Évaluation des fréquences de consommation alimentaire d’une population d’immigrés en situation d’insertion en région parisienne
// Assessment of dietary frequency among an immigrant population being integrated in the Paris area, France
Résumé
Introduction –
En changeant de pays, les migrants doivent se réapproprier certains repères fondamentaux. Cette adaptation peut conduire à l’instauration d’habitudes alimentaires moins favorables à la santé. L’objectif de l’étude était de décrire les comportements alimentaires d’une population d’immigrés enquêtés lors de leur passage à l’Office français de l’immigration et de l’Intégration (OFII), et d’étudier les relations entre ces consommations et la durée de résidence en France.
Méthodes –
Les immigrés se rendaient à l’OFII afin de signer un contrat d’accueil et d’intégration (CAI). L’étude était proposée par l’enquêteur à ceux maitrisant le français oral et écrit. Les participants recevaient un court questionnaire, renseignant les fréquences de consommations pour 11 groupes d’aliments. Afin d’étudier les relations entre ces consommations et la durée de résidence, des analyses ajustées sur les caractéristiques sociodémographiques ont été réalisées.
Résultats –
L’échantillon d’étude se composait de 723 participants. Parmi eux, 33,4% consommaient au moins cinq fruits et légumes par jour. Seuls 13,3% consommaient trois produits laitiers quotidiennement. Par ailleurs, 66,3% consommaient au moins deux fois par semaine des produits issus de la pêche. Plus d’un quart (28,0%) consommait des boissons sucrées quotidiennement, et la moitié des produits sucrés (48,7%) ou gras et salés (47,0%) tous les jours. Il n’y avait aucune association statistiquement significative entre consommations par groupe d’aliments et durée de résidence en France.
Conclusion –
Les consommations alimentaires de la population immigrée présentent quelques spécificités en comparaison de celles de la population générale, nécessitant des messages de prévention adaptés.
Abstract
Introduction –
Changing countries mean that migrants need to learn some basic benchmarks. This adaptation can lead to unhealthy dietary habits. The purpose of this study was to describe the dietary consumptions of major food groups in a migrant population surveyed during their mandatory visit at the Office of Immigration and Integration (OFII), and to assess the relationships between these consumptions and the duration of their residence in France.
Méthods –
Migrants attenting the OFII as part of their mandatory immigration process with a proficiency in written and spoken French, were included in this study on a voluntary basis. Participants responded to a self-administered food frequency questionnaire based on 11 food groups. We carried out adjusted analyzes on socio-demographic caracteristics to evaluate relationships between these consumptions and duration of stay.
Results –
A total of 723 participants were included in this study. Among them, 33.4% consumed at least 5 fruits and vegetables a day. Only 13.3% consumed 3 dairy products a day. In addition, 66.3% consumed seafood at least twice a week. More than a quarter of the sample (28.0%) consumed sweetened beverages daily, and half of them sugary (48.7%) or fatty and salty (47.0%) products every day. There was no association between food group consumption and duration of stay in France.
Conclusion –
Dietary habits of migrants appear to have specific characteristics compared to those observed in the general population. Nutritional prevention messages should be adapted to these cultural specificities.
Introduction
Dans de nombreux pays hôtes, il a été constaté que les populations issues de l’immigration étaient plus à risque de mortalité et de morbidité en rapport avec des maladies non-transmissibles liées à l’alimentation, en comparaison avec la population autochtone 1,2. Pourtant en France, un « paradoxe méditerranéen des migrants » a été décrit, selon lequel les hommes immigrés d’origine nord-africaine auraient un avantage en santé, particulièrement pour les maladies liées à l’alimentation telles que certains cancers et les maladies cardio-vasculaires 3. Néanmoins, d’autres études s’intéressant à l’état de santé des populations d’immigrés ont nuancé cette notion, notamment en matière de syndrome métabolique et de diabète de type 2 4,5.
Outre que la migration constitue le moment où un individu change de lieu de vie, elle est aussi l’occasion d’une transition culturelle, d’un changement de style de vie et de société. L’établissement d’une personne dans un nouveau pays pour une durée relativement longue, voire permanente, l’oblige à se réapproprier certains repères fondamentaux, au rang desquels se trouvent les habitudes alimentaires 6. De nombreux facteurs semblent influer sur les consommations alimentaires des immigrés, parmi lesquels l’environnement socio-culturel ainsi que les croyances et les perceptions liées à l’alimentation sont ceux que l’on retrouve le plus fréquemment dans les diverses études menées en Europe sur ces populations 7. Il résulte de cette adaptation un phénomène dit « d’acculturation alimentaire », pouvant se définir comme étant le processus complexe et multidirectionnel par lequel les membres d’un groupe minoritaire d’une société intègrent les modèles alimentaires de leur pays d’accueil 8. L’ampleur de ces changements varie en fonction de l’origine géographique des immigrés et de l’exposition passée et actuelle aux normes socio-culturelles du pays d’origine 1.
De plus, selon un rapport de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publié en 2012, le revenu annuel moyen des ménages dont la personne de référence est immigrée est d’un montant inférieur de près de 25% à celui de l’ensemble des ménages en France 9. Or, les choix alimentaires sont en partie déterminés par le niveau socioéconomique des individus 10. Ce fait, conjugué à une exposition à une offre alimentaire de type occidental riche en produits gras, salés et sucrés, qui sont relativement peu onéreux, peut conduire à l’instauration d’habitudes de consommations moins favorables à la santé chez les populations immigrées 11. Dans certains pays en développement ou émergents, particulièrement d’Afrique du Nord, ces populations peuvent déjà avoir été exposées à ce type d’alimentation du fait de la transition nutritionnelle qui s’y opère 12.
En France, peu de travaux se sont intéressés de manière spécifique aux comportements alimentaires des personnes immigrées 6,13. La nutrition étant un facteur majeur et modifiable des maladies non-transmissibles 14, l’étude des comportements alimentaires dans les populations immigrées représente un enjeu important pour favoriser la mise en place d’actions de prévention efficaces et adaptées à ces populations. L’objectif de la présente étude était de décrire les fréquences de consommation alimentaire d’une population d’immigrés enquêtés lors de leur passage à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de Bobigny (Seine-Saint-Denis, 93), passage obligé au cours de leur procédure administrative d’intégration en France. Nous nous sommes également intéressés aux relations entre consommations alimentaires et durée de résidence en France.
Participants et méthodes
Sujets
La population éligible à l’étude était constituée d’immigrés en situation régulière, accueillis à l’OFII de Bobigny dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration (CAI), afin de le signer et de passer une visite médicale, obligatoire dans leur parcours d’insertion en France. Les personnes se présentant à l’OFII pour le CAI, devenu depuis le 1er juillet 2016 contrat d’intégration républicaine (CIR), sont des étrangers en situation régulière, entrés ou admis au séjour en France pour un motif professionnel ou familial ou en tant que réfugiés, et qui souhaitent résider durablement sur le territoire français. Certaines personnes se présentant pour le CAI sont donc déjà résidentes sur le territoire français depuis plusieurs mois, voire années, car elles y séjournaient auparavant en situation irrégulière. Les personnes pouvant être vues à l’OFII dans le cadre du CAI appartiennent donc pour la plupart à la population active et bénéficient d’un emploi et/ou d’un soutien familial et social en France.
Le recueil des données s’est déroulé de mai à juin 2016.
Les sujets étaient inclus à l’étude s’ils avaient 18 ans et plus et étaient capables de comprendre le français oral et écrit (figure).
Données collectées
Questionnaire de fréquence alimentaire
Le questionnaire de fréquence alimentaire court collecté auprès des participants était issu du questionnaire simplifié Abena 15. Adapté à des conditions d’enquête difficiles, il a pour but d’estimer les fréquences de consommation de 11 groupes d’aliments identifiés par le Programme national nutrition santé (PNNS), et pour lesquels il existe des recommandations. Il comprend une quinzaine de questions et est prévu pour une administration en face à face. Une adaptation du questionnaire pour une auto-administration a été réalisée dans le cadre de cette étude, en particulier par l’ajout d’images d’aliments emblématiques de chaque groupe alimentaire, pour en améliorer la compréhension. Le questionnaire propose, pour 11 groupes alimentaires, d’indiquer la fréquence de consommation quotidienne ou hebdomadaire. Ces groupes d’aliments sont : les fruits, les légumes, les produits céréaliers, le groupe « viande-poisson-œuf » (VPO), le lait et les produits laitiers, les produits sucrés, les produits gras et salés, l’eau, les boissons sucrées et les boissons alcoolisées. La taille des portions consommées n’est pas évaluée. La fréquence de consommation et la quantité consommée (en nombre de verres) est demandée pour l’eau, les boissons sucrées et les boissons alcoolisées. Afin de rendre les résultats interprétables par rapport aux repères de consommation fixés par le PNNS, les fréquences de consommation ont été présentées en tenant compte du repère alimentaire correspondant à chaque groupe d’aliments (par exemple, cinq par jour pour le groupe des fruits et légumes) 16.
Données sociodémographiques
Les données sociodémographiques prises en compte dans cette étude étaient le sexe, l’âge, le niveau d’éducation, le statut matrimonial, la durée de résidence en France et la région d’origine du participant : pays du Maghreb, Afrique (hors pays du Maghreb), Europe, Asie, Amériques. Ces données, issues du questionnaire de l’OFII, ont été complétées pendant la visite médicale par les participants. Le lien entre le questionnaire de fréquence alimentaire papier et le dossier OFII était réalisé grâce au numéro de dossier OFII.
Analyses statistiques
Afin d’étudier les relations entre les niveaux de fréquence de consommation de chaque catégorie d’aliments selon la durée écoulée depuis l’arrivée en France, nous avons utilisé des tests du Chi2 pour les analyses descriptives. Pour les analyses multivariées, des régressions logistiques multinomiales ont été effectuées en prenant comme variables réponses les codages d’aliments en trois classes. Les variables d’ajustement retenues étaient le sexe, l’âge (plus ou moins de 45 ans), la région d’origine, la situation maritale et le niveau d’éducation.
Les participants ayant des données manquantes pour les caractéristiques sociodémographiques ont été exclus de l’analyse. En ce qui concerne les consommations alimentaires, les données manquantes ont été exclues séparément pour chaque groupe alimentaire. De ce fait, pour chaque groupe alimentaire, les consommations rapportées sont uniquement celles des participants ayant renseigné les données relatives à ce groupe. Les niveaux de données manquantes allaient de 4,8% à 17,8% selon les groupes d’aliments. Les taux les plus élevés de non-réponse étaient pour les groupes « boissons sucrées » (17,7%) et « produits gras et salés » (17,8%).
L’ensemble des analyses statistiques a été réalisé à l’aide du logiciel SAS (version 9.4, SAS® Institute Inc, Cary, NC, États-Unis). Le risque de première espèce était de 5%. Les hypothèses testées étaient considérées de manière bilatérale.
Déroulement de l’enquête
Les personnes devant signer le CAI sont convoquées à l’OFII de Bobigny pour une demi-journée, l’accueil se faisant en groupe à deux moments, le matin à 8h30 et l’après-midi à 13h30. Les sujets francophones et non-francophones assistaient, avant leur visite médicale, à une présentation des enjeux du CAI. Ensuite, l’étude était expliquée par l’enquêteur aux sujets maîtrisant le français oral et écrit, et il leur était proposé d’y participer sur la base du volontariat. Ceux qui avaient accepté de participer recevaient le questionnaire sous format papier et avaient la possibilité de le compléter en attendant d’être appelés pour la visite médicale. L’enquêteur restait à la disposition des participants pendant toute la demi-journée, pouvant ainsi répondre aux questions et aux incompréhensions possibles du questionnaire. À la fin de la demi-journée, l’enquêteur récupérait les questionnaires complétés par les participants.
Aspects éthiques et réglementaires
Cette étude a reçu un avis favorable de la part du Comité d’évaluation éthique de l’Inserm en date du 7 juin 2016 et d’une déclaration à la Cnil le 11 mai 2016 (N°1956420 v 0). Le consentement pour y participer a été obtenu de façon orale, après présentation de l’étude et de ses objectifs. Les données sociodémographiques des participants étaient extraites des dossiers par le personnel de l’OFII, l’enquêteur n’ayant à aucun moment un accès direct au dossier de l’OFII des participants. Ce numéro était ensuite anonymisé lors des analyses.
Résultats
Parmi les 1 999 personnes convoquées à l’OFII durant la période d’étude, 788 étaient francophones et susceptibles de participer à l’étude. Parmi celles-ci, 740 ont répondu au questionnaire. Après exclusion de 17 participants pour lesquels le lien avec les données sociodémographiques n’a pas été possible, notre échantillon se composait de 723 participants.
Les caractéristiques sociodémographiques des participants sont présentées dans le tableau 1. Dans près de la moitié des cas (44,6%), les immigrés étaient arrivés en France depuis moins de deux ans. Une large majorité provenait du continent africain, en particulier des pays du Maghreb. Les participants étaient originaires d’Asie dans 15,4% des cas. Les proportions d’hommes et de personnes vivant seules augmentaient de manière significative avec la durée de résidence en France.
Le tableau 2 présente les fréquences de consommation des différents groupes alimentaires faisant l’objet de repères chiffrés dans le PNNS. De façon globale, 41,6% des participants pouvaient être considérés comme des petits consommateurs de fruits et légumes (moins de 3,5 portions par jour). En revanche, un tiers des participants mangeait au moins cinq fruits et légumes quotidiennement, quantité recommandée dans cadre du PNNS. Au total, 66,7% des personnes interrogées consommaient des produits céréaliers au moins trois fois par jour, le repère du PNNS indiquant d’en manger à chaque repas. Seuls 13,3% des participants atteignaient le repère du PNNS pour les produits laitiers, soit trois par jour, alors que la grande majorité (79,2%) en mangeait moins. Près de la moitié des participants (40,9%) consommait une à deux fois par jour des aliments appartenant au groupe « viande, poisson, œufs » (repère de consommation du PNNS) et approximativement la même proportion (42,9%) dépassait ce repère. Par ailleurs, les deux tiers des participants (66,3%) mangeaient au moins deux fois par semaine des produits issus de la pêche (repère du PNNS).
Il n’existait pas d’association statistiquement significative entre la consommation des catégories d’aliments et la durée de résidence en France après ajustement sur les variables sociodémographiques.
Le tableau 3 présente les fréquences de consommation des différents groupes alimentaires qui sont à limiter selon les recommandations du PNNS. Plus d’un quart de notre effectif (28,0%) consommait des boissons sucrées quotidiennement, et près de la moitié des produits sucrés (48,7%) ou gras et salés (47,0%) tous les jours. Aucune association significative n’a été observée entre la consommation de ces produits et la durée de résidence en France après la prise en compte des variables sociodémographiques.
Discussion
D’après les données recueillies lors de cette étude, l’alimentation de la population de migrants francophones consultant l’OFII de Bobigny présentait quelques particularités.
La proportion de petits consommateurs de fruits et légumes (moins de 3,5 portions par jour) était légèrement supérieure à celle observée au cours de l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) de 2006, qui renseignait les fréquences de consommation pour un échantillon représentatif de la population française (41,6% contre 35,0%) 17. La proportion de personnes atteignant le repère de consommation fixé par le PNNS (plus de 5 portions par jour) lui était un peu inférieure (33,4% contre 42,8%) 16. En outre, et après ajustement sur les facteurs de confusion, cette recommandation était significativement mieux suivie par les femmes que par les hommes (p<0,0001, données non présentées).
Dans notre population d’étude, les consommations de fruits et légumes ne différaient pas selon la durée écoulée depuis l’arrivée en France, laissant envisager que d’autres facteurs socioéconomiques impactent ce niveau de consommation. En effet, les données de la littérature indiquent que la consommation de fruits et légumes constitue un marqueur d’inégalités sociales, et leur fréquence d’achat est l’une des premières à diminuer dans les populations à revenus modestes, en raison de leur coût 18.
La consommation de lait et de produits laitiers observée dans notre échantillon est très inférieure à celle retrouvée en population générale en France 17. En effet, dans notre étude, le repère fixé par le PNNS était atteint deux fois moins souvent qu’en population générale (13,3% contre 29%) et la proportion de faibles consommateurs était beaucoup plus importante. Comme pour les fruits et légumes, cette recommandation était plus fréquemment respectée chez les femmes que chez les hommes (p=0,0001, données non présentées).
Ces différences de consommation de lait et de produits laitiers selon les régions du monde sont bien connues et principalement liées à des facteurs culturels forts, mais aussi en partie à la disponibilité des produits et à leur coût dans les pays en développement, à l’absence d’équipements de réfrigération ou encore à une prévalence importante de l’intolérance au lactose dans la population asiatique 12,19,20. Bien que la consommation mondiale de produits laitiers ait augmenté ces dernières années, ces pays émergents ou en développement ne bénéficient pas de la même sensibilisation à leur consommation qu’en France, ce qui peut expliquer que les migrants n’aient pas le réflexe d’en consommer, y compris après plusieurs années de résidence en France 19.
Concernant le groupe « viande, poisson, œufs », on observe que les proportions de participants atteignant le repère de consommation fixé par le PNNS ou le dépassant sont plus importantes qu’en population générale 17. Une partie de cette consommation, importante en produits carnés dans son usage quotidien, peut s’expliquer par leur disponibilité plus importante et leur relative accessibilité économique en France (en particulier pour les volailles et viandes en conserve), en comparaison au coût relativement élevé des produits carnés dans les pays d’origine, notamment au Maghreb 6. Une autre explication possible à ce résultat pourrait être une consommation importante d’œufs, très accessibles financièrement et beaucoup consommés dans certains des pays d’origine, comme ceux du Maghreb d’où provenaient les deux tiers des participants de l’étude. Cependant, le questionnaire utilisé pour cette étude ne nous permet pas d’étudier séparément les consommations de viande et d’œufs, ce qui limite l’interprétation de ces résultats. De plus, ces données sont à mettre en parallèle avec une consommation très importante de produits issus de la pêche au sein de notre population d’étude. Les proportions de repères atteints ou non-atteints pour cette classe d’aliments sont à l’inverse de celles obtenues en population générale (66,3% de personnes atteignant ce repère de consommation contre 30,2% en population générale) 17. Le poisson fait partie historiquement du régime traditionnel méditerranéen, correspondant au régime d’une partie des participants à cette étude, et il s’intègre dans les recettes traditionnelles de nombreux pays où il représente une source relativement abordable de protéines animales par rapport à la viande 21,22. Les effets bénéfiques de sa consommation dans la prévention de maladies cardio-vasculaires incitent à valoriser cette habitude alimentaire dans population migrante 22.
Les consommations d’aliments gras et salés ainsi que de produits sucrés étaient quotidiennes dans près de la moitié de notre échantillon, et plus fréquentes chez les personnes avec un niveau d’éducation scolaire moindre, après ajustement sur les facteurs de confusion (p=0,02, données non présentées). La proportion de consommateurs quotidiens de produits sucrés ou de produits gras et salés était supérieure à celle trouvée dans l’étude Abena 2 chez les bénéficiaires de l’aide alimentaire du groupe « denrées » (48,7% contre 29,4% pour les produits sucrés ; 47,0% contre 9,0% pour les produits gras et salés) 15.
Le coût des aliments gras et sucrés, relativement à l’énergie apportée, est plus abordable que celui des produits sains, incitant à leur consommation chez des personnes de niveau socioéconomique plus modeste 23. Par ailleurs, une évolution des habitudes alimentaires vers une augmentation de consommation des produits gras, sucrés et salés a été identifiée dans plusieurs études s’intéressant au processus d’acculturation alimentaire de personnes immigrées 11. Cependant, les caractéristiques de notre étude ne permettent pas de rendre compte d’une évolution des consommations de ces produits chez les participants suite à leur immigration en France. De plus, du fait de la transition nutritionnelle opérée dans le contexte du développement de certains pays, il est possible que les participants aient déjà été exposés initialement à ce type d’alimentation dans leur pays d’origine 12. Les risques liés à la surconsommation de ces produits sont le développement de maladies chroniques dont certaines, là encore, surviennent déjà plus fréquemment au sein de la population migrante, en dehors de l’effet lié à leur alimentation 2.
Une des principales limites de cette étude réside dans le fait que, ne maîtrisant pas la langue française écrite, un grand nombre de personnes accueillies à l’OFII n’était pas éligible à l’inclusion. Du fait de leur maîtrise de la langue, les participants sélectionnés avaient probablement un niveau d’éducation plus élevé que l’ensemble des migrants et étaient potentiellement davantage imprégnés de la culture française et plus avancés dans leur transition nutritionnelle.
De plus, l’étude ne s’étant intéressée qu’à un seul centre d’accueil de migrants, elle ne peut représenter l’ensemble de ces derniers au niveau national. Cependant, en comparant les données concernant la population de migrants qui se rend dans les différents offices français en 2015 pour l’établissement d’un CAI, l’origine géographique des participants de notre étude était sensiblement la même, hormis une légère surreprésentation des immigrés provenant des pays du Maghreb (+15 à 20%) 24. Néanmoins, la généralisation des résultats apportés par cette étude, du fait des biais de sélection identifiés, est à prendre avec prudence.
Le questionnaire étant de type déclaratif, cela a aussi pu engendrer un biais de désirabilité, les individus déclarant une consommation plus importante d’aliments favorables pour la santé ou minimisant ceux perçus comme l’étant moins. Néanmoins, les consommations rapportées de produits gras ou sucrés laissent envisager que ce biais pourrait être limité. Bien que l’enquêteur insiste sur son extériorité à l’OFII et sur le caractère volontaire pour la participation à l’étude, il est également possible que ce biais de désirabilité ait été, pour les participants, renforcé par le sentiment d’une obligation à remplir ce questionnaire, perçu comme un élément intégré à ce moment de démarches obligatoires à l’OFII.
Enfin, les comparaisons avec les données de l’étude ENNS doivent être considérées en tenant compte de la différence de méthodologie employée pour le recueil des données sur les consommations alimentaires. Pour des modalités pratiques, nous avons utilisé un questionnaire de fréquence alimentaire, tandis que la technique des rappels de 24 heures était employée dans l’étude ENNS. Cette différence peut nous avoir conduits à surestimer les consommations de certains groupes d’aliments du fait d’un biais de mémorisation. Par ailleurs, l’enquête s’étant déroulée pendant les mois d’été, un biais lié à la saisonnalité de certains produits (fruits et légumes en particulier) ne peut être exclu, bien que le questionnaire ne fasse pas spécifiquement mention d’une durée spécifique de consommation.
À notre connaissance, aucune autre étude ne s’est appuyée sur l’OFII pour la réalisation d’une enquête sur les comportements alimentaires des personnes immigrant en France, permettant d’avoir accès à un échantillon très varié. De plus, les participants à notre étude ont vocation à rester durablement sur le territoire français et correspondent donc à une population-cible d’intérêt pour le développement de messages de prévention.
Conclusion
Ces résultats suggèrent que les habitudes de consommation alimentaire de la population issue de l’immigration légale en France présentent quelques particularités par rapport à la population générale, avec des fréquences de consommation qui ne diffèrent pas selon la durée de résidence en France. Certains de ces comportements alimentaires sont à valoriser, comme par exemple les consommations de produits issus de la pêche. D’autres s’éloignent en revanche des repères de consommation recommandée et nécessiteraient des messages de prévention adaptés.
Remerciements
Les auteurs remercient tout particulièrement Vivens Usanase pour la collecte des données, ainsi que l’ensemble des participants à cette étude.