Couverture vaccinale contre la grippe des femmes enceintes, propositions de vaccination et étude des déterminants, France métropolitaine, 2019-2021

// Influenza vaccination coverage IN pregnant women, vaccination proposals and study of determinants, metropolitan France 2019-2021

Sophie Vaux (sophie.vaux@santepubliquefrance.fr), Arnaud Gautier, Noémie Soullier, Arielle Le Masne, Isabelle Bonmarin, Isabelle Parent du Châtelet
Santé publique France, Saint-Maurice
Soumis le 18.01.2023 // Date of submission: 01.18.2023
Mots-clés : Grippe | Couverture vaccinale | Grossesse | Inégalités sociales de santé
Keywords: Influenza | Vaccination coverage | Pregnancy | Social inequalities in health

Résumé

Objectifs –

Notre étude vise à estimer la couverture vaccinale (CV) contre la grippe chez les femmes enceintes et à explorer les déterminants socio-économiques associés. Les objectifs secondaires visent à estimer la proportion de femmes enceintes qui déclarent avoir reçu une proposition de vaccination contre la grippe par un médecin ou une sage-femme ainsi que la proportion de femmes enceintes ayant suivi cette recommandation et les déterminants associés.

Méthode –

Les données ont été recueillies lors de l’enquête Baromètre de Santé publique France réalisée en 2021. Les femmes avec un enfant de moins de 3 ans ont été interrogées sur la vaccination contre la grippe au cours de leur dernière grossesse. Les déterminants ont été étudiés par régressions de Poisson multivariées.

Résultats –

Au total, 731 femmes ont été interrogées. La CV antigrippale des femmes enceintes entre 2019 et 2021 a été estimée à 21,1% (intervalle de confiance à 95%: [17,9-24,8]). Elle était de 21,4% [16,4-27,4] pour celles avec un enfant de moins de 1 an, de 30,6% [23,8-38,4] pour celles avec un enfant de 1 an et majoritairement enceintes après l’émergence du SARS-CoV-2 et de 12,4% [8,4-17,8] pour celles avec un enfant de 2 ans et majoritairement enceintes avant la pandémie. Elle était significativement plus élevée pour les femmes ayant des revenus élevés (31,8% [24,7-39,8]) avec une activité professionnelle (26,2% [22,0-30,9]) que pour celles au chômage (10,7% [6,6-16,6]), et celles résidant dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants ou dans l’agglomération parisienne (25,8% [20,6-31,8]). La vaccination a été proposée par un médecin ou une sage-femme à 36,9% [32,8-41,1] des femmes et moins fréquemment pour les femmes de faible revenu, celles au chômage ou sans activité professionnelle. Enfin, la vaccination était plus fréquemment proposée après l’émergence du SARS-CoV-2.

Conclusion –

La CV antigrippale des femmes enceintes reste très insuffisante en France au regard de l’objectif de vaccination de 75%. La CV, ainsi que la proposition de vaccination, sont marquées par les inégalités sociales de santé.

Abstract

Introduction –

The present study aimed to estimate vaccination coverage (VC) against influenza in pregnant women and to explore the determinants associated with this vaccination. The secondary objectives were to estimate the proportion of pregnant women who had been proposed an influenza vaccination by a doctor or midwife and the proportion of subsequent uptake, along with associated determinants.

Method –

The data were collected during the Santé publique France 2021 Health Barometer survey. Women with a child under 3 years of age were asked about influenza vaccination during their last pregnancy. Determinants were studied by multivariate Poisson regressions.

Results –

A total of 731 women were included. Influenza VC in pregnant women between 2019 and 2021 was estimated at 21.1% (95% confidence interval: [17.9–24.8]). It was 21.4% [16.4–27.4] for those with a child under 1 year old, 30.6% [23.8–38.4] for those with a 1-year-old child and predominantly pregnant after the emergence of SARS-CoV-2, and 12.4% [8.4–17.8] for those with a
2-year-old child and predominantly pregnant prior to the pandemic. It was significantly higher for women with high incomes (31.8% [24.7–39.8]), with a professional activity (26.2% [22.0–30,9]) than for unemployed women (10.7% [6.6–16.6]). Higher VC was also observed among women residing in agglomerations with more than 200,000 inhabitants or in the Paris region (25.8% [20.6–31.8]). Vaccination was proposed by a doctor or midwife to 36.9% [32.8–41.1] of women, and less frequently to women on low incomes, those without work or without professional activity. We also found that vaccination was more frequently proposed after the emergence of SARS-CoV-2.

Conclusion –

Influenza VC in pregnant women remains largely insufficient in France given the vaccination target of 75%. Influenza VC as well as the vaccination proposal are marked by social inequalities in health.

Introduction

Les femmes enceintes et les nouveau-nés sont à risque d’infections grippales graves pouvant se traduire notamment par des morts fœtales ou des délivrances avant terme. Les femmes enceintes et les nourrissons ont des risques accrus d’hospitalisation et de décès 1,2,3. En 2012, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a identifié les femmes enceintes comme groupe prioritaire des programmes de vaccination contre la grippe 4. En France, le Haut Conseil de la santé publique a préconisé la vaccination des femmes enceintes contre la grippe saisonnière, quel que soit le trimestre de la grossesse 5.

Les couvertures vaccinales (CV) contre la grippe chez les femmes enceintes sont très variables d’un pays à l’autre (de 2% à 88%) et généralement sub-optimales 6,7,8. Les facteurs associés à la vaccination contre la grippe pendant la grossesse incluent des questions autour de la sécurité du vaccin, de la croyance sur l’efficacité du vaccin, du niveau de connaissance sur les vaccins, du coût, des facilités d’accès et de l’origine ethnique 6,9,10.

Fin 2019, les premiers cas de Covid-19 ont été identifiés en Chine et fin janvier 2020 en France. La première vague épidémique est survenue en France entre mars et avril 2020, la seconde entre octobre et novembre 2020, puis d’autres vagues se sont ensuite succédées, avec l’émergence des différents variants de SARS-CoV-2 (1). La pandémie grippale de 2009-2010 a eu des conséquences en France sur les CV contre la grippe saisonnière en population générale, ainsi que chez les femmes enceintes 7. Dans le contexte particulier de la pandémie de Covid-19, il était important d’évaluer les évolutions des CV contre la grippe des femmes enceintes, ainsi que les déterminants associés.

L’objectif principal de cette analyse est d’estimer la CV contre la grippe des femmes enceintes en France métropolitaine et les déterminants socio-économiques associés à cette vaccination sur la période 2019-2021. Les objectifs secondaires sont d’estimer la proportion de femmes enceintes qui déclarent que la vaccination leur a été proposée par un médecin ou une sage-femme, les déterminants associés à cette proposition, ainsi que la proportion des femmes enceintes qui ont suivi cette proposition et les déterminants associés.

Méthode

Organisation de l’enquête

Cette étude a été réalisée à partir des données de l’enquête Baromètre de Santé publique France 2021. Depuis 1992, plusieurs enquêtes du Baromètre Santé ont été mises en place. Il s’agit d’enquêtes permettant de mieux connaître les connaissances, les attitudes, les croyances et les pratiques des Français en matière de santé. La méthode d’enquête a été précédemment décrite 11. Elle repose sur une génération aléatoire de numéros de téléphone fixe et mobile. Le champ de l’enquête inclut les personnes âgées de 18 à 85 ans résidant en France métropolitaine et parlant le français.

Les participants ont été sélectionnés selon un sondage à deux degrés sur ligne fixe (1. Sélection du foyer par génération aléatoire de numéros de téléphone ; 2. sélection de l’individu du foyer à interroger selon la méthode Kish 12) et à un degré sur ligne mobile (sélection de la personne qui décroche). L’enquête a été menée par téléphone par l’institut Ipsos, en France métropolitaine du 11 février au 15 décembre 2021 (trêve estivale du 19 juillet au 22 août) 13.

Population étudiée

Étaient incluses les femmes ayant eu un enfant au cours des trois dernières années (enfant âgé de moins de 3 ans). Si une femme avait eu plusieurs grossesses sur cette période, elle était interrogée uniquement sur la dernière.

Variables étudiées

Les femmes étaient interrogées sur la proposition ou non de la vaccination contre la grippe pendant leur grossesse par un médecin ou une sage-femme (réponse : oui, non, ne sait pas), et concernant la réalisation ou non de la vaccination pendant la grossesse (réponse : oui, non, ne sait pas). Les déterminants étudiés étaient : l’âge de la femme, l’âge de l’enfant (<1 an, 1 ou 2 ans), le niveau d’étude (sans diplôme ou inférieur au baccalauréat, bac ou équivalent, bac + 2, bac + 3 ou 4, bac + 5 ou plus), la situation professionnelle (en activité, étudiant, chômage ou autre inactif), la nationalité (nationalité française de naissance, française acquise, étrangère), le revenu moyen rapporté à l’unité de consommation du foyer (revenu/UC, en terciles), la taille d’unité urbaine de résidence (rural ou <20 000 habitants, 20 000 à 199 999, ≥200 000 ou agglomération parisienne), et la région de résidence (les régions Provence-Alpes Côte d’Azur et Corse sont regroupées).

La période de la grossesse peut être estimée grâce à l’âge de l’enfant. Les femmes interrogées en 2021 et ayant un enfant de 2 ans ont ainsi été majoritairement enceintes avant l’émergence du SARS-CoV-2, celles avec un enfant de 1 an majoritairement enceintes lors de l’année de son émergence, et celles avec un enfant de moins de 1 an majoritairement enceintes après son émergence.

Analyse des données

Les estimations ont été pondérées, afin de tenir compte de la probabilité d’inclusion (au sein du ménage et en fonction de l’équipement téléphonique) et de la structure de la population via un calage sur marges utilisant les variables suivantes : le sexe croisé avec l’âge en tranches décennales et la région, la taille d’unité urbaine, la taille du foyer et le niveau de diplôme (population de référence : Institut national de la statistique et des études économiques – Insee –, enquête emploi 2020).

Les résultats sont présentés avec les pourcentages et leurs intervalles de confiance à 95% (IC95%). Pour une femme déclarant ne pas savoir si une proposition de vaccination lui a été faite, il est considéré que cette proposition ne lui a pas été donnée. Une femme déclarant ne pas savoir si elle a été ou non vaccinée contre la grippe est considérée comme non vaccinée.

Les analyses bivariées et multivariées ont été réalisées par régressions de Poisson.

Tous les déterminants avec une valeur de p<0,2 dans les analyses bivariées (au moins une modalité <0,2) ont été inclus dans les analyses multivariées et sont présentés dans les tableaux de résultats. L’analyse multivariée finale a été construite par élimination descendante. Seules les variables ou modalités avec une valeur de p<0,05 ont été conservées dans l’analyse définitive. Les valeurs des p-globales dans les analyses bivariées (Chi2 de Pearson, correction design-based) et multivariées sont présentées dans les tableaux. Les ratios de prévalence bruts 14 et ajustés (RPa) sont utilisés pour mesurer l’association. Afin de tester les possibles facteurs de confusion, les variables exclues du modèle définitif sont réintroduites une à une. Les facteurs de confusion sont définis par une modification ≥30% des ratios de prévalence.

Les analyses ont été réalisées avec Stata® SE.64 15.1 (StataCorp, USA).

Résultats

Participation

Au total, en France métropolitaine, 24 514 personnes ont été interrogées, 17 496 sur téléphone mobile (71%) et 7 018 sur téléphone fixe (29%). Le taux de participation révisé, c’est-à-dire tenant compte de la part des éligibles parmi les ménages non joints, s’est élevé à 44,3% (39,5% sur fixes et 46,5% sur les téléphones mobiles).

Sur cet échantillon, 731 femmes ont déclaré avoir au moins un enfant de moins de 3 ans (hors enfant adopté) et ont été interrogées sur la vaccination contre la grippe au cours de leur grossesse.

Couverture vaccinale contre la grippe

En France métropolitaine, 21,1% (IC95%: [17,9-24,8]) des femmes ayant un enfant de moins de 3 ans ont déclaré avoir été vaccinées au cours de leur grossesse, 78,3% [74,6-81,6] ont déclaré ne pas l’avoir été et 0,6% [0,2-1,7] ne pas savoir si elles l’ont été. Les analyses multivariées montrent que cette CV varie en fonction des années : elle est plus élevée pour les femmes dont l’enfant était âgé de 1 an lors de l’enquête (30,6% [23,8-38,4]), ainsi que pour celles dont l’enfant était âgé de moins de 1 an (21,4% [16,4-27,4]), donc majoritairement enceintes après l’émergence de la Covid-19 en comparaison aux femmes avec un enfant de deux ans, majoritairement enceintes avant l’émergence de la Covid-19 (12,4% [8,4-17,8]).

Les CV contre la grippe des femmes vivant dans un foyer avec les plus hauts revenus (>1 800 euros/UC) étaient significativement plus élevées (31,8% [24,7-39,8]) que celles des femmes vivant dans un foyer avec les plus bas revenus (≤1 170 euros/UC). Les femmes se déclarant au chômage ou sans activité professionnelle étaient significativement moins bien vaccinées (10,7% [6,6-16,6]) que celles avec une activité professionnelle (26,2% [22,0-30,9]).

La CV était également significativement plus élevée pour les femmes résidant dans les grandes agglomérations (≥200 000 et agglomération parisienne : 25,8% [20,6-31,8]) que pour les femmes habitant en milieu rural ou dans des agglomérations de <20 000 habitants (17,5% [12,9-23,3]). Des différences régionales sont observées (tableau 1).

Parmi les femmes ayant déclaré avoir reçu une proposition de vaccination contre la grippe pendant la grossesse, 52,7% [45,9-59,4] ont déclaré s’être fait vacciner.

Tableau 1 : Couverture vaccinale contre la grippe de la femme enceinte : analyses descriptives, bivariées et multivariées par régression de Poisson, Baromètre santé 2021, France métropolitaine (n=731)
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Proposition de la vaccination grippe par un médecin ou une sage-femme

En France métropolitaine, 36,9% [32,8-41,1] des femmes ont déclaré qu’un médecin ou une sage-femme leur avait proposé la vaccination contre la grippe au cours de leur grossesse, 62,0% [57,7-66,1] ont déclaré que ce n’était pas le cas et 1,1% [0,5-2,6] qu’elles ne savaient pas.

À l’issue des analyses multivariées, selon les déclarations des femmes, la vaccination contre la grippe pendant la grossesse a été plus fréquemment proposée aux femmes ayant un enfant de 1 an (44,7% [37,0-52,6]), donc majoritairement enceintes après l’émergence du SARS-CoV-2 en comparaison avec celles ayant un enfant de deux ans (29,9% [23,7-37,0]), majoritairement enceintes avant l’émergence du SARS-CoV-2. Elle a aussi été plus fréquemment proposée à celles vivant dans un foyer avec un revenu/UC compris entre 1 170 et 1 800 € (48,8% [41,4-56,3]) en comparaison à celles déclarant vivre dans un foyer avec un revenu de moins de 1 170 € (30,1% [24,1-36,8]), et à celles avec un emploi (43,4% [38,4-48,5]) en comparaison à celles se déclarant au chômage ou sans activité professionnelle (23,2% [18,1-31,7]). Des différences régionales sont observées (tableau 2).

Parmi les femmes qui ont déclaré ne pas avoir reçu de proposition de vaccination contre la grippe pendant la grossesse ou qui ne savaient pas si elles en avaient reçu, 2,7% [1,4-4,9] ont déclaré s’être fait vacciner. La quasi-totalité des femmes enceintes ayant été vaccinées contre la grippe ont déclaré avoir reçu une recommandation de vaccination par un médecin ou une sage-femme (92,0% [85,8-95,7], RP=19,7
[10,6-36,9]).

Tableau 2 : Proposition de vaccination contre la grippe pendant la grossesse par un médecin ou une sage-femme : analyses descriptives, bivariées et multivariées par régression de Poisson, Baromètre santé 2021, France métropolitaine (n=731)
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Suivi de la proposition de vaccination contre la grippe

Parmi les femmes ayant reçu la proposition de se faire vacciner contre la grippe par un médecin ou sage-femme, 52,7% [45,9-59,4] se sont fait vacciner.

Cette proportion variait en fonction de l’âge de l’enfant, la proportion la plus élevée étant pour les femmes avec un enfant de 1 an et ayant donc été majoritairement enceintes lors de la saison grippale 2019-2020 (63,0% [51,3-73,2] vs 37,7% [26,2-50,8%]). Elle variait également en fonction des revenus : les femmes vivant dans un foyer avec les plus hauts revenus (>1 800 €/UC) ont suivi plus fréquemment la proposition de vaccination (67,1% [55,4-77,0]) que les femmes vivant dans un foyer avec les plus bas revenus (41,9% [30,3-54,4]) (tableau 3).

Tableau 3 : Proportion des femmes vaccinées pendant la grossesse après une recommandation par un médecin ou une sage-femme : analyses descriptives, bivariées et multivariées par régression de Poisson, Baromètre santé 2021, France métropolitaine (n=296)
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Discussion

Couverture vaccinale contre la grippe des femmes enceintes

La CV des femmes enceintes pour la période 2019-2021 a été estimée à 21,1% [17,9-24,8]. Cette CV a fortement varié en fonction de la date de la grossesse par rapport à la période d’émergence de
la Covid-19.

Si la CV reste faible, elle est cependant en augmentation en comparaison aux données de la littérature. Lors de la pandémie grippale en 2009-2010, la CV des femmes enceintes avait été estimée à
5,4% [1,8-15,4] pour le vaccin contre la grippe saisonnière et à 12,8% [5,7-26,1] pour le vaccin contre la grippe pandémique 7. Lors de la saison 2015-2016, la CV contre la grippe saisonnière a été estimée à 7,4% [6,9-7,9] dans le cadre de l’enquête nationale périnatale (ENP) 2016 6. Sur la base des données de l’Assurance maladie, il a été estimé que 4,1% des femmes enceintes avaient eu un remboursement de vaccin grippal en 2018 15. Il est cependant possible que toutes les vaccinations contre la grippe des femmes enceintes ne soient pas remboursées par l’Assurance maladie (ex : vaccinations fournies gratuitement en centre de protection maternelle et infantile (PMI), au travail, etc.).

Nos estimations de CV sont cohérentes avec celles de l’ENP 2021 qui estime la CV antigrippale des femmes enceintes pour la saison 2020-2021 à 30,4% [29,6-31,3] (vs 30,6 [23,8-38,4] pour les femmes avec un enfant de 1 an dans notre étude) 16. Les variations de CV contre la grippe chez les femmes enceintes sont cohérentes avec celles observées pour d’autres populations à risque pour la grippe, pour lesquelles il a été montré une augmentation lors de la première année de la pandémie à SARS-CoV-2. Les CV contre la grippe ont ainsi été estimées en France chez les sujets à risque de moins de 65 ans à 31,0% lors de la saison 2019-2020, à 38,7% lors de la saison 2020-2021 et 34,3% en 2021-2022, et chez les personnes âgées de 65 ans et plus à 52,0% lors de la saison 2019-2020, 59,9% lors de la saison 2020-2021 et 56,8% lors de la saison 2021-2022 17.

Dans notre étude, la CV contre la grippe des femmes enceintes varie en fonction des revenus du foyer et de la situation professionnelle, comme ceci avait été précédemment décrit en 2015-2016 6. Les autres déterminants identifiés étaient l’âge avancé de la mère, le niveau d’éducation, des facteurs de risque pour la grippe pré-existant à la grossesse, le nombre d’enfants et le type de professionnel de santé ayant suivi la grossesse. Dans notre étude, des tendances équivalentes ont été observées avec des CV qui tendent à être plus élevées pour les femmes les plus âgées et celles avec le niveau d’étude le plus élevé. La taille d’échantillon a pu conduire à un manque de puissance limitant la mise en évidence de déterminants à l’issue des analyses multivariées.

Le recours à la vaccination contre la grippe n’est pas le même selon la catégorie sociale des femmes enceintes, témoignant d’inégalités sociales de santé, comme ceci avait été montré par exemple pour la vaccination contre les infections à papillomavirus des jeunes filles 18,19, pour la vaccination contre la grippe chez les adultes 20, mais également plus largement sur la prise en charge globale des patients 21,22. Les raisons de non-vaccination sont probablement multifactorielles. Les différences pourraient potentiellement s’expliquer par un renoncement aux soins des femmes durant leur grossesse du fait de leur situation financière, leurs caractéristiques socio-économiques ou de variables psychosociales 23. Le recours aux soins et les modalités de suivi de la grossesse (telles que les caractéristiques du professionnel de santé impliqué, le nombre de consultations, le suivi échographique, le dépistage prénatal) n’ont cependant pas été recueillis dans notre étude.

Proposition de la vaccination par un médecin ou une sage-femme

À peine plus d’un tiers des femmes (36,9%) ont déclaré que la vaccination contre la grippe leur avait été proposée par un médecin ou une sage-femme pendant la grossesse. Cette proportion a varié en fonction de l’âge de l’enfant. Ce pourcentage était de 44,7% pour celles ayant un enfant de 1 an, qui étaient donc majoritairement enceintes après l’émergence du SARS-CoV-2. Pour la saison 2020-2021, 59% des femmes ont indiqué que la vaccination contre la grippe leur avait été proposée au cours de la grossesse 16. Il avait été précédemment estimé qu’une proposition de vaccination avait été faite à 24,9% des femmes lors de la saison 2015-2016 en France 6. En 2017, à Paris, seules 17% des sages-femmes déclaraient recommander systématiquement la vaccination antigrippale à leurs patientes et 10% la prescrivaient systématiquement 24. Ces faibles proportions sont d’autant plus préjudiciables que nos résultats montrent l’importance de la proposition vaccinale par un professionnel pour la réalisation effective de la vaccination. Le professionnel de santé est un relai majeur dans la décision de réalisation de la vaccination 14. Les femmes enceintes, comme les jeunes parents, se tournent plus facilement vers un professionnel de santé pour disposer d’informations fiables sur la vaccination en général 25,26.

Malgré la proposition de vaccination, seule un peu plus de la moitié des femmes (52,7%) l’ont réalisée. Cette proportion est en évolution en comparaison avec les données antérieures. En 2015-2016, il avait été estimé que moins de 30% avaient suivi cette proposition 6. Cependant, il ne peut pas être déterminé si les raisons de non-vaccination sont liées ou non à un refus clair de la vaccination contre la grippe par la femme lors de sa grossesse.

La proportion des femmes ayant suivi la proposition de vaccination a augmenté au cours des dernières années, passant de 37,7% pour les femmes enceintes avant la pandémie à 63,0% pour celles ayant été majoritairement enceintes après l’émergence du SARS-CoV-2. Il est également observé une augmentation de la proportion des femmes pour lesquelles la vaccination a été proposée (44,7%) après l’émergence du SARS-CoV-2, en comparaison à la saison antérieure (29,9%).

À la suite de l’émergence de la Covid-19, ces résultats vont dans le sens d’une plus grande sensibilisation des médecins, des sages-femmes et des femmes enceintes dans le contexte pandémique et ce, alors que les vaccins contre le SARS-CoV-2 n’étaient pas encore disponibles.

Nous observons également que le pourcentage des femmes ayant été vaccinées alors qu’elles en avaient reçu la proposition était plus élevé pour les femmes aux plus hauts revenus et celles ayant été principalement enceintes après l’émergence du SARS-CoV-2.

La proposition de vaccination varie en fonction du niveau de revenu de la femme et de sa situation professionnelle. Ces différents résultats laissent également envisager que les médecins ou sages-femmes aient proposé plus aisément la vaccination contre la grippe aux femmes qu’ils pensaient être les plus susceptibles de l’accepter. Des études ont notamment montré que la prise en charge médicale était optimisée pour les patients avec lesquels les échanges étaient aisés et qui ne contestaient pas l’autorité médicale 21. Il serait ainsi utile d’analyser plus précisément les freins et leviers des médecins et sages-femmes à la proposition de la vaccination antigrippale aux femmes enceintes, en vue de proposer des actions efficientes ou d’adapter, au besoin, les actions de communication vers ces professionnels ou plus généralement du grand public en vue d’améliorer les CV. Les déterminants des pratiques professionnelles ne relèvent certainement pas que des seuls comportements individuels, mais sont probablement multifactoriels (temps disponible, qualité de la formation, outils de prévention disponibles, perception du risque de refus, etc.). Plus globalement, l’acceptation de la vaccination par la femme enceinte est multifactorielle et est liée à la facilité d’accès à cette vaccination, aux arguments employés, à l’influence de la famille et de la communauté autour de la femme, à l’opinion du professionnel de santé et de la relation de la femme avec le professionnel de santé 27.

Après la crise de la grippe pandémique, l’adhésion vaccinale avait fortement décru en France, notamment pour ce qui concerne la vaccination antigrippale 7. La méthode de l’entretien motivationnel, qui a montré son efficacité pour augmenter les intentions de vaccination et les CV des jeunes nouveau-nés au Québec mériterait d’être étudiée auprès de la population des femmes enceintes 28.

Limites de l’étude

Notre étude présente certaines limites. La période exacte de la grossesse n’est pas disponible, ce qui limite la possibilité de faire des analyses par saison. Les CV sont estimées à partir de données déclaratives qui sont sujettes à des biais de mémoire. Les auteurs pensent cependant que ce risque est limité du fait du délai relativement court entre la grossesse et l’enquête (trois années au maximum) et la sensibilité certainement plus importante des femmes aux mesures médicales suivies pendant leur grossesse. Les femmes ayant répondu qu’elles ne savaient pas si elles avaient été vaccinées ont été considérées comme non vaccinées. Les CV peuvent de ce fait être sous-estimées. Le pourcentage de femmes déclarant ne pas savoir si elles ont été vaccinées est cependant très faible. La mise en œuvre de carnets de vaccination électroniques pour toutes les personnes résidant en France qui seraient correctement renseignées permettrait de disposer de données de CV de qualité qui ne présenteraient cependant pas ce biais.

Une autre limite de l’étude est de ne disposer d’estimations que pour la France métropolitaine. Les CV de la femme enceinte et ses déterminants n’ont ainsi pas pu être étudiés dans les départements et territoires d’outre-mer (DROM), alors que dans ces territoires les CV contre la grippe y sont inférieures à celles observées en France métropolitaine, aussi bien dans les populations à risque que chez les professionnels de santé 17,29.

Du fait de la taille d’échantillon réduite, il convient également de rester prudent sur les estimations régionales et leurs comparaisons.

L’enquête Baromètre, par sa méthodologie, exclut les personnes ne disposant pas de téléphone, ainsi que les personnes non francophones. Si les différences de CV entre les femmes de nationalité française et celles d’origine étrangère ne sont pas mises en évidence dans notre étude, il ne peut être exclu que la non-prise en compte de ces personnes ait pu contribuer à un biais dans les estimations.

Conclusion

Bien qu’en augmentation, notamment dans le contexte de la crise liée à la Covid-19, la CV contre la grippe des femmes enceintes reste insuffisante en France par rapport aux objectifs fixés (CV de 75% chez les personnes à risque) et marquée par les inégalités sociales de santé. Les propositions de vaccination des femmes enceintes par les médecins généralistes et les sages-femmes font également apparaître des différences en fonction des caractéristiques socio-économiques des femmes.

Remerciements

Les auteurs remercient l’ensemble des participants aux études liées au Baromètre de Santé publique France 2021, France métropolitaine. Les auteurs remercient également Pierre Arwidson et Laura Zanetti de Santé publique France pour leurs relectures critiques de l’article.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.

Références

1 Bonmarin I, Belchior E, Haeghebaert S, Servas V, Watrin M, Lévy-Bruhl D. Cas graves de grippe admis en réanimation en France, saison 2010-2011. Bull Épidémiol Hebd. 2011;(37-38):398-401. https://www.santepublique
france.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/article/cas-graves-de-grippe-admis-en-reanimation-en-france-saison-2010-2011
2 Mosby LG, Rasmussen SA, Jamieson DJ. 2009 pandemic influenza A (H1N1) in pregnancy: A systematic review of the literature. Am J Obstet Gynecol. 2011;205(1):10-8.
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Citer cet article

Vaux S, Gautier A, Soullier N, Le Masne A, Bonmarin I, Parent du Châtelet I. Couverture vaccinale contre la grippe des femmes enceintes, propositions de vaccination et étude des déterminants, France métropolitaine, 2019-2021. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(17):338-46. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/17/2023_17_3.html

(1) Sante publique France. InfoCOVIDFrance : chiffres clés et évolution de la COVID-19 en France. https://www.santepubliquefrance.fr/
dossiers/coronavirus-covid-19/coronavirus-chiffres-cles-et-evolution-de-la-covid-19-en-france-et-dans-le-monde