Expositions aux poussières de bois chez les travailleurs salariés et non-salariés en France en 2017

// Exposure to wood dust among employees and self-employed workers in France in 2017

Stéphane Ducamp* (stephane.ducamp@santepubliquefrance.fr), Loïc Garras*, Marie-Tülin Houot, Corinne Pilorget
Santé publique France, Saint-Maurice
* Ces auteurs ont contribué de façon égale à cet article.
Soumis le 14.10.2022 // Date of submission: 10.14.2022
Mots-clés : Poussières de bois | Exposition professionnelle | Matrice emplois-expositions | Prévalence | Statut du travailleur
Keywords: Wood dust | Occupational exposure | Job-exposure matrix | Prevalence | Worker status

Résumé

Objectif –

Cette étude présente l’exposition aux poussières de bois chez les travailleurs salariés et non-salariés en France en 2017 selon le sexe et les professions et secteurs d’activité.

Méthode –

Les données du recensement de 2017 ont été croisées avec la matrice emplois-expositions aux poussières de bois du programme Matgéné. Le nombre et la part de travailleurs exposés ont été estimés selon le statut du travailleur (salariés vs non-salariés), le sexe, la profession et le secteur d’activité.

Résultats –

En 2017, près de 305 000 travailleurs étaient exposés aux poussières de bois (1,2% des actifs en emploi), représentant 212 000 salariés et 93 000 non-salariés. Chez les travailleurs exposés non-salariés, 55% exerçaient dans le secteur des travaux de construction spécialisés, 16% dans les services relatifs aux bâtiments et aménagement paysager et 8% dans la sylviculture. Les travailleurs salariés exposés travaillaient, eux, dans le secteur des travaux de construction spécialisés (38%), celui du travail du bois, sauf fabrication de meubles (14%) et celui du commerce de gros (10%).

Conclusion –

Cette étude est la première réalisée sur l’ensemble de la population active française qui distingue les deux sous-populations salariée et non-salariée. Elle montre notamment que la sous-population des travailleurs non-salariés représente une part non négligeable des exposés, alors que ces travailleurs ne bénéficient d’aucun suivi dans le cadre de la médecine du travail ou de système de reconnaissance des pathologies professionnelles.

Abstract

Objectives –

This study assesses occupational exposure to wood dust among employees and self-employed workers in France in 2017 by sex, occupation and industry.

Methods –

French census data from 2017 were linked with the Matgéné programme’s job-exposure matrix to wood dust. The number and the proportion of exposed workers were estimated by the worker’s status (employee vs self-employed), sex, occupation and industry.

Results –

In 2017, almost 305,000 workers were exposed to wood dust (1.2% of the active working population): 212,000 employees and 93,000 self-employed. Among self-employed exposed workers, 55% worked in specialized construction activities, 16% in the services to building and landscape activities, and 8% in the forestry and logging activities. Employees exposed workers occupied roles in the specialized construction activities (38%), in the woodwork trades except furniture (14%) and in the wholesale trade (10%).

Conclusion –

 This study is the first to consider the entire French working population and to distinguish the two sub-populations of employees and self-employed workers. It particularly shows that the sub-population of self-employed workers represents a significant proportion of exposed, even though these workers do not benefit from any follow-up by occupational physicians or from recognition system for occupational pathology.

Introduction

Le bois est un des matériaux naturels les plus utilisés dans de nombreux secteurs professionnels (construction, fabrication de meubles, d’instruments de musique, etc.). La majorité des opérations effectuées sur le bois, depuis la découpe des arbres jusqu’aux finitions, entraîne une libération plus ou moins importante de poussières auxquelles les travailleurs peuvent être exposés. En fonction des actions mécaniques exercées sur le bois, les poussières générées peuvent être plus ou moins fines (les activités de bûcheronnage émettent par exemple des poussières globalement plus grossières que les activités de ponçage).

Les poussières de bois inhalables sont définies en vertu du Code du travail comme « toute particule solide dont le diamètre aérodynamique est au plus égal à 100 micromètres ou dont la vitesse limite de chute, dans les conditions normales de température, est au plus égale à 0,25 mètre par seconde » 1.

Ces poussières de bois peuvent provoquer diverses pathologies respiratoires ou cutanées comme l’asthme, la rhinite ou l’eczéma, mais aussi des cancers. L’Union européenne a classé les travaux exposant aux poussières de bois « durs » comme cancérogènes 2 et a fixé les limites d’exposition professionnelle à 3 mg/m3 pour les poussières inhalables de bois dur jusqu’au 17 janvier 2023 et à 2 mg/m3 après cette date 3. Le terme « bois dur » désigne principalement le bois des feuillus ou celui d’arbres angiospermes (graines protégées par un fruit), à l’opposé du bois tendre, qui provient plus généralement de résineux ou d’arbres conifères (gymnospermes). Le Centre international de recherche sur le cancer a classé les poussières de bois (toutes essences) dans le groupe 1 des cancérogènes avérés pour l’Homme pour les cancers des fosses nasales et des sinus de la face en 1995 4 et pour le nasopharynx en 2012 5.

En 2000, la France a quant à elle classé les travaux exposant aux poussières de bois inhalables sur la liste des substances, préparations et procédés cancérogènes 6 et a défini, depuis 2004, une valeur limite d’exposition réglementaire contraignante de 1 mg/m3 sur huit heures dans les atmosphères de travail, quelle que soit l’essence de bois. Il existe par ailleurs des tableaux de maladies professionnelles pour les affections provoquées par les poussières de bois (tableau 47 pour le Régime général 7 et tableau 36 pour le Régime agricole 8).

En 2017, 69 cancers d’origine professionnelle (11 carcinomes des fosses nasales et 58 cancers primitifs de l’ethmoïde et des sinus) imputables aux poussières de bois ont été indemnisés au titre du tableau 47 des maladies professionnelles 7. Cela représente 16,7% des cancers reconnus d’origine professionnelle non liés à l’amiante 9. Pour le Régime agricole, le nombre de reconnaissances (toutes pathologies) fluctue entre 1 et 7 entre 2000 et 2015 8.

En France, l’enquête Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels (Sumer) de 2016-2017, pilotée par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du Travail (Dares) et conduite auprès d’un échantillon de 26 500 salariés, a montré que l’exposition aux poussières de bois concernait 444 200 salariés (1,8% de l’ensemble des salariés) en 2017 10. Cependant, cette estimation ne concerne que la population salariée, alors que l’exposition aux poussières de bois est liée à des activités qui sont aussi très présentes chez les travailleurs non-salariés (artisans du bâtiment par exemple) ; il est donc important de pouvoir documenter l’exposition pour l’ensemble des travailleurs, salariés et non-salariés.

Santé publique France coordonne le programme Matgéné qui vise à construire des matrices emplois-expositions (MEE) et à produire des indicateurs d’expositions professionnelles pour l’ensemble des travailleurs quel que soit leur statut 11. Une matrice a été spécifiquement développée pour évaluer l’exposition professionnelle aux poussières de bois inhalables par les travailleurs en France. L’objectif de cette étude est d’estimer le nombre et la proportion de travailleurs, quel que soit leur statut (salariés et non-salariés), exposés aux poussières de bois en France en 2017, selon le sexe et certains groupes professionnels ou secteurs d’activité, à partir de l’évaluation de l’exposition fournie par la MEE Matgéné.

Méthode

Évaluation de l’exposition

La MEE évalue, pour tous les emplois en France entre 1970 et 2020, l’exposition aux poussières de bois inhalables, quelle que soit l’essence de bois utilisée. Elle est élaborée par expertise, c’est-à-dire que pour chaque emploi, une évaluation de l’exposition est effectuée par des hygiénistes industriels sur la base de leurs connaissances du contexte professionnel (tâches exposantes, matériaux et outils utilisés, etc.) et de l’évolution de la réglementation, ainsi que des pratiques professionnelles concernant la nuisance étudiée. Les experts ont attribué une probabilité d’exposition, définie comme la proportion de travailleurs exposés dans l’emploi, pour chaque emploi jugé exposé. Cet indice est présenté sous la forme d’un intervalle en cinq classes (tableau 1).

Les emplois sont considérés exposés dès lors qu’au moins 1% des travailleurs au sein de l’emploi est exposé lors de la réalisation des activités habituelles ; les activités trop occasionnelles ne sont pas prises en compte dans l’évaluation (ex : les arboriculteurs n’ont pas été considérés exposés malgré la réalisation ponctuelle de tronçonnage des arbres).

Les emplois dans la MEE sont définis selon la nomenclature d’activité française (NAF) 12,13,14 pour les secteurs d’activité et la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) 15,16 pour les professions. La version de la MEE utilisée pour les analyses est celle sur laquelle les emplois sont codés en PCS 2003 et NAF 2008.

La matrice fournit une évaluation des probabilités selon des périodes homogènes en termes d’exposition. Les périodes sont définies selon les réglementations successives et les évolutions des conditions d’exposition aux poussières de bois dans différents secteurs d’activité (tableau 1).

Les périodes retenues sont, pour tous les secteurs, hors menuiserie :

1970-1995 (1970 : amélioration globale des conditions de travail) ;

1996-2005 (1993 : valeur limite d’exposition professionnelle sur 8 heures (VLEP-8H) admise à 3 mg/m3 avec 1 mg/m3 comme objectif pour 1997 et classement cancérogène en 2000) ;

2006-2020 (2006 : VLEP-8H réglementaire à 1 mg/m3).

Les périodes retenues pour le secteur de la menuiserie sont :

1970-1984 (1970 : amélioration globale des conditions de travail) ;

1985-1995 (1985 : augmentation de la part des menuiseries plastiques) ;

1996-2005 (1993 : VLEP-8H admise à 3 mg/m3, avec 1 mg/m3 comme objectif pour 1997 et classement cancérogène en 2000) ;

2006-2020 (2006 : VLEP-8H réglementaire à 1 mg/m3).

L’évaluation de l’exposition est une estimation moyennée pour chaque emploi défini par un couple PCS x NAF et pour chaque période, qui tient compte de la variabilité des emplois regroupés sous un même code, de la variabilité des tâches réalisées et des situations d’exposition rencontrées.

Tableau 1 : Caractéristiques de la matrice « Poussières de bois » du programme Matgéné
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Population

Pour étudier l’évolution de l’exposition professionnelle aux poussières de bois en France, les données du recensement de la population millésimées 2017 incluant les enquêtes annuelles des recensements de 2015 à 2019 ont été utilisées. Ces données, détaillées par profession et secteur d’activité, sont produites par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) 17. Elles portent sur l’ensemble des emplois des actifs en emploi en France (de 20 à 74 ans) par âge, sexe et département de résidence.

Estimation des indicateurs d’exposition

Les données du recensement de 2017 ont ensuite été croisées avec la MEE à partir des codes des professions et secteurs d’activité, et la période d’exposition correspondante à l’année du recensement.

Le nombre de travailleurs exposés aux poussières de bois a alors été calculé en multipliant la probabilité d’exposition fournie par la MEE (centre de la classe de probabilité) par l’effectif de travailleurs dans l’emploi. La part de travailleurs exposés est obtenue en divisant la somme de ces effectifs exposés par le nombre d’actifs en emploi dans la population. Un intervalle de sensibilité (IS) a ensuite été calculé en prenant la borne inférieure et la borne supérieure de chaque classe de probabilité dans les calculs.

Résultats

En 2017, on dénombrait près de 305 000 (IS: [227 000-395 000]) travailleurs exposés aux poussières de bois, soit une proportion d’exposés de 1,2% [0,9-1,5] (tableau 2). La disparité hommes/femmes est importante, avec un peu moins de 24 400 femmes exposées (0,2% des travailleuses, [0,1-0,3]) contre plus de 280 600 hommes (2,1% [1,6-2,7]).

La proportion d’exposés aux poussières de bois est trois fois plus importante chez les travailleurs non-salariés que chez les travailleurs salariés (3,0% vs 0,9% chez les hommes et 0,6% vs 0,2% chez les femmes).

Tableau 2 : Nombre et proportion de travailleurs exposés aux poussières de bois selon le sexe en France en 2017
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Les analyses par secteurs et professions sont présentées chez les hommes uniquement.

Chez les hommes, la proportion de travailleurs exposés est très élevée (>50%) dans deux grands secteurs : le secteur « 02-Sylviculture » et le secteur « 16-Travail du bois, sauf la fabrication de meubles » (figure 1). Cette proportion est plus élevée chez les non-salariés que chez les salariés quel que soit le secteur observé. Les secteurs « 02-Sylviculture » et « 16-Travail du bois, sauf la fabrication de meubles » sont les deux secteurs avec la proportion de non-salariés la plus importante (84,9% et 71,4%). Ces deux secteurs ne comptent cependant qu’un nombre restreint de travailleurs, donc d’exposés (16 365 et 32 320), en comparaison avec le secteur « 43-Travaux de construction spécialisés » qui a une plus faible proportion d’exposés (10,3%) mais un plus grand nombre d’exposés recensés (169 400).

Figure 1 : Part des travailleurs exposés aux poussières de bois selon leur statut et secteur d’activité chez les hommes en France en 2017
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La répartition des exposés par catégorie socioprofessionnelle chez les hommes (figure 2) montre une prédominance des métiers de type artisanal sur les autres types de catégories professionnelles. En effet, 57% des exposés sont soit des « 21-Artisans » (27%), soit des « 63-Ouvriers qualifiés de type artisanal » (21%) ou des « 68-Ouvriers non qualifiés de type artisanal » (9%). Les ouvriers du milieu industriel ne représentent que 28% des exposés et le monde agricole seulement 7% des exposés.

Figure 2 : Répartition des hommes exposés aux poussières de bois selon la catégorie socioprofessionnelle en France en 2017
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Parmi les travailleurs exposés, le secteur « 43-Travaux de construction spécialisés », qui inclut les activités de menuiserie du bâtiment, représente 55% des exposés de la population non-salariée et 38% de la population salariée (figure 3) alors que les non-salariés ne représentent que 39% du total des exposés du secteur.

Le secteur « 81-Services relatifs aux bâtiments et aménagement paysager » est ensuite le secteur le plus représenté chez les non-salariés (16%), où 60% des exposés sont non-salariés.

Chez les salariés, le secteur « 16-Travail du bois, sauf la fabrication de meubles » représente 14% des exposés.

Figure 3 : Répartition des travailleurs exposés aux poussières de bois selon leur statut et secteur d’activité chez les hommes en France en 2017
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La proportion d’exposés aux poussières de bois (hommes et femmes) est géographiquement disparate (figure 4). Elle est globalement plus élevée sur un grand quart sud-ouest ainsi que sur la façade est du territoire. Mais, une proportion faible d’exposés peut toutefois représenter un nombre d’exposés relativement important pour certains départements (Nord, Rhône, Seine-et-Marne ou Bouches-du-Rhône par exemple). Le détail de ces proportions d’exposés par département est consultable sur le site Géodes, l’observatoire cartographique des indicateurs épidémiologiques produits par Santé publique France.

En raison d’un nombre faible de femmes dans les secteurs et professions concernés, les résultats pour les femmes ne sont pas présentés en détail dans l’article. On peut toutefois relever que les femmes ne sont pas exposées dans les mêmes secteurs que les hommes. Par exemple, parmi les travailleurs salariés exposés, chez les hommes, le secteur où l’on retrouve le plus d’exposés est celui des « 43-Travaux de construction spécialisées » (38%), alors que chez les femmes, il s’agit du secteur « 46-Commerce de gros » (27%). Chez les travailleurs non-salariés exposés, le secteur avec le plus d’exposés retrouvés à la fois chez les hommes et chez les femmes est le secteur « 43-Travaux de construction spécialisés » (55% et 22% respectivement).

Figure 4 : Répartition géographique des proportions et nombre de travailleurs (hommes et femmes) exposés aux poussières de bois en France en 2017
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Discussion

En 2017, près de 305 000 travailleurs étaient exposés aux poussières de bois (1,2% des actifs en emploi). Ce chiffre peut paraître faible étant donné la relative ubiquité du bois comme matériau dans la construction, la décoration ou la fabrication d’objets du quotidien, mais on observe une forte concentration des activités de production sur un nombre restreint de secteurs et métiers assez spécifiques du travail du bois.

Les hommes sont 10 fois plus nombreux que les femmes à être exposés. En effet, les métiers du bois, techniques ou physiquement exigeants (scieries, charpentes, etc.) ont longtemps été réservés aux hommes. Le nombre de femmes travaillant dans ces métiers est cependant en augmentation ces dernières années (34 900 en 1990 et 64 632 en 2017). Les expositions chez les femmes devraient donc continuer à augmenter à l’avenir.

La grande majorité des exposés sont des salariés, dont une grande partie de travailleurs de type artisanal. Ceci peut s’expliquer par le fait que le bois est un matériau « noble », qui, dans la majorité des cas, demande un savoir-faire particulier, plutôt présent dans le monde de l’artisanat et de la petite industrie. De plus, de par l’automatisation des tâches dans l’industrie, un nombre plus limité de travailleurs est nécessaire pour la réalisation de grandes séries, minimisant ainsi le nombre de potentiels exposés au sein de chaque activité.

Évaluation de l’exposition

L’évaluation des expositions par MEE présente quelques limites liées à la méthode d’élaboration des matrices. Ainsi, les nomenclatures d’emploi utilisées pour décrire les emplois dans les matrices présentent certaines limites. Les codes des nomenclatures regroupent parfois des professions ou des activités hétérogènes pour lesquelles l’exposition diffère, obligeant à définir une exposition moyenne pour un même code. Des variabilités sont possibles au sein des professions regroupées dans un même code en termes de tâches réalisées ou de situations d’exposition rencontrées : cycles de production, saisonnalités, alternance de tâches exposantes et non exposantes, etc. L’évaluation par expertise est également dépendante de la connaissance de l’expert et des informations disponibles pour élaborer la matrice.

L’estimation des prévalences d’exposition a utilisé les centres des classes de la probabilité d’exposition fournie par la MEE (pour une classe de probabilité entre 30% et 50%, la valeur de 40% a été retenue pour nos calculs). Les résultats présentés dans cet article sont donc soumis à une incertitude liée à l’évaluation par expertise, qui est prise en compte par des intervalles de sensibilité calculés en prenant la borne inférieure et la borne supérieure de chaque classe de probabilité.

Les MEE restent cependant les outils les plus adaptés pour évaluer les expositions sur de larges populations où le recours à l’évaluation individuelle est impossible 18. De plus, la MEE Matgéné donne une évaluation pour l’ensemble des emplois en France.

Comparaison à d’autres études

L’enquête française Sumer a estimé que 444 300 salariés étaient exposés aux poussières de bois en 2017 (1,8%). Notre étude montre que 212 200 [156 250-277 140] (soit 0,9% [0,7%-1,2%]) salariés sont exposés pour cette même année.

La différence de méthode employée entre Sumer et Matgéné (expertise de médecins du travail sur la dernière semaine travaillée vs exposition moyennée de l’année sur la période dans notre étude ; échantillon de 26 500 salariés vs ensemble de la population salariée) peut être une piste pour expliquer cet écart. En outre, dans notre étude, des professions avec des fréquences d’exposition jugées trop faibles n’ont pas été considérées comme exposées dans la matrice (arboriculteur lors de la taille des arbres fruitiers par exemple).

Cependant, on retrouve la même répartition des exposés dans les deux études : les ouvriers qualifiés sont les plus exposés (65,8% vs 57,6%), suivis des ouvriers non qualifiés ou agricoles (20,3% vs 31,1%) puis des professions intermédiaires (agents de maîtrise, techniciens ou contremaîtres) (7,4% vs 8,1%).

Des données françaises, obtenues à partir d’une MEE européenne adaptée au contexte local, apportent des résultats proches des nôtres. L’objectif de cette étude européenne (25 états membres) était d’estimer les expositions professionnelles aux poussières de bois à partir de différentes sources de données (statistiques nationales, questionnaires par pays, enquêtes auprès des entreprises, mesures de l’exposition et avis d’experts), afin de produire des estimations préliminaires de l’exposition à différents types de poussières de bois. Pour la partie française, 1,3% des travailleurs ont été estimés exposés aux poussières de bois entre 2000 et 2003. Les résultats sont identiques dans l’étude italienne (1,3%) et très proches en Catalogne (Espagne) avec 1,5% de travailleurs exposés aux poussières de bois en 2009 19,20,21. Les résultats du croisement avec notre MEE sur les périodes citées sont du même ordre de grandeur, avec 1,6% [1,2-1,9] en 1999, 1,3% [1,0-1,7] en 2007 et 1,3% [1,0-1,7] en 2011. Aucune de ces trois études ne différencie les statuts des travailleurs, contrairement à la nôtre.

Perspectives

Ces travaux documentent l’exposition professionnelle aux poussières de bois en France pour l’ensemble de la population des travailleurs (travailleurs salariés et non-salariés) en 2017. La matrice comporte également un niveau d’exposition relatif qui permet de hiérarchiser les emplois les uns par rapport aux autres. Ces niveaux d’exposition évalués dans la matrice n’ont pas été pris en compte dans les résultats présentés ici. Les travaux en cours sur la MEE permettront de quantifier plus précisément ces niveaux et d’identifier les professions et les secteurs où les expositions sont les plus fortes.

Le croisement de la MEE avec un échantillon de calendriers professionnels de la population permettra d’évaluer les proportions d’exposition vie entière 22. Ceci est une étape préalable aux calculs de fraction de risques attribuables qui permettront d’estimer le nombre de cas de cancers spécifiquement liés à l’exposition professionnelle aux poussières de bois et de le comparer aux 69 cancers professionnels reconnus en 2017.

En conclusion, cette étude permet d’identifier les professions et les secteurs d’activité exposant les travailleurs aux poussières de bois en France en 2017 et de mettre en évidence le nombre total de travailleurs exposés. Ces résultats constituent une base d’information sur l’évolution de l’exposition professionnelle à cette nuisance cancérogène et ont vocation à alimenter des protocoles d’élaboration de politiques de prévention sur des groupes professionnels ciblés. C’est d’ailleurs à notre connaissance la seule étude réalisée sur l’ensemble de la population active française qui distingue les deux sous-populations salariée et non-salariée. Elle montre notamment que la sous-population des travailleurs non-salariés représente une part non négligeable des exposés, alors que ces travailleurs ne bénéficient d’aucun suivi dans le cadre de la médecine du travail ou de système de reconnaissance des pathologies professionnelles. Une exploitation des données de la Cohorte pour la surveillance épidémiologique en lien avec le travail (Coset) menée par Santé publique France, portant sur la population des travailleurs indépendants et des travailleurs affiliés à la Mutualité sociale agricole, pourrait permettre d’affiner les connaissances sur le travail du bois pour cette sous-population de travailleurs, afin de mieux cibler les recommandations en matière de prévention 23.

Les matrices du programme Matgéné sont consultables en ligne sur le portail Exp-pro, mis en place par Santé publique France. Ce portail met à disposition de tout public des outils d’aide à l’évaluation des expositions professionnelles.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Ministère du Travail. Code du travail, Article R. 4222-3 du 7 mars 2008. Chapitre II : Aération, assainissement. Section 1 : Principes et définitions. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000018532336
2 Parlement européen CE. Directive 2004/37/CE du 29 avril 2004 concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail. JO de l’Union européenne. https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:229:0023:0034:fr:PDF
3 Parlement européen CE. Directive (UE) 2019/130 du 16 janvier 2019 portant modification de la directive 2004/37/CE concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail. JO de l’Union européenne du 31 janvier 2019. https://eur-lex.europa.eu/
legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32019L0130&from=FR
4 International Agency for Research on Cancer. Wood dust and formaldehyde. IARC Monographs on the evaluation of carcinogenic risks to humans. Volume 62. Lyon: IARC; 1995. 423 p. https://publications.iarc.fr/Book-And-Report-Series/Iarc-Monographs-On-The-Identification-Of-Carcinogenic-Hazards-To-Humans/Wood-Dust-And-Formaldehyde-1995
5 International Agency for Research on Cancer. Arsenic, metals, fibres, and dusts. IARC Monographs on the evaluation of carcinogenic risks to human. Volume 100 C. Lyon: IARC; 2012.527 p. https://publications.iarc.fr/Book-And-Report-Series/Iarc-Monographs-On-The-Identification-Of-Carcinogenic-Hazards-To-Humans/Arsenic-Metals-Fibres-And-Dusts-2012
6 Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Arrêté du 18 septembre 2000 complétant l’arrêté du 5 janvier 1993 fixant la liste des substances, préparations et procédés cancérogènes au sens du deuxième alinéa de l’article R. 231-56 du Code du travail. JORF n°225 du 28 septembre 2000. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/
JORFTEXT000000218707
7 Décret n° 67-127 du 14 février 1967. Affections professionnelles provoquées par les poussières de bois, mis à jour par le décret n° 2004-184 du 25 février 2004. Tableaux des maladies professionnelles (RG 47).
8 Décret n° 76-74 du 15 janvier 1976. Affections professionnelles provoquées par les poussières de bois, mis à jour par le décret n° 2007-1121 du 21 juillet 2007. Tableaux des maladies professionnelles (RA 36).
9 Assurance Maladie-Risques professionnels. Rapport annuel 2017. Paris: Assurance maladie; 2018. 160 p. https://assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2017-rapport-annuel-assurance-maladie-risques-professionnels
10 Matinet B, Rosankis É, Léonard M. Les expositions aux risques professionnels. Les produits chimiques. Synthèse Stat’. 2020;32:1-323. https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/les-expositions-aux-risques-professionnels-produits-chimiques
11 Fels A, Houot M, Garras L, Delabre L, Pilorget C. Travailleurs salariés et non-salariés en France entre 2007 et 2015 : description des populations et identification de différences d’exposition professionnelle. Bull Epidémiol Hebd. 2021;(2):22-31. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2021/2/2021_2_1.html
12 Institut national de la statistique et des études économiques. Paris: Insee; 1999. Nomenclatures d’activités et de produits françaises NAF-CPF. 741 p.
13 Institut national de la statistique et des études économiques. Paris: Insee; 2003. Nomenclatures d’activités et de produits françaises NAF-CPF Rev 1. 882 p.
14 Institut national de la statistique et des études économiques. Paris: Insee; 2008. Nomenclatures d’activités et de produits françaises NAF-CPF Rev 2. 1052 p.
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16 Institut national de la statistique et des études économiques. Paris: Insee; 2003. Nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles PCS. 665 p.
17 Institut national de la statistique et des études économiques. Paris: Insee; 2022. Présentation du recensement de la population. https://www.insee.fr/fr/information/2383265.
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Ducamp S, Garras L, Houot MT, Pilorget C. Expositions aux poussières de bois chez les travailleurs salariés et non-salariés en France en 2017. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(7):120-7. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/
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