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Effet de la mise en place du Programme organisé du dépistage du cancer du col de l’utérus sur les taux de couverture en France : analyse comparative des périodes 2015-2017 et 2020-2022
// Effects of the organised cervical cancer screening programme on coverage rates in France: A comparative analysis between 2015–2017 and 2020–2022
Résumé
Introduction –
En 2018, un Programme national de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus (PNDOCCU) a été instauré en France pour réduire l’incidence et la mortalité du cancer du col de l’utérus (CCU), ainsi que les disparités d’accès au dépistage. Cet article examine les taux de couverture du dépistage, tant spontané que par invitation, pour évaluer les progrès réalisés vers les objectifs nationaux de réduction des disparités territoriales et d’âge.
Méthode –
À partir de données du Système national des données de santé (SNDS) et des estimations de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’étude a mesuré les taux de couverture triennaux du dépistage du CCU chez les femmes âgées de 25 à 65 ans.
Résultats –
Les résultats révèlent une augmentation des taux de couverture entre 2015-2017 et 2020-2022 dans la plupart des régions, variant de 0,1% à 23,7%. Les variations régionales étaient de 18,7% à 61,5% pour 2015-2017 et de 16,0% à 66,3% pour 2020-2022. Durant la période 2020-2022, parmi les femmes dépistées sur invitation, 11,3% avaient entre 20 et 25 ans, tandis que 18,9% étaient âgées de 60 à 65 ans. Des disparités de couverture sont observées, avec 47% pour les 60-65 ans et 67% pour les 25-29 ans.
Conclusion –
Malgré des progrès observés, des disparités par âge et des disparités géographiques significatives persistent, et des défis demeurent pour accroître et harmoniser l’accès au dépistage sur l’ensemble du territoire.
Abstract
Introduction –
The French national organised cervical cancer screening programme (PNDOCCU) was established in 2018 with the objective of reducing the incidence and mortality of cervical cancer (CCU) as well as inequalities in access to screening. This article describes CCU screening coverage rates, both spontaneous and by invitation, in order to assess the attainment of national objectives for reducing age-related and territorial disparities in screening uptake.
Method –
The 3-year coverage rates for CCU screening among women aged 25 to 65 were evaluated using data from the French National Health Data System (SNDS) and population estimates from the National Institute of Statistics and Economic Studies (INSEE).
Results –
According to this study, coverage rates for CCU screening increased in most regions between the periods 2015–2017 and 2020–2022, by 0.1% to 23.7% depending on the region. Regional coverage rates ranged from 18.7% to 61.5% for the period 2015–2017 and from 16.0% to 66.3% for the period 2020–2022. Among women screened by invitation during the period 2020–2022, 11.3% were aged 20–25 years and 18.9% were aged 60–65 years. Disparities in coverage rate by age were observed for the period 2020–2022, with screening coverage at 47% among women aged 60–65 years vs 67% among those aged 25–29 years.
Conclusion –
Despite the progress observed, significant age and geographical disparities persist, and challenges remain in terms of increasing and harmonising access to screening across the country.
Introduction
En France, chaque année, près de 3 000 nouveaux cas de cancer du col de l’utérus (CCU) sont diagnostiqués et environ 1 100 femmes en décèdent, bien que ce cancer puisse être éliminé grâce à des stratégies de dépistage et de vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) 1, comme le préconise l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 2. Jusqu’en 2018, le dépistage du CCU reposait principalement sur un dépistage cytologique triennal spontané, complété par quelques expérimentations locales ou régionales de dépistage organisé par invitations ciblées. Pour la période 2015-2017, le taux de couverture triennal était de 57,9% chez les femmes de 25 à 65 ans, avec des disparités marquées selon les régions et les classes d’âge (1). En particulier, la couverture diminuait significativement avec l’âge.
Pour réduire ces disparités, harmoniser, et optimiser les pratiques de dépistage sur tout le territoire national, un Programme national de dépistage organisé du cancer du col de l’utérus (PNDOCCU) a été instauré en 2018 en France. Ce programme vise à atteindre une diminution de 30% de l’incidence et de la mortalité du CCU en dix ans, avec un objectif d’un taux de couverture du dépistage à 80%. Ce programme, encadré par un cahier des charges conforme aux recommandations européennes 3, repose sur plusieurs piliers : des invitations ciblées par courriers postaux aux femmes non à jour de leur dépistage et, si besoin, des relances, un suivi personnalisé de tous les résultats anormaux (issus des dépistages spontanés et sur invitation), une intensification de l’information et de la sensibilisation des professionnels de santé, des patientes et des femmes en situation de vulnérabilité, ainsi que des stratégies expérimentales telles que l’autoprélèvement vaginal, la médiation sanitaire, et l’utilisation d’unités mobiles de dépistage. Le taux de couverture national 2020-2022, à la suite de la mise en place du programme chez les femmes âgées de 25 à 65 ans, était de 59,5% 4.
La mise en œuvre de ce PNDOCCU, confiée au niveau régional aux centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC), est évaluée chaque année par Santé publique France. Cet article se propose de décrire les taux de couverture du dépistage du CCU, spontané et sur invitation, afin de mettre en lumière les progrès réalisés et les défis persistants pour atteindre les objectifs fixés à l’échelle nationale.
Méthode
Estimation du taux de couverture du programme de dépistage du cancer du col de l’utérus
Ce programme prend en compte l’ensemble des femmes dépistées âgées de 25 à 65 ans, qu’elles aient réalisé un dépistage spontané ou en réponse à une invitation, ce qui conduit à l’utilisation du terme « taux de couverture ». À l’inverse, d’autres programmes de dépistages organisés se concentrent exclusivement sur les personnes dépistées à la suite d’une invitation, ce qui amène, dans le cadre des évaluations en routine, à parler de « taux de participation ».
L’indicateur « taux de couverture du dépistage triennal du CCU chez les femmes âgées de 25 à 65 ans » est le rapport du nombre de femmes de 25 à 65 ans ayant réalisé au moins un dépistage en trois ans et six mois (pour tenir compte de l’effet des invitations), dénombrées à partir du Système national des données de santé (SNDS), sur la population des femmes de 25 à 65 ans 5 de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) (plus de détails sur la méthode sont disponibles dans le Bulletin « Dépistage des cancers » de Santé publique France de juillet 2024) 4. Cet indicateur prend en compte, comme méthodes de dépistage, la cytologie cervico-utérine ou le test HPV pour les femmes âgées de 25 à 65 ans (encadré) 6. Il a été calculé selon une période triennale, y compris chez les femmes âgées de 30 à 65 ans, bien que les recommandations de la Haute Autorité de santé aient changé pour cette tranche d’âge. En effet, en 2022, la période triennale reste d’actualité pour l’ensemble des femmes, et le délai de cinq ans (le test HPV ayant été remboursé à partir de 2020) sera effectif seulement en 2025, année où les indicateurs seront ajustés en conséquence. De plus, le premier test de dépistage HPV pour les femmes âgées de 30 à 65 ans doit avoir lieu trois ans après la dernière cytologie cervico-utérine.
Les modalités de dépistage et de suivi du CCU sont fondées sur les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) et de l’Institut national du cancer (INCa). La population cible concerne les femmes immunocompétentes âgées de 25 à 65 ans n’ayant pas subi d’hystérectomie totale, vaccinées ou non contre le HPV. Le test HPV, présentant une meilleure sensibilité que le test cytologique, est préconisé en dépistage primaire tous les cinq ans pour les femmes de 30 à 65 ans. Entre 25 et 29 ans, les recommandations précédentes continuent de s’appliquer.
Ainsi, après le remboursement effectif de l’acte en mars 2020 par l’Assurance maladie, le schéma de dépistage suivant s’applique selon la classe d’âge :
–pour les femmes de 25 à 29 ans asymptomatiques : un test cytologique tous les trois ans (après deux tests normaux consécutifs réalisés à un an d’intervalle). En cas de cytologie anormale, un test HPV réflexe sera réalisé ;
–pour les femmes de 30 à 65 ans asymptomatiques : un test HPV de dépistage primaire. En cas de test HPV positif, une cytologie réflexe sera réalisée. Le co-testing n’est pas recommandé en dépistage.
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Pour la période étudiée, l’estimation du taux de couverture à partir des données du SNDS repose sur les principes suivants :
–le premier test de dépistage réalisé par chaque femme au cours de la période triennale est pris en compte, tandis que les tests de contrôle sont exclus ;
–une femme ayant effectué plusieurs tests de dépistage ou un test de triage à la suite d’un test primaire anormal n’est comptabilisée qu’une seule fois dans la période donnée ;
–les dépistages non facturés sous la cotation de la Classification commune des actes médicaux (CCAM) par certains établissements hospitaliers ne sont pas pris en considération ;
–le dénominateur utilisé correspond à l’ensemble de la population cible du dépistage (femmes âgées de 25 à 65 ans), estimée à partir des données de recensement de l’Insee. Les femmes ayant des conditions spécifiques (traitement en cours, post-traitement, hystérectomies totales) ne sont pas exclues de cette population cible.
Dans cet article, le terme couverture globale inclura le dépistage sur invitation et le dépistage spontané.
Tests de dépistage spontanés et sur invitation
Le nombre de tests est estimé au travers des données du SNDS via les cotations de la CCAM et de la Nomenclature des actes de biologie médicale (NABM). La cotation relative au dépistage sur invitation du cancer du col de l’utérus a été introduite après la mise en place du programme, celui-ci n’étant en vigueur qu’à partir de 2018 et mis en place au niveau national en 2019. Son remboursement a été officialisé en 2020 (liste des codes en annexe).
Résultats
Sur la période triennale 2015-2017, avant la mise en place du PNDOCCU, le taux brut de couverture globale du dépistage en France entière était de 57,9%. Après l’instauration de ce programme, ce taux est passé à 59,3%, incluant 52,4% de dépistages spontanés et 6,9% de dépistages sur invitation, soit une augmentation globale de 1,4 point de pourcentage.
L’analyse des taux de couverture entre ces deux périodes révèle des disparités régionales notables, ainsi que des différences dans les modalités de dépistage (spontané vs sur invitation). La majorité des régions a enregistré une augmentation de la couverture globale, avec une hausse minimale de 0,1% après l’introduction du programme. Cependant, certaines régions ont vu une baisse, notamment l’Île-de-France (-2,6%), la Guyane (-10,7%), Mayotte (-2,7%) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (-3,2%). En revanche, les hausses les plus marquées ont été observées en Martinique (+23,7%) et en Bretagne (+6,0%). Sur la période triennale 2020-2022, le dépistage spontané reste majoritaire à l’échelle nationale et régionale, à l’exception de la Martinique, où le taux de dépistage sur invitation (18,2%) se rapproche de celui du dépistage spontané (21,2%). Par ailleurs, la plupart des régions (sauf la Martinique) ont enregistré une diminution du taux de dépistage spontané entre les deux périodes, avec des baisses allant de 11,5 points pour Mayotte à 0,2 point pour la Bourgogne-Franche-Comté (figure 1, tableau 1).
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Avant la mise en place du programme (2015-2017), la répartition des femmes dépistées par classe d’âge quinquennale était relativement homogène pour les femmes âgées de 25 à 54 ans, autour de 12% dans chaque tranche. En revanche, pour les tranches d’âge de 55 à 59 ans et de 60 à 65 ans, elle avoisine les 10% (tableau 2). Après l’instauration du programme (2020-2022), nous observons une répartition homogène des femmes dépistées spontanément pour toutes les classes d’âge. Toutefois, parmi toutes les femmes dépistées sur invitation, les femmes de 60 à 65 ans représentent 18,9%. Dans cette même tranche d’âge, la répartition globale indique que 81,1% des dépistages sont effectués spontanément. En comparaison, chez les femmes plus jeunes, comme celles de 25 à 29 ans, le dépistage sur invitation est moins fréquent, représentant seulement 10,9% des dépistages (tableau 3). Une progression du dépistage sur invitation est observable pour toutes les tranches d’âge, reflétant la montée en puissance progressive du programme, avec une adoption plus rapide chez les femmes les plus âgées. En mesurant les disparités de participation de manière absolue, on observe que les différences de taux entre classes d’âge tendent à se réduire entre les deux périodes étudiées (par exemple, pour les 25-29 ans : 21,7% en 2015-2017 contre 20,0% en 2020-2022). Par ailleurs, les différences de couverture globale entre 2015-2017 et 2020-2022 sont plus marquées chez les femmes âgées de 60-65 ans (+3,4 points) que chez les plus jeunes (+1,7 point pour les 25-29 ans) (tableau 4).
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Discussion
Les résultats de cette étude montrent l’évolution du dépistage du cancer du col de l’utérus avant et après le déploiement effectif du Programme national en 2019. Le dépistage sur invitation a provoqué une modeste augmentation du taux de couverture global brut du dépistage organisé du CCU, la montée en charge du programme s’étant aussi accompagnée d’un recul du dépistage spontané.
Toutefois, le déploiement du PNDOCCU a conduit à une participation au dépistage sur invitation dans toutes les classes d’âge, et en particulier chez les femmes plus âgées. Comme le montrent les publications antérieures 4 (1), les taux de couverture standardisés chez les femmes âgées de 60 à 65 ans ont progressé de 43,6% avant la mise en place du programme (2015-2017) à 46,9% après (2020-2022). Cette augmentation, plus importante chez les femmes plus âgées par rapport aux plus jeunes, suggère que le programme a amélioré l’accès au dépistage dans cette tranche d’âge, conformément aux priorités fixées dans le cahier des charges qui ciblait particulièrement cette population pour les invitations. Toutefois, les disparités dans le recours au dépistage persistent entre les jeunes adultes et les femmes plus âgées. Bien que le PNDOCCU contribue à atténuer ces disparités, il ne parvient pas encore à les combler complètement. Ainsi, l’introduction du dépistage organisé joue un rôle crucial dans la réduction des disparités d’accès, notamment pour les femmes plus âgées, mais des efforts supplémentaires sont nécessaires pour améliorer la sensibilisation et l’accès au dépistage, en particulier dans cette population.
Par ailleurs, des disparités régionales notables subsistent, notamment en ce qui concerne le dépistage sur invitation, qui n’a pas compensé le recul du dépistage spontané dans certaines régions. Par exemple, dans des territoires comme la Normandie, le Grand Est, la Corse et la Guadeloupe, le taux de couverture global reste stable avant et après la mise en place du programme, malgré une part accrue de dépistage organisé. À l’inverse, dans d’autres régions comme le Centre-Val de Loire, les Pays de la Loire et la Bretagne, une augmentation de la couverture globale est observée, bien qu’elle demeure inférieure à la part de dépistage organisé constatée. Ces résultats soulignent qu’il ne s’agit pas seulement de remplacer le dépistage spontané par le dépistage sur invitation – ce qui permettrait une meilleure homogénéisation des pratiques et une prise en charge optimisée pour les femmes – mais qu’il est également crucial d’augmenter la couverture globale afin d’accroître le recours au dépistage et d’améliorer l’impact des actions de prévention. Une analyse approfondie des facteurs à l’origine de ces disparités régionales est nécessaire pour ajuster les stratégies locales et maximiser l’efficacité du Programme national. Il serait aussi pertinent d’intégrer des mesures des disparités relatives pour mieux comparer les régions entre elles et approfondir l’analyse à des échelons plus fins afin d’optimiser les actions à l’échelle locale.
De plus, pour améliorer nos analyses des disparités de recours au dépistage envers les populations vulnérables, il sera indispensable de réaliser des études géolocalisées à l’échelle de l’Iris (îlots regroupés pour l’information statistique).
Limites
Le dénominateur utilisé correspond à l’ensemble de la population cible du dépistage, c’est-à-dire les femmes âgées de 25 à 65 ans, selon les estimations de population provenant des données de recensement de l’Insee. Dans les prochaines étapes de ces analyses, il est prévu de mieux définir la population cible, en recherchant dans le SNDS les données permettant de dénombrer les femmes n’entrant pas dans le PNDOCCU.
Dans certains établissements de santé, les pratiques actuelles de codage ne permettent pas de remonter l’ensemble des actes de dépistage dans le SNDS. Cependant, nous estimons que ce pourcentage, probablement similaire dans toutes les tranches d’âge, reste limité et n’a pas d’impact significatif sur les résultats. Les futures comparaisons entre les données agrégées des CRCDC et celles du SNDS permettront de mieux estimer cette proportion et d’évaluer plus précisément l’impact potentiel sur les résultats.
Conclusion
Les résultats montrent que le déploiement du Programme national de dépistage en 2018 a contribué à réduire les disparités de couverture concernant l’âge sans pour autant les supprimer. Des défis subsistent pour harmoniser l’adhésion au dépistage sur l’ensemble du territoire, en tenant compte des spécificités régionales et en incluant les populations vulnérables.
Remerciements
Les auteurs remercient l’ensemble des CRCDC pour la qualité de leurs échanges, l’ensemble de l’équipe Dépistage ainsi que Michel Vernay et Anne Moulin pour leur relecture.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.
Références
Citer cet article
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