Grossesse et alcool : évolution des connaissances et perceptions des Français entre 2004 et 2020
// Pregnancy and alcohol: Changes in the knowledge and perceptions of the French population between 2004 and 2020
Résumé
Introduction –
La consommation d’alcool pendant la grossesse comporte des risques pour le développement du fœtus. Par principe de précaution, il est recommandé de ne pas boire d’alcool pendant toute la durée de la grossesse et d’éviter de consommer pendant l’allaitement. L’objectif de cette étude est de décrire l’évolution des connaissances et perceptions des Français à ce sujet, entre 2004 et 2020.
Méthode –
Les données utilisées sont issues d’une enquête téléphonique transversale répétée en France métropolitaine en 2004, 2007, 2015, 2017 et 2020 auprès d’un échantillon construit selon la méthode des quotas de 1 000 personnes par vague, âgées de 15 ans et plus.
Résultats –
La recommandation du repère « zéro alcool pendant la grossesse » s’est progressivement installée dans les représentations du public : 91% des personnes interrogées la connaissent en 2020 (+10 points entre 2004 et 2020), sans différence selon le sexe. Presque la moitié (46%) déclare qu’il existe un risque dès le premier verre (+22 points). La proportion de ceux qui déclarent qu’un verre pour les grandes occasions ne comporte pas de risque a été divisée par deux entre 2004 et 2020 (48% vs 25%). Des différences sociodémographiques demeurent en 2020. La principale source d’information des femmes était les proches (42%), suivis par les professionnels de santé (38%) et les médias (37%).
Conclusion –
Malgré des améliorations, il existe encore un écart entre la connaissance du « zéro alcool pendant la grossesse » et les perceptions des niveaux de consommation à risque pour des faibles quantités. Il apparaît nécessaire de continuer à communiquer auprès d’un public large.
Abstract
Introduction –
Alcohol consumption during pregnancy involves risks for the developing baby. As a precautionary principle, it is recommended not to drink alcohol during pregnancy and to avoid drinking while breastfeeding. This study describes the evolution between 2004 and 2020 of French people’s knowledge on and perceptions of the risks concerning alcohol consumption during pregnancy.
Method –
The data come from a cross-sectional phone survey carried out in mainland France in 2004, 2007, 2015, 2017 and 2020. Each wave used a sample of 1,000 people aged 15 years and over (quota sampling).
Results –
Notoriety of the recommendation "zero alcohol during pregnancy" has gradually increased, with 91% of respondents aware in 2020 (+10 points between 2004 and 2020) and with no difference according to gender. Almost half (46%) declared that alcohol consumption carries risks from the first drink (+22 points). The proportion of people holding the opinion that one drink on special occasions is risk-free has halved between 2004 and 2020 (48% vs 25%). Socio-demographic differences remain in 2020. The main source of information for women was family and friends (42%), followed by health professionals (38%) and the media (37%).
Conclusion –
Despite improvements, there is still a gap between knowledge of the recommendation “zero alcohol during pregnancy” and perceptions of risk levels for small amounts. There is a need to continue communicating to a wide audience on this point.
Introduction
La consommation d’alcool pendant la grossesse comporte des risques qui peuvent être graves pour le développement du bébé, au niveau physique, cognitif et comportemental 1,2. Le diagnostic des personnes présentant un trouble de l’alcoolisation fœtale, sévère ou léger, reste aujourd’hui difficile à établir. En France, à partir de l’analyse de bases médico-administratives entre 2009 et 2013, une étude a estimé que 0,48 nourrisson pour 1 000 naissances avait été diagnostiqué avec un trouble causé par l’alcoolisation fœtale 3. À date, les études scientifiques ne permettent pas d’identifier des quantités d’alcool ou une période au cours de la grossesse qui seraient sans risque pour le fœtus. Par principe de précaution, les recommandations françaises 4 sont donc de ne pas boire d’alcool pendant la grossesse, et même de s’abstenir dès lors qu’il y a un projet de grossesse. Il est également recommandé d’éviter de consommer lors de la période de l’allaitement, le délai nécessaire à l’élimination de l’alcool dans le lait maternel après une consommation étant long 1,4,5.
À partir de données déclaratives, il est difficile d’estimer la proportion de femmes qui consomment de l’alcool pendant leur grossesse, de manière régulière ou ponctuelle. Cela s’explique par un biais de mémoire et surtout par un effet de désirabilité sociale, c’est-à-dire le fait de donner une réponse qui serait socialement plus acceptable et qui permet de se présenter sous un jour plus favorable à l’enquêteur. Ainsi, en 2017, 12% des mères d’enfants de 5 ans ou moins ont déclaré avoir consommé de l’alcool, même de manière occasionnelle, pendant leur grossesse dans le Baromètre de Santé publique France 6. Dans l’Enquête nationale périnatale 2021, 3% des femmes ont déclaré en avoir consommé pendant leur grossesse 7. Cependant, quelles que soient les enquêtes, la part de femmes déclarant avoir consommé de l’alcool pendant leur grossesse a fortement diminué en dix ans 8,9,10.
À partir des années 2000, il est apparu nécessaire de faire évoluer les connaissances concernant les risques de l’alcool pendant la grossesse auprès des femmes en âge de procréer, et plus largement de l’ensemble de la population, dès l’adolescence, pour favoriser la mise en place de normes de non-consommation pendant la grossesse. Pour informer sur ces risques et promouvoir le principe du « zéro alcool pendant la grossesse », des campagnes d’envergure nationale à destination du grand public ont été déployées par les autorités sanitaires. En 2004, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) lançait la campagne « 0 alcool – 0 tabac pendant la grossesse ». En 2006 et 2007, au moment de la mise en place des messages d’informations sanitaires sur les contenants de boissons alcoolisées (sous la forme d’un pictogramme ou d’un message écrit), une campagne a de nouveau été diffusée. À partir de 2016, cinq campagnes ont été diffusées annuellement en septembre par Santé publique France, à l’occasion de la journée mondiale du syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF). Ces campagnes visaient à expliquer le principe de précaution et à rappeler les risques, même lors de consommations d’alcool occasionnelles, et, pour les campagnes plus récentes, à encourager l’entourage des femmes enceintes à les soutenir dans leur abstinence pendant la grossesse.
Cet article a pour objectif, à partir d’une enquête répétée cinq fois entre 2004 et 2020, de décrire l’évolution des connaissances et des perceptions des Français sur les risques concernant la consommation d’alcool pendant la grossesse.
Méthode
Les données sont issues d’une enquête téléphonique transversale répétée, conduite en 2004 (terrain du 19 au 20 novembre, n=1 003), 2007 (7-8 décembre, n=1 006), 2015 (25-27 juin, n=1 005), 2017 (19-20 mai, n=1 004) et 2020 (29 juin-7 juillet, n=1 006), réalisée par l’institut BVA. Les personnes interrogées, âgées d’au moins 15 ans et résidant en France métropolitaine, ont été contactées à partir d’annuaires téléphoniques issus des fichiers d’abonnés des principaux opérateurs de téléphonie et complétés par une génération aléatoire de numéros de téléphones mobiles.
L’échantillon a été construit selon la méthode des quotas sur les variables sexe, âge, profession de la personne de référence du ménage (PRM), région et catégorie d’agglomération. Les données ont ensuite été redressées à partir du recensement général de la population de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) disponible à la date de l’enquête.
La formulation des questions, communes aux cinq vagues, est détaillée dans une publication antérieure 11. Les deux questions portant sur la perception des niveaux de consommation d’alcool présentant des risques (« À votre avis, à partir de quelle quantité la consommation d’alcool par la femme enceinte comporte-t-elle des risques pour le bébé ? » et « D’après vous, quelle est la quantité d’alcool que la femme enceinte peut consommer sans prendre de risque pour son bébé ? ») comportaient des modalités suggérées (« de un à deux verres par mois », « un à deux verres par jour », etc. et « quelques gorgées de temps en temps », « un verre pour les grandes occasions », « un verre ou deux dans le mois », etc.) et des modalités non suggérées (« dès le premier verre » et « aucune, il n’existe pas de consommation sans risque »). L’objectif de ces modalités non suggérées était de pouvoir mesurer le niveau de connaissance sans influencer les réponses et permettre ainsi de renseigner les perceptions spontanément exprimées par les répondants.
Les comparaisons ont été testées statistiquement au moyen du test du Chi2 de Pearson. Des régressions logistiques ont été réalisées mais ne sont pas présentées ici : seules les différences par rapport aux analyses descriptives sont mentionnées. Les analyses ont été réalisées avec le logiciel Stata/SE 16.0®.
Résultats
Connaissance des recommandations et idées reçues
Évolutions entre 2004 et 2020
Une question de connaissance de la recommandation du « zéro alcool pendant la grossesse » a été posée parmi plusieurs autres recommandations destinées aux femmes enceintes, vraies ou non fondées mais qui ont circulé ou circulent encore (consommation de viande crue, de tabac, d’alcool, de produits laitiers). En 2020, 91% des personnes âgées de 15 ans et plus estimaient qu’« il ne faut pas boire du tout d’alcool pendant la grossesse » (figure 1a). Cette proportion a augmenté de 10 points entre 2004 et 2020, passant de 81% à 91% (p<0,001). Ce niveau est similaire à la connaissance de la recommandation pour le tabac, 90% déclarant qu’il ne faut pas fumer de cigarettes pendant la grossesse en 2020 (proportion relativement stable sur la période étudiée).
En miroir, les idées reçues sur la consommation de vin pendant la grossesse et de bière pendant l’allaitement ont reculé. Ainsi, la proportion de personnes déclarant qu’il était faux de dire « qu’il est conseillé de boire un petit verre de vin de temps en temps pendant la grossesse » a augmenté de 16 points entre 2004 et 2020 (p<0,001), de manière quasi linéaire, atteignant 81% en 2020. De même, en 2020, 77% déclaraient qu’il était faux de dire qu’il « est conseillé de boire un peu de bière pendant la période de l’allaitement » contre 68% en 2004 (p<0,001). Cette proportion était relativement stable les dernières années : elle a à nouveau augmenté à partir de 2017 (72% en 2017 vs 77% en 2020, p=0,02).
Ces évolutions ne sont pas similaires selon le sexe. Depuis 2004, les connaissances des femmes sur les trois énoncés ont significativement augmenté au cours des 16 dernières années (figure 1b). Les niveaux concernant l’allégation sur la bière et celui du « zéro alcool pendant la grossesse » étaient néanmoins stables entre 2007 et 2017. La croyance sur le vin a reculé de manière linéaire sur l’ensemble de la période parmi les femmes.
Pour les hommes (figure 1c), une augmentation de 7 points sur la connaissance de la recommandation du « zéro alcool pendant la grossesse » est observée entre 2004 et 2020 (p=0,001). Aucune évolution significative sur l’ensemble de la période n’est observée concernant la proportion de personnes déclarant qu’il est faux de conseiller de boire de la bière pendant l’allaitement. En effet, une baisse de la proportion de bonnes réponses entre 2004 et 2007 est notée (p<0,01) avant de reprendre une tendance à la hausse. Enfin, pour la première fois en 2017, on observe une augmentation significative concernant la notion de non-consommation de vin pendant la grossesse chez les hommes (67% en 2015 vs 75% en 2017, p<0,01), ce qui se traduit, au global, par une augmentation de la proportion de réponses conformes sur cet énoncé sur l’ensemble de la période (67% en 2004 vs 75% en 2020, p<0,01).
Différences sociodémographiques en 2020
En 2020, la connaissance du « zéro alcool pendant la grossesse » et les réponses conformes aux recommandations sur la bière pendant l’allaitement atteignaient un niveau similaire entre les sexes (tableau). Les femmes donnaient néanmoins plus souvent la réponse conforme pour l’idée reçue sur le vin (86% des femmes vs 75% des hommes, p<0,001). Des différences en fonction de l’âge sont également observées en 2020. Ainsi, les 25-34 ans sont significativement plus nombreux à être d’accord avec le fait qu’il ne faut pas boire d’alcool pendant la grossesse (95% des 25-34 ans), qu’il est déconseillé de boire du vin pendant la grossesse (91%) et de boire de la bière pendant la période d’allaitement (88%). Les femmes en âge de procréer (15-49 ans) étaient ainsi 93% à donner les bonnes réponses pour l’abstinence pendant la grossesse, 93% pour l’idée reçue sur le vin pendant la grossesse et 84% pour l’idée reçue sur la bière pendant l’allaitement.
Les personnes ayant un niveau d’études égal ou supérieur au baccalauréat déclaraient plus souvent les réponses conformes aux recommandations concernant le zéro alcool (92% vs 87% niveau d’études inférieur au bac, p<0,05), l’idée reçue sur la bière (79% vs 70%, p<0,01), et celle sur le vin (83% vs 72%, p<0,001).
Par ailleurs, les personnes ayant des enfants donnaient également plus souvent les bonnes réponses concernant l’énoncé sur le vin et la bière, et les personnes en couple plus souvent les bonnes réponses pour la recommandation du « zéro alcool ». Les consommateurs d’alcool les plus réguliers (avec une fréquence de consommation de 4 fois par semaine à tous les jours) étaient moins nombreux à donner les réponses conformes sur le vin et la bière.
Perception des niveaux de consommation présentant des risques
Évolutions entre 2004 et 2020
En 2020, 46% des individus interrogés déclaraient que la consommation d’alcool par la femme enceinte comportait des risques pour le bébé dès le premier verre (modalité non suggérée). Une forte augmentation est observée sur l’ensemble de la période 2004-2020, puisqu’ils n’étaient que 24% à identifier spontanément ce seuil de risque en 2004 (p<0,001). Néanmoins, une baisse de 8 points (p<0,001) était observée entre 2007 et 2015, avant de repartir à la hausse (37% en 2017, p<0,001) (figure 2). La proportion de femmes à percevoir ce seuil de risque a doublé sur la période (24% en 2004 vs 56% en 2020, p<0,001) et a également augmenté chez les hommes, bien que dans une moindre mesure (25% en 2004 vs 35% en 2020, p<0,01).
À l’inverse, la proportion de ceux qui pensent que les risques existent à partir d’un verre par jour a diminué : elle était à 17% en 2020 contre 40% en 2004 (p<0,001).
En miroir, en 2020, 47% de la population a spontanément répondu qu’il n’existait pas de niveau de consommation d’alcool sans risque pour le bébé (figure 3). Cette proportion a doublé entre 2015 et 2020. La proportion de personnes déclarant que la femme enceinte peut consommer un verre pour les grandes occasions sans prendre de risque pour le bébé a été divisée par deux entre 2004 et 2020 (48% vs 25%, p<0,001), cette diminution étant du même ordre de grandeur chez les hommes (44% en 2004 vs 25% en 2020 p<0,001) et les femmes (51% vs 25%, p<0,001). La proportion de ceux qui pensent qu’il n’y a pas de risque pour quelques gorgées était globalement stable sur l’ensemble de la période et concernait 15% des répondants en 2020.
Enfin, une ivresse pendant la grossesse peut entraîner des risques selon 88% de la population en 2020. Cette proportion augmentait significativement depuis 2004 (81%, p<0,001), puis s’est stabilisée en 2017 (90%). L’augmentation de la perception de ce risque était observée quel que soit le sexe, entre 2004 et 2017. Néanmoins, pour les hommes, l’augmentation n’était significative qu’à partir de 2015 (84% vs 90% en 2017, p<0,01).
Différences sociodémographiques en 2020
En 2020, les femmes identifiaient plus souvent un risque dès le premier verre (56% des femmes vs 35% des hommes, p<0,001), mais aucune différence n’était constatée concernant la perception du risque d’une ivresse pendant la grossesse ou celle du risque d’un verre lors de grandes occasions (tableau). Parmi les femmes en âge de procréer, 56% ont déclaré qu’il y avait un risque dès le premier verre, 89% qu’une seule ivresse comportait des risques et 21% qu’un verre pour les grandes occasions ne comportait pas de risque.
Aucune différence n’était observée en 2020 concernant l’identification du risque dès le premier verre en fonction des autres caractéristiques sociodémographiques (âge, niveau d’études, couple, enfant), hormis la consommation d’alcool – les non-consommateurs identifiant plus souvent ce seuil (58%). En revanche, les 35-49 ans (92%) et les personnes en couple (91%) étaient plus nombreux à identifier le risque d’une ivresse pendant la grossesse. Enfin, les personnes les moins diplômées indiquaient plus fréquemment qu’il n’y avait pas de risque lors de la consommation d’un verre pour les grandes occasions (31%).
Sources principales d’information
Alors qu’en 2004, les médias étaient la première source d’information des répondants concernant les « précautions à prendre pour les femmes enceintes » (63%), ils n’étaient cités que par 40% des répondants en 2020 (p<0,001), passant ainsi en deuxième source d’information derrière les proches (entourage familial et amis ayant déjà eu des enfants), cités par la moitié des répondants (47% en 2020, proportion stable sur l’ensemble de la période). Les professionnels de santé (médecin de famille, gynécologue, sage-femme) étaient cités par 25% des répondants en 2020, cette proportion étant stable depuis 2004.
En 2020, les hommes étaient plus nombreux que les femmes à citer les médias (44% vs 37% des femmes, p<0,05) et l’entourage (53% vs 42% des femmes, p<0,001) comme sources d’information principales, alors que les femmes citaient plus souvent les professionnels de santé (38% vs 11% des hommes, p<0,001), qui constituaient ainsi leur deuxième source d’information.
Messages d’avertissements sanitaires
Des questions sur la connaissance et l’adhésion aux messages sanitaires sur les bouteilles d’alcool ont été introduites à partir de la vague de 2007, à la suite de leur mise en place. En 2020, environ deux-tiers des personnes interrogées (63%) déclaraient être au courant que « toutes les bouteilles d’alcool portent une indication pour avertir le public des risques liés à la consommation d’alcool pendant la grossesse ». Cette proportion retrouvait le niveau de 2007 (62%) après une diminution en 2015 (54%, p<0,001) et 2017 (57%). Comme pour les années précédentes, plus de 9 personnes sur 10 approuvaient cette mesure (72% l’approuvaient « tout à fait » et 21% l’approuvaient « plutôt »), 75% pensaient que la présence de ces informations avait un impact important sur la consommation des femmes enceintes, et 65% pensaient que cela n’influençait pas l’image qu’ils avaient des producteurs de vin (26% évoquaient une influence positive et 8% une influence négative). Concernant d’éventuelles évolutions du pictogramme, qui constitue une des deux modalités d’information obligatoire (l’autre modalité étant l’apposition d’un texte), 82% étaient favorables à le rendre plus visible.
Discussion
En 16 ans, le repère « zéro alcool pendant la grossesse » s’est progressivement installé, avec 9 personnes sur 10 qui le connaissaient en 2020 (+10 points), soit le même niveau que la recommandation « zéro tabac pendant la grossesse », sans différence selon le sexe. Sur l’ensemble de la période, la plupart des autres indicateurs (idées reçues sur le vin et la bière, perceptions des risques dès le premier verre, lors d’une seule ivresse et lors de consommations occasionnelles comme pendant une grande occasion) ont également évolué dans un sens favorable. Une baisse était observée pour certains indicateurs entre 2007 et 2015, correspondant à une période de moindre communication au niveau national. La connaissance et l’adhésion aux messages d’avertissements sanitaires demeurent à des niveaux assez élevés depuis 2007.
Ces évolutions positives vont dans le sens des résultats de l’évaluation d’une campagne de Santé publique France en 2018 qui montraient qu’elle apportait des informations nouvelles sur la consommation d’alcool pendant la grossesse pour 80% des personnes exposées et qui était jugée incitative à ne pas boire d’alcool en cas de grossesse pour 94% des femmes âgées de 15 à 49 ans ayant été exposées à la campagne 12. L’ensemble de ces résultats suggère un effet positif des récentes communications sur les connaissances et perceptions des risques, et rejoint les conclusions d’une revue systématique de la littérature récente montrant l’efficacité de différents types d’interventions, incluant des actions de communication, sur les connaissances des risques de la consommation d’alcool pendant la grossesse 13.
Malgré ces améliorations, on observe un écart entre la connaissance de ce repère « zéro alcool », qui est élevée, et les perceptions des niveaux de consommation à risque, notamment pour des faibles quantités. Cet écart pourrait en partie être dû à la formulation des questions et des modalités de réponses non suggérées, qui pourraient être déstabilisantes pour les répondants, mais il montre aussi certainement une minimisation du risque pour une part non négligeable de la population. Ainsi, plus de la moitié des Français ne déclaraient pas de risque dès le premier verre en 2020 (contre un quart en 2004) et encore 1 personne sur 10 ne percevait pas une ivresse comme un risque (contre 2 personnes sur 10 en 2004). Par ailleurs, malgré un recul d’au moins 10 points depuis 2004, certaines croyances erronées circulent toujours, puisqu’environ un cinquième de la population pensait que la bière pouvait favoriser l’allaitement, et qu’il était conseillé de boire un verre de vin de temps en temps pendant la grossesse, soulignant probablement ici le statut particulier du vin dans le contexte culturel français.
Des différences selon le sexe, l’âge et le niveau d’études, déjà observées dans les analyses précédentes 11, étaient toujours présentes en 2020. Les hommes, les plus âgés et les personnes ayant un niveau d’études inférieur au baccalauréat en particulier donnaient plus souvent les réponses éloignées des recommandations de santé publique. Ce dernier point témoigne de disparités sociales toujours présentes sur ce sujet. Par ailleurs, même si les écarts diminuent entre les hommes et les femmes sur plusieurs indicateurs, il paraît toujours important de renforcer les connaissances chez les hommes, puisque les comportements de consommation du partenaire, son soutien pendant la grossesse, ainsi que la norme de celui-ci à ce sujet (c’est-à-dire l’acceptabilité de la consommation pendant la grossesse pour lui) a un impact sur la consommation des femmes enceintes 14,15. Dans une étude australienne de 2012 16, les auteurs montraient par exemple que 75% des femmes qui avaient bu pendant leur grossesse l’avaient fait avec leur partenaire masculin et que 40% des occasions avaient été initiées par ce dernier.
Notre enquête montre également que la sphère familiale est une source d’information importante pour les femmes enceintes. La transmission intergénérationnelle entre mère et fille apparaît comme une source d’information primordiale 17, invitant aussi à considérer les mères de jeunes femmes enceintes comme des relais privilégiés de la prévention.
Les professionnels de santé sont également une source d’information majeure pour les femmes. Leur implication est d’autant plus importante que les comportements des femmes peuvent évoluer au cours des neuf mois de la grossesse, ce qui nécessite de faire un point régulier sur leurs consommations 18,19. Dans l’enquête nationale périnatale de 2021 7, 74% des femmes déclaraient avoir été interrogées sur leur consommation d’alcool pendant leur grossesse par un professionnel de santé (67% en 2016), et moins d’un tiers disaient avoir reçu la recommandation de ne pas consommer d’alcool en 2016 20. Par ailleurs, la perception des professionnels apparaît assez divisée concernant les faibles consommations d’alcool pendant la grossesse. En 2015, d’après une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques auprès d’un panel de médecins généralistes, 77% des médecins généralistes interrogés déclaraient conseiller aux femmes enceintes buvant occasionnellement (pas plus d’une fois par mois) des boissons alcoolisées d’arrêter cette consommation, alors que 22% leur recommandaient plutôt de ne pas boire plus d’un verre par occasion 21.
Forces et limites
Parmi les limites, on peut souligner le possible biais de désirabilité sociale, qui a pu se renforcer au cours des quinze années d’observation, sous l’influence des campagnes de prévention. Il est possible qu’une partie des évolutions positives observées soient à mettre en lien avec ce biais accru de désirabilité. Par ailleurs, la représentativité de notre étude est limitée, dans la mesure où il s’agit d’une enquête par échantillon non probabiliste 22,23, avec des effectifs bruts peu élevés pour les plus jeunes. Une telle approche, fragile pour quantifier les niveaux, reste néanmoins pertinente pour le suivi d’indicateurs dans le temps, à « biais constant ». La méthode d’enquête étant restée identique au cours des différentes vagues, la force de cette étude est ainsi de pouvoir suivre l’évolution d’indicateurs sur une période de plus de 15 ans.
Conclusion
Les années 2004-2020 ont été marquées par le développement des campagnes et actions de prévention sur le sujet de la grossesse et l’alcool. Ces actions semblent avoir permis une amélioration significative des connaissances des recommandations et des représentations des niveaux de consommation à risque pendant la grossesse. Malgré cela, des marges de progrès demeurent. Un élargissement des cibles des communications pour inclure davantage l’entourage des femmes en âge de procréer semble pertinent dans une perspective plus systémique visant à construire des environnements favorables à la non-consommation d’alcool des femmes enceintes et à faire évoluer les normes sociales. Dans cette perspective, Santé publique France a développé un volet s’adressant à l’entourage des femmes enceintes dans le cadre de sa campagne 2020 : l’objectif était d’inciter à la prévenance et à la solidarité de l’entourage pendant la grossesse, pour soutenir les femmes enceintes dans leur non-consommation d’alcool. Ce type de message doit cependant être manié avec précaution pour ne pas être perçu par les femmes enceintes comme une volonté de contrôle social sur leur grossesse par leur entourage.
Par ailleurs, les difficultés auxquelles les femmes enceintes peuvent être confrontées pour maintenir l’abstinence ne doivent pas être sous-estimées. Le respect de la recommandation « zéro alcool pendant la grossesse » peut sembler inaccessible pour certaines femmes et nécessiter une aide et une écoute spécifiques. Il demeure ainsi important de pouvoir aborder la question de la consommation d’alcool avec les futurs parents dès leur désir de grossesse lors de consultations préconceptionnelles, et lors du suivi de la grossesse, dans une posture non stigmatisante. À ce titre, l’entretien prénatal précoce, qui a lieu au quatrième mois de grossesse, permet un temps d’échange long avec un professionnel de santé et peut être une bonne opportunité. Rendu obligatoire en 2020 dans le cadre du projet gouvernemental des 1 000 premiers jours, il vise à mieux connaître les besoins en information des futurs parents, à repérer d’éventuels facteurs de vulnérabilité et à orienter vers des dispositifs d’aide et d’accompagnement, en physique ou vers des aides à distances (centres d’addictologie et alcool-info-service.fr, le cas échéant).
Remerciements
Les auteurs remercient Bérengère Gall et Julien Vivant de l’institut BVA pour leur aide dans la construction du questionnaire, le terrain de l’enquête et les premières analyses.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt au regard du contenu de l’article.