Temps d’écran de 2 à 5 ans et demi chez les enfants de la cohorte nationale Elfe

// Screen time among children aged 2 to 5-and-a-half years
in the French nationwide cohort Elfe

Jonathan Y. Bernard1 (jonathan.bernard@inserm.fr), Lorraine Poncet1, Mélèa Saïd1, Shuai Yang1, Marie-Noëlle Dufourg2, Malamine Gassama2 et Marie-Aline Charles1,2
1 Université Paris Cité et Université Sorbonne Paris Nord, Inserm, Inrae, Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (Cress), Paris
2 Unité mixte Inserm-Ined-EFS Elfe, Ined, Aubervilliers
Soumis le 10.10.2022 // Date of submission: 10.10.2022
Mots-clés : Écran | Télévision | Smartphone | Tablette | Jeune enfant | Étude de cohorte
Keywords: Screen viewing | Television | Smartphone | Tablet | Infant | Cohort study

Résumé

Le temps passé par les enfants devant les écrans a augmenté ces dernières années en France, comme en témoignent diverses enquêtes transversales répétées. Cependant, il n’existe à l’échelle nationale aucune donnée longitudinale, en particulier pour les moins de 3 ans. À partir des données de la cohorte Elfe, nous décrivons le temps d’écran, total et par type d’écran, des enfants suivis à 2 ans, 3 ans et demi et 5 ans et demi. Nous mettons également en avant des disparités selon la région d’habitation de la famille, son histoire et son origine migratoires, le niveau d’études de la mère et le sexe de l’enfant. Après pondération des données, le temps d’écran quotidien était en moyenne de 56 min (intervalle de confiance à 95%: [55-58]) à 2 ans, 1h20 [1h18-1h22] à 3 ans et demi et 1h34 [1h32-1h36] à 5 ans et demi. Ces temps étaient corrélés positivement (0,50 entre 2 et 3 ans et demi ; 0,67 entre 3 ans et demi et 5 ans et demi), démontrant une persistance individuelle de l’utilisation au cours du temps. Dans l’ensemble, les temps d’écran étaient plus élevés chez les familles ayant des origines immigrées, ou un niveau d’études de la mère faible. Des disparités régionales étaient aussi observées. Enfin, si aucune différence entre garçons et filles n’était observée à 2 ans, les garçons utilisaient les écrans 10 minutes de plus que les filles à 5 ans et demi. Cette étude décrit pour la première fois à l’échelle nationale et de façon longitudinale le temps passé par les jeunes enfants devant les écrans. Elle permettra de mieux cibler les familles et les contextes où ce temps excède les recommandations.

Abstract

Children’s screen time has increased in recent years in France, as shown by repeated cross-sectional surveys. However, no national-scale longitudinal study had been published and data on children aged under 3 years is particularly scarce. We used data from the birth cohort study Elfe to describe total and device-specific screen time of followed children at 2 years, 3-and-a-half years and 5-and-a-half years of age. We also describe differences according to the family’s region of residence, migration history and origin, maternal education level and child sex. After weighting the data, total daily screen time was on average 56 min (95% confidence interval: [55 min-58 min]) at 2 years of age; 1 hr 20 min [1 hr 18 min-1 hr 22 min] at 3-and-a-half years of age; 1 hr 34 min [1 hr 32 min-1 hr 36 min] at 5-and-a-half years of age. Screen time increased substantially between 2 and 3-and-a-half years of age (Spearman’s correlation: 0.50) and between 3-and-a-half and 5-and-a-half years of age (0.67). Overall, screen time was greater in families with a history of migration and a lower level of maternal education. Regional disparities are also noted. Finally, there was no difference by sex at 2 years of age; however, boys spent 10 min longer watching screens than girls did at 5-and-a-half years of age. This is the first study to describe at national level the time children spend watching screens. It will help target families and contexts where screen time exceeds current guidelines.

Introduction

Les appareils électroniques dotés d’un écran sont devenus omniprésents dans nos sociétés, que ce soit dans les foyers, les bureaux ou les poches de tout un chacun. Les enquêtes « Emploi du temps » de l’Institut national de Ia statistique et des études économiques (Insee) nous renseignent sur l’augmentation du temps passé quotidiennement par les adultes à regarder la télévision : 1h23 en 1974, 1h48 en 1986, 2h10 en 1998 et 2h09 en 2010 1. Les études individuelles nationales des consommations alimentaires (Inca) de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui comptabilisent les temps de télévision et d’ordinateur pour les loisirs, révèlent des temps d’écran de 3h30 en 2006-2007 et de 4h51 en 2014-2015 2,3. Chez l’enfant et l’adolescent (3-18 ans), les temps estimés sont inférieurs à ceux des adultes, mais atteignaient néanmoins 2h48 en 2006-2007, 3h05 en 2014-2015, et même 4h11 dans l’Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) (2014-2016, Santé publique France), qui comptabilise en plus les temps de tablette et de smartphone 4. Ces moyennes nationales tous âges confondus masquent néanmoins des disparités : chez les 3-6 ans, le temps d’écran moyen reste tout de même en deçà de ces chiffres et a stagné, voire régressé, entre 2006-2007 et 2014-2015 (2h00 et 1h47, respectivement) 2,3. Il n’existe cependant aucune enquête nationale chez les enfants de moins de 3 ans en France, alors que le temps d’écran de cette tranche d’âge a été évalué dans d’autres pays 5,6.

Des effets délétères de l’usage d’écran dans l’enfance et la petite enfance ont été mis en évidence dans la littérature 7,8. Des études font notamment état d’un risque accru de surpoids et d’obésité 9,10,11, et de difficultés dans le développement du langage et du développement cognitif 12,13,14 associés à l’usage des écrans. Certaines soulignent en outre l’importance des contenus visionnés par les enfants et du contexte. Les programmes éducatifs conçus spécifiquement pour les enfants, ainsi que le fait de discuter avec les parents de ce qui a été visionné peuvent avoir en effet un impact bénéfique pour le développement du langage 12. De nombreuses recommandations en matière d’usages des écrans par les enfants ont été émises par diverses agences et sociétés savantes, en France comme à l’international 8. L’Organisation mondiale de la santé et l’Académie américaine de pédiatrie recommandent de ne pas exposer les enfants de moins de 2 ans aux écrans, puis de limiter le temps à 1 heure par jour entre 2 et 5 ans 7,15. En France, la limite d’âge « sans écran » a tendance à être fixée à 3 ans, sous l’impulsion des balises « 3-6-9-12 » proposées en 2008 par le Dr Serge Tisseron, puis de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, ex-CSA). Depuis 2019, le Haut Conseil de la santé publique et l’Académie nationale de médecine recommandent de ne pas exposer les enfants de moins de 3 ans aux écrans, si certaines conditions ne sont pas réunies (présence d’un adulte, interactivité) 16,17. Enfin, Santé publique France (par l’intermédiaire du Plan national nutrition santé) et l’Anses fixent quant à elles l’âge limite à 2 ans.

La littérature indique que l’exposition aux écrans dans la petite enfance diffère fortement selon les caractéristiques sociodémographiques du foyer. Un faible niveau d’études de la mère est notamment souvent associé à un temps d’écran de l’enfant plus élevé 5,18,19. Les temps d’écran sont aussi plus longs chez les enfants dont les parents sont nés à l’étranger ou issus de minorités ethniques 5,19, mais ce lien n’est pas retrouvé dans tous les contextes 20. La littérature indique aussi que les garçons utilisent généralement plus les écrans que les filles 5,21,22,23.

Notre objectif était de décrire les temps d’écran chez les enfants de 2 à 5 ans et demi de l’étude Elfe, une cohorte de naissance représentative des naissances en 2011 en France métropolitaine. Ces temps sont décrits en fonction de l’âge, du type d’écran et des caractéristiques sociodémographiques.

Méthodes

Protocole de l’étude

L’Étude longitudinale française depuis l’enfance (Elfe) est une cohorte de naissance généraliste lancée en 2011 ; 349 maternités de France métropolitaine ont été sélectionnées aléatoirement parmi les 540 maternités françaises et 320 établissements ont accepté de participer. Le recrutement des nouveau-nés et de leur famille s’est déroulé durant quatre vagues réparties sur l’année 2011. Le consentement éclairé des mères était requis en maternité et celui des pères était obtenu s’ils étaient présents à l’inclusion ; sinon, ils étaient informés de leur droit d’opposition à l’inclusion. Les enfants nés avant 33 semaines d’aménorrhée n’ont pas été inclus dans l’étude Elfe, car ceux-ci étaient inclus dans l’Étude épidémiologique sur les petits âges gestationnels (Épipage 2), dont le recrutement s’est déroulé en parallèle. Au total, 18 329 enfants (dont 17 751 naissances uniques et 289 paires de jumeaux), soit 18 040 familles, ont été recrutés ; ils ont été suivis par enquête téléphonique aux âges de 2 mois, 1, 2, 3 ans et demi et 5 ans et demi, et lors d’une visite à domicile à 3 ans et demi. Le protocole détaillé de l’étude a été publié 24.

Les accords éthiques et règlementaires pour la collecte des données en maternité et durant chaque enquête du suivi ont été obtenus auprès du Comité consultatif sur le traitement de l’information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS), de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil), du Conseil national de l’information statistique (Cnis) et également, pour l’enquête en maternité, d’un Comité de protection des personnes.

Données sur les temps d’écran collectées à 2 ans, 3 ans et demi et 5 ans et demi

L’enquête à 2 ans s’est déroulée de mai 2013 à avril 2014. Les deux parents ont été interrogés, et leur questionnaire respectif était adapté à la situation familiale. La base d’enquête comprenait 17 101 familles et des données ont été collectées pour 13 528 (79%) enfants. Les parents ont été interrogés sur la fréquence d’usage (tous les jours ou presque, une ou deux fois par semaine, une ou deux fois par mois, jamais ou presque jamais) par leur enfant de quatre types d’écran (télévision, ordinateur/tablette, console de jeux et smartphone). Lorsque la fréquence d’usage était strictement supérieure à « jamais ou presque jamais », les parents devaient renseigner le temps passé (en heure et minute) à utiliser l’écran en question. Pour la télévision et l’ordinateur/tablette, les temps moyens pour un jour de semaine habituel et durant un week-end habituel étaient demandés. Pour la console de jeux, seul le temps moyen pour un jour habituel était demandé. Le temps de smartphone n’a pas été demandé car ces appareils étaient encore peu répandus lors de la conception de l’étude. Les temps moyens de télévision, d’ordinateur/tablette, de console de jeux et tous types d’écran confondus ont été calculés (en heure par jour). Lorsque ces informations étaient renseignées à la fois par la mère et par le père, la moyenne des réponses était calculée et utilisée afin de réduire l’erreur de mesure potentielle.

L’enquête téléphonique à 3 ans et demi s’est déroulée de septembre 2014 à août 2015, auprès d’un des deux parents (le plus souvent la mère) lorsque les parents vivaient ensemble, et auprès des deux parents s’ils étaient séparés. Au total, 16 082 familles ont été approchées, et des données ont été obtenues pour 12 236 (76%) enfants. Le parent référent devait renseigner si son enfant utilisait au moins une fois par semaine un ordinateur, une console de jeux, un smartphone ou une tablette. Dans l’affirmative, le parent renseignait le temps passé (en heure et minute) par son enfant à utiliser l’écran en question un jour de semaine, un samedi et un dimanche habituels. Pour la télévision, le parent était directement interrogé sur le temps passé en moyenne par son enfant un jour de semaine, un samedi et un dimanche habituels. Comme à 2 ans, les temps moyens quotidiens pour les cinq types d’écran et au total ont été calculés.

L’enquête à 5 ans et demi s’est déroulée de janvier à septembre 2017 auprès des deux parents. La base d’enquête comprenait 13 967 familles, et 11 476 (82%) enfants ont pu être enquêtés. Le questionnaire sur l’usage des écrans était similaire à celui utilisé pour les enfants de 3 ans et demi, à l’exception de la distinction samedi/dimanche, remplacée par un jour de week-end habituel. Les temps moyens quotidiens pour les cinq types d’écran ont été dérivés et le temps total a été calculé.

Variables sociodémographiques

L’usage d’écran est décrit et analysé en fonction de caractéristiques de l’enfant et du foyer : lieu de résidence (12 régions, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse ont été réunies en raison de faibles effectifs), le niveau d’études de la mère (primaire/collège, BEP/CAP, baccalauréat, bac +2, bac +3/4, et bac +5 et supérieur), le lieu de naissance de la mère (France, Europe et autres pays occidentaux, Maghreb/Turquie, Afrique subsaharienne, Asie/Amérique du Sud), le nombre de grands-parents d’origine immigrée (0, 1, 2, 3-4), le sexe de l’enfant (féminin, masculin) et le revenu du ménage par unité de consommation (catégories). Pour certaines caractéristiques disponibles pour les deux parents (niveau d’études, lieu de naissance), les données de la mère ont été retenues, en raison du rôle important de celle-ci dans les activités qui touchent à l’éducation de l’enfant et parce qu’elles comptent moins de données manquantes que les données du père.

Analyses statistiques

Les temps d’écran totaux et par type d’écran à chaque enquête sont décrits par leur moyenne et intervalle de confiance à 95% pour les variables quantitatives, et par des pourcentages pour les variables catégorisées. Deux types de métriques sont présentés : celles observées dans l’étude Elfe et celles estimées pour la population source, après pondération statistique des participants pour tenir compte du plan de sondage et de la probabilité d’être inclus dans la cohorte et de l’attrition jusqu’aux enquêtes des 2, 3 ans et demi et 5 ans et demi. Les corrélations de Spearman entre les temps observés à chaque âge dans l’étude Elfe ont été calculées pour évaluer la persistance individuelle du temps d’écran à chaque enquête. Les temps d’écran moyens sont ensuite décrits en fonction des variables sociodémographiques décrites plus haut. Précisons que cette étude a une visée purement descriptive et non prédictive ou explicative, les données présentées ne sont donc pas ajustées 25.

Résultats

Le tableau 1 décrit les caractéristiques des 12 558 participants avec des informations complètes sur les temps d’écran à au moins une des enquêtes à 2 (n=11 810), 3,5 (n=11 291) ou 5,5 ans (n=10 724).

Les enfants dont les quatre grands-parents étaient nés en France représentaient 71% de l’échantillon ; 90% des enfants avaient une mère née en France. Concernant le niveau d’étude, 19% des mères avaient un niveau d’études inférieur au baccalauréat et 21% détenaient un diplôme de niveau bac +5 ou supérieur.

Tableau 1 : Description de l’échantillon Elfe avec des données complètes pour les temps d’écran à 2, 3,5 ou 5,5 ans (n=12 558)
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Le temps d’écran quotidien (± écart type) observé dans l’étude Elfe était en moyenne de 49 min (± 58 min) à 2 ans, de 1h09 (± 59 min) à 3,5 ans et de 1h23 (± 1h06) à 5,5 ans (tableau 2). Parmi les 9 738 enfants suivis dans les trois enquêtes, ces temps étaient corrélés positivement : 0,50 entre 2 et 3,5 ans, 0,67 entre 3,5 et 5,5 ans, et 0,42 de 2 à 5,5 ans. Après redressement de l’échantillon maximum à chaque âge, le temps d’écran quotidien estimé pour l’échelle nationale était en moyenne de 56 min (intervalle de confiance à 95% (IC95%): [55-58]) à 2 ans, 1h20 (IC95%: [1h18-1h22]) à 3,5 ans et 1h34 [1h32-1h36] à 5,5 ans (tableau 2). Le temps d’écran comprenait principalement du temps de télévision, mais cette proportion diminuait avec l’âge puisqu’elle était de 86% (48 min) à 2 ans, 73% (58 min) à 3,5 ans et 64% (1h00) à 5,5 ans. À 5,5 ans, le temps total d’écran comprenait en moyenne 17 minutes de tablette, 7 minutes de jeux vidéo sur console, 6 minutes de smartphone et 5 minutes d’ordinateur par jour, en plus de l’heure de télévision.

À l’échelle nationale, la proportion d’enfants suivant la recommandation « Pas d’écran » à 2 ans (2013) était de 13,7%, tandis que la proportion de ceux suivant la recommandation « Pas plus d’une heure par jour » était de 49,7% à 3,5 ans (2014-2015) et de 39,0% à 5,5 ans (2017). Le seuil des quatre heures par jour était dépassé par 1,9, 3,6 et 4,7% des enfants, respectivement.

Tableau 2 : Temps d’écran à 2, 3,5 et 5,5 ans observés dans l’étude Elfe et extrapolés à l’échelle nationale
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La figure 1 montre le temps total d’écran moyen (en heures) de 2 à 5,5 ans selon la région d’habitation de la famille. D’une façon générale, le temps d’écran quotidien était plus faible en Bretagne (47 min, 1h08 et 1h19 respectivement à 2, 3,5 et 5,5 ans) et plus élevé dans les Hauts-de-France (1h04, 1h24 et 1h43, respectivement).

Figure 1 : Temps d’écran moyens (en minutes par jour) à 2, 3,5 et 5,5 ans observés dans l’étude Elfe
en fonction de la région de résidence
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La figure 2 montre le temps total d’écran de 2 à 5,5 ans en fonction de l’histoire migratoire de la famille (figure 2A), de l’origine migratoire (figure 2B) et du niveau d’études (figure 2C) de la mère, et du sexe de l’enfant (figure 2D). Plus les enfants ont des grands-parents nés à l’étranger, plus leur temps d’écran moyen est élevé, avec un temps supérieur d’environ 30 minutes chez les enfants ayant trois ou quatre grands-parents nés à l’étranger par rapport à ceux ayant quatre grands-parents nés en France. Les enfants dont la mère est née au Maghreb, en Turquie ou en Afrique subsaharienne passaient aussi en moyenne 30 à 50 minutes (selon l’âge) de plus devant des écrans que ceux dont la mère est née en France ; cet écart est même supérieur si l’on compare avec les enfants dont la mère est née dans un pays européen autre que la France. Concernant le niveau d’études de la mère, un gradient net est aussi observé : les enfants dont la mère a un niveau collège passent 45 min (à 2 ans) à 1h15 (à 5,5 ans) de plus devant des écrans que les enfants dont la mère a un niveau d’études supérieur ou égal à bac +5. Concernant le sexe, aucune différence n’était observée à 2 ans, mais une petite différence émergeait aux âges ultérieurs (10 minutes de plus chez les garçons à 5,5 ans).

Figure 2 : Temps d’écran moyens (en minutes par jour) à 2, 3,5 et 5,5 ans observés dans l’étude Elfe
en fonction du nombre de grands-parents immigrés (panel A), du lieu de naissance de la mère (panel B),
du niveau d’études de la mère (panel C) et du sexe de l’enfant (panel D)
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Discussion

Les données de l’étude Elfe montrent que le temps total d’écran augmente régulièrement entre 2 ans et 5 ans et demi, avec une importante persistance du comportement entre enfants. L’étude montre aussi que la télévision reste l’écran principal visionné par les jeunes enfants, bien que sa part diminue avec l’âge, à mesure que les enfants s’initient à d’autres types d’écrans à partir de 3 ans et demi. À l’échelle de la population entière, les temps d’écran moyens excèdent les recommandations (pas d’écran avant 2 ou 3 ans, maximum une heure ensuite) ; ainsi, 13,7% suivaient la recommandation « pas d’écran » à 2 ans, et 49,7% suivaient la recommandation « maximum une heure par jour » à 3 ans et demi. Les temps d’écran moyens à 3 ans et demi et 5 ans et demi (1h20 et 1h34, respectivement) étaient un peu inférieurs aux données chez les 3-6 ans de l’étude Inca 3 (1h47). Une part non négligeable (de 11 à 26% selon l’âge) des enfants passait plus de deux heures par jour devant les écrans.

Notre étude décrit également des disparités selon certains facteurs géographiques et sociodémographiques. Des temps d’écran bien plus élevés sont en particulier observés chez les enfants comptant plusieurs grands-parents immigrés, une mère née en Afrique ou ayant un faible niveau d’études. En revanche, les différences entre garçons et filles étaient faibles : 10 minutes à 5 ans et demi, voire nulles avant cet âge. Notre étude étant descriptive et n’ayant pas pour objectif d’identifier les facteurs qui prédisent – et a fortiori qui déterminent – le temps d’écran ou le suivi des recommandations, nous ne nous étendrons pas sur le caractère prédictif ou causal des facteurs décrits, ni sur les mécanismes qui peuvent expliquer les disparités observées. Ces disparités sont néanmoins concordantes avec des études menées dans d’autres pays 5,18,19,21,22,23, ainsi que dans l’étude Elfe sur le suivi des recommandations à l’âge de 2 ans 26. Dans cette analyse, nous avons montré que la région de résidence et le sexe de l’enfant, le statut migratoire des parents, l’âge de la mère et son niveau d’étude étaient significativement et indépendamment associés au fait de suivre les recommandations en matière d’écran à 2 ans.

Des limites de notre étude doivent être évoquées. Les mesures des temps d’écran dont nous disposons sont des données déclaratives. Elles peuvent être affectées par un biais de mémoire et de désirabilité sociale. Les recommandations nationales incitant à ne pas exposer les enfants aux écrans ou à limiter leur exposition, les parents enquêtés peuvent être amenés à sous-estimer ou sous-déclarer le temps d’écran de leur enfant. Si l’on considère que les parents avec un plus haut niveau d’études sont plus informés des recommandations et plus susceptibles de sous-déclarer le temps d’écran de leur enfant, cela amène à mitiger les disparités sociales que l’on observe en termes de temps d’écran et de suivi des recommandations. Une seconde limite porte sur la période de collecte des données (entre 2013 et 2017). Nos données ne reflètent donc pas nécessairement la situation la plus récente, notamment à l’ère post-Covid-19, mais elles permettent néanmoins de documenter la situation antérieure à l’épidémie. À notre connaissance, il n’existe pas d’étude plus récente de nature longitudinale et représentative à l’échelle nationale. En l’absence de données, il est difficile de présager de l’évolution récente des usages chez les enfants de moins de 6 ans. Les écrans portatifs comme le smartphone et la tablette s’étant fortement développés durant la décennie 2010, on pourrait s’attendre à une augmentation du temps d’écran, mais ce serait ignorer que les messages de prévention à l’intention des jeunes enfants se sont eux aussi multipliés sur cette période. À titre d’exemple, selon les études Inca 2 et Inca 3, le temps d’écran des 3-6 ans est resté relativement stable entre 2006-2007 et 2014-2015 (2h00 et 1h47 respectivement). De nouvelles enquêtes nationales sont nécessaires pour quantifier les évolutions récentes et déterminer si l’évolution des temps de smartphone et de tablette des enfants Elfe reflète une adaptation des usages selon l’âge de l’enfant ou une évolution séculaire liée au développement technologique de la décennie 2010.

Notre étude a aussi des forces. Il s’agit des premières données longitudinales disponibles en France sur les temps d’écran dans la petite enfance ; elles viennent de plus documenter l’usage des enfants avant 3 ans, données qui faisaient défaut. L’étude bénéficie d’un échantillon important, représentatif des naissances en 2011, et dont la représentativité est renforcée par une pondération corrigeant les effets de l’attrition sélective. Ces données fournissent aussi des informations uniques par type d’écran. Ces données permettront de mieux identifier et cibler les populations à risque d’usage excessif d’écran durant la petite enfance.

En conclusion, notre étude décrit pour la première fois en France l’évolution du temps d’écran des enfants entre 2 et 5 ans et demi dans le pays, soit entre 2013 et 2017. Elle montre que ce temps augmente régulièrement avec l’âge, avec une persistance importante du comportement chez chaque enfant, confortant la nécessité d’une prévention précoce. Les temps d’écran moyens excèdent les recommandations (pas d’écran avant 2 ou 3 ans, maximum une heure ensuite), et une part non négligeable (de 11 à 26% selon l’âge) des enfants passe plus de deux heures par jour devant les écrans. Des différences importantes de temps d’écran selon la région de résidence, le statut social et l’histoire migratoire sont observées, ce qui permettra de mieux cibler des mesures de prévention d’un usage excessif des écrans chez le jeune enfant.

Remerciements

Nous remercions les membres de l’unité Elfe, dont les coordinateurs scientifiques (B. Geay, H. Léridon, C. Bois, JL. Lanoé, X. Thierry, C. Zaros, K. Milcent), les gestionnaires informatiques et des données, les statisticiens (T. Simeon, A. Candea), le personnel administratif, technique (C. Guével, M. Zoubiri, G. Meyer, I. Milan, R. Popa) et en charge de la communication. Nous remercions les familles participant à l’étude Elfe pour le temps qu’elles ont consacré à l’étude.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Financement

Cette étude a été financée par l’Agence nationale de la recherche (ANR) (projet iSCAN, référence ANR-20-CE36-0001). L’enquête Elfe est une réalisation conjointe de l’Institut national d’études démographiques (Ined) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), en partenariat avec l’Établissement français du sang (EFS), Santé publique France, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la Direction générale de la santé (DGS, ministère de la Santé et de la Prévention), la Direction générale de la prévention des risques (DGPR, ministère de la Transition écologique), la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees, ministère de la Santé et de la Prévention), le Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS, ministère de la Culture), la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), et avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep). Dans le cadre de la plateforme de recherche sur les cohortes d’enfants suivis depuis la naissance (Reconai), elle bénéficie d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du programme Investissements d’avenir portant les références ANR-11-EQPX-0038 et ANR-19-COHO-0001. Les agences de financement n’ont joué aucun rôle dans la conception de l’étude, la collecte et l’analyse des données, la préparation de l’article et la décision de publier.

Références

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Citer cet article

Bernard JY, Poncet L, Saïd M, Yang S, Dufourg MN, Gassama M, et al. Temps d’écran de 2 à 5 ans et demi chez les enfants de la cohorte nationale Elfe. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(6):98-105. http://beh.santepubliquefrance.fr/
beh/2023/6/2023_6_1.html