La leptospirose : une maladie émergente ou un problème émergent ?
// Leptospirosis: an emerging disease or an emerging issue?
Il y a un an, le Centre national de référence de la leptospirose (Institut Pasteur, Paris) rapportait deux cas de leptospirose parmi les détenus de la prison de Fresnes. Cette information, reprise ultérieurement par la presse nationale et amplifiée par le débat sur les conditions matérielles de détention, a brièvement donné la vedette à « la maladie des rats ». Depuis, la leptospirose est retombée dans l’anonymat médiatique des maladies bactériennes.
Pourtant, la leptospirose est incontestablement un problème de santé publique d’importance internationale. En décembre 2009 et à l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé, le Groupe de référence sur l’épidémiologie de la leptospirose (LERG) s’est attaché à évaluer la morbidité mondiale de cette maladie chez l’Homme. Sur la base d’un examen systématique de la littérature, il a été estimé que cette infection pourrait être à l’origine de 1 million de cas par an, dont 60 000 décès, soit une mortalité quatre fois supérieure à celle de la dengue.
La leptospirose est une zoonose cosmopolite, mais le climat chaud et humide de la zone intertropicale lui est particulièrement propice. Le territoire français, de par sa diversité géographique, en fournit un excellent exemple, comme l’illustrent les articles de ce numéro spécial du BEH. Décrite depuis longtemps dans les départements et collectivités d’outre-mer, la leptospirose y est donc sans surprise un problème de santé publique significatif : endémicité soutenue, recrudescence saisonnière, voire épidémies consécutives à des évènements climatiques de type cyclones. La mise en place de systèmes de surveillance spécifiques, ainsi que l’inscription de la PCR et de la sérologie Elisa à la nomenclature des actes de biologie médicale ont revigoré la surveillance épidémiologique de cette affection. L’exposition professionnelle, en particulier via les pratiques agricoles, reste un facteur de risque essentiel pour la population, même si le développement des activités de loisirs de pleine nature fournit désormais un contingent significatif de cas humains. L’amélioration de l’habitat, de la gestion des eaux usées et des eaux pluviales ainsi que celle des déchets et de l’accès à l’eau potable sont autant d’éléments pour le contrôle de la leptospirose dans l’avenir. Toutefois, les données recueillies dans l’Océan Indien confirment également que, bien loin de se cantonner aux rongeurs commensaux, le réservoir animal s’étend sans doute aux animaux domestiques et d’élevage, ce qui n’est pas sans conséquence sur la stratégie de contrôle.
Plus surprenante est la situation de la France métropolitaine, où l’incidence de la leptospirose au cours des deux dernières années a atteint 1 cas pour 100 000 habitants, incidence la plus élevée depuis 1920. Malgré la vaccination des personnes professionnellement exposées, une spécificité française, les égoutiers, vétérinaires et autres plongeurs en eau douce continuent à fournir leur contingent de cas. Mais au-delà, l’augmentation de l’incidence rapportée est bien réelle. Faut-il y voir l’effet du “changement climatique”, du développement des activités de loisir ou tout simplement d’une meilleure surveillance épidémiologique ? Il est encore prématuré pour le dire.
Il est rationnel de penser que le réchauffement global et la multiplication des évènements climatiques extrêmes qui l’accompagnent, ainsi que l’urbanisation débridée et mal contrôlée, deux phénomènes qui concernent particulièrement les départements et collectivités d’outre-mer français, peuvent s’accompagner de l’augmentation de l’incidence d’une pathologie intimement liée à l’eau, à la chaleur et aux rongeurs. Toutefois, le caractère non spécifique de sa présentation clinique et la complexité de sa confirmation biologique et de son interprétation en zone d’hyper-endémie sont des obstacles importants à la surveillance épidémiologique de la leptospirose. Par contrecoup, ces facteurs sont également des freins à la compréhension de l’histoire naturelle de l’infection et font que beaucoup de questions relatives au contrôle de la maladie demeurent sans réponse, particulièrement en situation épidémique. À l’échelle du territoire français comme de la planète, il est donc difficile d’affirmer que la leptospirose est une maladie émergente, mais c’est incontestablement un problème de santé publique qui émerge.
Près d’un siècle après la découverte de son agent causal, et malgré les efforts de groupes d’études internationaux comme le Global Leptospirosis Environmental Action Network (GLEAN) (1), on ne peut que regretter que la leptospirose reste la grande oubliée des maladies négligées.
Puisse ce numéro spécial du BEH sensibiliser les professionnels de santé à son diagnostic et contribuer à la faire sortir de l’oubli médiatique.