Prévalence de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires à deux mois post-partum : données de l’Enquête nationale périnatale 2021 en France hexagonale

// Prevalence of depression, anxiety and suicidal ideation at two months post-partum: Data from the 2021 French National Perinatal Survey in European France

Alexandra Doncarli1* (alexandra.doncarli@santepubliquefrance.fr), Sarah Tebeka1*, Virginie Demiguel1, Élodie Lebreton1, Catherine Deneux-Tharaux2, Julie Boudet-Berquier1, Gisèle Apter3, Catherine Crenn-Hebert4,5, Marie-Noëlle Vacheron6, Camille Le Ray2,7, Nolwenn Regnault1 et l’ENP2021 Study group
1 Santé publique France, Saint-Maurice
2 Université Paris Cité, Cress, Équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (Épopé), Inserm, Inrae, Paris
3 Service de Psychiatrie périnatale et de l’Enfant, Groupe hospitalier du Havre, Université de Rouen Normandie, Le Havre
4 Service de Gynécologie-Obstétrique, Maternité de Louis Mourier, Colombes
5 Agence régionale de santé d’Île-de-France, Paris
6 Consultation d’Information, Conseils et Orientation pour les femmes enceintes ou avec désir d’enfant atteintes de trouble psychique (Cico), GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, Hôpital Sainte-Anne, Paris
7 Maternité Port-Royal, groupe hospitalier Paris Centre, AP−HP, Université Paris Cité, FHU Prema, Paris

* Ces auteurs ont contribué à parts égales à ce travail.

Collaborateurs membres de l’ENP2021 Study group :

Camille Le Raya, Nathalie Lelonga, Hélène Cinellia, Béatrice Blondela, Nolwenn Regnaultb, Virginie Demiguelb, Élodie Lebretonb, Benoit Salanaveb, Jeanne Fressonc, Annick Vilainc, Thomas Deroyonc, Philippe Raynaudc, Sylvie Reyc, Khadoudja Chemlald, Nathalie Rabier-Thoreaud, Frédérique Collombet-Migeone

a Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm U1153), équipe Épopé, Paris

b Santé publique France, Saint-Maurice

c Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Paris

d Direction générale de la santé (DGS), Paris

e Direction générale de l’offre de soins (DGOS), Paris

Soumis le 09.01.2023 // Date of submission: 01.09.2023
Mots-clés : Dépression | Post-partum | Anxiété | Idées suicidaires
Keywords: Depression | Postpartum | Anxiety | Suicidal ideation

Résumé

Introduction –

La dépression du post-partum (DPP), l’anxiété et les idées suicidaires peuvent avoir des conséquences délétères sur la mère et le nouveau-né. Nos objectifs étaient d’estimer la prévalence de la DPP, de l’anxiété et des idées suicidaires à deux mois post-partum (PP) chez les femmes accouchées en France en 2021 et d’en proposer des déclinaisons régionales.

Méthodes –

Notre échantillon incluait 7 133 femmes accouchées en France hexagonale sur une semaine donnée de mars 2021 et ayant complété les 10 items de l’auto-questionnaire Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) à deux mois PP. Les données ont été pondérées de façon à être représentatives des femmes accouchées en France hexagonale cette même semaine. Les prévalences nationales de la DPP (score EPDS≥13), de l’anxiété (EPDS-3A≥5) et des idées suicidaires (item 10 de l’EPDS≥1) ont été estimées. Au vu des effectifs, seules les prévalences régionales de la DPP et de l’anxiété, standardisées sur l’âge, ont été estimées.

Résultats –

En 2021, en France hexagonale, la prévalence de la DPP était de 16,7% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [15,7-17,7]), avec une disparité régionale faisant ressortir des régions avec des prévalences significativement inférieures (Hauts-de-France, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle-Aquitaine) ou supérieures (Île-de-France, Centre-Val de Loire et Provence-Alpes-Côte d’Azur) à celle de l’Hexagone. La prévalence de l’anxiété était de 27,6% [26,5-28,8] globalement et de 83,2% [80,6-85,7] parmi les femmes présentant une DPP. Une disparité régionale était également observée pour l’anxiété avec des prévalences significativement inférieures (Normandie, Nouvelle-Aquitaine) ou supérieures (Centre-Val de Loire, Provence-Alpes-Côte d’Azur) à celle de l’Hexagone. La prévalence des idées suicidaires était de 5,4% [4,7-6,1] globalement et de 23,8%
[12,1-26,9] parmi les femmes atteintes de DPP.

Discussion –

Réalisées sur un échantillon représentatif de femmes accouchées en France hexagonale en mars 2021, nos estimations montrent que, deux mois après l’accouchement, une sur six présentait une DPP, plus d’une sur quatre un niveau d’anxiété important, et qu’une femme sur 20 déclarait des idées suicidaires. Ces résultats sont en accord avec les données internationales sur la santé mentale périnatale. Ils soulignent le caractère fondamental des politiques de prévention et la nécessité d’une adaptation de l’offre de soins en psychologie/psychiatrie, en adéquation avec les besoins importants décrits.

Abstract

Introduction –

Postpartum depression (PPD), anxiety, and suicidal ideation can have deleterious consequences for the mother and newborn. Our objectives were to estimate the prevalence of PPD, anxiety and suicidal ideation at two months postpartum among women who gave birth in European France in 2021, and to calculate regional variations.

Methods –

Our sample included 7,133 women who gave birth in France in a given week of March 2021 and who had completed all ten items of the Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS) self-assessment questionnaire at two months postpartum. Data were weighted to be representative of all women who delivered in European France in the same week. National prevalence of PPD (EPDS score ≥13), anxiety (EPDS-3A ≥5), and suicidal ideation (EPDS item 10 ≥1) were estimated. Given the low numbers for suicidal ideation, only regional prevalence of age standardized PPD and anxiety were estimated.

Results –

In 2021, in European France, the prevalence of PPD was 16.7% (95% confidence interval: 15.7–17.7), with regional disparity highlighting geographic areas where prevalence was significantly lower (Hauts-de-France, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle-Aquitaine) or higher (Île-de-France, Centre-Val de Loire and Provence-Alpes-Côte d’Azur) than the national average. Prevalence of anxiety was 27.6% (26.5–28.8) among the overall population and 83.2% (80.6–85.7) among women with PPD. Regional disparity was also observed for anxiety with prevalence significantly lower than the national average in Normandy and Nouvelle-Aquitaine, higher in Centre-Val de Loire and Provence-Alpes-Côte d’Azur. The prevalence of suicidal ideation was 5.4% (4.7–6.1) among the overall population and 23.8% (12.1–26.9) among women with PPD.

Discussion –

Based on a representative sample of women who gave birth in France in March 2021, our estimates show that at two months postpartum, one in six had PPD, more than one in four had a significant level of anxiety, and one in 20 reported suicidal ideation. These results are consistent with international data on perinatal mental health. They underline the fundamental nature of prevention policies and a need to adapt the offer of psychological/psychiatric care in line with the significant needs described.

Introduction

La période périnatale, comprenant la grossesse, la naissance et la première année post-partum (PP), est une période de remaniements profonds sur les plans biologique, physiologique, social et émotionnel possiblement à l’origine d’une plus grande vulnérabilité des femmes au regard des troubles psychiatriques tels que l’anxiété ou la dépression 1,2. Les nosographies internationales considèrent les troubles psychiatriques périnatals comme survenant au cours de la grossesse et jusqu’à quatre (DSM-5) ou six semaines (CIM-11) après l’accouchement. Cependant, plus largement, les troubles démarrant avant la fin de la première année PP sont classiquement qualifiés de périnatals. On distingue deux types de dépression du post-partum (DPP) : celle à début précoce (avant la fin du deuxième mois PP) et celle commençant plus tardivement (à partir du troisième mois jusqu’à un an PP). Dans ce travail, nous nous focalisons sur la DPP à début précoce.

Si la DPP est le trouble le plus fréquent et le plus étudié 1, la symptomatologie anxieuse et les idées suicidaires sont également des marqueurs de souffrance psychique à prendre en considération.

Dépression du post-partum

La DPP est l’une des principales complications survenant dans l’année suivant l’accouchement, puisqu’elle concerne 10 à 20% des femmes accouchées dans le monde, selon la littérature 3,4. Cette hétérogénéité des proportions estimées pourrait s’expliquer par des différences entre les caractéristiques des populations étudiées (selon le pays/la zone rurale versus urbaine), mais également selon l’outil utilisé pour poser le diagnostic et le moment de l’évaluation 3,4.

Bien que le gold-standard consiste en un entretien semi-structuré, mené par un clinicien spécialisé et reposant sur les critères diagnostiques internationaux, la mise en place de ce type d’évaluation est rarement possible en pratique au niveau populationnel car chronophage, coûteuse et nécessitant un recours à des spécialistes. Ainsi, d’autres outils ont été développés, qu’il s’agisse d’entretiens structurés (tels que le Mini International Neuropsychiatric Interview – MINI – ou le Composite International Diagnostic Interview – CIDI) ou d’auto-questionnaires (tels que l’Edinburgh Postnatal Depression Scale – EPDS) 5. Les auto-questionnaires sont bien acceptés par les cliniciens et les patientes, et faciles à utiliser 6. L’EPDS est un auto-questionnaire de 10 items côtés de 0 à 3, spécialement développé en périnatalité pour évaluer les symptômes au cours de la semaine écoulée. Il a été validé pour une utilisation aussi bien en ante- qu’en post-partum. Il s’agit de l’outil le plus utilisé pour évaluer la dépression périnatale dans le monde 6. Une validation en français est disponible 7 (encadré 1).

Encadré 1 : Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS)

L’EPDS est un auto-questionnaire permettant d’évaluer le risque de DPP en évaluant la symptomatologie dépressive au cours de la semaine qui s’est écoulée avant sa passation 5. Il comporte 10 questions ayant chacune quatre modalités de réponse cotées de 0 à 3 pour un score additif final sur 30. Bien qu’une grande diversité de seuil soit utilisée dans les études, une méta-analyse reposant sur 53 études recommande l’utilisation d’un seuil supérieur ou égal à 13 sur 30 pour identifier des femmes fortement symptomatiques ; et un seuil supérieur ou égal à 10 permet de dépister les femmes présentant des symptômes dépressifs modérés à majeurs, le diagnostic de dépression devant être par la suite validé par un clinicien lors d’une consultation 18. Toujours d’après cette méta-analyse, en prenant comme références des entretiens semi-structurés (classiquement utilisés par les cliniciens pour poser un diagnostic de DPP), un seuil ≥13 à l’EPDS a une sensibilité de 66% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [58-74]) et une spécificité de 95% [92-96] ; sa valeur prédictive positive (VPP) d’une dépression majeure est d’environ 70-80% lorsque la prévalence de la DPP dans la population est comprise entre 15-20% 18.

Anxiété maternelle

L’anxiété est également une composante importante de la souffrance psychique des femmes dans le PP, qu’elle se manifeste seule ou de façon comorbide à la DPP 8. L’anxiété ante- et post-natale, si elle apparaît seule, peut être un facteur précipitant de la DPP 9. Certains auteurs ont observé au sein de leur population d’étude une proportion plus élevée de symptômes anxieux que de symptômes dépressifs 10. Si l’on considère la prévalence de l’anxiété post-natale, qu’elle soit ou non associée à la dépression, une méta-analyse réalisée en 2017 par Dennis et coll. regroupant 39 études conduites auprès de femmes interrogées par auto-questionnaires et issues de pays à haut niveau de ressources, retrouvait une prévalence observée de symptômes anxieux à un an PP de 15% (intervalle de confiance à 95%, IC95%: [13,7-16,4]) 2.

En termes d’outils, l’EPDS peut, en plus du dépistage de la dépression périnatale, être utilisé pour le dépistage de l’anxiété périnatale à l’aide du score EPDS-3A 8 (encadré 2).

Encadré 2 : Edinburgh Postnatal Depression Scale – 3A (EPDS-3A)

Plusieurs études ont décrit l’EPDS-3A, une sous-échelle basée sur les items 3, 4 et 5 de l’EPDS évaluant les symptômes anxieux de la mère sur la semaine qui vient de s’écouler : « Vous êtes-vous reproché, sans raisons, d’être responsable quand les choses allaient mal ? » ; « Vous êtes‑vous sentie inquiète ou soucieuse sans motif ? » et « Vous êtes-vous sentie effrayée ou paniquée sans vraiment de raisons ? » 20. L’utilisation de l’EPDS-3A en langue française a été validée par l’équipe de Loyal et coll. 10. Un seuil supérieur ou égal à 5 sur 9 (sensibilité=70,9% ; spécificité=92,2% ; aire sous la courbe ROC=0,926) est recommandé pour dépister une symptomatologie anxieuse dans les travaux internationaux 10,20.

Idées suicidaires

Les idées suicidaires sont, quant à elles, décrites chez 7% des femmes en PP, selon une récente revue systématique de la littérature incluant 64 études réparties sur les six continents 11. Or, les idées suicidaires représentent un des principaux facteurs de risque de passage à l’acte suicidaire. Par ailleurs, les suicides représentent la première cause de décès maternels à un an PP ; ils concernent 1,4 femme pour 100 000 naissances vivantes en France, selon l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles en 2013-2015 ; ce qui est toutefois moins élevé qu’aux États-Unis (2 femmes pour 100 000 naissances vivantes) et au Royaume-Uni (2,6 femmes pour 100 000 naissances vivantes) 12.

Les troubles psychiatriques du PP ont des conséquences, aussi bien pour la mère que pour l’enfant, à court, moyen et long terme 13. Les différentes manifestations cliniques peuvent s’entremêler : l’anxiété peut être un facteur précipitant de la DPP, la DPP et l’anxiété peuvent occasionner des idées suicidaires et conduire à des suicides maternels. Plus particulièrement, la DPP est associée à une souffrance psychique maternelle et à un risque de récurrences dépressives pour 40% des femmes 1. De plus, les enfants de mères présentant une DPP sont plus à risque de troubles du développement psychomoteur, cognitif et émotionnel dans la petite enfance 14 et de troubles psychiatriques diagnostiqués à l’adolescence ou à l’âge adulte 15 et ayant souvent pour origine une héritabilité génétique associée à des facteurs environnementaux. Parallèlement, l’anxiété chez les mères dans le PP est également source de souffrance psychique, de baisse d’estime de soi. Elle a également un impact délétère sur le développement de l’enfant 13,16.

Malgré leurs conséquences importantes, peu de données françaises caractérisent la santé mentale des mères dans le PP, et il n’existe aucune étude récente estimant notamment les prévalences de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires évaluées à deux mois PP, parmi des femmes ayant accouché au niveau populationnel sur l’ensemble du territoire.

Notre objectif était donc d’estimer la prévalence de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires évaluées à deux mois PP par l’EPDS dans l’Enquête nationale périnatale (ENP) 2021 en France hexagonale.

Méthodes

Sources de données

L’ENP menée en France en 2021 est un échantillon représentatif de toutes les femmes accouchées en France une semaine donnée 17, avec un taux de couverture des maternités publiques/privées et des maisons de naissance de 99%. Toutes les mères de plus de 15 ans ayant accouché dans ces structures (ou y ayant été transférées suite à une naissance à domicile) en mars 2021 d’un enfant âgé d’au moins 22 semaines d’aménorrhée ou pesant au moins 500 g étaient éligibles. Le protocole détaillé, les questionnaires et les principaux résultats descriptifs de l’ENP 2021 sont accessibles sur le site de l’Inserm, celui de Santé publique France et dans le rapport « Enquête nationale périnatale. Rapport 2021 » 17.

Données collectées

Les données ont été recueillies : 1) à la maternité pendant la semaine de l’enquête par un entretien en face à face, 2) à partir du dossier médical de la mère, 3) à deux mois PP, via un entretien téléphonique ou un web-questionnaire selon le choix des femmes ayant donné leur accord pour être recontactées après leur séjour en maternité (soit 67,5% des femmes ayant répondu au questionnaire à la maternité).

L’entretien en face-à-face réalisé par une sage-femme enquêtrice à la maternité permettait de recueillir les caractéristiques socio-écodémographiques des femmes, leurs comportements avant et pendant la grossesse et le déroulement de la surveillance médicale en période prénatale. Les données issues du dossier médical étaient, entre autres, les antécédents maternels, le déroulement de la grossesse, de l’accouchement et l’état de santé de l’enfant à la naissance.

Le suivi à deux mois PP permettait de décrire le vécu de la grossesse et de l’accouchement, l’organisation du retour à domicile et la santé des mères et des enfants avec, en particulier, la passation de l’EPDS pour évaluer la santé mentale maternelle.

Population étudiée

L’échantillon total de l’ENP 2021 comprenait 12 723 femmes, soit quasiment toutes les femmes accouchées en France hexagonale une semaine donnée (cf. la comparaison effectuée entre les données de l’ENP 2021 et celles du Programme de médicalisation des systèmes d’information – PMSI – 17). Parmi ces 12 723 femmes, notre échantillon incluait 7 133 femmes ayant accouché d’au moins un enfant vivant et ayant complété les 10 questions de l’EPDS à 2 mois PP (en médiane à 61 jours PP, q25-q75 [58-66]). Comparativement aux femmes ayant répondu à tous les items de l’EPDS, les femmes ayant partiellement répondu ou non répondantes à ce score (n=261 ; 3,5%) étaient significativement plus souvent jeunes (≤24 ans), de nationalité étrangère, d’un niveau d’études inférieur au baccalauréat, multipares, ne vivant pas en couple et sans profession. Aucune différence n’a été trouvée concernant les antécédents de troubles psychiatriques ou psychologiques depuis l’adolescence.

Variables d’intérêt

Dépression du post-partum et symptomatologie dépressive

La symptomatologie dépressive a été évaluée environ deux mois après l’accouchement en additionnant les scores obtenus aux 10 questions de l’EPDS (encadré 1). Dans notre étude, les femmes avec un score≥13 ont été considérées comme présentant une DPP (un score≥13 à l’EPDS étant fortement corrélé au diagnostic d’une DPP selon Levis et coll.) ; celles ayant un score compris entre 10 et 12 (≥10 et <13) comme ayant une symptomatologie dépressive modérée 18.

Anxiété

L’EPDS-3A est la somme des scores obtenus par chaque femme à trois items spécifiques de l’EPDS (encadré 219. Les femmes ayant un score≥5 à l’EPDS-3A ont été considérées comme présentant des manifestations anxieuses 20.

Idées suicidaires

Seul l’item 10 de l’EPDS (« Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, vous est-il arrivé de penser à vous faire du mal ? ») a été considéré pour définir les femmes ayant des idées suicidaires (encadré 3). Les femmes répondant autre chose que « jamais » à cet item (soit un score≥1) ont été considérées comme ayant des idées suicidaires ; celles répondant « parfois » (score=2) ou « oui, très souvent » (score=3) constituaient un groupe de femmes ayant des idées suicidaires fréquentes dans notre étude (soit score≥2).

Encadré 3 : Item 10 de l’EPDS et évaluation du risque suicidaire en période périnatale

Au-delà d’un entretien clinique, différents outils (auto-questionnaire ou hétéro-questionnaire) peuvent être appropriés dans le repérage des idées suicidaires en période périnatale. Là encore, l’EPDS peut se révéler pertinent via son item 10 : « Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, vous est-il arrivé de penser à vous faire du mal ? » 21. Ainsi, il a été montré qu’un score>1 à cet item (idées suicidaires fréquentes) de l’EPDS permettait de classer correctement 68% des femmes enceintes ou accouchées présentant des idées suicidaires lors d’un entretien semi-structuré réalisé en consultation à l’aide du Clinical Interview Schedule-Revised (CIS-R).

Autres variables descriptives de l’échantillon étudié

Données socio-écodémographiques

Les données sociodémographiques recueillies lors de l’entretien étaient : l’âge de la mère au moment de l’accouchement catégorisé en plusieurs modalités, le pays de naissance, le niveau d’études, la catégorie socioprofessionnelle de la profession actuelle ou de la dernière profession exercée par la femme (1) (« CSP+ » inclut les agricultrices exploitantes, artisanes, commerçantes et cheffes d’entreprise, les cadres, professions intellectuelles supérieures et les professions intermédiaires ; « CSP- » inclut les employées et ouvrières ; « Inactive » correspond aux femmes sans profession), statut marital, vie en couple (que les femmes vivent ou non dans le même logement que leur partenaire). Un indice individuel de précarité en quatre classes a été construit (en cumulant quatre critères : ne pas vivre en couple, percevoir le Revenu de solidarité active (RSA) dans le ménage, être assurée par l’Aide médicale de l’État (AME) ou ne pas avoir d’assurance sociale, ne pas avoir de logement personnel). Cet indice s’étendait de la valeur 0 pour « non défavorisée » à 4 pour « très défavorisée ». La région de résidence des femmes indiquée dans leur dossier médical a également été prise en compte. Lorsqu’elle était manquante (n=25), elle était remplacée par la région d’accouchement de la femme.

Antécédents obstétricaux, psychologiques et/ou psychiatriques

La parité était issue du dossier médical de la mère. Les antécédents psychologiques et/ou psychiatriques étaient déclarés par la mère dans le questionnaire complété à deux mois PP à partir des trois questions concernant des événements survenus depuis l’adolescence : suivi avec un psychologue pendant au moins trois mois (oui/non), suivi avec un psychiatre pendant au moins trois mois (oui/non), hospitalisation pour un motif psychologique ou psychiatrique (oui/non). Le fait d’avoir répondu « oui » à au moins un de ces trois items définissait une femme comme ayant des antécédents psychologiques et/ou psychiatriques dans notre étude.

Statistiques

Les données de l’échantillon des femmes ayant participé au suivi à deux mois PP de l’ENP 2021 ont été pondérées de façon à assurer leur représentativité au regard de l’ensemble des femmes participant à l’ENP 2021 et accouchées une semaine donnée dans chacune des 13 régions de France hexagonale. La méthodologie utilisée pour pondérer la non-réponse des femmes au questionnaire posé à 2 mois PP est détaillée dans le rapport de l’ENP 2021 17.

Les caractéristiques de la population ont été décrites. Les proportions de femmes présentant une DPP, une symptomatologie dépressive modérée, de l’anxiété ou des idées suicidaires à deux mois PP ainsi que leurs intervalles de confiance à 95% (IC95%) ont été présentés. Lorsque les effectifs le permettaient (n>30 au sein d’une région), une déclinaison régionale était également réalisée. Les prévalences régionales ont été obtenues après standardisation indirecte sur l’âge à l’accouchement en prenant comme population de référence la population hexagonale de notre étude. Les rapports d’incidences standardisées (Standardized Incidence Ratio ou SIR) de chaque région et leur IC95% calculés par la méthode de Byar ont permis d’évaluer s’il existait une différence significative au seuil de 5% entre la prévalence hexagonale et chaque prévalence régionale. Dans les représentations cartographiques, les couleurs des régions sont plus intenses lorsque leur prévalence spécifique était significativement supérieure à la prévalence hexagonale. Inversement, les couleurs des régions sont plus claires lorsque leur prévalence spécifique était inférieure à la prévalence hexagonale.

Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata 16/SE® (College Station, Texas 77845 USA).

Aspect éthique, confidentialité et sécurité des données

Pour sa réalisation, l’ENP 2021 a reçu l’avis d’opportunité auprès du Conseil national de l’information statistiques le 14 octobre 2019, le label d’intérêt général et de qualité statistique auprès du Comité du label (Visa n°2021X701SA, arrêté du 23 novembre 2020), l’avis favorable d’un Comité de protection des personnes le 7 juillet 2020, et l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (DR-2020-391 du 31 décembre 2020).

Résultats

Caractéristiques des femmes étudiées

Les caractéristiques de notre échantillon d’étude sont résumées dans le tableau 1.

Tableau 1 : Caractéristiques des femmes de l’échantillon étudié, Enquête nationale périnatale, France hexagonale (mars 2021) (n=7 133)
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Ces femmes étaient majoritairement nées en France (80,3%), avaient pour la plupart entre 25 et 34 ans (65,0%) (0,1% étaient mineures), étaient mariées ou pacsées (60,6%) et vivaient en couple (95,2%). Un peu plus de deux femmes sur cinq (41,7%) avaient un niveau d’éducation supérieur ou égal à un Bac +3 ans. De même, près d’une femme sur deux (48,4%) était CSP+, et une large majorité n’était pas défavorisée (84,9% de femmes avec un indice de précarité égal à 0). Près de 42% des femmes étaient primipares.

Concernant les antécédents psychologiques et/ou psychiatriques depuis leur adolescence, 15,2% des femmes déclaraient avoir déjà bénéficié d’une prise en charge en consultation de plus de 3 mois ou en hospitalisation.

Dépression, symptomatologie dépressive modérée, anxiété, idées suicidaires à 2 mois post-partum

En 2021, 16,7% [15,7-17,7] des femmes interrogées présentaient une DPP, et 12,6% [11,7-13,5] une symptomatologie dépressive modérée (tableau 2). L’anxiété concernait 27,6% [26,5-28,8] des femmes répondantes (tableau 2).

Globalement, des idées suicidaires étaient retrouvées chez 5,4% [4,7-6,1] des femmes ; et parmi ces dernières, un peu plus de la moitié (51,0%) déclaraient des idées suicidaires fréquentes, soit 2,7% de notre population d’étude (tableau 2).

Tableau 2 : Prévalence de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires à deux mois post-partum déclarées par les femmes de l’échantillon étudié, Enquête nationale périnatale, France hexagonale (mars 2021) (n=7 133)
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La coexistence des trois manifestations psychiatriques principales du PP (DPP, anxiété et idées suicidaires) est présentée dans la figure 1. Parmi les femmes de notre échantillon d’étude, 31,3% présentaient au moins une des trois manifestations dépistées. Une grande proportion de femmes présentant une DPP étaient également anxieuses (83,2%) ou présentaient des idées suicidaires (23,9%). Près d’une femme présentant une DPP sur cinq (20,8%) cumulait anxiété et idées suicidaires. Concernant les femmes considérées comme anxieuses à 2 mois PP, 50,3% étaient également considérées comme présentant une DPP et 14,3% présentaient des idées suicidaires. Près d’une femme anxieuse sur 8 (12,6%) présentait une dépression et des idées suicidaires.

Figure 1 : Chevauchement entre les différentes symptomatologies dépistées par l’EPDS auprès des femmes de l’échantillon étudié, Enquête nationale périnatale, France hexagonale (mars 2021) (n=7 133)
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Déclinaison régionale de la DPP et de l’anxiété à 2 mois

On relevait une disparité régionale de la DPP comme de l’anxiété après standardisation sur l’âge, allant de 11,4% en Bourgogne-Franche-Comté, à 21,7% en Centre-Val de Loire pour la DPP (figure 2 et tableau 3) ou allant de 21,2% en Normandie à 33,9% en Centre-Val de Loire pour l’anxiété (figure 3 et tableau 3). Pour la DPP, les régions Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine et Hauts-de-France avaient des prévalences significativement inférieures à la moyenne hexagonale ; tandis que les régions de l’Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Centre-Val de Loire s’avéraient avoir des taux significativement supérieurs (figure 2 et tableau 3). De même, pour l’anxiété, les prévalences observées en régions Normandie, Nouvelle-Aquitaine se révélaient significativement inférieures à la moyenne hexagonale tandis que les taux des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur et Centre Val-de-Loire étaient significativement supérieurs (figure 3 et tableau 3). Les régions où les femmes présentaient des prévalences de DPP élevées (Centre Val-de-Loire et Provence-Alpes-Côte d’Azur) étaient également celles où les femmes présentaient les prévalences de symptômes anxieux les plus élevées.

Pour les idées suicidaires, les faibles effectifs ne permettaient pas de réaliser une analyse régionale.

Figure 2 : Prévalence régionale des femmes présentant une dépression à 2 mois post-partum et différence avec la prévalence hexagonale, Enquête nationale périnatale, France hexagonale (mars 2021) (n=7 126)
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Tableau 3 : Prévalences régionales des femmes déprimées ou anxieuses à 2 mois post-partum dans l’échantillon étudié, Enquête nationale périnatale, France hexagonale (mars 2021) (n=7 126)
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Figure 3 : Prévalence régionale des femmes présentant une anxiété à 2 mois et différence avec la prévalence hexagonale, Enquête nationale périnatale, France hexagonale (mars 2021) (n=7 126)
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Discussion

Ce travail estime pour la première fois en France la prévalence à l’échelle nationale de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires à 2 mois PP sur un échantillon représentatif de la population des femmes accouchées en France hexagonale sur une semaine donnée en mars 2021. En effet, pour l’édition 2021 de l’ENP, un suivi à 2 mois a été réalisé pour la première fois incluant le questionnaire EPDS et permettant ainsi d’obtenir une évaluation de la santé mentale des femmes en PP à partir d’un échantillon représentatif au niveau national. Sur les 7 133 femmes étudiées, 16,7% déclaraient une dépression à deux mois PP, 27,6% avaient des manifestations anxieuses et 5,4% déclaraient des idées suicidaires. Ces résultats soulignent la vulnérabilité des femmes en PP au regard des manifestations psychiatriques. Ils sont en accord avec les données internationales publiées 1,2,3,4,11.

La prévalence de la dépression évaluée à 2 mois PP en France hexagonale estimée au sein de cette étude concorde avec les prévalences observées entre 10 et 20% dans plusieurs études internationales 1,3,4. En France, la cohorte Elfe estimant la prévalence de la dépression à deux mois PP auprès de 16 411 femmes (vivant en couple et ayant accouché en 2011 d’un enfant unique dans une des 349 maternités françaises tirées au sort pour participer à l’enquête) montre que près de 12% de ces femmes étaient atteintes de DPP (Score EPDS≥12), ce qui est inférieur à ce que nous observons dans l’ENP2021 pour des femmes en couple et avec un seul enfant (20%) 22. Dans un sous-échantillon de la cohorte française Eden, comprenant 1 632 femmes ayant accouché entre 2003 et 2006 dans deux maternités françaises (CHU de Nancy et Poitiers), 19,1% des femmes présentaient une DPP à 4 mois PP (EPDS≥10) alors que, dans notre travail, la proportion de femmes présentant un score EPDS≥10 à 2 mois était de 29,3% 23. Le design de cette étude (deux centres participant, passation de l’EPDS sur une période PP différente de celle que nous avons définie pour notre travail et seuil EPDS de dépistage inférieur au nôtre) pourrait expliquer la différence observée. Dans l’étude de cohorte IGEDEPP (Interaction of Gene and Environment of Depression during PostPartum), portant sur 3 310 femmes ayant accouché entre 2011 et 2016 dans huit services hospitalo-universitaires de l’agglomération parisienne, la prévalence de la DPP à deux mois était de 8,3% (IC95%: [7,3-9,3]) 4. Cependant, cette étude portait uniquement sur des femmes caucasiennes ayant accouché dans huit centres d’Île-de-France, et le diagnostic de dépression reposait sur un entretien clinique établi sur les critères internationaux. Ces différences méthodologiques, ainsi que les périodes d’évaluation (2011-2016 vs 2021), peuvent expliquer la moindre prévalence de DPP retrouvée dans IGEDEPP comparée à celle calculée pour l’Île-de-France dans notre analyse (19,2%).

Au sein de notre échantillon, la prévalence des DPP variait selon les régions de résidence des femmes avec des différences significatives observées dans certaines régions comparativement au taux hexagonal indépendamment des structures d’âge à l’accouchement dans chacune des régions. À notre connaissance, il n’existait pas, jusqu’à ce jour, d’étude de prévalence de la DPP déclinée en France au niveau régional. Les différences observées entre régions pourraient être liées aux caractéristiques des femmes qui résident sur ces territoires, tant sur le plan sociodémographique (précarité, statut migratoire récent, etc.), que sur leurs histoires obstétricales ou psychiatriques. De même, les régions peuvent avoir certaines spécificités, notamment en termes de stigmatisation des troubles mentaux ou d’accès aux soins psychologiques et psychiatriques à tous les âges de la vie. Des études complémentaires sont nécessaires pour bien appréhender les raisons de ces variations de prévalences entre les régions de l’Hexagone.

Un peu plus d’un quart des femmes étudiées décrivait des manifestations anxieuses importantes (27,6%) sur la base d’un score EPDS-3A≥5. Cette prévalence est supérieure aux 15,2% (estimée 5 à 12 semaines post-partum) rapportés dans la méta-analyse internationale de Dennis et coll. 2. Cette différence pourrait être due à l’hétérogénéité des pays inclus dans cette méta-analyse et aux outils d’auto-évaluation utilisés (principalement le State-Trait Anxiety Inventory). Dans son étude monocentrique réalisée auprès de 138 femmes françaises, l’équipe de Loyal et coll. a utilisé le score EPDS-3A avec un seuil différent (≥4) : une symptomatologie anxieuse à 2 mois PP était décrite chez 36,1% de leur population, quand nous avons 41,1% des femmes en France hexagonale en utilisant le même seuil 10. Les manifestations anxieuses s’avèrent donc plus fréquentes que les manifestations dépressives du PP, dans notre étude comme dans ce qui a été décrit par d’autres auteurs 10.

Nous retrouvons, comme d’autres, que l’anxiété et la dépression à 2 mois PP coexistent fréquemment (13,9% des femmes de notre échantillon, soit 83% des femmes déprimées et 50% des femmes anxieuses) 2,10,24,25. Certains auteurs discutent l’existence de forme spécifique de DPP avec des manifestations anxieuses, d’autres évoquent la comorbidité entre les deux 26. Dans notre échantillon, 49% des femmes anxieuses n’étaient pas dépistées pour la DPP par le score global de l’EPDS, ce qui est supérieur aux données préexistantes publiées sur ce sous-score 10. Ce résultat devrait inciter les cliniciens à rentabiliser chaque questionnaire EPDS en calculant le score de l’EPDS-3A en parallèle du score global de l’EPDS, afin de ne pas limiter le dépistage aux seules femmes présentant une dépression.

Notre étude montre également qu’à deux mois PP, près d’une femme sur 20 ayant accouché en France hexagonale déclarait avoir des idées suicidaires (5,4%). Ces résultats sont légèrement en-deçà de ceux rapportés dans la dernière méta-analyse publiée à ce jour (7%) 11. Cependant, nos travaux reflètent les idées suicidaires survenues « au cours de la dernière semaine » précédant le remplissage de l’auto-questionnaire, alors que dans leur revue, Xiao et coll. considèrent des idées suicidaires survenues sur une période plus large du PP. D’autres facteurs pourraient également expliquer la différence observée entre notre étude et cette méta-analyse, tels que l’outil d’évaluation utilisé, le design de l’étude, l’année d’évaluation, ainsi que les populations étudiées (générale ou clinique) et le contexte culturel. Nos résultats sont cohérents avec les données existantes publiées à partir de l’item 10 de l’EPDS, à la fois dans la revue systématique de la littérature effectuée par Lindahl et coll. en 2005 27 et dans des travaux plus récents 21,28,29. En effet, Lindahl et coll. rapportaient des idées suicidaires chez 4 à 14% des femmes nouvellement accouchées, en cohérence avec les travaux ultérieurs, qui retrouvaient des prévalences comprises entre 3,4% et 9% à 6 semaines PP. L’étude de Kim et coll. portant sur plus de 8 000 femmes évaluées à l’aide de l’EPDS à 6 semaines PP retrouvait une prévalence d’idées suicidaires de 3,4%. Ces femmes bénéficiaient ensuite d’un entretien avec un clinicien spécialisé retrouvant un risque suicidaire considéré comme élevé chez 1,1% d’entre elles. Ainsi, plus d’une femme sur 4 présentant des idées suicidaires selon l’item 10 de l’EPDS avait en effet un risque élevé de passage à l’acte suicidaire. Ce résultat souligne l’importance d’évaluer spécifiquement cet item de l’EPDS pour dépister le risque suicidaire 28, dans un contexte où les suicides représentent la première cause de décès maternels à un an PP, en France comme dans de nombreux pays à haut niveau de ressources 12.

Nos résultats sont à mettre en perspective du contexte de la pandémie. En effet, l’ENP 2021 a inclus des femmes ayant accouché au cours de la troisième vague de la pandémie liée à la Covid-19. La grossesse et l’arrivée de l’enfant se sont donc déroulées au cours d’une période particulière qui a pu affecter leur déroulement, mais également l’organisation familiale. Il est clairement établi que la crise sanitaire a impacté la santé mentale de la population générale. De la même façon, certains travaux, en France et dans d’autres pays, ont montré que les femmes en période périnatale au cours de la pandémie avaient présenté plus de symptômes psychiatriques 30, en particulier davantage d’anxiété, comparées à celles ayant accouché avant la pandémie. Cependant, il semble qu’il y ait eu un pic d’anxiété, survenu dans les premiers mois/premières semaines de la pandémie et du confinement, suivi d’une décroissance et d’un retour à un niveau d’anxiété comparable à celui observé avant la pandémie 31. Il serait intéressant de comparer ces chiffres à ceux des femmes en âge de procréer sur la même période, puis renouveler ce type d’enquête à distance de la crise sanitaire.

Forces et limites

Ce travail repose sur une enquête impliquant l’ensemble des maternités et maisons de naissance réparties sur l’ensemble du territoire national. Grâce à la forte participation des femmes et des établissements, elle a permis d’avoir un échantillon représentatif des accouchements en France lors d’une semaine donnée avec un haut niveau de détails dans des domaines très variés. La qualité des données et notamment leur exhaustivité (peu de données manquantes) a été optimisée grâce au recrutement et à la formation spécifique de sages-femmes enquêtrices en maternité et d’enquêteurs professionnels lors du suivi téléphonique à deux mois. Ce travail original a permis d’obtenir des résultats inédits en France, tant à l’échelle nationale que régionale.

S’ils restent comparables à ceux décrits dans la littérature, les résultats observés présentaient certaines limites. Tout d’abord, notre travail reposait sur l’utilisation de l’EPDS et ses déclinaisons ; il s’agit d’un auto-questionnaire validé uniquement pour le dépistage de la dépression périnatale, et non pour le diagnostic 6,32. Cela a pu conduire à une surestimation des prévalences estimées. Cependant, cet outil est le plus largement utilisé par les chercheurs, il permet donc de comparer nos résultats à ceux de la littérature internationale existante 6. De plus, il s’agit du questionnaire le plus recommandé en pratique clinique, en particulier pour les soignants de première ligne 6,33.

Quant à l’EPDS-3A, s’il n’est pas pertinent pour diagnostiquer les troubles anxieux, c’est-à-dire un trouble psychiatrique caractérisé, il semble en revanche avoir toute sa place dans le dépistage d’une anxiété importante en PP 19. Le cas échéant, son utilisation invite le clinicien à évaluer l’intensité de l’anxiété, connue pour avoir des conséquences pour la santé et le bien-être de la mère et de l’enfant.

L’évaluation des idées suicidaires reposait dans nos travaux sur un item unique de l’EPDS, portant sur « penser à se faire du mal ». S’il s’agit, là encore, d’un usage fréquent, tant dans le dépistage clinique que dans les travaux de recherche sur les idées suicidaires périnatales 11, une évaluation plus complète du risque suicidaire périnatal incluant la nature des idées suicidaires et l’intentionnalité serait pertinente dans d’autres études.

De plus, 3,5% des femmes ayant complété le questionnaire posé à 2 mois PP n’avaient pas ou que partiellement répondu à l’EPDS et ont été exclues de nos analyses. Ces femmes ayant des caractéristiques significativement différentes de notre population d’étude, il serait nécessaire de pouvoir les étudier spécifiquement.

Par ailleurs, l’ENP 2021 s’est déroulée durant la troisième vague de la pandémie liée à la Covid-19 en France, et cela a pu biaiser les prévalences estimées. Ces dernières ont donc besoin d’être confirmées.

La prévalence des manifestations psychiatriques du PP chez les femmes mineures (n<10 pour les 15-17 ans, soit 1/1 000) n’a pu être étudiée ; d’autres études spécifiques devraient s’intéresser particulièrement à cette population vulnérable élargie aux 12-17 ans à l’avenir.

Enfin, les analyses régionales manquent possiblement de puissance statistique, pouvant expliquer l’absence de différence significative entre chaque région et la prévalence hexagonale. Les départements et régions d’outre-mer feront l’objet de communications spécifiques.

Conclusion

En France hexagonale, en 2021, près d’une femme sur six présentait des symptômes de DPP à deux mois PP, un peu plus d’un quart des femmes avaient des manifestations anxieuses et un peu plus d’une femme sur 20 déclarait avoir des idées suicidaires.

Ces résultats renforcent la nécessité d’une évaluation des manifestations psychiatriques en période postnatale et le caractère fondamental des politiques de prévention, en particulier en lien avec le parcours des 1 000 premiers jours, de repérage et de soutien des femmes en période postnatale. En effet, il a été démontré qu’en l’absence de dépistage systématique, on retrouve une sous-déclaration des symptômes psychiatriques et une absence de recours aux soins. Les femmes accueillent favorablement ces dépistages, avec une bonne acceptabilité des auto-questionnaires. Ainsi, les initiatives de dépistage systématique apparaissent comme la première étape à une prise en charge adaptée. Par ailleurs, l’EPDS, malgré ses limites, peut permettre à lui seul d’aider le clinicien dans ce triple dépistage universel des femmes en PP. Il est indispensable d’évaluer ces symptômes précocement et régulièrement après l’accouchement. C’est dans cet objectif que l’entretien postnatal est devenu obligatoire en France pour permettre d’améliorer la prévention, le dépistage et de ce fait la prise en charge des troubles survenant en PP.

Les données très riches de l’ENP 2021 permettront à l’avenir de mieux cerner les déterminants de ces différents troubles du PP dans le contexte français, afin d’orienter les stratégies de prévention vers des sous-groupes de femmes à plus haut risque.

Aspect financier

L’ENP 2021 a été entièrement financée par des fonds publics.

Remerciements

Nous remercions les mères qui ont accepté de participer à l’ENP 2021 et l’ensemble des personnels impliqués dans sa conception, son pilotage, la collecte des données, le monitoring et le data management, sans lesquels cette analyse n’aurait pu être menée.

Intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts au regard du contenu de l’article.

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Citer cet article

Doncarli A, Tebeka S, Demiguel V, Lebreton É, Deneux-Tharaux C, Boudet-Berquier J, et al. Prévalence de la dépression, de l’anxiété et des idées suicidaires à deux mois post-partum : données de l’Enquête nationale périnatale 2021 en France hexagonale. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(18):348-60. http://beh.santepublique
france.fr/beh/2023/18/2023_18_1.html

(1) Recodage Sicore de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), en prenant le niveau le plus agrégé de la nomenclature correspondant au libellé de la profession.