Décryptage d’une stratégie zéro-Covid-19 en territoire insulaire : l’exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon

// Results of a zero-COVID-19 strategy in an island territory: Example of Saint Pierre and Miquelon

Marie-Anne Montaufray1, Damien Pognon2 (damien.pognon@santepubliquefrance.fr), José Campos3, Claire Letournel4, Laurent Filleul2
1 Administration territoriale de santé de Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Pierre
2 Santé publique France – Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux
3 Centre de santé, Saint-Pierre-et-Miquelon
4 Centre hospitalier François Dunan, Saint-Pierre-et-Miquelon
Soumis le 26.06.2023 // Date of submission: 06.26.2023
Mots-clés : Covid-19 | Saint-Pierre-et-Miquelon | Surveillance | Vaccination | Mesures sanitaires
Keywords: COVID-19 | Saint Pierre and Miquelon | Surveillance | Vaccination | Sanitary measures

Résumé

Saint-Pierre-et-Miquelon est un archipel français d’Amérique du Nord, comptant 5 974 habitants en 2019. Dès mars 2020, les autorités sanitaires du territoire ont adopté une stratégie zéro-Covid afin de protéger la population et les structures sanitaires. Cet article décrit la dynamique épidémique de la Covid-19 à Saint-Pierre-et-Miquelon au regard de l’évolution des stratégies mises en place de mars 2020 à mai 2022. L’ensemble des mesures sanitaires a été recueilli auprès de la préfecture et les données de surveillance épidémiologique et de vaccination sont issues des réseaux mis en place par l’Administration territoriale de santé (ATS) et des résumés des passages aux urgences (RPU). Après un confinement strict de 6 semaines, des mesures d’isolement des cas et des contacts et une réduction importante du trafic aérien ont été instaurées. La vaccination a été proposée à l’ensemble de la population en mars 2021 et a rapidement été acceptée dans toutes les tranches d’âges. Aucune diffusion communautaire n’a été observée avant novembre 2021, puis trois vagues épidémiques se sont succédé, atteignant un taux d’incidence de 9 687 cas pour 100 000 habitants au plus haut. Un unique décès en lien avec la Covid-19 a été recensé. L’entrée du virus sur le territoire a été concomitante de l’apparition de nouveaux variants et du relâchement des mesures sanitaires. La stratégie zéro-Covid appliquée à Saint-Pierre-et-Miquelon a permis de retarder l’entrée du virus sur le territoire pour préparer les infrastructures sanitaires et pour permettre au plus grand nombre de se faire vacciner. Cette stratégie a contribué au faible impact sanitaire qu’a pu avoir le virus, mais au prix d’un isolement fort du territoire et des populations durant un an et demi.

Abstract

Saint Pierre and Miquelon is a French island territory of 5,974 inhabitants located in North America. As of March 2020, the health authorities adopted a zero-COVID strategy in order to protect the population and health structures. This article describes the epidemic dynamics of COVID-19 in Saint-Pierre and Miquelon with regard to the changing strategies applied from March 2020 to May 2022. Details of all associated health measures were collected from the prefecture. The epidemiological surveillance and vaccination data came from the networks set up by the Territorial Health Administration (ATS) and from the emergency department of the hospital. After a strict 6-week lock-down, measures for the isolation of cases and contacts and a significant reduction in air traffic were put in place. Vaccination started in March 2021 and there was quick uptake across all age groups. No community spread was observed before November 2021. Then three epidemic waves were observed, reaching a peak incidence rate of 9,687 cases/100,000 inhabitants. A single death related to COVID-19 was recorded. The virus entered the territory at a time when new variants appeared and while sanitary measures were relaxed. The zero-COVID strategy applied to Saint Pierre and Miquelon had the advantage of delaying the virus’s entry into the territory, which allowed time to prepare the health infrastructures and to vaccinate as many people as possible. This strategy contributed to the low health impact of the virus, but at the cost of heavily isolating the region and its people for a year and a half.

Introduction et contexte

Saint-Pierre-et-Miquelon est un territoire insulaire français d’Amérique du Nord. Il se situe dans l’océan Atlantique au sud de la province canadienne de Terre-Neuve. Pour y entrer ou en sortir, un transit par le Canada est obligatoire. D’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’archipel comptait 5 974 habitants en 2019 : 5 394 à Saint-Pierre (26 km2) et 580 à Miquelon-Langlade (216 km21. L’unique centre hospitalier (CH) de l’archipel est équipé en continu de 2 lits de réanimation. La population de Saint-Pierre-et-Miquelon est vieillissante et un déficit de personnes de 18-35 ans est constaté, dû à l’émigration liée aux études supérieures en France hexagonale ou au Canada.

Après son apparition fin 2019, le SARS-CoV-2 s’est rapidement propagé à travers le monde et a contaminé la quasi-totalité des pays en moins de 4 mois 2. Dès mars 2020, les autorités de Saint-Pierre-et‑Miquelon, comme celles de l’Australie, de la Chine, de la Nouvelle-Zélande ou de Singapour, ont adopté une stratégie sanitaire « zéro-Covid ». Celle-ci a visé à garder un taux d’incidence égal ou très proche de zéro permettant d’identifier chaque cas et de mettre en œuvre les mesures pour éviter l’induction de chaînes de transmission. Elle est mise en opposition de la stratégie de « vivre avec » ou d’atténuation qui consiste à limiter le taux d’incidence et donc l’impact en termes de morbidité et de mortalité. Cette dernière a été la plus adoptée à travers le monde, par exemple aux États-Unis, en Allemagne ou en France 3,4. Avant la mise sur le marché de la prophylaxie, ces deux stratégies se sont appuyées sur l’application de mesures sanitaires non pharmaceutiques telles que la distanciation physique, les restrictions de voyage, l’utilisation de masques, le dépistage ou le confinement, mais à des fréquences et des intensités différentes.

Alors que Saint-Pierre-et-Miquelon a initialement opté pour cette stratégie « zéro-Covid » afin de protéger sa population (limiter les cas graves et réduire la létalité) et son système de santé, l’archipel était en mai 2022 aligné sur la stratégie nationale française de « vivre avec ».

Dans cet article, nous décrirons les spécificités de la stratégie « zéro-Covid » appliquée à Saint-Pierre-et-Miquelon en mettant en parallèle la chronologie des événements décisionnels et la dynamique épidémique entre mars 2020 et mai 2022.

Matériel et méthode

L’ensemble des mesures sanitaires a été recueilli auprès du site de la préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon.

La liste des personnes positives à la Covid-19 a été récupérée auprès de l’ATS (Administration territoriale de santé). Un cas était considéré comme toute personne ayant un test RT-PCR ou TAG positif. Si, pour une même personne, deux tests positifs étaient espacés de moins d’un mois, seul le premier était conservé. Le taux d’incidence en population générale et par tranche d’âge a été calculé en rapportant le nombre de cas hebdomadaires à la population estimée par l’Insee en 2019.

Le nombre de passages aux urgences pour suspicion de Covid-19 a été collecté via le dispositif Oscour® 5. Chaque passage aux urgences y est renseigné avec, entre autres, le diagnostic principal et les diagnostics associés selon les codes de dixième révision de la Classification internationale des maladies (CIM-10) 6. Les codes B342, B972, U049, U071, U0710, U0711, U0712, U0714, U0715 ont été retenus pour décrire l’activité en lien avec la Covid-19. Le nombre de passages aux urgences hebdomadaires à l’hôpital par tranche d’âge a été décrit.

La liste des injections vaccinales réalisées à Saint-Pierre-et-Miquelon a été collectée auprès de l’ATS via une extraction du logiciel VAXI®, utilisé pour le suivi de la vaccination. L’estimation de la couverture vaccinale a été calculée en appariant cette liste à celle des inscrits à la Caisse de prévoyance sociale (CPS). Devant l’important turn-over de la population à Saint-Pierre-et-Miquelon et l’impossibilité de suivre le parcours de santé des patients dans l’Hexagone (la CPS n’étant pas reliée au système de l’Assurance maladie), il a été décidé de prendre en compte les personnes présentes depuis la première campagne de vaccination et toujours présentes au 31 mai 2022. Le nombre hebdomadaire de personnes vaccinées d’une, deux, ou trois doses, a été décrit.

Le nombre de décès en lien avec la Covid-19 a été obtenu auprès du CH et de l’ATS.

Résultats

Les mesures de freinage

Un confinement strict a été instauré du 17 mars 2020 au 26 avril 2020, et à moins d’un motif impérieux, les déplacements hors du domicile étaient interdits. Le déconfinement, plus précoce de deux semaines par rapport à l’Hexagone, a été décidé en l’absence de circulation virale, après équipement du CH en capacité de dépistage et en unité Covid, pour répondre à une volonté de la population et pour favoriser une reprise de la vie économique et sociale de l’archipel. Celui-ci était en tout point identique à celui mis en place dans l’Hexagone du 17 mars au 11 mai 2020, avec des restrictions sur les voyages spécifiques au contexte local. Les mesures sanitaires pouvaient être rassemblées en trois thèmes (figure 1) :

réduction et contrôle des flux de passagers entrant sur le sol Saint-Pierrais-et‑Miquelonnais : du 16 mars 2020 au 9 août 2021, malgré la fermeture des frontières canadiennes, un vol (d’une capacité maximale de 46 passagers) hors opération cargo toutes les deux semaines était maintenu en direction et en provenance de Paris en passant par Montréal pour assurer la continuité territoriale avec la métropole. À partir de juin 2020 la fréquence de ces vols était à nouveau d’un par semaine. Le nombre de vols a progressivement augmenté à partir du 13 août 2021 avec la reprise des connexions vers les villes canadiennes d’Halifax et Saint-Jean de Terre-Neuve ;

tests et isolement préventif : à partir du 20 mars 2020, toute personne arrivant sur l’archipel observait une période de 14 jours d’isolement notifiée par arrêté préfectoral. Cette dernière démarche permettait le contrôle fréquent des isolements par les autorités. Le 11 juillet 2020 cette mesure était remplacée par une obligation de présenter un test RT-PCR négatif de moins de 72h, un isolement de 7 jours couplé à un test 7 jours après l’arrivée. Avec la mise en œuvre de la vaccination le 9 juin 2021, la période d’isolement obligatoire de 7 jours ne concernait plus que les personnes non vaccinées, à l’arrivée sur le territoire ;

contact-tracing renforcé, isolement des cas et des contacts : les cas positifs étaient soumis à une période d’isolement de 14 jours, notifiée par arrêté préfectoral et levée sous condition d’un test RT-PCR négatif. Les contacts à risque, d’après la définition d’un contact du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) du 7 mai 2020, devaient également s’isoler et un test RT-PCR était réalisé après 14 jours pour pouvoir lever l’isolement s’il se révélait négatif. En juillet 2021, ces périodes d’isolement ont été réduites à 10 jours, puis à 7 jours en début d’année 2022 pour les personnes vaccinées. La recherche des contacts était effectuée par une cellule dédiée coordonnée par l’ATS autour de chaque cas confirmé.

Figure 1 : Évolution hebdomadaire du taux d’incidence, chronologie des mesures sanitaires et évolution de la couverture vaccinale à Saint-Pierre-et-Miquelon de mars 2020 à mai 2022
Agrandir l'image

La vaccination

Au 31 mai 2022, 5 467 personnes de 12 ans et plus étaient inscrites à la CPS, 5 069 personnes (93%) ont été incluses dans notre échantillon car déjà affiliées à la CPS lors des premières campagnes vaccinales. L’ensemble des adultes a eu accès à la vaccination dès mars 2021, et les 12-17 ans ont pu se faire vacciner à partir de juillet 2021. En 5 semaines, 67% des 18-29 ans, 75% des 30-64 ans et 74% des 65 ans et plus avaient reçu leur première dose de vaccin contre la Covid-19. La troisième dose fut disponible pour l’ensemble des adultes en semaine S47-2021. À cette période, 80% des 12 ans et plus avaient reçu deux doses de vaccin. Chez les 65 ans et plus, la couverture vaccinale de la troisième dose a dépassé les 70% à partir de la S02-2022 (figure 2).

Figure 2 : Évolution hebdomadaire de la couverture vaccinale par tranche d’âge des personnes résidant
à Saint-Pierre-et-Miquelon depuis le début des campagnes vaccinales, 31 mai 2022
Agrandir l'image

Dynamique épidémique et morbidité

Avant novembre 2021, aucune circulation active du SARS-CoV-2 n’a été observée. Trente-cinq personnes ont été dépistées positives sur cette période, principalement des cas isolés et importés avec une première contamination autochtone entre personnels de santé revenant d’une zone de circulation active en janvier 2021. L’identification élargie des cas et des contacts, leur isolement et la fermeture des établissements les ayant accueillis ont permis de rapidement stopper cette première chaîne de transmission de faible ampleur. Entre novembre 2021 et mai 2022, Saint-Pierre-et-Miquelon a connu 3 vagues épidémiques (figure 3, tableau).

Figure 3 : Évolution hebdomadaire du taux d’incidence de la Covid-19 par tranche d’âge de 15 ans,
à Saint-Pierre-et-Miquelon d’octobre 2021 à mai 2022
Agrandir l'image
Tableau : Synthèse des indicateurs épidémiologiques des trois vagues épidémiques de Saint-Pierre-et-Miquelon entre octobre 2021 et mai 2022
Agrandir l'image

La première vague de contaminations est intervenue quelques semaines après la réouverture des frontières canadiennes et la reprise régulière des vols commerciaux. Elle cumulait 65 cas (1% de la population) entre les semaines S45-2021 et S50-2021. Le pic épidémique a été atteint en S47-2021 avec un taux d’incidence de 649/100 000 habitants, soit 39 cas sur la semaine. Presque la moitié des personnes contaminées avaient plus de 60 ans (49%). Sept passages aux urgences en lien avec la Covid-19 ont été enregistrés sur cette période dont 3 ont été suivis d’une hospitalisation.

Le deuxième épisode est intervenu dans un contexte de fêtes de fin d’année et de durcissement des mesures sanitaires. Un test RT-PCR ou antigénique négatif de moins de 24h a été imposé pour entrer sur le territoire et le « pass sanitaire » (obligatoire pour entrer dans tous les lieux recevant du public, comme en France hexagonale) a été appliqué en début d’année 2022 7. Cet épisode a cumulé 867 cas (14,5% de la population) entre les semaines S52-2021 et S07-2022. Le pic a été atteint en S03-2022 avec un taux d’incidence de 3 329/100 000 habitants, soit 200 cas par semaine. Chez les 15-19 ans, le pic a été atteint en S01-2022 avec un taux d’incidence de 6 173/100 000 habitants. L’épidémie s’est étendue ensuite aux 0-14 ans et 30-44 ans dont les taux d’incidence maximum ont été atteints en S04-2022 (respectivement 5 839 et 5 172/100 000 habitants). Le seul décès en lien avec la Covid-19 sur la période étudiée a été rapporté cette même semaine. Durant cette vague, 6% des cas avaient 60 ans et plus. Onze passages aux urgences en lien avec la Covid-19 ont été enregistrés dont 3 ont entraîné une hospitalisation.

Le troisième épisode est survenu alors que les obligations liées au pass sanitaire et au port du masque dans les espaces clos ont été levées. Il cumulait 1 731 cas (29 % de la population) entre les semaines S09-2022 et S18-2022. Le pic a été atteint en S11-2022 avec un taux d’incidence de 9 687/100 000 habitants soit 582 par semaine. Les 0-14 ans et les 15-29 ans ont été les plus touchés avec des taux d’incidence maximum de respectivement 16 515 et 15 185/100 000 habitants. Trente passages aux urgences en lien avec la Covid-19 ont été enregistrés dont 10 ont entraîné une hospitalisation.

Discussion

Comme dans d’autres pays l’ayant adoptée, la stratégie zéro-Covid, combinaison de plusieurs mesures de freinage, a certainement participé à la préservation de Saint-Pierre-et-Miquelon de toute diffusion communautaire jusqu’en novembre 2021 8,9,10,11. Son objectif initial était de retarder la morbidité pour préparer le territoire et le système de santé. Cette période sans circulation virale a notamment permis au CH d’acquérir du matériel (des appareils PCR et réactifs pour effectuer les tests localement, des masques à destination de son personnel et de la population, du matériel de réanimation), de préparer ses infrastructures (unité Covid avec équipe de soignants dédiée, augmentation des capacités de réanimation) et aux autorités sanitaires de renforcer les procédures et partenariats existant avec les hôpitaux canadiens proches pour la prise en charge des patients les plus graves ou en cas d’afflux massif. C’est aussi pendant cette période que la vaccination a pu être proposée et que la communication à destination de la population a pu être faite et adaptée avec l’acquisition des connaissances.

Le relâchement progressif des mesures de freinage non pharmaceutiques s’est basé sur des indicateurs sanitaires (taux d’incidence, taux de vaccination) mais aussi sur des considérations structurelles, sociales et économiques. En effet, l’isolement total de ce petit territoire (l’île principale mesure 26 km² et accueille plus de 90% de la population) a eu des répercussions non négligeables sur les habitants qui ont éprouvé un sentiment d’enfermement et qui pouvaient être éloignés pour de longues périodes de leurs proches, résidant au Canada ou en France hexagonale.

La diffusion communautaire a été concomitante de la reprise de la circulation de passagers par voie aérienne et maritime, de relâchements des mesures sanitaires et de l’apparition de nouveaux variants au niveau mondial. Début 2022, la diffusion du variant Omicron et sa forte contagiosité ont perturbé plusieurs territoires qui avaient opté pour une stratégie zéro-Covid 12,13,14,15. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les taux d’incidence atteints pendant les épisodes épidémiques ont été particulièrement importants (jusqu’à 9 687 cas pour 100 000 habitants). Ceci pourrait s’expliquer par la contagiosité des variants circulant en France, au Canada et probablement à Saint-Pierre-et-Miquelon durant cette période. Il a pu y avoir également une lassitude de la population, 2 ans après le début de la pandémie, à appliquer rigoureusement les gestes barrières. La construction sociale de l’archipel (grande proximité entre les habitants, importante vie associative, habitants aux rôles professionnels et sociaux multiples dans la communauté, lieux d’interactions sociales communs à tous) a possiblement favorisé la diffusion virale, ainsi qu’une population restée immunologiquement naïve face au virus.

Malgré ces épisodes épidémiques forts, l’impact sur la mortalité et sur la morbidité a semblé modéré, le CH n’ayant jamais été sous tension et peu de cas graves ayant été signalés. La vaccination massive de la population et particulièrement des populations âgées ou présentant des facteurs de risque a probablement largement participé à limiter l’impact sur le système hospitalier. Les personnes âgées de 60 ans et plus ont été moins contaminées que les autres tranches d’âge lors des deux vagues épidémiques les plus importantes. La première vague épidémique, qui les a majoritairement concernés, a pu être un événement clé dans le développement de leur vigilance, en plus des communications de prévention les ciblant. L’âge étant un facteur de risque important dans le développement de formes graves de la Covid-19, la faible contamination des aînés a certainement préservé le système hospitalier 16. La construction sociale de l’archipel a permis une identification rapide des cas et des contacts par les autorités, mais également par la population qui pouvait jauger le risque encouru à rendre visite à ses aînés. À l’inverse, en Chine et à Hong-Kong où la stratégie zéro-Covid a également été adoptée, l’introduction et la propagation rapide du variant Omicron a entraîné des vagues de mortalité importante (Hong-Kong avait un des plus haut taux de mortalité au monde en début d’année 2022), notamment en raison d’une couverture vaccinale relativement faible chez les ainés 14,17,18. D’après les données mises à disposition par Santé publique France (non disponibles pour Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie), Saint-Pierre-et-Miquelon a été le seul département ultramarin français à avoir fait vacciner sa population avant toute diffusion communautaire du virus 19.

La bonne couverture vaccinale de la population avant les épisodes de circulation virale de Saint-Pierre-et-Miquelon a certainement été favorisée par la petite taille du territoire et la forte proximité de l’ensemble des services sanitaires, ainsi que par des campagnes d’information et de promotion menées avec les professionnels de santé locaux. Comme observé sur le territoire hexagonal, l’adhésion aux deux premières injections vaccinales a été supérieure à celle relevée pour la dose de rappel. En plus des facteurs socio-économiques mis en évidence concernant l’adhésion à la vaccination en Europe, la situation géographique et politique de l’archipel a pu favoriser cette adhésion 20. En effet, le Canada a eu une politique très stricte concernant la vaccination des étrangers, or, de nombreux Saint-Pierrais possèdent des biens ou de la famille sur ce territoire qui est également un point de passage obligatoire de l’ensemble des avions et bateaux sortant de l’archipel.

Saint-Pierre-et-Miquelon est un petit territoire insulaire, qui, comme la majorité de ces territoires, était encore indemne de Covid-19 fin 2021 21. L’absence de frontière terrestre et la petite taille de la population permettent de contrôler plus facilement les flux de population et toute introduction du virus. De plus, contrairement à d’autres départements d’outre-mer français, Saint-Pierre-et-Miquelon est moins dépendant du tourisme, ce qui a permis aux autorités de retarder le retour à la normale des flux de population 22.

L’impact sur la santé mentale et l’économie de Saint-Pierre-et-Miquelon n’a pas été abordé dans cette étude. Dans son rapport de 2020, l’Institut d’émission des départements d’outre-mer (IEDOM) conclut que la crise sanitaire a eu un impact modéré sur l’économie de l’archipel. Concernant la santé mentale, l’isolement sur un petit territoire insulaire, l’anxiété liée à une crise sanitaire et la pression sociale sur les cas positifs (surtout au début de la crise) ont certainement impacté la population. Un approfondissement de ce sujet par des enquêtes serait utile.

Conclusion

La stratégie zéro-Covid adoptée en début d’épidémie (isolement quasi total du territoire) n’était économiquement et socialement pas viable sur le long terme. De cet exemple, nous pouvons retirer avec beaucoup de prudence que cette stratégie a pu être efficace en permettant la vaccination massive de la population et a renforcé le système de santé. Le caractère insulaire de Saint-Pierre-et-Miquelon a paru être un avantage non négligeable pour la mise en place de contrôles stricts des flux de population. La restriction des entrées de personnes sur le territoire et leur isolement systématique apparait avoir été la mesure la plus efficace pour maintenir un taux d’incidence nul.

Remerciements

Nous remercions la directrice de l’Administration territoriale de santé (ATS) de Saint-Pierre-et-Miquelon pour son rôle central dans la gestion de la crise sanitaire à Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous remercions également tous les professionnels de santé de l’archipel, libéraux, hospitaliers ou salariés pour leur implication dans la surveillance de la Covid-19. Et enfin, nous remercions particulièrement les équipes de l’ATS fortement mobilisées pendant cette pandémie.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Institut national de la statistique et des études économiques. Recensement de la population 2019. Montrouge: Insee ; 2022. https://www.insee.fr/fr/statistiques/6456161?sommaire=6456166#consulter-sommaire
2 World Health Organization. Coronavirus Disease (COVID-19) situation reports. Geneva: WHO; 2023. https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/situation-reports
3 Summers J, Cheng HY, Lin HH, Barnard LT, Kvalsvig A, Wilson N, et al. Potential lessons from the Taiwan and New Zealand health responses to the COVID-19 pandemic. Lancet Reg Health-West Pac. 2020;4:100044.
4 Lu G, Razum O, Jahn A, Zhang Y, Sutton B, Sridhar D, et al. COVID-19 in Germany and China: Mitigation versus elimination strategy. Glob Health Action. 2021;14(1):1875601.
5 Pognon D, Filleul L, Adrien J-B, Campos R, Le Garnec A, Bourdillon F. Développement de la surveillance sanitaire à Saint-Pierre-et-Miquelon. Bull Épidémiol Hebd. 2020;(15):313-21. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/
2020/15/2020_15_3.html
6 Caserio-Schönemann C, Bousquet V, Fouillet A, Henry V, pour l’équipe projet SurSaUD®. Le système de surveillance syndromique SurSaUD®. Bull Épidémiol Hebd. 2014;(3-4):38-44. http://beh.santepubliquefrance.fr/
beh/2014/3-4/2014_3-4_1.html
7 Préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon. Arrêté n°15 du 11 janvier 2022 portant institution du pass sanitaire à Saint-Pierre et Miquelon. 2022. https://www.saint-pierre-et-miquelon.gouv.fr/Media/Files/AP-n-15-du-11-janvier-2022-portant-institution-du-pass-sanitaire
8 Lai S, Ruktanonchai NW, Zhou L, Prosper O, Luo W, Floyd JR, et al. Effect of non-pharmaceutical interventions to contain COVID-19 in China. Nature. 2020;585(7825):410-3.
9 Haug N, Geyrhofer L, Londei A, Dervic E, Desvars-Larrive A, Loreto V, et al. Ranking the effectiveness of worldwide COVID-19 government interventions. Nat Hum Behav. 2020;4(12):1303-12.
10 Ryan J, Mazingisa AV, Wiysonge CS. Cochrane corner: Effectiveness of quarantine in reducing the spread of COVID-19. Pan Afr Med J. 2020;35(Suppl 2):18.
11 Kiang MV, Chin ET, Huynh BQ, Chapman LA, Rodríguez-Barraquer I, Greenhouse B, et al. Routine asymptomatic testing strategies for airline travel during the COVID-19 pandemic: A simulation study. Lancet Infect Dis. 2021;21(7):929-38.
12 Campbell F, Archer B, Laurenson-Schafer H, Jinnai Y, Konings F, Batra N, et al. Increased transmissibility and global spread of SARS-CoV-2 variants of concern as at June 2021. Eurosurveill. 2021;26(24):2100509.
13 Burki T. Dynamic zero COVID policy in the fight against COVID. Lancet Respir Med. 2022;10(6):e58-e9.
14 Cheung PH, Chan CP, Jin DY. Lessons learned from the fifth wave of COVID-19 in Hong Kong in early 2022. Emerg Microbes Infect. 2022;11(1):1072-8.
15 Karim SSA, Karim QA. Omicron SARS-CoV-2 variant: A new chapter in the COVID-19 pandemic. Lancet. 2021;398(10317):2126-8.
16 Gallo Marin B, Aghagoli G, Lavine K, Yang L, Siff EJ, Chiang SS, et al. Predictors of COVID-19 severity: A literature review. Rev Med Virol. 2021;31(1):1-10.
17 Smith DJ, Hakim AJ, Leung GM, Xu W, Schluter WW, Novak RT, et al. COVID-19 mortality and vaccine coverage—Hong Kong special administrative region, China, January 6, 2022-March 21, 2022. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2022;71(15):545-8.
18 World Health Organization. WHO health emergency dashboard. Geneva: WHO; 2023. https://covid19.who.int
19 Santé publique France. Données de laboratoires pour le dépistage – SI-DEP 2023. https://www.data.gouv.fr/
fr/datasets/donnees-de-laboratoires-pour-le-depistage-a-compter-du-18-05-2022-si-dep/
20 Borga LG, Clark AE, D’Ambrosio C, Lepinteur A. Characteristics associated with COVID-19 vaccine hesitancy. Sci Rep. 2022;12(1):12435.
21 World Health Organization. WHO Coronavirus (COVID-19) dashboard. Geneva: WHO. https://covid19.who.int/
table
22 Institut d’émission des départements d’outre-mer. Rapport annuel 2019 de l’IEDOM – Guadeloupe. Les Abymes: IEDOM; 2020. 190 p. https://www.iedom.fr/guadeloupe/publications/rapports-annuels/rapports-annuels-economi
ques/article/rapport-annuel-2019-de-l-iedom-guadeloupe

Citer cet article

Montaufray MA, Pognon D, Campos J, Letournel C, Filleul L. Décryptage d’une stratégie zéro-Covid-19 en territoire insulaire : l’exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon. Bull Épidémiol Hebd. 2024;(1):11-7. http://beh.santepublique
france.fr/beh/2024/1/2024_1_2.html