’y a aucun conflit d’intérêt pour aucun aspect que ce soit en lien avec contenu de l’article.

Référence

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6 Bonaldi C, Boussac-Zarebska M, Nguyen-Thanh V. Estimation du nombre de décès attribuables au tabagisme, en France de 2000 à 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(15):278-84. https://www.santepubliquefrance.fr/docs/
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Citer cet article

Bonaldi C, Anne Pasquereau A, Hill C, Thomas D, Moutengou E, Nguyen-Thanh V, et al. Les hospitalisations pour une pathologie cardiovasculaire attribuables au tabagisme en France métropolitaine en 2015. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(14):281-90. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/14/2020_14_2.html